La taxe carbone, ou l’écologie antisociale

Nous ne connaissons pas encore tous les détails de la mise en oeuvre de la future taxe carbone préparée par le gouvernement français, mais une chose est sûre : une nouvelle fois, les plus pauvres paieront à la place des vrais responsables de la crise écologique. Le principe est en effet de taxer les énergies fossiles en fonction des gaz à effet de serre qu’émettent leur combustion à hauteur de 32 euros par tonne de carbone dans un premier temps, puis d’accroître progressivement le niveau des prélèvements. Les factures de carburant, de gaz, de fuel et peut-être d’électricité, augmenteront donc à partir de 2010. Le gouvernement tente de faire passer la pilule en promettant un chèque « vert » censé compenser la taxe pour les ménages les plus modestes. Mais la ficelle est grosse. D’une part, cette compensation sera calculée sur les consommations directes d’énergie. Or, si le prix de l’énergie augmente, les prix des biens et des services augmenteront proportionnellement. Le chèque vert ne compensera jamais intégralement ces hausses. D’autre part, ce type de mesure peut prendre fin à tout moment. Aucune garantie n’a été donnée sur la pérennité de ce chèque, et nous pouvons parier qu’il sera de courte durée. Enfin, la baisse des cotisations patronales est déjà programmée, avec ses conséquences prévisibles : aucune embauche, aucune augmentation de salaire, mais une bénédiction pour les profits des grands groupes.

Pourtant, le scandale ne s’arrête pas là . Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre dans l’industrie sont déjà soumis au système des droits à polluer échangeables. Ils se voient allouer des quotas carbone qui peuvent être vendus et achetés en Bourse, la loi de l’offre et de la demande fixant le prix « optimum » pour la pollution. Or, les firmes en question seront exonérées de taxe carbone. Alors que le citoyen ou la PME paiera 32 euros à chaque tonne de carbone émise, ces grandes entreprises reçoivent leurs droits à polluer gratuitement. Par exemple, Arcelor-Mittal dispose d’environ 8 millions de quotas par an pour six usines implantées en France, ce qui équivaut à un droit à émettre gratuitement 8 millions de tonnes de carbone. A 32 euros la tonne, le cadeau fait à cette multinationale en l’exonérant de taxe carbone dépasse les 250 millions d’euros par an. Mais ce n’est pas tout. Si ces firmes manquent de droits à polluer, elle les achètent sur le marché où le prix actuel est d’environ 14 euros par tonne, soit moins de la moitié du tarif qui sera appliqué aux particuliers. Enfin, les grands groupes qui ont habilement su pratiquer le lobbying ont obtenu bien plus de quotas qu’il ne leur en fallait. Pour l’année 2008, Arcelor-Mittal disposait d’un excédent de droits à polluer d’un million de tonnes en France. Vendus sur le marché au comptant, ils représentent plus de 15 millions d’euros de bénéfices.

Voilà donc à quoi sert le discours dominant sur l’écologie qui culpabilise le citoyen et sensibilise au problèmes de la planète grâce aux images dépolitisées d’Arthus-Bertrand. A faire accepter des mesures totalement antisociales. L’imposteur Cohn-Bendit, en passe de devenir le meilleur porte-parole du gouvernement, applaudit des deux mains. Il ose même parler de « révolution ». Et tout laisse à penser que nous n’en sommes qu’au début. Grâce à l’argument de la concurrence internationale, les grandes firmes parviendront toujours à éviter la contrainte en Europe tout en redéployant leur activité dans les pays à bas coût de main d’oeuvre. A l’inverse, les petites ou moyennes entreprises et les populations paieront... jusqu’à l’explosion sociale qui pourrait arriver plus vite qu’on ne le pense.

