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Brésil : Et si la gauche renaissait des cendres laissées par le coup d’Etat ?

Depuis début avril le Brésil vit les plus sombres moments politiques depuis le dernier coup d’Etat de 1964. Cette fois-ci pas de forme militaire, mais sous couvert d’un processus juridique supposément légal, la droite brésilienne a obtenu dimanche 17 avril, l’ouverture à la Chambre des Députés de la procédure de destitution de la Présidente Dilma Rousseff (PT, parti des travailleurs), élue démocratiquement 2014 pour son second mandat.

Procédure qui a une forte probabilité de se solder d’ici quelques mois par la nomination effective au poste de chef d’Etat de l’actuel Vice-Président, Michel Temer (PMDB), avec pour nouveau Vice-Président, l’actuel Président de la Chambre des Députés Eduardo Cunha (PMDB).

Si l’ensemble des manœuvres politiques initiées depuis la prise de fonction de Dilma Rousseff en 2015 dans l’unique but de la renverser doivent être juridiquement et politiquement dénoncées, et constituent un réel coup d’Etat pour la démocratie brésilienne, cette nouvelle configuration politique représente d’autre part à moyen terme, une forte opportunité de reconsolidation de la gauche brésilienne dans une perspective d’approfondissement démocratique du pays. Nous reviendrons dans cet article sur l’ensemble de ces composantes.

La farce du coup d’Etat révélée au grand jour

Revenons-en aux faits. Deux accusations pèsent actuellement sur la Présidente et ont nourrit depuis sa réélection l’ensemble des démarches pour faire aboutir la destitution. L’une se réfère à de la « cavalerie fiscale » qui consiste à maquiller les comptes budgétaires reportés d’une année sur l’autre, pour pouvoir annoncer un déficit inférieur. L’illégalité aurait été commise en 2014 à la fin du premier mandat et aurait contribué à sa réélection. L’autre accusation se réfère à des illégalités autour des comptes de la campagne électorale. Politiquement, la deuxième est difficilement soutenable car elle mettrait en cause le ticket Rousseff/Temer, ce qui affaiblirait le PMDB et porterait au pouvoir le corrompu Eduardo Cunha, actuellement président de la Chambre des Députés, accusé du détournement de plusieurs millions de dollars et très impopulaire. C’est donc la première accusation qui a servi de trame au déclenchement de l’artillerie anti-Dilma. Accusation elle aussi fragile dans la mesure où, d’une part ce type d’illégalité est fréquemment réalisé par les gouvernements et ne fait pas l’objet d’un crime de responsabilité en tant que tel ; d’autre part il se réfère à des faits commis lors du mandat précédent, donc non éligible à la destitution du mandat actuel.

La stratégie a pourtant porté ses fruits grâce à d’autres ingrédients essentiels. D’une part le fort mécontentement social face à la crise économique affectant le pays et que le gouvernement n’a pas su contenir, approuvant au contraire de nombreuses mesures ayant aggravé cette crise. Autre élément central, l’ultramédiatisation de l’affaire de corruption Lava Jato, orchestrée par le juge Sergio Moro dans le but de criminaliser le PT. Début mars l’ex-Président Lula a été interrogé par la police fédérale, perquisitionné, embarqué de force et gardé à vue, dans le cadre de suspicions de corruption. Première attaque au cœur de la coupole du parti, l’affaire a contribué à justifier dans l’opinion la nécessité de sortir le PT du gouvernement. Le matraquage médiatique a fait le reste. Précisons qu’à ce jour aucune inculpation ne pèse contre lui.

Pourtant, l’entreprise destitutionniste s’est progressivement fragilisée. D’abord dans la rue et dans l’opinion les mobilisations anti coup d’Etat se sont multipliées, associées à d’innombrables manifestes de juristes, d’intellectuels et d’artistes, alors que le mouvement pro-destitution se dégonfle à partir de début avril. Dès le lancement de la procédure de destitution et le début des réunions de la commission parlementaire en charge d’auditionner la Présidente, la presse internationale commence elle aussi peu à peu à changer de ligne, mettant en sourdine le discours PT=corruption pour interroger les arguments fondant la destitution.

Malgré cela, la destitution est largement approuvée le 17 avril à la Chambre des Députés, avec 367 votes sur 513. Le vote, un des plus longs de l’histoire parlementaire du pays, retransmis en direct à la télévision et prévu justement le dimanche pour permettre à toute les Brésiliens d’assister en direct à la déliquescence des institutions républicaines, est, malgré le résultat, la preuve flagrante de l’inconsistance de la procédure. Six heures durant les députés se sont exprimés tour à tour sur leur position présentant chacun un bref argumentaire de quelques secondes. Alors que les opposants à la destitution s’appliquaient à des tribunes consistantes pour désavouer le coup d’Etat en place, l’écrasante majorité des pro-destitution se distingue par le vide argumentatif. « Au nom de Dieu, pour mes enfants, pour ma femme, pour ma famille, pour ma ville, pour mon Etat, pour le Brésil et la démocratie, je vote Oui ». Tel a été le leitmotiv scandé plus de trois cent fois, à quelques variations près, par ces élus de la République. Ajoutons à cela de nombreux discours anti-corruption, alors que nombre des députés, tous partis confondus, font l’objet d’investigations judiciaires, avec en tête, Eduardo Cunha le Président de la Chambre des Députés, en personne.

