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Assassinat de 66 hommes, femmes et enfants. Récit de comment a été projeté et exécuté le massacre d’El Salado en 2000.

Colombie : Fête de sang paramilitaire en El Salado

Avec un pistolet dans une main, et un poignard dans l’autre, le « Gallo » cherchait maison par maison la femme qu’il croyait la fiancée de Gustavo Rueda Dà­az alias « Martà­n Caballero », le chef du Frente 37 des Farc. Paramilitaire costégno (de la cote), braillard et vulgaire, il a parcouru les rues de El Salado, un village perdu incrusté dans les Montagnes de Maria, donnant des coup de pied aux portes et menaçant avec ses armes toutes les filles qu’il trouvait sur son chemin. Jusqu’à ce qu’il eut trouvé Nayibis Contreras. Elle avait à peine plus de 16 ans. Elle avait des cheveux noirs et longs, et terrifiée elle essayait de se cacher dans sa maison. Dans le village la rumeur disait qu’elle avait une relation avec « Camacho », l’un des chefs guerriers de la zone qui avaient fait de El Salado un lieu d’approvisionnement et de repos, mais aussi une base arrière pour le vol de bétail, la séquestration et les embuscades faites aux militaires.

Quand il l’a eu en face, le « Gallo » a noué sa longue chevelure dans son bras et il l’a traînée sans pitié dans les rues poussiéreuses du village. La traînant dans la caillasse, il l’a emmenée jusqu’au terrain de football où s’agglutinait une multitude de paysans, transformés de force en public de la boucherie humaine qui approchait.

Le matin du 18 février 2000 prenait fin, et un soleil de plomb tombait perpendiculaire sur la place. Par terre gisait le corps encore tiède de Luis Pablo Redondo, l’instituteur qu’ils avaient cruellement torturé et assassiné. Ils l’ont fait face à une centaine d’habitants qui regardaient stupéfaits le spectacle.

Pour commencer ils lui ont coupé les oreilles avec un couteau. Puis, des dizaines de fois, ils l’ont poignardé entre les côtes et le ventre. Encore vivant, ils ont mis un sac noir sur sa tête. Les cris du supplicié se confondaient avec de petits gémissements du public horrifié. La voix de l’homme s’est éteinte et ensuite un tir de fusil a laissé tout en silence. Même les chiens n’ont pas aboyé. L’écho du coup de feu s’est senti dans tout le village. Le massacre avait commencé. Et maintenant Nayibis, battue sur tout son corps, était à l’échafaud, attachée à l’unique arbre qui fait de l’ombre sur la place, regardant en face, avec ses yeux écarquillés, l’église que même Dieu avait fui.

Les habitants de El Carmen de Bolivar qui avaient des parents ou amis à El Salado ont attendu pendant quatre jours les nouvelles du sort qu’ils avaient connu. Mais les autorités sont entrées sur zone seulement quand il n’y avait déjà plus rien à faire.

Quelque chose va arriver dans ce village

Les saladegnos pressentaient que quelque chose de terrible allait arriver. Durant les derniers mois il y avait des signes de mort par tous les côtés. Mais dix ans avant, personne n’aurait imaginé ce terrible dénouement. El Salado était une division territoriale de Carmen de Bolà­var, placée à 18 kilomètres du ce chef lieu municipal, par un sentier qui devenait fréquemment un bourbier. Malgré cela, c’était une terre prospère, avec 5.000 habitants urbains et autant dans les alentours, qui rêvait de grandir un peu plus pour atteindre la catégorie aspirée de municipalité, ce qui signifierait plus de investissements publics. De plus, El Salado était devenu une espèce d’oasis agraire, entouré de ruisseaux et de coteaux verts, au milieu d’une géographie sévère et désertique et de l’immense pauvreté des Montagnes de Maria, qui traversent Bolivar et Sucre. Il y avait un centre médical enviable, avec infirmière, odontologue et même une ambulance ; quelques écoles et un collège où les garçons étudiaient jusqu’au neuvième degré ; deux conseillers municipaux et jusqu’à un poste de Police. Tous avaient leur morceau de terre, en moyenne de 40 hectares, où du tabac était cultivé dans de grandes quantités, maïs, igname et yucca.

Les hommes semaient, recueillaient et séchaient le tabac, tandis que les femmes, embauchées par deux grandes entreprises Espinoza et Tayrona - le sélectionnaient, pressaient et l’emballaient ; ce qui a donné une culture manufacturière naissante au village.