Pourtant, la taxe carbone n’est pas intrinsèquement mauvaise. Elle est comme tous les outils de fiscalité environnementale qui sont utilisés toutes choses égales par ailleurs : injuste et donc inacceptable. Il faut prendre le problème à l’envers. C’est une répartition équitable des richesses qui permettra de promouvoir ou d’exiger des comportements plus écologiques. Il faut taxer le capital et augmenter les revenus du travail avant de mettre en place des contraintes environnementales que les citoyens pourront alors assumer. Pour cela, l’objectif premier doit être de casser le chantage aux délocalisations et de reconstruire une économie locale capable d’amener le plein emploi. Il existe un outil qui permettrait d’y parvenir : le protectionnisme écologique et social. Mais les dizaines d’articles parus récemment dans les médias sur la future taxe carbone ne présentent jamais cette mesure comme un préalable à tout véritable programme de protection de l’environnement. A regarder les profits de multinationales comme Arcelor-Mittal, on comprend très bien pourquoi.

Aurélien BERNIER

auteur du livre « Le climat, otage de la finance » et secrétaire national du Mouvement politique d’éducation populaire

Article publié dans l’Humanité Dimanche, le 27 août 2009.

COMMENTAIRES  

28/08/2009 11:38 par bertrand

Tout à fait d’accord sur l’aspect antisocial de la mise en oeuvre.
Par contre, il ne faut pas se faire d’illusion, si on veut réellement limiter le changement climatique et ses impacts, il va falloir changer nos modes de vie. Dit plus prosaïquement, il va falloir consommer moins.
Que les profiteurs du système actuel cherche encore à profiter de la chose n’a rien de surprenant.

La bonne question est plutôt de se demander comment faire pour que ce changement de mode de vie soit sans douleur.
Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle ; la mauvaise, c’est que ce sera douloureux.
La bonne, c’est que une grande partie de nos consommations indispensable n’existaient tout simplement pas il y a cinquante ans (pas avant la seconde guerre mondiale, en 1960). Et oh surprise, en France, l’optimum de bien être a été atteint dans les années 1960.
En fait ce qui fait nos consommations (et donc notre pollution) c’est énormément de "besoins" créé de toute pièce par la publicité et les media. Autant dire que nous n’en avons en fait nul besoin ; nous confondons envie et besoin.

Toute la pub n’a qu’un seul but : nous frustrer, nous mettre en manque d’un objet, d’un service et de tout ce qu’il véhicule en image créé de tout pièce.

Finalement ce changement radical qu’impose la lutte contre le changement climatique et peut être la voie de notre libération : Avoir moins pour être mieux.

28/08/2009 11:58 par Samuel Métairie

Très bon article.
Pour éradiquer la crise écologique, je rajouterais qu’avec le démantèlement des multinationales et de cette infâme économie de la sous traitance, beaucoup de problèmes écologiques seraient évités.
C’est comme ça, un petit nombre d’individus font payer à leurs vassaux LEUR droit de polluer, de tuer, de piller, d’exploiter. Face à cela, nous n’avons qu’à nous taire. Comme si on avait le droit d’araser la forêt amazonienne avec quelques euros. Je ne peux pas supporter ce capitalisme vert qui vante les mérites de l’écologie et qui hypocritement prône un retour à la nature en produisant des reportages du haut d’un hélicoptère sur des espaces en Asie en Amérique latine, en Afrique qui sont les pires victimes innocentes de ce système. Si on les écoute, on va sauver la planète en réduisant notre consommation d’eau sous la douche. Ils se revendiquent de l’écologie alors que leur but n’est pas d’inventer un modèle de vie social sain équitable et respectueux de l’environnement mais de trouver des parts de marchés toujours plus grandes. Ce, en grugeant le peuple. Il est permis de rêver, mais, remarquons que cette taxe carbone pourrait faire prendre conscience aux gens qu’il faut arrêter de consommer leurs mer.....biens et services et vivre autrement.

28/08/2009 12:43 par sherlo

pour comprendre l’extraordinaire déséquilibre mis en place par ceux qui bénéficient de l’exonération de la taxe carbone et l’utilisation qui en est faite par MITTAL par exemple consultez cette adresse édifiante

28/08/2009 16:29 par legrandsoir

il manque le lien en question.

