Voici la disposition des pièces sur l’échiquier :
Pièce 1 – Un président par intérim, prêt à assumer le pouvoir, disposant d’une légitimité pratiquement nulle, par le biais d’un cas classique de coup d’état parlementaire.
Pièce 2 – Une guerre politique qui dure depuis l’élection de Dilma Rousseff (octobre 2014), qui a coupé le pays en deux et insufflé la haine à tout va.
Pièce 3 – Un rassemblement de forces dispersées, divisées en divers instances de micro-pouvoir, prêtes à prendre la citadelle adverse, sans obéir à aucun commandement centralisé.
Pièce 4 – Les derniers épisodes parlementaires, tant le vote de la Chambre des députés que le contraste choquant au Sénat, entre les tenants de l’impeachment et ses critiques, entre les arguments de Janaína Cabral (avocate pro-impeachment portée sur l’hystérie, qui a impressionné les témoins de sa prestation devant la Commission du Sénat par son… manque d’argumentation NdT) et José Eduardo Cardozo (Avocat de l’Union, particulièrement brillant dans sa défense de la Présidente Dilma, prestation qui ne servira à rien puisque la messe est déjà dite NdT). Pour n’importe quelle personne dotée d’un minimum de discernement, il n’y a plus aucun doute sur la nature du coup d’état, retirant plus encore sa légitimité au groupe qui s’empare du pouvoir.
En joignant ces quatre pièces, il n’y a aucun doute que dans les premiers temps du nouveau gouvernement aura lieu une véritable Nuit de la Saint Barthélémy politique.
Ce sera une période de répression intense, de règlements de comptes, jusqu’à ce qu’il y ait une relative unification du pouvoir de l’État et une réaction des voix démocratiques contre les abus. Ce ne sera pas une répression centralisée, d’État, mais une vendetta généralisée dans tous les secteurs où il a eu dispute politique et résistance au coup d’État.
Ce sera une période riche en analyse de caractères et de comportements. Les plus vieux verront des similtudes avec la période militaire, les délations, les règlements de compte, les tentatives d’eviction, les actions politiques contre les récalcitrants. Beaucoup s’étonneront du comportement de gens connus, endossant des actions arbitraires, insufflant la haine à tous vents, participant à des délations, motivant des vengeances. Cela fait partie de ces moments exceptionnels où la barbarie s’empare d’un pays et nourrit les institutions, révélant ce qu’il y a de pire dans la société.
On a vu ces derniers jours des galops d’essai dans cette direction.
– L’inculpation de l’avocat Augusto Botelho, accusé de conspirer contre l’opération Lava Jato pour avoir divulgué des posts sur Facebook de commissaires de police de la Lava Jato en campagne pro-Aécio (Neves, candidat malheureux au deuxième tour des dernières présidentielles NdT). Selon la dénonciation, il aurait « conspiré » contre la Police Fédérale de Curitiba.
– Une juge à Belo Horizonte qui a interdit une réunion de la Direction Académique de la Faculté de Droit de l’UFMG (Université Fédérale du Minas Gerais) organisée pour manifester son désaccord avec le processus d’impeachment.
– Les menaces successives envers les sénateurs qui prononceraient l’expression « coup d’État » aux réunions de la commission de l’Impeachment.
Les prochains chapitres se dessinent déjà.
Dans le Judiciaire, des actions administratives contre des juges qui ont osé s’élever en défense de la démocratie. Il y a déjà quatre cas à Rio de Janeiro.
Au Ministère Public, des actions administratives contre des procureurs qui se sont positionnés en faveur de la démocratie. Plusieurs cas à Brasilia.
L’Opération Lava Jato prépare deux opérations simultanées : une contre les avocats des mis en examen, une autre contre des journalistes et des blogueurs critiques.
Le cadre politique montrera alors un curieux paradoxe.
Les actions arbitraires généralisées sont le fruit de la faillite politique et juridique, celle des instruments institutionnels et des règles sociales qui régissent les sociétés civilisées, incluant les normes qui garantissent les droits individuels.
C’est comme si le coup d’État rompait les fils que unissent la Présidence de la république, le STF (Supremo Tribunal Federal – Cour Suprême), les tribunaux supérieurs, au citoyen commun, tout cet édifice qui garantit la cohabitation civilisée de pensées antagonistes.
De fait, le pays est en train de pénétrer dans le Far Ouest le plus dangereux, dans un retour aux années 60.
Dans des circonstances normales, il reviendrait au probable nouveau président Michel Temer d’organiser le statut du bastringue que va devenir le pays après le coup d’État. Mais comment, avec sa légitimité inexistante et les menaces qui s’accumuleront sur lui ?
On sait comment les coups d’État commencent, mais on ne sait pas comment ils terminent.
Et alors Temer sera devant un grand dilemme. S’il stimule la guerre, ou s’il n’arrive pas à l’éviter, il terminera sur le bûcher, avec le pays dans une pré-guerre civile.
Sa seule issue sera de proposer une sorte de pacte. Mais comment réussir s’il arrive au pouvoir d’une manière illégitime ? Et qui seront ses interlocuteurs, avec le Procureur de la République cherchant à tout prix à criminaliser Lula et Dilma tout en laissant en suspens les mises en examen de Cunha (Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, principal artisan de l’impeachment, détenteur de plusieurs comptes bancaires en Suisse, provenant de différents pots de vin, et dont les procureurs ont toutes les preuves NdT) et de Renan (Renan Calheiros, President du Sénat, également cité dans l’Opération Lava Jato NdT) ?
Les prochains mois exigeront un exercice énorme de bonne volonté – qui, soulignons-le, est aujourd’hui la matières première qui manque le plus sur le marché de l’opinion publique. Ce sera une période obscurantiste, mais passagère, à moins que l’on ne revienne à la Republica Velha (1889-1930, dominée par un pouvoir oligarchique, durant laquelle les élites de São Paulo et du Minas Gerais se relayèrent au pouvoir NdT).
Et tant que cela durera, ça va faire mal.
Luis Nassif
Source : http://jornalggn.com.br/noticia/xadrez-de-um-periodo-obscurantista-que-se-espera-breve
Traduction Si le Brésil m’était traduit…