Edita Garrido, une femme maigre qui dépassé les 40 ans, des yeux noirs pétillants et un sourire d’où pointent quelques dents, évoque cette époque comme la meilleure de sa vie : « Tous les jours nous étions là -bas jusqu’à 4 heures de l’après-midi. Nous étions 80, peut-être 100. En plein travail nous riions avec les contes de Julia Gómez, une collègue qui nous amusait tant, que quelques fois ils l’ont virée, mais ils la rappelaient, parce que le travail n’était pas le même sans elle ». Edita dit que la faim n’était pas connue et que l’abondance était telle, que le riche du peuple, Don Eloy Cohen, tuait une vache une journée sur deux et vendait jusqu’au cuir. Les gens avaient de l’argent pour acheter le nécessaire, et même plus.

La prospérité avait fait que la guérilla pose ses yeux sur El Salado. Les Fronts 35 et 37 des Farc harcelaient fréquemment la dizaine de policiers qui mal armés essayaient de se défendre, jusqu’à ce qu’un jour vînt un hélicoptère et il emportât pour toujours les agents. Ainsi, El Salado est resté lâché à sont sort et aux Farc. Les saladegnos ont aperçu le goût amer de la violence guérrilléra, qui s’était déjà étendue par tout le pays et qui même avait encerclée plusieurs villages.

Ils ont commencé a extorquer les paysans les plus riches. Santander Cohen - fils du patriarche Eloy Cohen - avais refusé de payer et tout de suite il est devenu un objectif militaire. Cohen avait une étroite amitié avec le lieutenant colonel Alfredo Persán Barnes, commandant d’un Bataillon de l’Infanterie de Marine, et il a eu recours à lui en 1995, quand il a senti qu’il était cerné dans le village et que le groupe de guérilleros le tuerait certainement. Le colonel Persán est entré à El Salado pour le sauver, mais quand il est parti, à seulement quelques minutes du village, il est tombé dans une embuscade des insurgés. Sont morts, Cohen et Persan, le lieutenant Tony Pastrana et 27 infants de Marine. L’un des plus grands revers qui reste en mémoire dans l’histoire de la Marine de Guerre. Cette action a laissé une marque indélébile à El Salado. Désormais, celui-ci serait considéré un village guérilléro, incriminé pour ne pas avoir signalé aux militaires le piège mortel que le chef guérillero « Martà­n Caballero » avait tendu. L’attaque a aussi brisé la vie communautaire. Tandis que quelques personnes maintenaient une relation quotidienne avec les miliciens des Farc qui restaient dans le village, les autres commençaient à se sentir écrasés sous les enlèvements, les prélèvements et les injustices que les guérilleros commettaient.

Peu de temps après est survenu le premier massacre. En 1997 un groupe armé, envoyé apparemment par des éleveurs de la zone, avec une liste à la main, a assassiné cinq personnes dont l’institutrice du village. En quelques heures El Salado s’était transformé en village fantôme. Absolument toutes les familles ont été déplacées, avec leurs bardas et leurs animaux, dans l’attente de garanties pour rentrer. Trois mois plus tard, la Marine de Guerre s’est installée par quelques semaines dans le village et peu à peu les familles sont retournées. A cette époque, El Salado été réduit à la moitié de ce qu’il était. La guerre avait apporté avec elle la pauvreté. Les compagnies de tabac sont parties et les explorations naissantes de pétrole et de gaz ont été suspendues.

La tension est devenue plus présente à la fin de 1999, quand les paysans qui travaillaient dans El Salado et ses environs ont vu comment les Farc amenaient environ 400 têtes de bétail avec la marque caractéristique d’Enilse López, une femme puissante éleveur de bétail qui était déjà crainte à l’époque par tous dans le Magangué, une ville au bord de la rivière Madeleine, qui restait justement dans le dos de El Salado.

La « Gata », comme la connaissaient tous, se déplaçait comme un poisson dans l’eau entre les hommes politiques de Sucre et de Bolivar. Quand son bétail a commencé disparaître de la propriété « Las Yeguas », la police et les militaires ont entrepris des inutiles recherches. Le bétail était passé par El Salado, et de là il avait disparu. La police pensait que les Farc l’avaient distribué entre les paysans par lots de cinq ou six têtes de bétail, et partagé le gain avec ces derniers.

