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Il y a cinquante ans, ils assassinaient Lumumba.

Discours de Patrice LUMUMBA, Premier ministre et ministre de la défense nationale de la République du Congo, à la cérémonie de l’Indépendance à Léopoldville le 30 juin 1960.

« Congolais et Congolaises, Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais, A vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cours, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.
Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise (applaudissements), une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait "tu", non certes comme à un ami, mais parce que le "vous" honorable était réservé aux seuls blancs ? Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.

Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs, qu’un noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dit européens ; qu’un noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation (applaudissements) (1).

Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cour de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sours, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail (applaudissements).

Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles. Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la déclaration des Droits de l’Homme (applaudissements). Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudra sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays. Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des cours et des bonnes volontés (applaudissements).

Et pour tout cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit (applaudissements). Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays.

De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis. Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger. Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain (applaudissements).

Voilà , Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine (applaudissements). Notre gouvernement fort, national, populaire, sera le salut de ce pays. J’invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, à se mettre résolument au travail en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique.

Hommage aux combattants de la liberté nationale !
Vive l’indépendance de l’Unité africaine !
Vive le Congo indépendant et souverain ! (applaudissements prolongés). »

http://www.pressafrique.com/m53.html


Dernière lettre de Patrice Lumumba à son épouse Pauline, écrite en prison en décembre 1960

Ma compagne chérie,

Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux - qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance - ne l’ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance.

Que pourrai je dire d’autre ?

Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.

Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.

Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.

Vive le Congo ! Vive l’Afrique !

Patrice

Publié sur http://saoti.over-blog.com

VOIR AUSSI

L’assassinat de Lumumba, un crime bientôt jugé en Belgique ? http://www.cadtm.org/L-assassinat-de-Lumumba-un-crime

EN COMPLEMENT :

Procès de l’assassinat de P.E Lumumba

Ludo De Witte : « C’est sous la responsabilité des officiers belges que P.E. Lumumba a été torturé et, finalement, exécuté »

http://www.lepotentiel.com

Le Potentiel s’est entretenu, une fois de plus, avec l’écrivain belge Ludo De Witte qui a publié aux Editions Karthala l’ouvrage « L’assassinat de Lumumba ». Ludo De Witte, un Flamand, qui a sillonné le monde. Il a eu accès aux archives. Pour le moment, de passage à Kinshasa, le Potentiel et L’Avenir se sont intéressés à lui.

Qu’est-ce qui justifie la présence, en ce moment, de Ludo De Witte à Kinshasa ? (F. Mulumba)

Je suis en RDC essentiellement pour préparer un nouveau livre. Je suis en train de préparer le complément de l’ouvrage sur l’assassinat de Lumumba. Un livre sur l’ascension de Mobutu (1964-1965) et le rôle de l’Occident dans la mise en scène de Mobutu. Pour cela, je réalise des interviews ici au pays avec des acteurs politiques qui étaient actifs à l’époque. Je suis aussi en train de tisser des liens avec le monde académique pour réfléchir à l’établissement d’un centre de recherche et de documentation sur le nationalisme congolais et africain. Auquel j’aimerais bien participer en mettant des archives à la disposition des chercheurs congolais. J’ai eu des difficultés pour chercher l’endroit où Lumumba a été exécuté. Mais, finalement, j’ai retrouvé cet endroit. Il faudrait quand même une contre-expertise avec des conclusions à la disposition des autorités congolaises.

Quand avez-vous commencé à mener ces démarches ? Et pourquoi Lumumba vous intéresse-t-il tant ? En outre, aujourd’hui, vous voulez participer à l’éclosion du nationalisme congolais au moment où, au Congo, des politiciens pensent que le nationalisme est dépassé car nous sommes dans la mondialisation. Qu’en pensez-vous ? (J. Diana)