29/08/2009 11:29 par Christian Delarue

L’énergie "verte" ou "propre" : chacun pour soi ou service public en réseau ?

La contribution climat-énergie dite taxe carbone de la commission Rocard prévue pour réduire la consommation d’énergie et la réduction de gaz à effet de serre élude la question écologique et la question sociale. Sur le plan écologique, elle exclue l’électricité . Il est certain que l’augmentation des prix du charbon, du fuel et du gaz va favoriser la consommation d’électricité. Mais l’électricité est exclue au motif du nucléaire soit disant "propre". Au plan social, elle exclue les entreprises polluantes mais pas les ménages qui n’ont pas choisi le mode de production qui impose un mode de consommation. De plus, elle ne va pas empêcher les riches de surconsommer. Ce sont les les prolétaires qui vont devoir être vigilants et être "sobre". Toujours la même rengaine de l’austérité pour ceux d’en-bas et de gabegie maintenue pour les très riches. Au plan fiscal, le choix de la neutralité empêche le financement public de l’énergie verte. Car la question est bien au-dela de la sobriété énergétique de réduire la production d’énergie "sale" pour développer celle dite "propre". Une fois ce choix effectué se pose la question du mode de production de l’énergie "propre" : privé ou public ? Marchand ou non marchand ? En micro local ou en réseau national ?

Pour un service public national de l’énergie propre.

L’énergie renouvelable dite "propre" ou "durable" va dans les prochains mois avoir le vent en poupe plus qu’auparavant si les gouvernements se mettent à taxer sur les énergies fossiles. Il faut d’abord que la dite taxe ne frappe pas toutes les énergies mais qu’elle ne vise que les énergies fossiles. Il faut ensuite que l’on développe les énergies propres massivement et que la distribution se fasse hors du marché pour que tous y est accès. Imaginons que chaque ménage soit à égalité financière par subventionnement, peux-t-on penser sérieusement que chaque ménage va être en droit de planter une éolienne dans son jardin ! Cet individualisme est tentant. Il est à repousser de même qu’un localisme de quartier ou de ville. Pour contrer la logique marchande et privatiste (des transnationales) et pour promouvoir une certaine égalité d’accès, il n’y a guère que le service public national. Lui seul assure la péréquation tarifaire pour l’ensemble des usagers du territoire.

Christian Delarue

30/08/2009 16:52 par Thierry

La vraie taxe est celle payée aux producteurs de pétrole, et qui va aller croissante au fur et à mesure que celui-ci deviendra rare et cher.

Ce sont les plus pauvres qui, inévitablement, seront les victimes de cette hausse ! Instaurer une taxe carbone est une anticipation de cette hausse inéluctable, pour s’y adapter en utilisant les revenus pour une plus grande sobriété énergétique, plutôt que de les donner en rente aux pays pétroliers.

Nous ne pourrons instaurer un "protectionnisme écologique et social" que quant nous saurons nous passer des 95 millions de tonnes de pétrole que nous importons chaque année, en contreparties des dizaines de milliard d’euros (59 en 2008) que nous donnons aux emirs !

31/08/2009 14:58 par misraf

la seule solution c’est la planification economique marxiste
dans les conditions de paix internationale bien sur,faute de quoi la course aux armements entre puissances rivales detourneras la nature et le but des efforts d’une economie planifiée.Ce qui fut le cas de l’URSS. On a l’impression que le mot planification fait peur,pourtant meme les multinationales s’en servent pour la bonne gestion et l’augmentation de leur profit. Ce n’est pas des mesures fiscales de surcroit injuste ,ni de comportement sur le mode de vie qui apportra quelque chose de nouveau. C’est une volontée politique qui doit remettre en question le systeme liberal qui est la cause de toutes les destructions,la nature,l’homme et maintenant meme le langage conventionnellement etabli entre tous les membres d’une société et en voie de transformation.Comme par exemple ;
privatisation devient modernisation ou encore licenciement devient restructuration ect....ect....La liste est longue d’autant plus qu’il s’agit d’une grande partie du vocabulaire usuel. Il faut appeller un chat un chat.

