Avant-propos
Le processus d’Astana a été lancé en janvier 2017 suite à la libération d’Alep, par l’Armée syrienne et ses alliés, et à l’‘Accord de cessation des hostilités’ conclu entre les trois États garants, Russie-Iran-Turquie, avec l’assentiment de la Syrie mais sans sa signature.
La Turquie, garante des factions armées de ladite ‘opposition syriennne armée modérée’ représentées à Astana, s’était engagée à les séparer des groupes de terroristes armés du Front al-Nosra et de Daech, exclus de l’accord. Les factions armées kurdes n’étaient pas représentées du fait de l’opposition de la Turquie. La Russie et l’Iran s’étaient chargés du mécanisme de surveillance de la mise à exécution de ce premier accord d’Astana 1.
Par la suite, les sessions successives et notamment Astana 4, tenue le 4-5 mai 2017, ont abouti à la délimitation de trois zones de désescalade, aujourd’hui libérées par l’Armée arabe syrienne et ses alliés : la région de Daraa dans le Sud, la Ghouta orientale dans la banlieue de Damas et le nord de la province de Homs dans le centre.
Le 15 septembre 2017, Astana 6 a abouti à la confirmation d’une quatrième zone de désescalade couvrant la province d’Idleb et plusieurs parties des provinces voisines à Alep, Lattaquié et Hama.
La réunion d’Astana 10 s’est tenue à Sotchi le 17 septembre 2018, le Président russe Vladimir Poutine et son homologue turc, Erdogan, ayant annoncé ce qui est désormais désigné par l’‘Accord de Sotchi’ consistant en la création d’une ‘zone démilitarisée’ sous leur contrôle à Idleb.
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Communiqué de presse du Dr Bachar al-Jaafari, Président de la délégation syrienne suite à la tenue de la réunion d’Astana 11 [1]
Tout comme pour Astana 9, Astana 11 s’est tenue le 29 novembre 2018 en l’absence de l’observateur américain, sans doute dépité des bénéfices concrets du processus en question.
Concernant la Turquie, le Dr Bachar al-Jaafari avait déclaré :
« Lorsque nous parlons du manquement du garant turc à ses engagements, nous parlons d’un double manquement, à l’Accord de Sotchi et à l’Accord d’Astana 4. […] Et nous disons que c’est ce qui a encouragé les terroristes à poursuivre leurs attaques criminelles, menant à l’effusion du sang de centaines de citoyens syriens innocents. […] Ces deux derniers mois, 333 violations terroristes sont parties d’Idleb en direction des trois gouvernorats voisins : Alep, Lattaquié et Hama.
Astana 4 stipulait que les autorités turques déploient environ 1000 policiers, munis d’armes légères, sur 12 points de surveillance tout le long de la ligne d’Abou al-Douhour dite ‘ligne de sécurité’. Aujourd’hui, 11000 officiers et soldats turcs, munis d’armes lourdes, se trouvent illégalement répartis entre Idleb, Jarablous, Al-Bab et A’zaz. Ils travaillent à ‘turquifier’ ces régions du nord de la Syrie en remplaçant l’identité des villes et villages, en imposant la Livre turque, les drapeaux turcs, les livres scolaires turcs aux écoliers syriens et le salut au drapeau turc dans les écoles syriennes. C’est donc une occupation et une agression évidentes dont nous détenons toutes les preuves.
Les éléments affiliés à Al-Qaïda et au Front al-Nosra ne sont pas les seuls terroristes sévissant dans les régions syriennes occupées par la Turquie. Le Parti islamique du Turkestan, les groupes venus du Caucase ou de Tchétchénie, l’Organisation des Hurras al-Dine ayant finalement déclaré son allégeance à Al-Zawahiri le chef d’Al-Qaïda, sont-ils des opposants syriens armés modérés ? Ce sont tous des mercenaires étrangers présents à Idleb sous la protection des autorités turques ».
Quant aux forces militaires présentes illégalement en Syrie :
« Elles devraient se retirer. C’est la condition première d’une éventuelle véritable volonté internationale d’aider la Syrie. Un retrait qui devrait concerner à la fois les forces turques, les forces américaines présentes à Al-Tanf, au Camp d’al-Roukbane et au nord-est du pays, les forces britanniques et les forces françaises moins nombreuses. Un retrait qui devrait faire partie des discours politiques des Nations Unies et des États qui tiennent au respect des 30 résolutions du Conseil de sécurité relatives à la solution de ladite crise syrienne ; toutes ces résolutions affirmant, en préambule, la nécessité de respecter la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie ; toutes ces résolutions ayant été adoptées par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, sans que cela les empêche d’occuper illégalement notre territoire national, comme s’il s’était agi de l’adoption de textes poétiques ».