J’ai commencé les recherches il y a 16 ans. A ce moment-là , j’avais plus d’attachement, d’intérêt pour le Congo et l’Afrique. J’ai eu la curiosité de lire un livre sur les événements de l’époque écrit par Jules Tchombé, un avocat belge, qui défendait la cause lumumbiste. Dans cet ouvrage, il essayait d’expliquer ce qui s’était passé ici. Et, à mon grand étonnement, j’ai pu constater que cet assassinat de Lumumba - un assassinat le plus important du 20ème siècle - n’était pas élucidé. Il y avait des trous énormes dans l’explication. C’est ainsi que j’ai commencé à étudier l’affaire en rassemblant les archives, surtout celles du fond bibliothécaire privé. Notamment aux Nations unies à New York pour examiner l’affaire. Et, finalement, j’ai pu avoir accès aux archives des Affaires étrangères. Ce qui m’a amené à élucider l’affaire en réfutant le fait que l’assassinat de Lumumba est une affaire des Bantous. Donc, c’est une affaire des Occidentaux qui, en collaboration avec certains Congolais, ont pu renverser le gouvernement congolais et organiser l’assassinat du Premier ministre lui-même.

Quant au nationalisme, je ne pense pas qu’il soit incompatible avec une approche avec le monde extérieur. Je crois que le nationalisme conçu par Lumumba était une tentative de mobiliser la population, d’avoir une autre organisation d’un peuple, d’inculquer et de stimuler la fierté, le dynamisme, la confiance en soi dans ce peuple. Et sur base de tout ceci, prendre en mains son propre sort. C’est l’essentiel du nationalisme de Lumumba. Il s’agit de développer le pays pour en faire un Etat-Nation intégré. Il n’est pas question seulement de construire des routes, comme à l’époque coloniale, qui servaient à transporter les richesses du pays vers le marché mondial mais développer vraiment le pays, intégrer les différentes régions et développer une sorte d’économie nationale. Cela implique, à mon avis, une certaine forme de nationalisme pour relever cette économie nationale. Mais il est clair que c’est avec des échanges avec le monde extérieur qu’il faut développer ce nationalisme. Je ne crois pas qu’il y ait contradiction. Mais si on ne développe pas ce nationalisme, si on n’a pas ce rapport des forces à l’intérieur du pays, je crois qu’on est un peu à la merci du capitalisme international. Et cela au détriment du peuple congolais.

A vous entendre parler, c’est comme si vous êtes de gauche. Est-ce que je me trompe ? (F. Mulumba)

Non. J’ai une approche progressiste. Le choix de mes recherches, c’est toujours une tentative pour élucider certaines pages noires dans l’histoire, c’est essayer d’expliquer et de mettre à nu les forces dominantes qui, en général, restent cachées, pas juste derrière les rideaux. Elles réagissent lorsqu’elles sentent que leurs enjeux stratégiques sont réellement en danger. C’est alors qu’on voit ce qu’elles sont prêtes à faire pour défendre leurs intérêts.

Et je crois que la crise congolaise en 1960 est née dès la constitution du gouvernement Lumumba. La Belgique a, alors, cru que toutes les richesses qu’elle avait acquises dans la colonie étaient en danger. Elle s’est battue bec et ongles jusqu’à planifier l’assassinat de Lumumba, un Premier ministre légalement élu.

On l’impression qu’il y a un règlement des comptes entre Francophones et Flamands dans la mesure où les richesses du Congo ont beaucoup plus profité aux premiers qu’aux seconds. Qu’en pensez-vous ? (F. Mulumba)

Je crois que ce n’est pas juste. Moi-même, je n’ai aucune ambition de jouer un rôle dans une politique de nationalisme flamand. D’ailleurs, il n’est pas vrai que ce sont les Wallons qui étaient dans la colonie au détriment des Flamands. Mais c’est l’élite belge, la classe dominante belge (la Société générale et les autres consortiums) qui en a profité. L’oeuvre coloniale n’était pas très populaire au sein de la population en Belgique. On avait une certaine méfiance envers ceux qui venaient exploiter les richesses du Congo. N’oubliez pas que, depuis 1960, le mouvement nationaliste prenait un essor et que le gouvernement belge était en train de se demander s’il devait intervenir militairement pour écraser ce mouvement. Un peu partout, en Belgique, il y avait des écris sur les murs tels que : « Pas un Franc, pas un soldat pour l’Union minière ». Et les syndicats belges avaient clairement dit qu’on ne pouvait pas envoyer des soldats belges intervenir au Congo.

On constate qu’après Lumumba, on a mis Laurent-Désiré Kabila pratiquement dans les mêmes conditions.

