RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Alternatives écologiques : Sortons de la logique du profit !

Il faut l’admettre, La gestion actuelle de la crise écologique mène l’humanité dans une impasse. Sa survie même est menacée. Alors que la prise de conscience citoyenne grandit et que les mouvements sociaux s’organisent, les dirigeants de ce monde veulent nous faire croire qu’ils ont maintenant pris les choses en main et que nous pouvons avoir confiance en l’avenir. Malheureusement, malgré des déclarations ambitieuses (1), les solutions proposées par les gouvernements, les institutions internationales et les grandes entreprises, en restant inscrites dans un modèle capitaliste et productiviste, ne constituent en rien une alternative. Pendant ce temps, les équilibres écologiques continuent de se dérégler et la majorité est maintenue dans la pauvreté et l’exploitation. Des alternatives à la crise écologique globale existent pourtant. Mais pour pouvoir être qualifiées de sérieuses, celles-ci devront impérativement marquer une rupture radicale avec le modèle de développement actuel et la logique du profit.

L’humanité en danger

Si le monde est un village, ce village devient inhabitable pour un nombre grandissant d’habitants. Sans rentrer dans une enchère catastrophiste, il est important, avant de proposer des alternatives, d’ouvrir les yeux sur l’ampleur des défis à relever.

Les mers et océans, source de toute vie, sont sur-pollués et surexploités. L’eau douce devient une denrée rare : plus d’un milliard de personne n’a pas accès à l’eau potable. Les forêts, poumons de planète, sont coupées massivement : selon la FAO, environ 13 millions d’hectares (l’équivalent de la surface de l’Angleterre) de forêts disparaissent annuellement, soit 1 terrain de football toutes les quinze secondes. La nourriture est gaspillée : alors que 100 000 personnes meurent quotidiennement de faim ou de ses suites immédiates et que plus d’un milliard de personnes souffrent de manière chronique de la faim, entre 30 et 40% des aliments achetés aux États-Unis et en Angleterre ne sont pas consommés ! (2) Les sols, qui abritent 80% de la biomasse, et qui permettent à l’homme de se nourrir, meurent à grande vitesse : 24 milliards de tonnes de sols fertiles disparaissent chaque année. Un tiers de la superficie des terres émergées du globe (4 milliards d’hectares) est menacé par la désertification (3). Les déchets inondent la planète : environ 2,5 milliards de tonnes de déchets sont produits chaque année (4), soit plus que la production mondiale de céréales (environ 2 milliards de tonnes par an). La perte de biodiversité se poursuit inexorablement : une espèce sur huit des plantes connues est menacée d’extinction. Chaque année, entre 17 000 et 100 000 espèces disparaissent de notre planète, et un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait disparaître en 2030. (5) Les catastrophes « naturelles » et « sanitaires » augmentent, en fréquence et en intensité : cyclones dévastateurs, canicules meurtrières, sécheresses, inondations, maladie de la vache folle, grippe aviaire, grippe porcine, … Le réchauffement du climat, s’il ne doit pas cacher les autres menaces écologiques, constitue sans doute la menace la plus importante pour l’espèce humaine et les écosystèmes, car il renforce et accélère la majorité des phénomènes cités plus haut. Les conséquences humaines du réchauffement climatique sont déjà une réalité, en particulier pour les populations du Sud : pour les années 2000-2004, un habitant sur 19 a été affecté par une catastrophe climatique dans les pays en développement. Le chiffre correspondant pour les pays de l’OCDE est de 1 sur 1 500 (6). Et nous sommes au début d’un processus qui risque de s’aggraver : suite à la montée des océans, 150 millions de personnes se verront dans l’obligation de migrer d’ici 2050. Le nombre de personnes touchées par la famine pourrait augmenter de 600 millions et le nombre de celles touchées par la malaria de 300 millions.

S’il ne se sert à rien de tomber dans le fatalisme, il faut cependant être réaliste. Le constat est dramatique, les défis sont gigantesques et l’urgence est maximale. Comme Jacques Chirac l’a dit il y a tout juste 7 ans : «  Notre maison brûle et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie (7) ». 7 ans plus tard, la « maison » continue pourtant de brûler, et l’incendie, plutôt que de diminuer, s’amplifie et s’étend.

