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Israël : Sur l’éducation au racisme et le meurtre d’enfants, par Nurit Peled-Elhanan.








solidaritéS, septembre 2007.


Militante israélienne pour la paix, professeure à l’Université de Jérusalem, la Dr Nurit Peled-Elhanan est lauréate du prix Sakharov des droits de l’homme (2001). (...) Nous publions ici l’extrait d’un de ses discours.



[...]Les enfants d’Israël en savent davantage sur l’Europe - patrie de fantaisie et idéal des dirigeants du pays - que sur le Proche-Orient où ils vivent et qui est le foyer d’origine de plus de la moitié de la population israélienne. Les enfants juifs, dans l’Etat d’Israël, sont éduqués dans des valeurs humaines dont ils ne voient la concrétisation nulle part autour d’eux. Au contraire.

Partout ils assistent à la violation de ces valeurs. Une étudiante qui se définissait elle-même comme « une habitante de Tel Aviv, favorisée, appartenant à la classe moyenne », témoignait ainsi de cette confusion lorsqu’elle s’étonnait de ce que « des soldats de mon peuple, qui me protègent et veulent ma sécurité » maltraitent, sans sourciller, un père palestinien et son fils (Haaretz, 13.03.2006).

Dans ce contexte, l’expression « des soldats de mon peuple, qui me protègent et veulent ma sécurité » est ce qui exprime plus que tout l’idéologie des racistes : maltraiter l’autre est interprété comme défense de ceux de notre camp. Cette violence faite à l’autre est ce qui nous définit et crée une solidarité : nous les maltraitons, signe que nous sommes un peuple uni, consensuel, et tous responsables les uns des autres.


Le « peuple » et les « autres », pour un autre « nous »

Qui sont ces gens qu’elle dit « de mon peuple » ? Le mot « peuple », tout comme le mot « nous », est un des mots les plus chargés qui soient. C’est un mot qu’on présente comme s’il ne laissait pas le choix, comme un coup du sort, une oeuvre de la nature. La mort nous a obligées, ma famille etmoi, à scruter cemot en profondeur. Quand, il y a quelques années, une journaliste m’a demandé comment je pouvais recevoir des paroles de consolation venant de « l’autre côté », je lui ai immédiatement répondu que je n’étais pas prête à recevoir de paroles de consolation venant de « l’autre côté » ; la preuve : lorsque Ehud Olmert, le maire de Jérusalem, est venu exprimer ses condoléances, je suis sortie de la pièce et j’ai refusé de lui serrer la main ou de lui parler. Pour moi, « l’autre côté », c’est lui et ses semblables.

Et cela parce que mon « nous » à moi ne se définit pas en termes nationalistes ou racistes. Mon « nous » à moi se compose de tous ceux qui sont prêts à lutter pour préserver la vie et pour sauver des enfants de la mort. Des mères et des pères qui ne voient pas une consolation dans le meurtre des enfants des autres.

Il est vrai que là où nous sommes, ce camp compte davantage de Palestiniens que de Juifs, parce que ce sont eux qui tentent à tout prix - et avec une force qui nem’est pas familière mais que je ne peux qu’admirer - de vivre dans les conditions infernales que le régime de l’occupation et la démocratie juive leur imposent. Néanmoins, pour nous aussi, victimes juives de l’occupation, qui cherchons à nous dégager de la culture de la force et de la destruction dans la guerre de civilisations qui se mène en ces lieux, pour nous aussi il y a place ici.


La terre à ses habitant-e-s

Mon fils Elik est membre d’un nouveau mouvement qui a fleuri sous le nom de Combattants pour la paix, dont les membres, Israéliens et Palestiniens, ont été des soldats combattants qui ont décidé de fonder un mouvement de résistance non violente à l’occupation. Ma famille est membre du Forumdes familles endeuillées, israéliennes et palestiniennes, en faveur de la paix. Mon fils Guy fait du théâtre avec des amis israéliens et palestiniens qui se voient comme des gens vivant au même endroit et cherchent à se libérer d’une existence toute tracée, de malfaisance et de racisme qui n’est pas la leur. Et mon plus jeune fils Yigal fait chaque année un camp d’été de la paix où des enfants juifs et des enfants palestiniens s’amusent ensemble et créent des liens solides qui se maintiennent l’année durant. Ce sont ces enfants-là , son « nous » à lui.