Pourquoi cette constance dans les médias belges par rapport à ce qui sort du nationalisme congolais, à ceux qui cherchent avant tout le développement du Congo ? (J. Diana)

Et on a l’impression que les Belges sont toujours à la base de malheurs du Congo. Vous avez dit dans votre ouvrage que ce sont les Belges qui sont à la base de l’assassinat de Lumumba. Lors de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, la déclaration la plus fracassante est venue de la Belgique avec Louis Michel qui, semble-t-il, a sablé le champagne. Ne peut-on pas dire que les malheurs qui arrivent au Congo proviennent notamment de l’élite belge ? (F. Mulumba)

Je ne sais pas si on a pris le champagne à l’annonce de l’assassinat de L.-D Kabila. Mais il est vrai qu’au moment où Laurent-Désiré Kabila a été assassiné, la commission d’enquête parlementaire belge sur l’assassinat de Lumumba était en cours. Donc, au même moment qu’on était en train, soi-disant, d’élucider cet assassinat, les politiciens belges accordaient aux médias des interviews dans lesquelles il était tout à fait clair qu’ils cachaient difficilement les raisons pour lesquelles Laurent-Désiré Kabila était assassiné.

Je ne crois que la Belgique soit une exception. Et que les Français ou les Américains soient meilleurs que la Belgique. Il faut se référer à ce qui s’est passé au Rwanda. Et le fait que la France a transféré les milices hutu qui ont commis le génocide au Rwanda et dans l’Est du Congo, où les Américains ont soutenu le Rwanda et au moment où on accepte l’agression contre le Congo, le problème n’est pas caractériel d’un peuple spécifique (les Français, les Américains ou les Belges). Mais il s’agit d’un système de domination qu’il faut qualifier d’impérialiste, c’est-à -dire qu’il est question de contrôler les richesses du pays. Et ça, c’est aussi vrai pour les Américains, les Français que pour les Belges. Je crois que dire que les richesses du Congo sont comme, pour utiliser l"expression lancée par le ministre américains des affaires étrangères, « le pétrole est un produit trop stratégique pour le laisser entre les mains des Arabes ». Les classes dominantes de l’Occident croient que ce sont des produits stratégiques qu’on ne peut pas laisser entre les mains des Congolais, des Africains. Et quand il y a des dirigeants nationalistes qui veulent vraiment prendre en mains leur propre destin et mettre à la disposition des Congolais et des Africains leurs richesses. Alors, ils réagissent. Et c’est ce qu’ils veulent éviter. C’est vrai pour ce qui s’est passé en 1960 et pour ce qui se passe aujourd’hui.

Il s’agit donc d’un système impérialiste. Mais il y a une particularité belge dans ce sens que tout en reconnaissant que la Belgique est de beaucoup dans le frein au développement du Congo. Les plus grandes critiques sur la situation actuelle du Congo viennent de la Belgique, telles que le Congo vit un désastre, etc. Alors que la Belgique a participé à ce désastre … (J. Diana)

Vous faites référence, je suppose, à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Karel De Gutcht. Je partage complètement votre point de vue. Karel De Gutcht est un homme très intelligent. Il ne peut pas être aussi stupide de croire qu’en insultant un chef d’Etat étranger qu’il va changer sa politique, qu’il va se mettre à genoux devant ce ministre d’un pays européen. Vous avez raison. Ce n’est d’ailleurs pas quelque chose qui est nouveau. Je me souviens que quand Laurent-Désiré Kabila est venu au pouvoir, il a, à un certain moment, voulu instaurer une sorte de contrôle d’Etat monétaire sur le change entre le Franc congolais et les devises étrangères. Il y a eu les mêmes réactions tant en Belgique que dans toute l’Europe. Donc, une attitude impérialiste un peu généralisée par laquelle on peut exercer des pressions sur le gouvernement congolais actuel pour qu’il tienne compte de desiderata de l’Occident.

