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Adieu au langage ou : le système technique contre le bonheur.

Après une participation à un film de commande de la ville de Guimaraes, désignée capitale culturelle européenne, 3x3D, Godard expérimente de nouveau cette technique dans Adieu au langage, sans doute pour jouer avec elle, mais aussi pour nous donner son analyse sur la question. Car, même si certains parlent de fatras, le dernier film de Godard fait passer un message tout à fait clair, au niveau cinématographique, mais aussi politique et philosophique.

La syntaxe godardienne, qui joue d’une superposition de messages divers, images, texte, cartons, réalise déjà des effets de profondeur : chaque plan doit être déchiffré à plusieurs niveaux. On pourrait donc se demander ce que la 3D peut apporter de plus à ses films. Bien sûr, elle permet des gags, ou des "jeux de mots" en images : ainsi, quand Elle, inquiète de s’aliéner dans sa nouvelle relation avec Lui, dit : "La liberté, c’est de pouvoir se quitter des yeux", l’image superpose partiellement un mouvement d’Elle, et un mouvement de Lui, de sorte que, pour éviter de loucher, il faut fermer un oeil et choisir de regarder soit un personnage, soit l’autre. Mais le traitement de la 3D va bien plus loin.

Même si un technicien de l’image pourrait faire des analyses bien plus approfondies, on peut distinguer deux régimes de l’image 3D :

- les images en milieu humain (l’intérieur d’Elle et Lui notamment) sont incongrues, agressives : la 3D propulse jusqu’au milieu de la salle des objets insignifiants, un siège, une pot de fleurs (sèches), un porte-manteau ... qui ne produisent qu’une gêne visuelle.
- les images en milieu naturel (eau, rivière, forêt) sont belles et poétiques.

Les premières mettent en relief des objets, produits de la technique, plats, vides, qui n’ont rien à nous dire. Les secondes nous permettent de contempler des choses, êtres vivants indépendants du monde des hommes, qui offrent donc à celui-ci un prolongement, la possibilité de s’intégrer dans une vraie profondeur, celle du sens.

Il semble donc que Godard fait une démonstration par l’absurde de l’inutilité de la 3D : soit elle fait des objets des obstacles visuels, soit elle est redondante, puisque les choses ont leur propre profondeur.

La 3D apparaît même comme le stade ultime (jusqu’ici) de l’aliénation par l’audio-visuel : agressive, elle envahit l’espace du spectateur, l’immerge dans le règne des sensations, annihilant toute distance critique, et l’empêchant de construire son propre espace imaginaire. Godard nous rappelle que 1933 a vu à la fois l’accession au pouvoir de Hitler, et l’invention de la télévision : l’audio-visuel est une technique de domination des foules, qui ne demande même pas qu’on réunisse les foules, comme le faisaient les cérémonies nazies, si somptueusement filmées par Leni Riefenstahl, lors du Congrès de Nuremberg, dans Le Triomphe de la volonté. En effet, avec la TV, c’est l’image qui s’installe chez chaque spectateur.

Bien sûr, Godard ne condamne pas l’image, c’est un amoureux des images (d’où les références à Courbet ou Nicolas de Staël) mais il y a différents régimes d’images : c’est un tenant du cinéma du réel (la ligne des Frères Lumière) face aux tenants de la "magie du cinéma" (ligne Méliès). Selon la thèse exprimée dans Histoire(s) du cinéma, celui-ci avait pour vocation de nous faire voir le réel de façon plus lucide ; or, il a raté son rendez-vous avec l’Histoire en 1945, lors de la libération des camps de concentration. Mais, si les EU l’ont filmée, ils ont refusé de montrer les images à ce moment-là (par exemple pour ne pas troubler l’optimisme historique des Etasuniens qui, après la guerre, devaient redécouvrir les joies de la consommation). Ils s’en sont servis plus tard, et de plus en plus à mesure qu’on s’éloignait des faits, comme d’un instrument de pression et de propagande (alors que d’autres camps de concentration s’étaient ouverts !).