En décembre de cette année là , un hélicoptère inconnu a survolé le village et a lancé quelques pamphlets dans lesquels on disait : « Mangez les poules et les veaux et jouissez tout ce que vous pouvez cette année parce que vous n’allez plus en profiter ». Et en janvier, une camionnette a été arrêtée sur la route, et ses quatre occupants assassinés.

Delcy Méndez, qui comptait plus d’une décennie comme infirmière dans El Salado, a craqué quand elle a reçu un appel d’une amie de Carthage qui lui a fait remarquer : « Cassez-vous de El Salado parce que quelque chose va arriver ». Alors elle a pris ses vêtements et, sans y penser deux fois, elle est partie pour Carmen de Bolivar. Comme dans un conte de Garcà­a Márquez, elle dit : « Nous ne savions pas ce qui allait arriver, mais nous savions que quelque chose allait arriver ».

La tenaille

Au début de février « Juancho Dique », le chef de tueurs à gages des paramilitaires à Sucre, a reçu un appel de Rodrigo Mercado Peluffo, alias « Cadena », son chef, qui déjà à cette époque était l’homme le plus craint dans les savanes et le golfe de Morrosquillo. « Cadena » a ordonné à « Juancho Dique » qu’il réunisse environ 60 hommes dans la propriété El Palmar de San Onofre, à quelques minutes de la mer caribéenne. « Juancho Digue » a su depuis ce moment qu’il s’agissait de quelque chose de grand, un combat massif avec la guérilla, ou un massacre.

Uber Enrique Bánquez Martà­nez, alias « Dique », était né en 1971 à Cordoba [Colombie], dans une famille paysanne extrêmement pauvre. Très jeune il a commencé à gamberger comme mineur, jusqu’à ce qu’il rentre dans l’Armée. De là il est sorti en 1996 pour s’engager à temps complet dans une Coopérative de Sécurité - Convivir - que les éleveurs de Sucre avaient fondée avec l’appui de la Première Brigade d’Infanterie de Marine, cantonnée à Corozal, et dont le chef était « Cadena », un ex-informateur des militaires.

Selon le propre récit de « Dique », en 1997, quand les Convivir sont pratiquement devenues illégales, « Cadena » et ses hommes se sont emparés de San Onofre. Ils étaient devenus une structure paramilitaire qui recevait des ordres de Carlos Castaño et de Salvatore Mancuso, qui maintenait des relations fluides avec des militaires, la police, des éleveurs et des hommes politiques, et qui faisait du trafic de stupéfiants par le Golfe de Morrosquillo, l’affaire la plus juteuse de la région.

« Juancho Dique » était le chef militaire de « Cadena », c’est pourquoi il était chargé de la mission qu’avaient ordonnée Castaño, Mancuso et Rodrigo Tovar Pupo alias « Jorge 40 » : ils entreraient à El Salado pour déloger la guérilla et tous les habitants, et laisseraient un groupe de paramilitaires installé là .

La nuit du 15 février ils sont sortis de San Onofre dans deux camions par la route principale qui conduit à Cartagena, et à l’aube ils ont retrouvé près de Carmen de Bolivar encore deux groupes de paramilitaires, tous strictement en uniformes, avec des armes automatiques, grenades à fragmentation dans les cartouchières et des munitions à la pelle en bandoulière.

L’un des groupes venait de Magdalena, envoyé par « Jorge 40 », et était sous les ordres d’un paramilitaire appelé « Amaury ». L’autre groupe de paramilitaires venait de Cordoba, sous la conduite de 5-7. Le chef de toute l’opération était un antioquegno connu comme « H2 » ou « John Henao », beau-frère de Castaño, dont la mission principale, une fois rentré dans El Salado, était de recueillir tout le bétail qu’ils trouveraient, de traverser la rivière Madeleine et de le laisser, de façon sûre, dans les savanes de ce département.

Quand les trois groupes ont été réunis, ils ont projeté l’entrée par différents endroits. Un groupe entrerait à El Salado par la route principale de El Carmen. Un autre rentrerait par Ovejas, en suivant la piste de Flor del Monte et de Canutalito, et le dernier arriverait par un endroit connu comme La Reforestacion. En total, environ 300 hommes, guidés par cinq déserteurs [de la guérilla]. « Selon ce que je sais, ils s’étaient livrés à l’Infanterie de Marine, et de là ont été livrés à « Cadena », assure « Dique » ».