Il avait conclu son communiqué en affirmant : ‘Damas travaille en parfaite coordination avec les garants russe et iranien pour tout ce qui concerne les réunions d’Astana et rien ne peut arriver à Astana, ou en dehors d’Astana, sans l’accord du gouvernement syrien’ ».
Répondant aux questions des journalistes, il avait abordé 3 autres sujets :
- Les Réfugiés : « L’Occident exerce actuellement de fortes pressions, reposant sur de faux prétextes, pour empêcher le retour des réfugiés syriens vers leur mère patrie. Une fois encore, si l’Occident a vraiment l’intention de nous aider et aussi d’aider les pays d’accueil à leur retour, il doit commencer par lever les sanctions coercitives unilatérales imposées aux citoyens Syriens et à la Syrie ».
- L’offre de dialogue des Syriens kurdes : « Tout dialogue entre Syriens est le bienvenu à condition qu’il n’y ait pas d’ingérence étrangère ».
- L’attaque terroriste du 24 novembre 2018 sur Alep par des roquettes contenant des gaz toxiques (104 intoxiqués du fait d’une mise en scène de Moscou, selon Washington [2]) : « Nous avons expliqué que c’était une escalade très dangereuse qui n’a pu se produire sans le feu vert de ceux qui parrainent et protègent les terroristes. Comment ces armes chimiques sont arrivées à Idleb ? Qui a donné l’autorisation de s’en servir ? Deux questions à poser à ceux qui prétendent travailler pour la paix en Syrie. Nous, nous avons les réponses. Nous l’avons dit. Nous le redirons dans nos communiqués au Conseil de sécurité. Le gouvernement turc est naturellement le premier suspect.
Si la Turquie persiste à ne pas exécuter l’Accord de Sotchi, cela signifie, pour nous et nos alliés, que la porte est ouverte à la poursuite de notre combat contre le terrorisme. Nous ne patienterons pas longtemps. Les autorités turques disposent d’un délai défini pour éloigner les terroristes de 15 à 20 Kms vers l’ouest. Si cette mise à exécution n’est pas obtenue par la diplomatie et la politique, elle se fera par d’autres moyens, car les résolutions du Conseil de sécurité et toutes les déclarations d’Astana [3] légitiment la poursuite de ce combat. La lutte contre le terrorisme est une chose et l’opération politique en est une autre. Les deux sont parallèles, mais ne s’excluent pas l’une l’autre ».
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Quelques réactions
Suite à cette dernière session d’Astana, des observateurs régionaux ou internationaux ont parlé de l’échec du processus, émettant parfois des doutes sur l’engagement des garants russe et/ou iranien malgré leurs déclarations solidaires de l’allié syrien, tandis que le représentant spécial américain pour la Syrie, James Jeffrey, décrétait que le processus d’Astana et le processus de Sotchi -consacré au dialogue entre Syriens- doivent laisser place au ‘processus de Genève’ s’ils ne permettent pas la mise en place du ‘Comité constitutionnel’, au plus tard, à la mi-décembre [4] .
En d’autres termes, doivent laisser place aux Nations Unies et à l’agenda de son émissaire ‘facilitateur’ ; Staffan de Mistura, lequel a réitéré ce qu’il avait déclaré à maintes reprises [5] : que les garants d’Astana ne doivent pas chercher à s’immiscer dans les questions qu’il lui appartient de résoudre, que l’agrément de la liste des 50 constitutionnalistes issus de la société civile syrienne relève de sa responsabilité et que c’est la seule procédure susceptible d’offrir une crédibilité et une légitimité internationales au processus du dialogue entre Syriens à Sotchi, faisant mine de ne pas avoir compris que la Constitution syrienne est affaire du peuple syrien qui n’est pas prêt à accepter une constitution à la mode de Paul Bremer, comme en Irak, pour ne citer que celle-ci.
Cependant, nombre d’observateurs locaux s’attendaient à ce que la réunion d’Astana 11 ne lui accorde pas cette faveur, anticipant qu’elle aboutirait soit à accorder à la Turquie une nouvelle occasion de tenir ses engagements, soit au retrait turc de l’accord tripartite russo-irano-turc ouvrant grand la porte à l’opération militaire tant attendue par le peuple syrien [6]. En effet, M. Bachar al-Jaafari n’a pas abordé le sujet de la Constitution, mais qu’en est-il de la Turquie ?