Avez-vous eu l’accès facile aux archives de l’ONU lors de vos recherches sur l’assassinat de Lumumba ? (J. Diana)

Il faut savoir que, même pour les notes académiques, les fonctionnaires de l’ONU sont très réticents en ce qui concerne les archives relatives aux pages noires de l’histoire. Je vous donne une indication très concrète. Le colonel Van De Val, un des représentants du gouvernement belge de l’époque ici au Congo, avait publié ses mémoires en 1974. Dans lesquelles il avait déjà écrit que le gouvernement belge avait un plan d’assassinat de Lumumba. En 1974, il n’y avait aucun chercheur académicien belge ou occidental qui a exploré cette information et qui a travaillé dessus. Justement, parce qu’il y avait défense de toucher à cela. En Europe, l’académicien dépend de la bonne volonté des instances politiques pour le visa, le crédit et les subsides. On a préféré ne pas toucher à cette information-là . Mais, moi, j’étais le premier à le faire. Donc, il y a un manque de volonté de la part de l’etablisment académique de toucher à cette affaire parce qu’il a les mêmes visions, objectifs que la classe dominante belge.

J’ai eu accès à ces archives parce que je travaillais déjà pendant plusieurs années sur le dossier et j’ai pu rassembler de précieux documents. J’ai alors pu discerner tous les noms, lieux et informations codés contenus dans ces documents. Des diplomates m’ont donné l’occasion de consulter ces archives.

Dernièrement, on a parlé en Belgique de la commission parlementaire sur l’assassinat de Lumumba. Le professeur Omasombo, qui est Congolais, a fait partie de cette commission. Cela a-t-il été facile pour lui ? (F. Mulumba)

C’est vrai. Mais la commission Lumumba qui resterait, après le célèbre Moke dans la publication de mon livre et, surtout, par le fait que le commissaire de police belge qui avait détruit le corps de Lumumba a montré deux dents de Lumumba qu’il a gardées chez lui comme une sorte de trophée. Cela a provoqué un tollé. C’est ainsi que le gouvernement belge, compte tenu du fait qu’il voulait jouer un rôle en Afrique centrale où il y avait un gouvernement dirigé par Laurent-Désiré Kabila qui se déclarait nationaliste lumumbiste, a cru qu’on devait réagir à ces allégations. C’est pour cela qu’il a institué cette commission. Lorsqu’on a pris cette décision, j’ai pensé y inclure des historiens et des chercheurs congolais dans les travaux de la commission parce que, somme toute, c’est l’histoire du Congo. Finalement, on cherché et trouvé un compromis. On a donc inclus le professeur Omasombo dans la commission, mais comme expert. Il y avait également quatre experts belges qui avaient travaillé sur les archives. Le professeur Omasombo a pu faire l’expérience pour conclure dans quelle mesure l’esprit colonialiste régnait encore en Belgique. Et il s’est vraiment senti nègre dans la commission.

Vous avez écrit un livre qui a provoqué un tollé général. Et il y a eu cette enquête parlementaire belge. Et le jour de la vérité, la Belgique a pratiquement reconnu sa responsabilité dans cet assassinat. Que peut-on attendre de la suite ? (J. Diana)

On a reconnu une certaine responsabilité morale très vague. On n’a pas indiqué les responsabilités des individus dans cette affaire. C’était la tâche de la commission comme cela a été décrit dans la loi qui a instauré cette commission. Je crois que la raison est assez simple : étant entendu l’assassinat de Lumumba, la dictature aveuglante de Mobutu et l’installation des dictatures ont eu des effets désastreux sur tout le continent. On veut surtout éviter qu’il y ait des règlements de compte avec cette histoire de justice et débordement de certaines réparations.

C’est pour cela qu’on a tiré des conclusions extrêmement vagues. Les autres conclusions concrètes de la commission, notamment l’instauration d’un Fonds Lumumba par lequel on allait subventionner des initiatives pour stimuler la démocratie au Congo. Tout cela n’a pas été fait non plus. En fait, la commission est restée lettre morte. C’est pour réagir à cela que, justement, la famille Lumumba a décidé de déposer, en janvier 2011, des plaintes devant le Tribunal à Bruxelles contre des Belges impliqués dans l’assassinat de Lumumba et contre l’Etat belge.