Les camions ont été abandonnés sur les grandes routes. Le parcours jusqu’à El Salado, selon le plan tracé, se ferait à pied par les chemins vicinaux. De cette façon ils recueilleraient le bétail en tuant tous ceux qui se trouveraient sur leur chemin. L’ordre était de leur rentrer dedans sans pitié et de prendre en tenaille le village. En quelques heures, le groupe de paramilitaires qui était sous les ordres de « Juancho Dique » et « Cadena » avait tué 19 paysans, presque tous pendus avec des cordes, ou égorgés au couteau, pour que le bruit des fusils n’alerte pas les voisins. « Cadena » s’est trouvé dans une propriété connue comme La 18, et là il a installé une espèce d’hôpital de campagne et de base arrière d’approvisionnement en armes et vivres que lui apporteraient par hélicoptère Mancuso et « Jorge 40 ».

« Amaury » était entré par la voie principale, en laissant derrière lui un sillage de terreur et de mort. Le matin du 16 février, les paramilitaires ont arrêté sur la route l’une des camionnettes qui faisaient, chaque jour, le voyage entre El Salado et Carmen de Bolà­var. Dans la remorque se trouvait notamment, Edith Cárdenas une femme de conviction reconnue pour tous dans El Salado. Selon un témoignage donné quelques jours après par Marie Cabrera, conseiller médicale qui se trouvait aussi dans le véhicule, les paramilitaires ont regardé les épaules d’Edith et ils ont vus des marques et ils ont déduit que c’était un signe indubitable que la femme transportait une besace, et donc était une guérilléra. En réalité, c’était les marques de l’usage de tee-shirts échancrés, pour supporter la chaleur de la région : « Edith parle, parle ! Ne reste pas silencieuse ! », Marie lui criait, mais Edith n’a pas pu parler de peur. Ils l’ont tuée. Elle et les autres. Seulement Marie et un autre passager ont pu s’échapper à travers champs, courant désespérés pour sauver leur vie.

Jusqu’alors les Farc s’étaient déjà aperçues de l’incursion et étaient sorties vers la route, pour combattre les paramilitaires. Mais bientôt ils se sont rendus compte que les paramilitaires étaient nombreux, ils avaient de l’appui aérien et qu’ils étaient en train de les encercler.

Pendant ce temps dans le village l’inquiétude grandissait. Par un soi-disant appel téléphonique quelqu’un a su que la camionnette qui était partie de El Salado n’était jamais arrivée à destination à El Carmen. Tout de suite ont commencé à arriver des paysans qui fuyaient effrayés des alentours que les paramilitaires étaient en train de raser. Les habitants de El Salado, pris de panique, se sont réunis sans savoir quelle décision prendre. Plusieurs ont entrepris de fuir sans y réfléchir à deux fois. D’autres ont compris que le départ était imminent quand ils ont vu les guérilleros des Farc qui battaient en retraite. Ils avaient perdu des hommes, ils avaient quelques blessés et ils cherchaient refuge dans la montagne. L’un d’eux venu dire aux habitants de El Salado : « Courrez, courrez ils viennent pour raser le village ».

Teresa Castro et David Montes, un couple qui malgré les infortunes semble heureux ont été des premiers prendre la retraite. « sur le chemin de Arenas nous nous sommes réunis dans une hutte de tabac, au moins, 100 personnes. Les enfants pleuraient de faim et de soif. Nous voulions revenir, mais quand nous entendions les tirs et nous avons su qu’ils tuaient les gens sur les chemins, nous nous sommes jetés dans la forêt. Nous avons tenu deux jours en marchant sans rien à manger. Je me suis évanouie et j’ai demandé aux autres de continuer. Mais ils ne m’ont pas laissé, et enfin nous avons pu nous en sortir », raconte Teresa.

Le chemin a été si tortueux, qu’Helen Margarita Arrieta, une petite fille d’à peine 6 ans, est morte déshydratée tandis qu’elle implorait une voisine qu’elle lui donne de l’eau. Mais dans ces terres il n’y avait pas de goutte de liquide. Seulement la chaleur terrible de la Côte.