Pour des alternatives non capitalistes

Quelles sont les principales « solutions » prônées par les gouvernements, les institutions internationales, les grandes entreprises pour inverser cette tendance mortifère et sauver les écosystèmes ? Plus de croissance, mais de la « croissance soutenable ». Plus de marché, avec le marché de l’eau ou encore le marché du carbone. Plus de science et de technologies « vertes » (agrocarburants, puits de carbone, micro-algues,…) pour limiter la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Plus d’OGM pour résoudre le problème de la faim dans le monde. Plus de taxes pour pousser les consommateurs à ne pas consommer moins mais à consommer mieux. Toutes ces mesures, même si elles ne sont pas toujours intrinsèquement mauvaises, ne pourront en aucun cas résoudre la crise écologique. La raison est simple : elles ne remettent pas en cause l’impératif de croissance, dicté par la logique du profit.

Alors que le monde connaît la crise mondiale la plus importante depuis les années 1930, l’objectif prioritaire de tous les gouvernements et des grandes institutions telles que le FMI et le G20, reste de retrouver la croissance économique. Selon la théorie dominante, la croissance économique est la solution, la fin et le moyen. Quand Nicolas Sarkozy déclare « Le développement durable, c’est n’est pas moins de croissance, c’est plus de croissance ! » (8), tout est dit. C’est une aberration. Dans un monde fini, rechercher la croissance à tout prix ne peut aboutir qu’à un désastre écologique.

Et pas seulement écologique. Rappelons-le, la logique d’accumulation du capital, la logique croissantiste et productiviste, est à l’origine de toutes les crises planétaires actuelles (sociale, économique, financière, énergétique, climatique, migratoire…). Ces crises ont un caractère systémique et nécessitent donc des réponses systémiques. D’où la nécessité d’alternatives non capitalistes, qui s’inscrivent dans une perspective de construction d’un modèle dont l’objectif prioritaire soit la sauvegarde des écosystèmes et la justice sociale. Ensuite, il faut réfléchir aux mesures concrètes à mettre en place pour atteindre cet objectif. Si certaines mesures peuvent impliquer une croissance de la production et donc du PIB, comme par exemple la construction d’infrastructures de santé ou la formation de médecins, d’autres provoqueront inévitablement une décroissance du PIB. On pense ici particulièrement à la question de l’armement, plus grosse dépense au niveau mondial (1 339 milliards de dollars en 2007) ! Il s’agit de passer d’un raisonnement quantitatif à un raisonnement qualitatif.

Réduire drastiquement la demande mondiale d’énergie et développer massivement les énergies renouvelables

Si l’on veut limiter à 2C° l’augmentation de la température moyenne de l’atmosphère et éviter la catastrophe climatique, les objectifs sont clairs : la production mondiale de GES doit diminuer de 50% à 85% d’ici 2050. Pour les pays industrialisés, principaux émetteurs de GES, il s’agit de réduire les émissions de 80% à 95% d’ici 2050 (par rapport à 1990), en passant obligatoirement par une réduction intermédiaire de 25% à 40% d’ici 2020.

Pour relever ce défi gigantesque, il faut combiner forte réduction de la consommation d’énergie et développement massif des énergies renouvelables. En matière d’économie d’énergie, il faut avant tout travailler sur la question de l’habitat et des transports. Les habitations, responsables d’une partie importante de la consommation finale d’énergie et des émissions de CO2 (9), doivent être isolées. Les entreprises privées, ne s’intéressant qu’aux profits et donc à la demande solvable, sont incapables de mener à bien cette mission. Il est donc nécessaire de mettre en place des services publics, transparents et démocratiques, qui auraient pour objectif l’isolation de tous les bâtiments.

Au niveau des transports, il faut, d’une part, développer des transports collectifs efficaces, de qualité et tendant le plus possible vers la gratuité. D’autre part, il s’agit, quand cela est possible, de relocaliser l’économie. On connaît tous et toutes les exemples aberrants des tomates, des pots de yaourts, qui, pour limiter les coûts de production et donc maximiser les profits, parcourent des milliers de kilomètres avant d’être mis en vente. Contrairement au discours dominant qui veut faire passer le protectionnisme comme l’ennemi numéro un, il est nécessaire de favoriser les productions locales et de repenser le protectionnisme, mais dans un esprit de coopération et non de compétition.

