1 - LE CHILI AU CÅ’UR
Lors de notre séjour au Chili en décembre et janvier, en pleines "soldes universitaires" (voir article dans Bulletin Snesup) nous mettions l’accent sur le saccage de l’un des meilleurs systèmes universitaires d’Amérique du Sud, d’abord par Pinochet puis par la "Concertacion" : alliance de la carpe et du lapin, du parti socialiste et de la Démocratie chrétienne.
Le feu couvait !! Nous avions rencontré des dirigeants syndicaux et notamment de la Confech, Confédération des étudiants du Chili... Je précise que nous étions au Chili pour tourner un film et non aux frais du syndicat.
Depuis mai, ça explose !! Lycées et Universités occupés, trois journées d’action très massives en un mois... Un appel à la grève générale pour le 14 juillet... et la "popularité" du président sarkoberlusconien qui s’effondre, ainsi que celle de la "Concertacion"...Ici, pas question de gadgets, de forums creux...
Des milliers "d’indignés" demandent la fin de la marchandisation de l’enseignement (oui vous avez bien lu !) et que l’enseignement redevienne public et à la charge de l’Etat... Il est aujourd’hui soit privatisé, soit municipalisé... Le petit secteur public agonise. Les étudiants Mapuches, et tout le mouvement, exigent l’ouverture des facs aux étudiants indiens Mapuches, aujourd’hui discriminés, voire réprimés, de vrais moyens, pris notamment sur les profits capitalistes... Le mouvement des lycéens et étudiants a lieu au moment où monte la colère et la résistance populaires contre les mégas projets des mutinationales du cuivre, de l’or, des métaux précieux, de l’eau... qui mettent en danger l’environnement dans des régions entières, souvent protégées, au nord, au sud...
Lire également dans le "Diplo" espagnol notre article sur une multinationale "voyou" (redondance) la "Minera Pelambres" et notre docu sur Youtube : "Les damnés de l’eau"...
VIVA CHILE, CARAJO !
Jean Ortiz
2 -LA HAVANE, Boulevard du front de mer : el Malecón
Il me reste de La Havane un enchevêtrement de couleurs, de formes et de lignes, de vibrations, de pulsions, de scènes insolites... Images qui s’entrelacent, se croisent, se rencontrent, sans jamais se heurter. Sans doute est-ce de leur fusion que naît cet insaisissable "réalisme merveilleux"... Mais il me reste surtout le souvenir d’une longue avenue, celle du bord de mer, le Malecón, qui synthétise toutes les images.
J’aime ce trait d’union entre la Vieille Havane et les quartiers plus "modernes".
J’aime cette jetée qui se fond à l’horizon, que caresse une mer douce et pourtant cruelle. Les vagues qui meurent sur les récifs érodés résonnent, pour qui sait les écouter, du fouet des négriers, du supplice des Indiens, du canon des galions espagnols, du cliquetis des pirates, des salves des mercenaires... Le Malecón déroule, sous l’oeil toujours menaçant de la Floride, cette histoire à fleur de peau, ce cheminement libérateur... Paisible ou déchaîné les jours de "frente frào", de mer rebelle, le Malecón nous parle de blocus et de dignité. Paradoxalement, cette longue muraille austère m’est toujours apparue émancipatrice.
J’aime ce Malecón de la résistance sans cesse renouvelée, du métissage infini... Il s’offre le jour aux gamins de La Havane et le soir venu, aux amoureux en quête de solitude et de fraîcheur, etc.
Au fil des heures, les couleurs et les ombres se déplacent, sur les façades des vieux quartiers baroques. Le soleil du Malecón crée de nouvelles harmonies, des formes mouvantes, nervures insaisissables d’un monde ambivalent.
J’aime ce foisonnement prolixe, cet enchevêtrement fou, où se fondent le baroque créole, le néo-classicisme et un modernisme criard. Je revois ces maisons coloniales du front de mer, ouvragées de feuillages luxuriants, de chérubins ailés, de colonnes et d’arcades majestueuses, de grilles en volutes, de vitraux colorés de fleurs et de fruits.
La Havane où le réel et l’irréel se mêlent éperdument, se substituent. Les vieilles guimbardes passent majestueusement devant une immense affiche : "Jamás nos rendiremos" ; d’autres Cadillac, Pontiac, Chevrolet, capots retroussés, chauffeurs plongés dans le moteur, attendent le miracle ; le fil de fer étant souvent le premier maillon de la débrouille.
J’aime le Malecón les jours de Carnaval, trait d’union des racines ancestrales aux élans du présent. La danse, la musique et le masque vous emportent dans les tourbillons débridés des "comparsas". Et un peuple enivré par les "congas", les "rumbas"... Magie des costumes et des déguisements. Là renaissent et se côtoient des dieux et diables africains, exubérants, les mulâtresses parées, habitées par le battement vital de la "tumbadora". Et des don Quichotte sublimes, emportés, et solidaires, dans une foule en transe. Et toujours l’ambigüité du masque. Cette ambivalence mystérieuse, sensuelle, joie vitale parfois douloureuse, des Cubains lors des heures graves où le Malecón devient peuple. Et au quotidien, comme une osmose amoureuse entre la ville et son front de mer.
Jean Ortiz.
Nostalgie de mes années à La Havane...