Il n’y a pas que des Belges qui sont responsables. En lisant votre ouvrage, on se rend compte que les Américains ont décidé et les Belges ont exécuté. Aujourd’hui, on voudrait savoir exactement qui a tué Lumumba ? (F. Mulumba)

Fin de l’année 60, Lumumba était enfermé dans une cellule de Mobutu. Les Belges et les Américains ainsi que leurs collaborateurs au Congo comme les Mobutu et les autres ont cru que le problème était résolu. On a cru que Lumumba enfermé, la situation était contrôlée. Comme on connaissait mal la population congolaise, à partir de l’Est, il y a eu tentative de reconquête du pays par les partisans de Lumumba. Dans l’espace de deux semaines et demie, ces derniers ont pu conquérir 40% du territoire national. Et même dans le campement où Lumumba était enfermé, il y avait le début d’une mutinerie. Une des exigences des soldats était la libération de Lumumba. Alors, aussi à Washington qu’à Bruxelles, on a pris panique. Les Américains avaient retiré le tueur qu’ils avaient envoyé pour assassiner Lumumba. Comme l’a signalé le Département d’Etat à Washington, le gouvernement belge voulait absolument éviter que Lumumba soit libéré et reviendra sur la scène politique. Les gens qui avaient la capacité organisationnelle ont décidé de transférer Lumumba vers un sous-traitant qui pouvait faire le sale boulot : le Kasaï ou le Katanga. Il a été transféré au Katanga dans un avion belge. Ce sont des officiers belges qui l’ont pris en chasse depuis sa descente d’avion à Lubumbashi. C’est sous leur responsabilité qu’il a été torturé et, finalement, exécuté.

Pouvez-vous nous dire quelque chose sur ce procès qui débute en janvier 2011 ? (F. Mulumba)

Je ne peux pas vous le dire. En fait, on m’a demandé de conseiller le team d’avocats qui ont introduit la plainte. C’est à eux d’en parler. La seule chose que je peux dire, c’est qu’on va déposer plainte contre une dizaine de Belges sur base d’une loi qui a été traitée en Belgique par laquelle le droit humanitaire international est intégré dans la Cour pénale belge. Par cette loi, il est décidé que les infractions du droit international en temps de guerre n’ont pas de prescription. Même des événements qui se sont déroulés il y a 50 ans restent toujours punissables aujourd’hui. A l’époque, on a transféré un prisonnier politique Lumumba du Bas-Congo vers le Katanga qui était une infraction à cette loi. Il était assez clair que ces actes sont punissables selon la loi belge actuelle. Cette loi qui, jusque maintenant, n’est utilisée que contre des Africains. Sur base de cette loi, on a condamné et jugé quelques Rwandais impliqués dans le génocide de 1994.

On a l’impression que lorsqu’un Congolais essaie de relever la tête pour dire non aux impérialistes, il est assassiné. En tant que intellectuel de gauche, quels conseils pouvez-vous donner aux Congolais pour éviter que l’histoire ne se répète ? (F. Mulumba)

Pendant les dernières 50 années, le Congo a eu deux chances pour sortir de l’impasse et faire des pas en avant. C’était avec Lumumba et Laurent-Désiré Kabila, tous deux assassinés. Je crois que c’est très important de ne pas se décourager. La relation la plus fondamentale est qu’il faudrait entreprendre un programme et une action nationalistes. Mais, pour avancer dans cette direction, il faut construire un rapport des forces. Il ne faut pas seulement agir sur base d’un politicien - bien qu’il soit charismatique - mais il faut construire un rapport des forces avec les leaders de la société, mobiliser la population, élaborer une direction politique collectivisée où les dirigeants sont en quelque sorte remplaçables. Je crois que c’est important. Il faut construire progressivement ce rapport des forces, pas à pas et non sauter des ponts en brûlant les étapes.