Par la crainte à mourir de faim et de soif plusieurs sont rentrés à l’aube du 17 février. Les uns pour emballer leurs affaires et partir définitivement. D’autres, attachés au vieux proverbe que celui qui ne doit rien, ne craint rien. L’une de celles qui sont rentrées fut Leticia1. « Nous avions dormi dans la montagne et mes filles suppliaient pour de la nourriture, ainsi nous sommes revenus, après que le laitier nous ait dit que dans El Salado n’étaient pas entrés les paramilitaires », se rappelle-t-elle.

Au milieu de l’angoisse à cause des coups de feu qui étaient entendus au loin, à peu près 200 personnes restaient encore au village ce jeudi 17 février. L’apparent calme a été brisé vendredi à 9 heures du matin, quand tout à coup ils ont vu le village plein d’hommes armés. Il n’y a pas eu de temps pour fuir. « Nous sommes dans El Salado : déconnez pas ! Sortez, bande de guérilléros, que tout le monde meurt aujourd’hui », l’un des paramilitaires a crié, et Leticia, qui était dans le lavoir, a commencé à pleurer parce que depuis ce moment elle a su que la tragédie tant annoncée était déjà inévitable. La mort planait sur El Salado.

Orgie de sang

« Quand nous arrivons à El Salado nous avons ramassé les gens et nous les avons réunis sur la place, à côté de l’église. Les déserteurs signalaient les guérilleros et nous les exécutions », dit « Juancho Dique » sans l’ombre d’une émotion. « Ils sont arrivés en renversant des portes », se rappelle Leticia, avec une voix tremblante. En la poussant, « Gallo » l’a sorti elle et sa famille de la baraque où elle vivait. Une fois sur le parvis de la chapelle, elle a vu avec stupeur que son fils était déjà dans le groupe sélectionné par les paramilitaires. Avec des larmes dans les yeux, et en sortant du courage du fond de ses tripes, elle a crié à ses bourreaux : « ayez de la compassion pour cette âme », et elle a signalé le garçon. Par une raison qu’elle n’a jamais comprise, son fils est sorti sain. Du corps, mais pas de l’âme, puisqu’il n’est pas encore remis de tout ce qu’il a vu cet après-midi.

Les suppliques de Leticia se sont trouvées interrompues par le spectacle de Nayibis, traînée par les cheveux par la rue principale du village. « Ils l’ont ligotée à un arbre et avec leurs baïonnettes l’ont égorgée », reconnaît le paramilitaire « Dique » dans sa déclaration.

Pendant ce temps, un hélicoptère qui volait bas mitraillait les maisons. Dans l’une d’elles, est mort brisé par une balle, Libardo Trejos, qui se cachait à côté de quelques voisins, et dans le sang duquel a baigné pendant tout la journée une petite fille de 5 ans, qui depuis ce jour n’a pas retrouvé la parole ni ne s’est remis du trauma.

Les victimes, selon des témoignages des survivants, ont été choisies au hasard. Certains parce qu’ils ont été signalés par les déserteurs des Farc. Les autres, comme Francisca Cabrera, parce qu’ils avaient très peur. D’autres sans explication, comme Ever Urueta, qui souffrait d’une déficience mentale et qui a été torturé sans pitié pour soi disant qu’il avoue qu’il appartenait aux Farc.

Les meurtres se produisaient chaque demi-heure. Les gens étaient sous le soleil de plomb, debout, voyant comment se remplissait la place ds cadavres, et comment les paramilitaires fêtaient leurs « exploits ». Ils ont sorti les tambours, les cornemuses et les accordéons, et pour chaque mort, ils jouaient un coup. C’était une atmosphère de corrida, où les fauves avaient l’avantage et les victimes étaient sans défense.

Les para récemment recrutés demandaient à leurs supérieurs de leur permettre de tirer, comme si c’était un privilège. « Ils me disaient : « donnez moi une chance, je veux en descendre un...’ », alors je la lui donnais un, a raconté « Juancho Dique ».

Comme si ce n’était pas assez, plusieurs hommes à la file ont violé une femme. Ils se sont acharnés avec les femmes. Ils ont mis du fils de fer -où sèche le tabac- dans le vagin de certains d’entre elles. Ils les ont insultées toutes en leur disant qu’elles étaient les putes des guérilleros.

Tandis que « Dique », Jhon Jairo Esquivel Cuadrado, le « Tigre », le « Gallo » et le reste des paramilitaires se délectaient dans l’humiliation et du châtiment des gens, le commandant de l’opération, « H2 », menait le travail principal dont on l’avait chargé. Il y avait presque mille têtes de bétail ramassées et il avait commencé la marche avec celles-ci, guidé par l’administrateur de la propriété « Las Yeguas », d’où les têtes de bétail de la « Gata » avaient été volées.

