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Blanche-Neige et les 6 millions de chômeurs.

Vous avez trouvé The Artist insipide ? Blanca Nieves exaucera vos rêves les plus fous d’insignifiance. Voici quelques années, Pascal Fioretto avait parodié les grands noms du best-seller français (BHL, Nothomb, Marc Lévy, B. Werber, Christine Angot...) dans un petit livre appelé : Et si c’était niais ? Cette question impertinente, il faudrait la garder à l’esprit chaque fois qu’on va voir un film encensé par les medias (pour Blanca Nieves, seuls les Cahiers du Cinéma gardent leur lucidité, parlant d’un film " lisse, sans folie ni perversité. Le pastiche a ses limites").

Car enfin de qui se moque-t-on ici ? Elever au rang de chef-d’oeuvre enchanteur un salmigondis de clichés sur "l’Espagne éternelle" des toreros et des danseuses de flamenco en manière de resucée almodovarienne où, des bulles de champagne de la movida, il ne reste qu’une limonade tiédasse et éventée !

L’Espagne éternelle d’abord : Pablo Berger vient de la publicité et ça se voit. Le film est un clip interminable vantant la tauromachie et les mythiques arènes sévillanes de la Maestranza (au moment où plusieurs régions, en Espagne, ont interdit, ou sont en passe de le faire, les corridas) ; il juxtapose, façon pub pour parfum, les images les plus ringardes : habillage rituel du torero, prière, avant le combat, devant un autel de la Vierge chargé d’ex-voto, entrée triomphale dans l’arène au rythme d’un paso doble, salut aux autorités de la loge présidentielle, façon gladiateur ou salut fasciste ; comme pendant féminin, il faut bien sûr subir la robe à pois de Carmen de Triana, ses accroche-coeur et ses poses aguicheuses sur fond de musique folklorique (pour les amateurs de flamenco, je précise qu’en espagnol, les chanteuses de flamenco sont appelées des "folkloricas") et de "palmas".

Bref, on a toute cette insupportable imagerie de l’Espagne de castagnettes dont on aurait pu se croire débarrassés après presque 40 ans de post-franquisme et de Guide du Routard, et malgré Almodovar qui l’a imperturbablement recyclée depuis 40 ans, sous prétexte d’humour kitsch (comme Tarantino recycle une violence outrée sous prétexte de second degré). Almodovar, nous dit-on, a beaucoup aimé ce film : est-il en état, dans sa pitoyable décadence, de donner sa caution à qui que ce soit ? Il est vrai que Berger multiplie les références fayotes : il nous rejoue Parle avec elle, avec son héroïne torera qui, tombée dans le coma, est soignée par un infirmier amoureux, condensant ainsi les 2 belles comateuses d’Almodovar. On pourrait d’ailleurs voir le film tout entier comme sortant (difficilement, comme dans l’enfantement de Blanca Nieves, filmé avec insistance et gros plans sur les bistouris et forceps, comme un épisode d’Urgences, ou comme dans Tout sur ma mère) du petit film muet que va voir Benigno, l’infirmier amoureux : L’Amant qui rétrécit (et, de fait, le Prince Charmant rétrécit ici jusqu’à devenir le nain Simplet !). Où l’on voit que, dans les milieux artistes, l’idée d’exploiter l’imagerie du muet traînait dans l’air depuis longtemps (2002 en l’occurrence).

Mais Berger ne s’est pas arrêté là dans son accès de collectionnite aiguë : les critiques s’extasient sur la multiplicité des références à l’univers des contes, en vrac, Cendrillon, Alice, Pinocchio, Cosette, David Copperfield... Seul Peter Pan ne figure pas dans la liste, on se demande bien pourquoi. C’est le syndrome Phantom of the Paradise (de Brian de Palma), la Culture à l’américaine, vue comme un bazar de références hétéroclites, qu’on empile les unes sur les autres : plus il y en a, plus ça fait riche.

Mais à quoi cela aboutit-il ? Les contes de fées constituent un matériau culturel inestimable auquel plusieurs grands savants ont rendu, depuis un siècle, sa dignité : Vladimir Propp a étudié leur grammaire formelle, B. Bettelheim en a donné une interprétation psychanalytique (dans ce domaine, la phrase de l’imprésario de corridas : "Voici la toque de ton père", rappelant "le sabre de mon père" d’Offenbach, introduit une touche de freudisme-bouffe) ; la science des religions, surtout, y a vu la forme sous laquelle les grands mythes païens ont survécu au christianisme ; Blanche-Neige fait partie des mythes du cycle de la végétation (dont le schéma informe aussi les vies de Dionysos et du Christ) : tuée par l’hiver (la marâtre), Blanche-Neige revit sous les baisers du soleil (le Prince Charmant). C’est donc un drame (micro-)cosmique qui se joue dans un conte de fées et c’est une entreprise imbécile que de l’embourgeoiser et le transposer de façon "réaliste" dans un cortijo andalou régenté par une belle-mère manipulatrice et fashion victim qui conserve, dans un fauteuil de paralytique, la "momie" de son toréador de mari (clin d’oeil à la fois vers Psychose et Intouchables !).