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L’analyse résumée de M. Nasser Kandil [7] (Rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Binaa)
« Avant l’engagement militaire de la Russie fin 2015, la Syrie n’a fait que résister face aux avancées territoriales des groupes terroristes armés soutenus par la Coalition internationale menée par les États-Unis. Depuis, l’Armée arabe syrienne a remporté 5 victoires décisives à Alep, Palmyre, Deir ez-Zor/ Al-Boukamal, la Ghouta et le Sud syrien.
La durée de chacune de ces batailles militaires n’ayant pas dépassé 10 à 30 jours, il est logique de se demander pour quelles raisons elles n’ont pu être achevées que sur une période de 3 ans [2015 à 2018].
La réponse est qu’à chacune de ces étapes, il a fallu que l’État syrien et ses alliés accordent à la Russie, qui préfère garder les meilleurs relations possibles avec la Turquie, le temps nécessaire afin qu’elle épuise les possibilités d’éviter une confrontation militaire et trouve un compromis acceptable par toutes les parties.
Ainsi, ce n’est qu’au bout de neuf mois de négociations, finalement infructueuses, que la Russie a pris la décision de s’engager totalement dans la libération militaire d’Alep sans tenir compte de la réaction turque, tout comme elle n’a pas tenu compte de la réaction des Américains lors de la libération de Deir ez-Zor/ Al-Boukamal, des Saoudiens lors de la libération de la Ghouta, et des Israéliens lors de la libération du Sud syrien.
Autrement dit, la Russie a respecté ce à quoi elle s’est engagée avec l’État syrien dès le premier jour : la récupération par l’Armée arabe syrienne de la totalité du territoire syrien, avec sa propre participation aux combats militaires en cas d’échec de ses tentatives de règlement par le biais de la politique.
Par conséquent, concernant Astana 11 et la libération de la 4ème zone de désescalade dans la région d’Idleb et ses alentours, il est évident que les déclarations russes se résument à signifier au garant turc : « Vous n’avez pas respecté votre engagement à séparer les factions que vous rangez dans ladite ‘opposition syrienne armée modérée’ des terroristes armés du Front al-Nosra et de Daech ; contre ces derniers, il n’y a pas d’alternative à la solution militaire ; s’il vous faut un à deux mois supplémentaires pour y arriver, nous n’avons pas d’objections ; sinon, à partir de Février prochain, la Turquie devra se retirer et laisser l’Armée syrienne se charger de la mission.
Quant aux massacres répétitifs de la Coalition internationale ayant fait des centaines de martyrs et de blessés parmi les civils à Hajine et à Al-Cha’fa dans le gouvernorat de Deir ez-Zor [8], ils témoignent de l’échec du pari américain sur l’impuissance du garant russe à empêcher une confrontation militaire entre la Syrie et la Turquie. Laquelle confrontation retarderait la libération d’Idleb et, par conséquent, la libération de l’Est de l’Euphrate occupé par les Américains et leurs alliés régionaux ou occidentaux.
C’est là un raisonnement américain qui ne prend pas en compte le fait que la Russie a fait de la Syrie une ‘zone d’exclusion aérienne’ pour l’aviation turque depuis que deux de ses chasseurs ont abattu le Soukhoï russe Su-24, le 24 novembre 2015, et pour l’aviation israélienne depuis qu’elle nous a révélé la responsabilité d’Israël dans la tragédie de l’IL-20 russe qui s’est retrouvé sous le feu de la défense aérienne syrienne parce que, lors de leur raid sur la Syrie, les pilotes israéliens se sont sciemment abrités derrière, le 17 septembre 2018.
Il n’est donc pas exclu que la Russie agisse de même avec les Américains occupant l’Est de l’Euphrate, sans nécessairement déclarer l’installation des anti-missiles S-300 comme ce fut le cas après le ‘coup de poignard’ israélien. Il suffirait que lors d’un prochain raid de ladite Coalition internationale, un missile syrien abatte un de ses avions. Auquel cas, que feraient les Américains ? Entreraient-ils directement en guerre avec la Syrie, ou bien demanderaient-ils aux Russes d’enquêter sur ce qui s’est passé et de revoir leur organisation d’évitement des collisions dans l’espace aérien syrien ? Des précédents existent pour répondre logiquement à ces questions.