Ainsi, la réflexion de Godard sur l’image rejoint une réflexion historique et politique. Car lui tient à se servir du cinéma pour parler du présent et, comme dans son précédent Film Socialisme, de l’Europe actuelle. Il développait là une métaphore de l’Europe comme un bateau de croisière dont les passagers, simples spectateurs de l’Histoire, ne cherchaient qu’à se distraire, en particulier en jouant dans le casino flottant.

Dans Adieu, ce bateau revient, mais au lieu de sillonner la Méditerranée, il ne fait que le tour du Lac Léman, en déversant, à chaque étape, sa cargaison de touristes placides et ahuris – pendant qu’autour d’eux la guerre fait rage (images de bombardements). Et la voix off explicite l’idée : ce n’est pas la première fois qu’un pays vaincu aura conquis son vainqueur,selon la formule d’Horace sur la victoire culturelle de la Grèce conquise par Rome ; mais ici, c’est la victoire économique de l’Allemagne qui lui a permis, grâce au parrainage des EU, de réaliser les buts de guerre de Hitler, l’annexion de l’Europe centrale et de l’Est (voir l’article lumineux d’Annie Lacroix-Riz sur le mythe du Débarquement et l’alliance objective entre les EU et l’Allemagne nazie contre l’URSS). Mais Godard nous avertit ; les Russes ne seront jamais européens. L’Europe de Berlin est arrivée, comme en 1941, jusqu’en Ukraine : peut-être un nouveau Stalingrad l’attend-elle déjà.

Mais cette réflexion historique s’enracine dans une réflexion sur l’idéologie européenne, qui est synthétisée dans deux phrases : "La conscience nous empêche de voir le monde" et "Ellul, l’homme qui avait (presque) tout prévu" (titre d’un livre de Jean-Luc Porquet que le personnage du Philosophe brandit au début du film. En effet, le film tourne en dérision le cogito cartésien, la philosophie du sujet pensant et son corollaire, le projet de domination technico-scientifique de la Nature.

Ellul, dans Le Bluff technologique (1988), fait un réquisitoire contre la technocratie et contre la technique, dont il prouve d’abord qu’elle n’est pas neutre : elle a sa propre logique que l’homme qui l’utilise est contraint de suivre, ce qui l’appauvrit autant qu’elle appauvrit la nature ; elle le sépare de la nature, en l’entourant d’un réseau d’objets artificiels, et le sépare de son humanité, en dégradant ses rapports avec les autres et envers lui-même : "La technique interdit la méditation", dit la voix off.

On comprend alors que l’histoire du couple est l’illustration des thèses d’Ellul : Elle et Lui se disputent, ils n’arrivent pas à se comprendre, pire, dit Elle : "Un jour nous aurons besoin d’interprètes pour nous comprendre nous-même". Dans notre société, la technique a appauvri et perverti le langage qui véhicule des informations pratiques, mais dont le Sens a disparu. Un jeu de mots qui s’inscrit sur l’écran traduit ce constat : "Ah dieux ! Oh langage !" Le langage ne sert plus de lien avec les dieux (le monde des valeurs).

Adieu au langage est-il donc le film d’un vieil homme aigri qui n’a plus de goût à rien ? Ce sont les critiques qui impriment ces appréciations qui radotent et récriminent sombrement : ils sont insensibles au plaisir avec lequel Godard joue avec les images, et insensibles au protagoniste de l’histoire, qu’il est temps d’introduire : le chien Roxy.

Roxy, lui, est à l’aise dans le monde de la nature et des choses : il se roule dans la neige, se laisse emporter au fil du courant, jouit des odeurs et du spectacle de la forêt. Non seulement il est en phase avec le Monde, mais il pense : "Et Roxy pensa", déclare la voix off : il pense, non pas, en cartésien, contre la nature, mais en heideggerien, dans le sens des choses, et le fruit de ses réflexions, c’est qu’il faut écouter ce que l’eau de la rivière a à nous dire. Et la caméra qui suit avec allégresse les courses de Roxy nous invite à voir le monde à travers son regard.

Remplacer Dieu et Descartes par un chien, on peut trouver cela "cynique". En fait, Roxy véhicule la confiance de Godard dans l’homme, puisque, grâce à lui, le couple va retrouver le contact avec la profondeur des Choses et la vie, comme l’annoncent les cris de bébé qu’on entend à la fin.

Rosa Llorens

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