Après la tombée de la nuit, gisaient sur le terrain de football 18 cadavres. Le soleil a enflammé les corps et bientôt les cochons, attirés par le sang, ont commencés à les dévorer. Quand les paramilitaires ont donné l’ordre d’aller dormir dans les maisons, plusieurs ont trouvé leurs parents morts dans les rues ou dans les baraques mêmes. Le nombre de victimes ce jour, seulement dans la partie urbaine de El Salado, s’élevait à 38. Et dans les environs, ils étaient déjà 28.

Cette nuit personne n’a dormi, personne n’a mangé, personne n’a bu. Et personne n’a parlé. Le silence a été seulement interrompu par les cigales, le vent qui soulevait les toits et les voix des paramilitaires qui ont patrouillé toute la nuit. Au loin, des coups de feu et des rires, étaient entendus de temps en temps.

A l’aube les paramilitaires étaient toujours là . Il semblait que le cauchemar ne finirait jamais. Il semblait qu’ils étaient restés à jamais. Alors, en mordant la poussière, les gens ont sorti des tables pour poser leurs morts, ils ont ouvert l’église et y ont protégé les cadavres pour les sauver des bêtes et du soleil. Ils ont commencé à creuser des fosses en silence, tandis que les paras pillaient les magasins et commençaient à boire et à danser. Passées 4 heures de l’après-midi on a entendu quelques coups de feu en l’air. C’était le signal de la retraite. Ils ont commencé à sortir, ivres, en disant aux survivants qu’ils devraient partir et ne plus jamais revenir.

A 5 heures les gens ont pu enfin pleurer leurs morts. Ils s’embrassaient les uns les autres, en criant, en se vautrant dans le sol de tristesse. En maudissant et en demandant un châtiment. Les chiens, qui s’étaient tous tus tout le temps, ont commencé à hurler à la mort.

L’exode a commencé tout de suite. Derrière ils laissaient un village blessé à mort. Élida Cabrera, qui venait d’enterrer sa soeur, a seulement réussi à penser : « La Colombie est un pays corrompu. En cinq jours il n’y a eu personne qui nous a aidé ».

Un pays corrompu

Une heure après que les paramilitaires aient abandonné le village, est arrivée l’Infanterie de Marine. Il était 6 heures de l’après-midi du samedi 19 février. L’incursion avait commencé mardi. Mercredi, déjà l’Hôpital de la Carmen de Bolivar soignait ceux qui avaient fui par les montagnes. Tout le monde savait qu’ils tuaient du monde à El Salado. Sauf les autorités.

Ledys Ortega, une jeune leader de El Salado travaille maintenant comme inspectrice de Police, a été l’une de celles qui a donné l’alarme. « Le maire ne nous a pas écoutés. Au contraire, ils ont fermé la route et ils n’ont laissé passer personne ». La nationale de la côte a commencé à bouchonner à cause des dizaines de parents qui se pressaient là , cherchant à entrer désespérément par leurs propres moyens à El Salado, et voir ce qui passait là -bas. La Croix-Rouge, les informations télévisées, tous étaient là . Mais personne n’a pu passer. Les militaires ont simplement dit que la route était minée. Et qu’il n’y avait pas d’hélicoptères disponibles pour une opération aérienne.

Le vendredi 18 février à 8 heures du soir, quand le massacre était déjà consommé et les paramilitaires avaient tenu en tenaille trois jours El Salado, le gouvernement du Sucre a enfin tenu un conseil de sécurité, avec à sa tête le colonel de l’époque de la Marine de guerre Rodrigo Quiñones et le gouverneur préposé, Humberto Vergara, réunion qui peut bien passer dans les annales de l’histoire pour la conjuration de l’infamie.