Remplacer les énergies fossiles par les énergies renouvelables est techniquement possible : comme le souligne Daniel Tanuro, « le flux d’énergie solaire qui atteint la terre est égal à 8 000 fois la consommation énergétique mondiale. Compte tenu des technologies actuelles, 1/1000 de ce flux peut être converti en énergie utilisable ». (10)

Pourquoi alors la part des renouvelables dans la production globale continue-t-elle de stagner ? La raison est double : premièrement, les transnationales du secteur de l’énergie fossile ne veulent pas se détourner de la poule aux oeufs d’or que représente le marché des combustibles fossiles. On estime à environ 1 500 milliards de dollars les profits annuels réalisés par ce secteur. Selon ce critère, dominant dans le modèle capitaliste, le marché des renouvelables n’est pas à la hauteur. Deuxièmement, les grandes transnationales énergétiques ne sont pas friandes de l’énergie solaire, car on se l’approprie plus difficilement. Or la propriété privée est la condition du profit et la base même du fonctionnement du système capitaliste. On comprend alors mieux pourquoi les agrocarburants, véritable scandale écologique et humain, sont de loin préférés à la révolution solaire.

Combiner justice fiscale, justice sociale et justice climatique

On le voit bien, le marché et l’initiative privée ne sont pas capables de relever les défis environnementaux et sociaux. Seuls des investissements publics massifs et orientés dans la « bonne » direction, pourront faire avancer l’humanité vers une réelle alternative. Pour financer ces investissements et ces services publics, une autre fiscalité est possible et nécessaire. Contrairement à la nouvelle taxe carbone en France qui veut faire payer les plus pauvres et non les principaux responsables (11), il faut une fiscalité qui s’attaque de front aux inégalités sociales : impôt sur les grosses fortunes, taxe sur la spéculation et les plus-values boursières, augmentation de la progressivité de l’impôt, relèvement de l’impôt sur les sociétés, mais aussi réduction radicale du temps de travail, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire, font partie intégrante des solutions à mettre en oeuvre pour résoudre la crise écologique et sociale. Elles constituent des outils nécessaires qui permettront aux gouvernements de financer des projets socialement utiles et respectueux de la nature, tandis que les individus auront les ressources et le temps d’agir et de pratiquer la citoyenneté. Justice fiscale et justice climatique vont de pair.

De la même manière, la justice climatique ne pourra pas devenir une réalité si l’on ne se préoccupe pas des questions de pauvreté et d’inégalités. Rappelons-le, les rapports de domination Nord-Sud sont une des causes principales de la destruction de la nature : grâce à l’outil de domination qu’est la dette, les puissances du Nord, en complicité avec les classes dominantes du Sud, peuvent imposer des politiques qui amènent au bradage des ressources naturelles, à la destruction de l’environnement, mais aussi à l’exploitation des peuples et à la déstructuration du tissu économique et social. Les gouvernements et les citoyens du Sud se voient alors privés de moyens pour mettre en place des actions respectueuses de l’environnement. L’annulation de la dette, tout comme le transfert massif et gratuit de technologies propres vers le Sud, sont indispensables.

Combiner actions individuelles et revendications globales

Trop souvent, on a tendance à réduire l’écologie à une question de pratiques individuelles. Vous voulez sauver la planète ? Consommez équitable, triez vos déchets, éteignez la lumière quand vous quittez une pièce, … Parce que nous serions tous responsables de la destruction de l’environnement, nous avons le pouvoir et le devoir d’agir en changeant nos comportements individuels. Si ces actions à titre individuel sont nécessaires et utiles, il ne faut pas se leurrer sur leur capacité à inverser les tendances actuelles. Surtout, il ne faut pas oublier que si nous sommes tous responsables, nous ne sommes pas tous également responsables. Il faut donc prendre garde que la nécessaire prise de conscience individuelle ne dédouane le système économique dominant et n’occulte l’essentiel débat sur les alternatives systémiques.