Mais cela ne suffisait pas pour gonfler le clip à la dimension d’un film ! Certains critiques prétendent que Berger a fait plus fort que Hazanavicius parce que, non content de pasticher le Hollywood du muet, il est allé chercher du côté de l’expressionnisme allemand. Mais qu’en a-t-il rapporté ? La baraque de foire du Docteur Caligari, de Wiener, où, à côté de la femme la plus grosse du monde, et des deux siamoises, un imprésario méphistophélique (le bazar n’aurait pas été complet sans la référence à Faust) exhibe le (faux) Réveil miraculeux de Blanche-Neige.

De qui se moque-t-on en effet ? Quels peuvent être les arguments de ce film bêtifiant ? S’agit-il d’inciter les 6 millions de chômeurs espagnols à pleurer sur les malheurs de Blanche-Neige, cette poupée aux yeux hypermaquillés (entre les yeux ronds de la Blanche-Neige de Walt Disney et les cils mythiques du héros d’Orange mécanique) ? Je croirais plutôt que le film s’adresse à cette bourgeoisie européenne américanisée et déboussolée qui ne demande qu’à fermer les yeux sur la réalité, la crise qui n’en finit pas et l’angoisse sur son issue.

Le choix de l’époque de l’action, les années 20, les Années Folles, celles de la danse au pied du volcan, est significatif : les bourgeoisies européennes, dopées par les spéculations de guerre, s’étourdissent de musique (jazz), de danses frénétiques (mode charleston dans les costumes de la marâtre), de sexe et de drogue. Cette période d’excitation maladive, grosse de violences, Fritz Lang en donne une illustration magistrale, presque surréaliste, dans la séquence du music-hall de Métropolis (1926) où le robot maléfique, sous l’aspect d’une danseuse érotique, bestialise les hommes qui la contemplent. Dans Blanca Nieves, cela donne les images grotesques et languissantes où la marâtre pose dans des attitudes SM, chaque fois dans une tenue, et un chapeau, différents (c’est d’ailleurs là qu’on trouve la seule idée astucieuse du film : le Miroir, mon beau miroir, est remplacé par les médias : la marâtre comprend qu’elle n’est plus la plus belle quand Blanca Nieves la supplante en couverture d’une revue people). Pendant que la bourgeoisie essayait de se convaincre qu’elle était la plus belle, la crise se développait, les syndicalistes ouvriers, en Espagne et en Allemagne, faisaient le coup de feu, dans la rue, avec les tueurs à gages du patronat et, dans les latifundia andalouses, les journaliers hilotes réclamaient une réforme agraire ; cette agitation sociale était étouffée, en Espagne, sous la dictature fascisante de M. Primo de Rivera (1923-1930).

Rien de tout cela bien sûr n’apparaît dans ce film où personne ne travaille (sauf dans le cirque, les arènes ou, dans les cortijos, les servantes en beau tablier immaculé). Le peuple n’existe qu’en tant que masse d’aficionados de corridas ; les figurants aux visages ridés ou bosselés de paysans ou d’ouvriers (on a même reconstitué les dentures cariées des époques de misère) sont utilisés avec un cynisme parfait : on les voit porter sur leurs épaules le corps de Blanca Nieves (qui, après une corrida triomphale, a succombé à la pomme empoisonnée), comme s’il s’agissait d’une héroïne du peuple. Or, en 1923, il y avait, dans la réalité, un vrai héros populaire, Salvador Segui, syndicaliste anarchiste, assassiné, à Barcelone, par les pistoleros du patronat. Mais, aujourd’hui, il est hors de question de parler de héros morts pour une cause collective, le peuple doit se contenter des héros égocentriques que lui offrent les medias : toreros et toreras, chanteurs, sportifs spéculateurs ou dopés jusqu’aux yeux, putes à narco-trafiquants.

Cette montée de l’insignifiance, qui devient raz-de-marée, a de quoi effrayer : crier en choeur au chef-d’oeuvre devant pareil navet relève du nihilisme ; on cherche à infantiliser les spectateurs (aujourd’hui, des jeunes de 20 ans n’ont pas honte de citer comme référence suprême Harry Potter), à abrutir leurs sens et leur intelligence, sans doute pour leur faire accepter n’importe quel spectacle (comme Blanca Nieves, qui ouvre à la moindre occasion des yeux émerveillés de ravi de la crèche), sans plus faire de différence entre fictif ou réel (Django unchained ou les bombardements au Mali). Dans le film, Blanche-Neige ne se réveille pas de son coma : on peut y lire le projet de plonger les foules européennes dans le même coma ; le film montre en tout cas qu’une grande partie du cinéma européen est déjà en coma dépassé.

Rosa LLORENS

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