Et cela parce que nous sommes une partie de la population vivant en ce lieu et parce que nous croyons que cette terre appartient à ses habitants et non pas à des gens qui vivent en Europe ou en Amérique. Nous croyons qu’il est impossible de vivre en paix sans vivre dans les lieux mêmes, avec ses habitants. Qu’une fraternité réelle ne s’établit pas sur des critères nationalistes et racistesmais sur une vie commune en un lieu déterminé, dans un paysage déterminé, et sur des défis relevés en commun. Que celui qui ne franchit pas les frontières de la race et de la religion et qui ne s’intègre pas parmi les gens du pays où il est né n’est pas un homme de paix. Malheureusement, beaucoup ici se disent gens de paix mais, voyant des compatriotes emprisonnés dans des ghettos et des enclos dans le but de les affamer jusqu’à la mort, ne protestent pas et envoientmême leurs fils servir dans l’armée d’occupation, jouer les sentinelles sur lesmurs du ghetto et à ses portes.


Pour une éducation antiraciste

Je ne suis pas une femme politique mais il est clair pour moi que les politiciens d’aujourd’hui sont les étudiants d’hier et que les politiciens de demain, ce sont les étudiants d’aujourd’hui. C’est pourquoi il me semble que celui qui fait de la paix et de l’égalité sa devise doit s’intéresser à l’éducation, l’explorer, la critiquer, protester contre la propagation du racisme dans le discours pédagogique et dans le discours social, proposer des lois ou réactiver des lois contre un enseignement raciste et instaurer des cadres alternatifs où s’offre à s’enseigner une connaissance de l’autre réelle, profonde, barrant toute possibilité de s’entretuer. Un tel enseignement devrait mettre sous les yeux les images des petites filles, étendues avec leur solennel uniforme d’école, dans la crasse, le sang et la poussière, leur petit corps criblé de balles tirées selon les procédures, et poser, jour après jour, heure après heure, la question d’Anna Akhmatova, une autre mère qui a vécu dans un régime de violence contre les femmes et les enfants : « Pourquoi ce filet de sang déchire-t-il le pétale de ta joue ? ».

Nurit Peled Elhanan (Jérusalem, 2006)

- Titre original de l’auteure, intertitres de notre rédaction.


- Source : solidaritéS www.solidarites.ch




L’universitaire et écrivain pacifiste israélienne Nurit Peled-Elhanan, (fille du général pacifiste M. Peled, fondateur du mouvement Gur Shalom) a perdu sa fille de 13 ans dans un attentat du Hamas.



Du royaume des morts, par Nurit Peled.

Dylan Thomas a écrit un poème intitulé " Et la guerre n’aura pas de domaine ".

En Israël, elle l’a. Ici, c’est la guerre qui gouverne. Le gouvernement d’Israël règne sur un royaume de mort. A cause de cela, la chose la plus incroyable à propos des attentats terroristes de ces jours-ci, c’est l’incrédulité d’Israël. La propagande et l’endoctrinement en Israël sont tels qu’on arrive à maintenir les informations sur ces attentats totalement séparés de la réalité du pays. Dans les médias israéliens et américains l’Histoire est faite d’assassins arabes et de victimes israéliennes, dont la seule faute aurait été d’avoir réclamé 7 jours de trêve. Mais n’importe quelle personne dont l’esprit peut revenir même pas un an en arrière, mais ne serait-ce que une semaine ou quelques heures, sait que l’Histoire n’est pas cela. Que chaque attentat est un nouveau maillon d’une chaîne d’horribles " faits divers " de sang, qui ont marqué les 34 dernières années et n’ont qu’une cause : une occupation brutale.

Occupation qui humilie les gens, les affame, leur refuse le travail, démolit leurs maisons, détruit leurs récoltes, tue leurs enfants, emprisonne les mineurs sans procès dans des conditions terribles, tolère que des nouveau-nés meurent aux check points et répand le mensonge.

La semaine dernière (décembre 2001, ndt), après l’assassinat de Abu Hanoud une journaliste de Yadot Ahronot (quotidien israélien, ndt) m’a demandé si je ne me sentais pas soulagée. Non je ne me sens pas soulagée lui ai-je dit et je ne me sentirais pas soulagée tant que les assassins d’enfants palestiniens continueront à aller et venir librement. Les meurtres de ces enfants, comme le meurtre d’un suspect sans procès ou le meurtre d’un enfant de 10 ans, peu de temps avant l’attentat à Jérusalem, nous assurent qu’aucun enfant israélien ne pourra aller à l’école en se sentant en sécurité. Chaque enfant israélien paiera pour la mort de 5 enfants à Gaza, et les autres à Jenin, Ramallah, Betlehem, Hebron.