Comme cela repose dans l’acte, le premier point traité fut l’information du DAS sur le vol de 500 têtes de bétail appartenant à Miguel Nule Amà­n et à l’épouse de l’éleveur Joaquà­n Garcà­a, dans la zone rurale de San Onofre. Tant le gouverneur, Eric Morris - aujourd’hui condamné pour appartenir à des groupes paramilitaires - que le sénateur à lvaro Garcà­a Romero - détenu et accusé de paramilitarisme et d’avoir participé au massacre de Macayepo - et le propre Nul Amà­n - allié des paramilitaires - avaient demandé à la Marine de guerre, selon des témoignages des employés, qu’ils envoient des troupes pour chercher un bétail qu’ils n’ont jamais trouvé et pour le larcin duquel il n’y a pas eu non plus de plainte formelle. Aujourd’hui plusieurs de ces employés pensent que le vol n’a jamais existé et que c’était seulement un alibi pour dévier l’attention des militaires et de la Police.

Dans le troisième point (dans l’acte manque le deuxième) du conseil de sécurité, il est dit que le 16 février, quand il a commencé l’incursion dans El Salado, la Police a vu un hélicoptère Bell, bleu et blanc armé, près du fleuve Magdalena et que par l’intervention de la Marine de Guerre et de la Force Aérienne il a été neutralisé, et que les membres de l’équipage se sont identifiés comme membres des AUC et que tout de suite ils ont incinéré l’appareil. L’hélicoptère portait des munitions, et ceux qui le pilotaient n’ont jamais été capturés. Aujourd’hui on sait grâce aux témoignages des démobilisés que le pilote était Andrés Angarita, ex-officier d’aviation de l’Armée, qui est arrivée à avoir un haut rang dans les AUC, et qu’il a été assassiné depuis. Selon des témoignages, l’autre était « Jorge 40 ». Ce qu’on jamais sur, c’est pourquoi ils n’ont pas été capturés, s’il est vrai que l’appareil a été immobilisé, ni comment-ils ont réussi à survivre, si c’est vrai qu’il a été abattu, comme l’affirme la Marine de Guerre.

Ce même mercredi 16 février, quand on a commencé à voir des mouvements de paramilitaires et quand il y avait déjà dans quelques corregimientos [division territoriale] des cadavres de paysans égorgés, la Police avait rapporté ces morts, par leurs caractéristiques, qui étaient propres à un massacre. Cependant, au conseil de sécurité on remarque que « le nombre de ramassages qu’a fait le CTI est de neuf et il n’écarte pas la possibilité qu’ils apparaissent plus comme morts de l’affrontement entre les AUC et le front 37 des Farc ».

Le rapport du conseil de sécurité se termine par une conclusion dévastatrice : « Les délinquants des AUC ont employé dans leurs actes délictueux les guérilleros des Farc qui les ont guidé jusqu’aux campements du Front 37 »... « Le fait de réaliser des actes délictueux en civil de la part des bandits des Farc leur permet de se confondre avec la population civile et de se mettre à être des paysans au moment d’un affrontement armé »...

Il était évident que des civils avaient été assassinés et que c’était un massacre terrifiant. Et même ainsi, toutes les autorités réunies là ont préféré croire qu’il s’agissait de combats entre des groupes armés. Basés sur cette hypothèse - ou rideau de fumée - ils n’ont rien fait d’autre qu’attendre. Théorie que personne, excepté eux, n’a crue. C’est pourquoi ils finissent la réunion en disant : « par leur ardeur d’avoir une information exclusive, les médias ne donne pas d’informations officielles ; au contraire, ils multiplient le drame des familles et désinforment l’opinion publique ».

Dans processus judiciaires précaires et manipulés personne n’a jamais essayé de prouver la complicité d’autorités civiles et militaires, ou des éleveurs dans ce massacre. En revanche, ilyabeaucoupde témoignagesetdocuments qui démontrent qu’il y a eu complicité, surtout durant la retraite.

« Juancho Digue » raconte ainsi la retraite : « Nous sortons dans trois camions comme si c’était chez nous... « Cadena » avait déjà tout arrangé ».

Le 23 février, cinq jours après le massacre, quand déjà tout le gouvernement était dans l’oeil de cyclone par l’incroyable négligence avec laquelle ils avaient agi, la Marine de Guerre a rapporté la capture de 11 paramilitaires. Il s’agissait effectivement du groupe qui avait livré le bétail vers la Magdalena et que dirigeait le beau-frère de Castano, « H2 ». Un an après, « H2 » s’est enfui de la prison modèle, par la porte principale et, depuis lors il a vécu auprès de Castano, et à côté de qui il a été assassiné en 2004.