Une impasse politique où la gauche peut se renforcer

Avec l’approbation à la Chambre des Députés, la destitution passe au Sénat qui devra voter à majorité simple avant que la Présidente soit écartée pendant 180 jours, puis qu’une dernière session au Sénat présidée par le président du Tribunal Suprême Fédéral se prononce. Plusieurs scénarios sont envisageables. Celui qui entérine le verdict de la Chambre des Députés et confirme la destitution est le plus probable et c’est cette hypothèse que nous allons suivre dans cet article.

L’arrivée au gouvernement du ticket Temer/Cunha sera, outre une considérable entrave à la légalité constitutionnelle, un grave retour en arrière pour les politiques sociales et la souveraineté du pays. L’abandon des aides sociales, l’arrête de la valorisation du salaire minimum, la destruction du code du travail, la privatisation de Petrobras, des banques publiques et de la sécurité sociale, tel est l’agenda en cours d’élaboration par le vice-Président.

Toutefois, si l’on se positionne à moyen terme dans une perspective d’un renforcement réel de la gauche, cette sombre augure liée à la farce politique du coup d’Etat juridico-médiatique peut à plus d’un titre être favorable à la gauche.

Reprenons la configuration politique pré 17 avril. Si le non avait gagné, ce serait un gouvernement affaibli, impopulaire, inefficace et miné par des arrangements opportunistes (plusieurs millions de réaux, ainsi que des postes clefs du pouvoir ont été négociés avec les députés pour tenter de convaincre les indécis de tous bords de s’opposer à la destitution), qui se serait maintenu, avant que d’autres tentatives de destitution s’organisent, et ce jusqu’aux élections présidentielles de 2018. Un lourd dilemme pour la gauche qui, fort opposée aux mesures néo-libérales du gouvernement, assume depuis 2015 la contradiction de le défendre formellement tout en le dénonçant dans le fond, ce qui engendre de facto, une perte de crédibilité auprès de l’opinion.

Or l’investiture du ticket Temer/Cunha pose de nombreux problèmes à la droite. Parmi les manifestants pro-impeachment, nombre d’entre eux s’opposent aux deux figures politiques. Leur niveau de popularité est très bas et les mesures de leur gouvernement, une fois en place, le réduiront encore davantage. C’est donc une forte instabilité politique qui s’annonce jusqu’à 2018 et qui peut servir à la gauche pour se renforcer en consolidant l’union entre les diverses tendances et récupérer la grosse part d’ex-pro-impeachment qui, déçus du nouveau gouvernement en place, changeront de bord.

S’ajoute à cela l’intéressant processus de formation politique par lequel passe toute la société brésilienne depuis le début des manœuvres. Malgré le contrôle des oligopoles médiatiques, l’évidence de la farce du 17 avril, l’influence de la presse internationale et les médias alternatifs accessibles via les réseaux sociaux, contribuent peu à peu à stimuler le débat public. C’est cette évolution que devra saisir la gauche.

Bien sûr le passage à l’opposition et l’union des forces de gauche reste une phase délicate où différentes lectures de la conjoncture s’affrontent. La prédominance du PT malgré son affaiblissement politique est critiquée par les forces plus à gauche et la propre candidature de Lula en 2018 est loin de faire l’unanimité, dans la mesure où elle se base sur la conciliation entre les bords politiques, celle-là même qui fonde aujourd’hui l’ingouvernabilité du pays. Les différents partis et mouvements sociaux se divisent actuellement en deux fronts : le Front Brésil Populaire autour des partis gouvernistes (PT, PCdoB) rassemblant également le Mouvement des Sans Terre et les principaux syndicats et le Front Peuple Sans Peur autour des organisations d’opposition de gauche (PSOL, mouvement des travailleurs sans toits (MTST) etc.) où des syndicats s’associent également. Ces deux fronts, qui se sont créés presque simultanément, ont jusqu’à maintenant peu communiqué entre eux. Un premier rapprochement a eu lieu lors du vote du 17 avril et le renforcement de la gauche dépend de la pérennisation de ce rapprochement.

Le devenir de la gauche brésilienne repose sur sa capacité à produire un discours audible qui discrédite le nouveau gouvernement Temer/Cunha et produire une nouvelle alternative à laquelle les citoyens puissent à nouveau croire. Les années Lula/Dilma, aussi bénéfiques ont-elles été pour la société, ont aussi enlisé la gauche dans un discours de plus en plus légitimiste autour de l’icône historique qu’a été Lula, bien qu’insatisfaite mais incapable de faire surgir de la base des profondes alternatives. Si le retour de Lula aux rênes du pays serait une des seules possibilités pour contrer à court terme l’offensive néolibérale (malgré son affaiblissement lié à l’affaire Lava Jato, il reste en tête des intentions de vote pour 2018), cette perspective peut avoir des conséquences néfastes sur le renforcement d’une réelle alternative de gauche. Le fort rejet de la corruption, de la classe politique traditionnelle en général, insuffle à la société un désir de renouvellement. Il est temps que la gauche refonde son programme autour des priorités essentielles que le gouvernement PT n’a pas su traiter, même à l’heure où sa popularité était au plus haut : la réforme du système politique, la régulation des moyens de communication, l’audit de la dette et l’instauration d’une réelle redistribution des richesses.

Florence Poznanski
politologue et militante politique en France et au Brésil

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