Renforcer les mouvements sociaux et la démocratie

Pour que ces alternatives se mettent en place concrètement et pour que les gouvernements du Nord et du Sud mettent la priorité dans des projets socialement utiles et respectueux de la nature, les mouvements sociaux ne pourront pas rester les bras croisés. Ils devront agir et, via des mobilisations massives, imposer une réelle participation à l’ensemble du processus de prises de décisions politiques. Ne nous trompons pas, les dirigeants de ce monde ne sont ni inconscients, ni aveugles. Ils sont tout simplement au service des capitalistes financiers et industriels, qui ont des intérêts opposés à ceux de la majorité. Les rapports de force seront déterminants. A l’heure actuelle, ces rapports ne sont toujours pas en faveur des peuples. Malgré certains discours « radicaux », l’offensive néolibérale se poursuit. Pourtant, le mouvement social s’organise et, au Nord comme au Sud, des victoires, certes partielles et insuffisantes, montrent que rien n’est inéluctable. L’exemple de Fribourg en Allemagne (12), mais aussi et surtout la lutte des peuples indigènes d’Amérique latine, notamment avec leur concept de « buen vivir », nous montrent une voie intéressante à suivre pour qu’une nouvelle relation naissent entre les êtres humains et la nature.

Olivier Bonfond

(CADTM Belgique)
olivier@cadtm.org
www.cadtm.org
0494 / 47 28 03

(1) Barack Obama et Gordon Brown se sont récemment prononcés pour une réduction de 80% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.

(2) PNUE, The environmental food crisis http://www.grida.no/_res/site/file/publications/FoodCrisis_lores.pdf

(3) http://www.wateryear2003.org/fr/ev....

(4) http://www.actu-environnement.com/ae/news/1986.php4

(5) http://fr.wikipedia.org/wiki/Biodiv...

(6) PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, 2007/2008 .

(7) Discours de Jacques Chirac en septembre 2002 à Johannesburg lors du Sommet de la Terre http://www.cawa.fr/la-maison-brule-et-nous-regardons-ailleurs-article00122.html

(8) Extrait du discours prononcé le 20 mai 2008 par le Président français Nicolas Sarkozy,

(9) Dans l’Union européenne, l’isolation des bâtiments permettrait de diminuer de 42% les coûts énergétiques et les émissions de CO2.

(10) Daniel Tanuro, « Le diable fait les casseroles, mais pas les couvercles : défense du climat et anticapitalisme », 26 janvier 2007, http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=4600

(11) Voir Aurélien Bernier « La taxe carbone, ou l’écologie antisociale », 27 août 2009, http://www.m-pep.org/spip.php?article1474. Comme A. Bernier l’indique dans la conclusion « la taxe carbone n’est pas intrinsèquement mauvaise. Elle est comme tous les outils de fiscalité environnementale qui sont utilisés toutes choses égales par ailleurs : injuste et donc inacceptable. Il faut prendre le problème à l’envers. C’est une répartition équitable des richesses qui permettra de promouvoir ou d’exiger des comportements plus écologiques. Il faut taxer le capital et augmenter les revenus du travail avant de mettre en place des contraintes environnementales que les citoyens pourront alors assumer. »

(12) Pour plus d’informations, lire Philippe Bovet, « Objectifs ambitieux à Fribourg », Manière de voir n°81

URL de cet article 9224
   
Même Thème
L’écologie réelle
Guillaume SUING
Des premières aires naturelles protégées (zapovedniki) en 1918 jusqu’au plus grand plan d’agroforesterie au monde en 1948, avant que Nikita Khrouchtchev ne s’aligne sur le modèle intensif américain dans les années soixante, c’est toute une écologie soviétique qui fut jadis raillée par les premiers zélateurs occidentaux de l’agriculture « chimique ». Cette « préhistoire dogmatique », pourtant riche d’enseignements pour l’époque actuelle, est aujourd’hui totalement passée sous silence, y (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Lorsque l’on tente, comme ce fut le cas récemment en France, d’obliger une femme à quitter la Burqa plutôt que de créer les conditions où elle aurait le choix, ce n’est pas une question de libération mais de déshabillage. Cela devient un acte d’humiliation et d’impérialisme culturel. Ce n’est pas une question de Burqa. C’est une question de coercition. Contraindre une femme à quitter une Burqa est autant un acte de coercition que l’obliger à la porter. Considérer le genre sous cet angle, débarrassé de tout contexte social, politique ou économique, c’est le transformer en une question d’identité, une bataille d’accessoires et de costumes. C’est ce qui a permis au gouvernement des Etats-Unis de faire appel à des groupes féministes pour servir de caution morale à l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Sous les Talibans, les femmes afghanes étaient (et sont) dans une situation très difficile. Mais larguer des "faucheuses de marguerites" (bombes particulièrement meurtrières) n’allait pas résoudre leurs problèmes.

Arundhati Roy - Capitalism : A Ghost Story (2014), p. 37

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.