01/09/2009 15:09 par elodie

ben ouai quoi...

...salopards de pauvres qui polluent !!!

qui ont pas les moyens financiers de "manger bio" et de "consommer mieux" et "propre" en équipant leur maison aux normes "HQE", en roulant en véhicule électrique ou préférant le "télétravail"...mais quelle honte !!

heurrrreuseeeeement !!!! grâce à la politique des Verts (dont je m’explique tjs pas par quel mystère ils sont au groupe parlementaire du PCF...) et des "socialos-shadoks" , bientôt, le pays, et l’Europe même, seront débarrassés de cette classe laborieuse, dangereuse, polluante et même pas distinguée...

On va les punir tiens ! et renflouer les caisses de l’Etat vidées par les cadeaux aux patrons et aux plus riches.

non mais.

et pis, c’est plus facile de taper localement sur une masse inorganisée que sur les vrais responsables de la pollution à échelle mondiale, hein ???

aucune découverte pour certains du "vrai visage" de rocard et de certains "verts" pour qui "la populace", dont nous sommes, reste encore et toujours le meilleur ennemi.

non à la "taxe carbonne". non à l"écologie anti-sociale"

l’être humain aussi est un élément de l’écologie

29/09/2009 23:06 par Christophe V.

Et ils attendent quoi les "classes modestes" pour élire des politiques qui les défendront. Georges Marchais était bien un ouvrier non ? Pourquoi avec les 35 h, l’électroménager, les plats préparés, les 5 semaines de congés payés, etc, les pauvres n’ont plus le temps de militer, de se présenter aux élections, enfin bref de se prendre en main ? Trop fatigués pour s’informer ? Comment ils ont fait en 1789, en 1848, en 1870, en 1936, en 1968, .... ? La télé n’est plus libre ? Parce qu’elle l’était du temps de l’ORTF ? Et l’internet, c’est pour qui ? 300 euros l’ordi + 30 euros d’abonnement téléphone compris (c’est à dire moins cher que les portables !!!!).

Non, sincèrement, je ne nie pas qu’il y ait plusieurs millions de français qui souffrent (pourquoi préfèrent-ils s’abstenir que voter NPA ou LO ou même plus extrème si il faut ? En résumé, le coup des classes populaires spoliés par les hommes politiques, je n’adhèrent pas. Je crois surtout que le peuple a, dans son immense majorité, du pain et des jeux (télévisés) et que cela lui convient suffisamment pour ne pas faire d’effort à aller militer. Je fus militant communiste en 1969 et je peux vous dire que dans la cellule du quartier, il y en avait des ouvriers qui s’bougaient.

Aujourd’hui ils sont pas nombreux à venir chercher le pain à pied ou en vélo. J’en vois pas beaucoup non plus sur les route des vacances avec une remorque ou un coffre de toit. Ben non, on préfère acheter une grosse familiale. C’est tellement moins contraignant.

J’te le mettrais fissa à 100 euros la tonne moi le CO2. On aurait peut-être plus la moitié des caburants consommés en ville et un déplacement sur 2 en voiture faire moins de 3 km (source : Ademe). J’vais pas attendre que les pauvres se bougent pour préserver mon environnement et celui de mes enfants. J’ai ma conscience pour moi : j’ai toujours voté extrême gauche jusqu’à quelques années car l’urgence écologique est désormais prégnante.

Réclamer des mesures sociales n’est pas incompatible avec une fiscalité écologique, c’est à dire une internalisation des coûts environnementaux. Et que l’on incite avec les revenus de cette fiscalité à une consommation plus sobre et plus verte. Les industriels suivront la demande qui en découlera.

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