Ce n’est pas trop dire que la justice n’a jamais trouvé de preuves pour lier le massacre à une personne qui avait un rang militaire ou un pouvoir politique. Seulement maintenant, dans les déclarations de Mancuso, « Juancho Dique » et le « Tigre », et les témoignages encore terrifiés des victimes, on commence à savoir que dans ce massacre ont convergé les intérêts économiques de gamonales [propriétaire terrien qui a du pouvoir politique] qui voyaient leur patrimoine menacé par les actions des Farc, de narcotrafiquants qui voulaient contrôler le territoire qui unissait le sud de Bolivar avec la mer caribéenne et qui était clef pour leurs affaires, les intérêts d’autorités qui voulaient éliminer les Farc grâce à la guerre sale, et des hommes politiques qui avaient déjà un plan en cour pour le contrôle total de la Côte. Tout cela ensemble a fait possible cette barbarie sans limite.

Jairo Castillo, plus connu comme « Pitirri », témoin principal de la para-politique, a assuré dans une déclaration à la Cour Suprême de Justice que la « Gata » a prié instamment Mancuso de récupérer son bétail. Mais on n’a pas encore enquêté si l’ex-gouverneur Eric Morris, le sénateur à lvaro Garcà­a et l’éleveur Miguel Nule Amà­n ont essayé de détourner l’attention des organismes de sécurité. Ou si ceux-ci, simplement par complicité ou incapacité, ont permis le massacre qui punissait un village qui leur était défavorable et avec lequel ils avaient une dette de sang.

Le Front 37 des Farc s’est maintenu sur la zone rurale de El Salado jusqu’à l’année passée quand « Martà­n Caballero » est mort dans des combats avec l’Infanterie de Marine [le 25 octobre 2007]. Le bilan final à El Salado et ses environs est de 66 morts. Les victimes savent qu’au-delà du bétail ou de la dispute de territoire entre un groupe de guérilleros et des paramilitaires, il y avait des intérêts stratégiques pour beaucoup du monde sur El Salado.

Acte de contrition

Il y a quelques mois le colonel d’Infanterie de Marina Rafael Colón, qui après ce massacre a combattu sans trêve les paramilitaires, et surtout le redoutable « Cadena », a publiquement demandé pardon pour les manquements que dans le passé la Marine de Guerre avait eus et qui ont favorisé ce massacre, et tous les autres qui sont arrivés avant et après. Mais cet acte de repentir timide a été désavoué quelques heures après par ses supérieurs, qui y ont vu l’honneur militaire blessé. Même ainsi, son travail a été fondamental pour que quelques habitants retournent à ce village et à d’autres des Montagnes de Maria, et que plusieurs d’entre eux recommencent à avoir confiance dans les forces militaires.

Près de 400 familles sont revenues à El Salado, qui savent que leur village ne sera plus jamais ce qu’il a été. Autant de personnes se sont déclarés comme victimes pour obtenir réparation et suivent de près les déclarations des paramilitaires qui ont commis les crimes les plus atroces contre elles. Mais les blessures sont profondes et difficiles de guérir.

La guerre en a fini en tout cas avec une communauté qui avait dans la terre une promesse de progrès. Quelque chose dont les autres pourront sûrement profiter. Mais pas ceux qui sont nés et ont vécu là .

Depuis l’année 2007, une entreprise recherche de gaz et de pétrole à El Salado, comme disent les spécialistes, avec de bonnes perspectives. La mort de « Caballero », la sécurité démocratique et le retour ont revalorisé les terres. Des entrepreneurs et des éleveurs de la région d’Antioque ont déjà acheté plus de 15.000 hectares pour de l’élevage ou du biocombustible.

Curieusement, un mois après le massacre, en mars 2000, dans un autre conseil de sécurité les autorités locales rapportent que la zone a retrouvé son calme. Et qu’il y avait des bonnes nouvelles. Des investisseurs voyaient dans la région un grand potentiel pour semer du palmier à huile. Cultures qui apparemment ne sont jamais arrivées.

Peut-être que Eneida Narváez a raison, le représentant des victimes d’El Salado, qui dans sa chaise en bois, avec quelques brassées de tabac séchant derrière son dos, dit avec toute sa conviction : « La terre fait tous les déplacements » [1].

Par Marta Ruiz.
Semana. Colombie, le 30 août 2008.

ARTICLE ORIGINAL EN FRANCAIS
http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=4163

[1] La possession de la terre produit tous les déplacements de population

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

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