En tout cas, une étape de ‘gel stratégique’ dure depuis la libération du Sud syrien. Mais actuellement, nous assistons au passage vers une nouvelle étape destinée à régler la situation au nord et à l’est de la Syrie. C’est d’ailleurs ce que demande la partie turque qui déclare : ‘Nous ne pouvons nous retirer d’Idleb alors qu’un canton kurde, sous protection américaine, demeure à l’Est’. Obstacle levé à Astana 11 où la Turquie a reçu des garanties quant aux opérations synchrones devant mettre fin à l’occupation turque au nord de la Syrie et à l’occupation américaine à l’est.
Ce qui signifie que l’‘initiative stratégique’ revient désormais au camp syrien et à ses alliés et qu’il est attendu que le camp adverse pratique l’escalade. Une escalade destinée à entamer des négociations, non à entrer en confrontation.
Des négociations sur de nouvelles bases, dont l’intégration des factions kurdes au processus de règlement politique, contre l’abandon du projet d’un canton kurde et le retrait des forces américaines au-delà de la frontière syrienne ».
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Quelques questions
Serait-ce là une conclusion trop optimiste de la part de M. Nasser Kandil alors que les prétendues forces démocratiques syriennes ou FDS -dominées par les kurdes séparatistes et soutenues par les raids meurtriers de ladite Coalition internationale, par les forces spéciales américaines et par des forces spéciales françaises- sont entrées et progressent dans Hajine, toujours sous prétexte de combattre Daech ? Et quel rapport avec ce que vient d’annoncer Erdogan [12 décembre] quant à une prochaine opération contre ‘ses terroristes’, autrement dit les FDS, dans l’est de la Syrie [9] ?
Que cette annonce soit vraie ou une ruse supplémentaire d’Erdogan, les informations de M. Kandil concernant le délai qui lui a été accordé à Astana 11 sont confirmées. En effet :
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Déclaration du Président Bachar al-Assad lors d’un entretien accordé à ‘omandaily’ et publié sur le site de la revue le 11 décembre [10]
À la question : Comment traiterez-vous le problème d’Idleb et ce qui se passe au nord et à l’est de l’Euphrate ? Le Président syrien a répondu :
« Le gouvernement syrien a clairement déclaré sa position quant aux régions encore occupées par des forces étrangères : les récupérer par la guerre ou par la paix. Et ce, notamment depuis la libération du Sud syrien selon ce même principe.
Actuellement, nous laissons une chance aux efforts politiques, alors que nous étions proches d’une action militaire et que nous avions achevé les préparatifs nécessaires. Mais, il se trouve que certaines factions ont adressé des messages à la partie turque, sollicitant un dialogue politique et la création d’une zone tampon de 15 à 20 kms entre les deux parties. Et c’est ce qui a été conclu par le dernier accord.
Les régions en question sont les dernières cartes des souteneurs et des garants des organisations armées ayant sévi dans de nombreuses régions du pays, tandis que la Russie et l’Iran sont les garants de la Syrie.
Ce qui reste de territoires occupés reviendra inévitablement à l’État syrien et ce ne sera pas dans longtemps, car nous n’acceptons pas que n’importe quelle partie de notre terre soit soustraite au profit de n’importe quelle entité ou de qui que ce soit. ».
À suivre…
Mouna Alno-Nakhal
(Revue de presse)
12/12/2018
Sources :
[1] Vidéo Al-Ikhbariya TV / Conférence de presse du Dr Bachar al-Jaafari suite à la réunion d’Astana (11)
[2] Attaque chimique du 24 novembre sur Alep / Washington accuse Moscou d’avoir aidé à mettre en scène une attaque au gaz lacrymogène
[3] La déclaration finale de la réunion d’Astana-11
[6] La bataille d’Idleb : frappe-t-elle à la porte ? Par Mayssoun youssef journaliste syrienne
[7] Extrait vidéo du 07/12/07, 60 minutes avec Nasser Kandil, traduction libre
[8] Vidéo / Les massacres de la coalition internationale autour de Deir ez-Zor
NB : Dans la version de Sputnik en langue arabe, le président turc aurait fait remarquer qu’il n’y avait plus aucune menace venant de Dach en Syrie. « Ce qui se raconte à ce propos correspond à des rumeurs sans fondement […]. Il se dit que Daech est encore actif sur une superficie de 150 Kms2. Si ce n’est que cela, nous sommes prêts… ».
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