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Un concept à contextualiser

Le « populisme » serait-il aujourd’hui une menace pour l’Amérique latine ?

Pour l’ancien chef du Commando Sud de Washington pour l’Amérique du Sud, le général James Hill, pas l’ombre d’un doute : la menace principale aujourd’hui sur le « sous-continent », c’est « le populisme radical qui menace le processus démocratique » (le Monde diplomatique, décembre 2007). Hier le communisme, aujourd’hui le « populisme », tous deux satanisés.

Le populisme est un concept flou, commode et attrape-tout, réactivé pour stigmatiser les changements en cours, dénigrer leurs acteurs (dirigeants et peuples). Et ça marche ! De Libération au Monde en passant par El Pais, ils tapent tous sur le même clou. Le sommet d’éthique fut atteint par le Figaro, le 18 août 2004. L’omniscient éditorialiste Alexandre Adler y qualifia le chavisme de « populiste antisémite » et traita le président métis Hugo Chavez de « gorille bolivarien ». On a les élégances que l’on peut et des préjugés tenaces.

Le concept de populisme remonterait à la République romaine, à Spartacus, etc. Il concernerait plus une façon de gouverner que le contenu d’une politique. On trouve des populistes au XIXe siècle en Russie, aux États-Unis, au Mexique… et au XXe siècle en Amérique latine, plutôt des progressistes : les présidents Lazaro Cardenas, Haya de La Torre, Velasco Alvarado, Paz Estenssoro, le leader colombien Eliecer Gaitan, le controversé Peron et son inévitable Evita… Puis vinrent des « néopopulistes » ultralibéraux : Menem, Fujimori…, très autoritaires, corrompus, qui privatisèrent à tout va, et vidèrent leurs pays de toute substance démocratique.

Le populisme se présente donc comme une notion difficile à cerner, ambivalente, changeante selon les contextes et les rapports de forces, très connotée négativement en Europe mais beaucoup moins, et souvent assumée comme un « élément positif », en Amérique latine, continent en butte à l’impérialisme le plus puissant. Il convient par conséquent de contextualiser le concept, de ne pas le séparer des conditions et spécificités historiques (tradition des « caudillos », domination étrangère…), d’examiner le contenu des politiques appliquées, et la place des couches populaires dans les processus. Ce concept (critiquable parce qu’il peut effacer les clivages de classes) contient souvent une critique radicale de la « démocratie libérale », de la société inégalitaire, de la corruption des élites… et peut parfois, il est vrai, verser dans le « tous pourris », comme lors de la crise argentine (« Qu’ils s’en aillent tous ! »). Et beaucoup l’étaient…

En Europe, on l’oppose généralement à la démocratie, on l’assimile à l’autoritarisme, à l’anti-intellectualisme. Les présidents Chavez, Morales, Correa, qui mènent, étymologiquement, « une politique qui vise à défendre les intérêts du peuple » et tiennent leurs promesses, sont populistes donc autocrates. Gouverner pour le peuple et avec le peuple, dans un lien direct et permanent, condamne à être taxé de « dictateur ». Rechercher des formes complémentaires à une démocratie représentative dégradée, condamne à l’opprobre politique. Essayer de « démocratiser la démocratie », de trouver de nouveaux espaces d’expression et de pouvoir populaire, renvoie au goulag.

Au Venezuela, le régime prône la démocratie participative, mais tous les processus d’intermédiation, de légitimation par le vote, de séparation des pouvoirs, demeurent infrangibles. A côté de l’État classique émergent des formes de cogestion, de repolitisation de l’espace social, de déconcentration du pouvoir et de l’économie : coopératives, organisations et « missions » sociales, conseils communaux, organes de citoyenneté active, autogérant des projets de quartier… Il existe même un ministère de la Participation populaire et le président peut être révoqué à mi-mandat (article 72 de la Constitution). Populisme ? Fantasmes absolutistes des médias occidentaux ?

Et si l’actuel « populisme latino-américain » était la participation populaire aux chantiers d’émancipation ? S’il y a des « chefs charismatiques », les « masses » ne sont nullement passives. Force est de reconnaître le rôle de Chavez, de ses discours, de son verbe, dans la mobilisation des pauvres, y compris dans une sorte de « communion » avec eux, jadis « invisibles ». Cette forme de démocratie didactico-pédagogique n’a rien de tyrannique.Quand l’Europe ouvrira-t-elle les yeux, écrivait en 1815 Simon Bolivar (Lettre de Jamaïque) ? « Elle n’aurait plus d’yeux pour reconnaître la justice ? »

Jean Ortiz

source : http://www.humanite.fr/22_11_2010-un-concept-%C3%A0-contextualiser-458286

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