Les palestiniens ont appris d’Israël que chaque victime doit être vengée dix fois, cent fois. Ils ont dit, en écho, que tant qu’il n’y aura pas de paix à Ramallah, à Jenin, il n’y aura pas de paix à Jérusalem ni à Tel Aviv. Et par conséquent ça n’est pas aux palestiniens qu’il revient de respecter 7 jours de trêve, mais aux forces d’occupation israéliennes.

Vendredi, on a appris que des politiciens des deux camps avaient établi un accord, à Jérusalem, pour permettre la réouverture du casino dont dépendent leurs moyens d’existence. Ils l’ont fait sans intervention américaine, sans commission de haut niveau ; seulement avec l’assistance de juristes et d’hommes d’affaires qui ont apporté aux parties en présence ce qui leur était nécessaire. Ceci démontre qu’il n’y a pas de conflit entre les leaders : quand une question les concerne directement (à la différence de la mort de nos enfants) ; pour ça, ils sont très prompts à trouver une solution. Ceci confirme ma conviction que nous tous, israéliens et palestiniens, sommes victimes des politiciens qui jouent au hasard la vie de nos enfants, à la table de l’honneur et du prestige. Pour eux, les enfants valent moins que les jetons de la roulette. Mais ces attentats servent les intérêts de la classe politique israélienne - politique dont l’objectif est de nous faire oublier que la guerre d’aujourd’hui concerne d’abord la protection des implantations et la continuité de l’occupation, une politique qui pousse les jeunes palestiniens au suicide, emportant avec eux les enfants israéliens, animés par l’invocation de Samson " Meure mon être avec tous les philistins ! [1]. Politique étudiée pour nous faire croire qu’ " ils veulent même Tel-Aviv et Jaffa ! " et qu’ " il n’y a personne avec qui parler "au moment même où on liquide tous les interlocuteurs possibles.

Maintenant que nous savons que nos leaders sont capables de faire la paix pour des motifs économiques nous devons leur demander qu’ils fassent aussi la paix quand sont en jeu des causes d’importance " mineure ", comme la vie de nos enfants. Tant que tous les parents d’Israël et de Palestine ne se lèveront pas contre les politiciens et ne leur demanderont pas de freiner leurs envies de conquêtes sanguinaires, le royaume souterrain des enfants ensevelis continuera à s’étendre. Depuis le commencement des temps, les mères ont élevé leur voix avec clarté pour la vie, contre la mort. Aujourd’hui, levons-nous pour qu’on ne transforme plus les enfants en tueurs et tués, pour leur apprendre à ne pas soutenir de cruelles machinations. Levons-nous pour obliger les politiciens, qui disent, comme Abner et Joab " Que les adolescents se lèvent et joutent devant nous " [2] , à donner une place à ceux qui peuvent s’asseoir à une table de négociation pour accepter une paix vraie et juste : une place pour ceux qui sont prêts à faire avancer le dialogue, non pas dans un but de tromperie ou de manipulation, ni pour humilier l’autre et le mettre à genoux, mais pour arriver à une solution, exempte de racisme et de mensonge, et qui considère les raisons de l’autre.

Autrement la mort continuera à étendre son domaine sur nous. Je propose que les parents qui n’ont pas encore perdu leurs enfants regardent à leurs pieds et prêtent attention aux voix qui montent du royaume des morts, sur lequel nous cheminons jour après jour, heure après heure. Parce que c’est là seulement que nous comprendrons, tous, qu’il n’y a pas de différence entre une vie et une autre, que peu importe la couleur de notre peau et de notre carte d’identité , quel drapeau flotte sur quelle colline et dans quelle direction nous nous tournons pour prier.


Au royaume de la mort, les enfants israéliens gisent à côté des enfants palestiniens, les soldats de l’armée d’occupation à côté des commandos-suicide. Et personne ne sait plus qui était David et qui était Goliath parce qu’ils ont tous vu la vérité en face : ils ont compris qu’ils avaient été floués et trompés par des politiciens dépourvus de sentiments et de conscience qui ont sacrifié ces vies au jeu et qui continuent à jouer au hasard la vie de chacun de nous.

Dans des élections démocratiques nous leur avons donné le pouvoir de faire de nos maisons l’arène d’homicides sans fin. Ce n’est qu’en les arrêtant que nous pourrons revenir à une vie normale en ces lieux et alors la mort n’aura plus de domaine.

Nurit Peled-Elhanan

- Edition du 13 décembre 2001 de il manifesto

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio




Palestine : laissez vivre nos enfants, par Nurit Peled.






[1Livre des Juges, 16 : L’énigme de Samson

[2Samuel, 2 : L’affrontement.


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