Le gouvernement congolais voudrait que l’expérience chinoise serve au pays. Comment perçoit-on dans les milieux belges la présence des Chinois en RDC, alors que ceux-ci ne sont pas qu’au Congo ? Avec leur arrivée, on a commencé à dire que Joseph Kabila devient incontrôlable … (J. Diana)

En ce qui concerne les contrats chinois, la réaction en Occident est compréhensible. Du point de vue des Occidentaux, les Chinois sont un concurrent de plus pour les matières premières stratégiques. Ce n’est pas ce qui doit nous préoccuper. Au contraire, la préoccupation est de savoir dans quelle mesure ces contrats, non seulement avec les Chinois mais aussi avec des sociétés occidentales, sont à l’avantage du peuple congolais. J’ai, un peu partout en RDC, demandé aux Congolais ce qu’ils pensent de tous ces contrats, de leur contenu. Ils ne le savent pas. Je crois que c’est important qu’on connaisse le contenu de tous ces contrats pour voir si cela apporte quelque chose au peuple congolais à long terme. C’est bien qu’on construise des routes, des hôpitaux, etc. J’espère que, dans ces contrats, on a prévu aussi, par exemple, la construction d’une industrie nationale locale. Il ne suffit pas seulement de construire une infrastructure mais qu’on ait également ici un secteur secondaire où on va traiter les matières premières, comme début du développement d’une économie nationale. Je crois que c’est important à la longue pour le Congo.

Question d’actualité. Le Congo a connu l’agression ougando-rwando-burundaise soutenue par les multinationales anglo-saxonnes. Parlons de cette période où l’on veut couper le Kivu du Congo comme on le voulait pour le Katanga avec la sécession katangaise ? C’est comme si l’histoire se répète… ? (F. Mulumba)

Je n’ai vraiment pas étudié cette question. Mais je ne crois pas qu’on essaie de détacher le Kivu du pays pour déstabiliser le gouvernement actuel du Congo. Au contraire, maintenant, les Américains commencent doucement à réagir en exerçant des pressions sur le Rwanda pour limiter ses interventions et garder intactes les frontières du Congo. Je ne crois pas que le démembrement de l’Etat congolais soit dans l’agenda à Washington, Paris ou Bruxelles.

D’après certaines informations, il y avait un agenda sur la balkanisation du pays ? Mais cela semble voué à l’échec parce que la population a résisté. Il y a eu plus de 5 millions de morts. C’est ainsi que les Américains et les autres se sont ravisés… (F. Mulumba)

C’est bien possible que cette idée ait germé dans le chef de certains dirigeants. Je crois que l’un des aspects positifs de ces dernières 15 années, c’est le fait qu’il s’est forgé chez le peuple congolais le sens d’unité nationale, une certaine nationalité congolaise. C’est ainsi que la population a effectivement résisté à ces interventions étrangères. C’est un élément positif qui peut devenir justement un tremplin pour avancer cette perspective nationaliste pour lequel Lumumba s’est battu.

Avez-vous un message au peuple congolais ? (J. Diana)

Ce qui est important, c’est de développer une méfiance saine envers tous les pouvoirs occidentaux, y compris les Nations unies. Celles-ci qui se présentent comme une institution supra étatique qui est régie non par des intérêts d’Etats mesquins mais par des valeurs comme les droits de l’Homme, la paix, etc. C’est faux car c’est clairement démontré, en 1960-1961, que les Nations unies sont un rapport des forces. A l’intérieur de cet organisme, ce sont les plus forts, donc, les impérialismes les plus forts qui dominent et utilisent les Nations unies comme un instrument. Je pense que développer cette méfiance envers les pouvoirs occidentaux serait un objectif pour construire un rapport des forces avec eux. Je crois que c’est la plus importante tâche pour le peuple et les dirigeants qui veulent préserver les intérêts du peuple congolais.

PROPOS RECUEILLIS PAR FREDDY MULUMBA ET JOACHIM DIANA GIKUPA

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Les Mondes d’Après (nouvelles d’anticipation écologique)
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PAUL ARIES, AURÉLIEN BERNIER, FRÉDÉRIC DENHEZ, MICHEL GICQUEL, JÉRôME LEROY, CORINNE MOREL-DARLEUX, JACQUES TESTART, FRED VARGAS, MAXIME VIVAS Comment ça, y a pu d’pétrole ! ? Faut-il remplacer la Société du Travail Obligatoire par la Société du Partage Obligatoire ? Vous rêvez d’enfouir Daniel Cohn-Bendit dans un tas de compost ? Peut-on faire chanter « l’Internationale » à Dominique Strauss-Kahn ? Le purin d’ortie est-il vraiment inoffensif ? 155 pages 12 (...)
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Le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux.

Karl Marx

Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
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Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
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Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
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