Bruxelles : les Indignés assignés à résidence

Bruxelles, le 11 octobre 2011

Le HUB : QG européen des Indignés

Les marcheurs partis d’Espagne et de France au milieu de l’été et des centaines de citoyens venus d’ici et d’ailleurs sont maintenant à Bruxelles depuis 4 jours. Alors qu’ils planifiaient d’occuper et d’habiter le Parc Elisabeth pour y organiser une Agora Internationale dont le but était de permettre à un foisonnement d’idées, de débats, d’ateliers et d’assemblées de se réaliser, ils ont été contraints - suite aux négociations avec les autorités communales -d’élire leurs quartiers généraux dans le bâtiment du HUB (Hogeschool-Universiteit Brussel). C’est depuis l’un des bureaux situés au 5ème étage que je vous adresse ces quelques lignes, non sans l’impression de vivre des moments surréalistes.

De ce perchoir, la vue panoramique sur Bruxelles est à couper le souffle. D’autant plus troublante que les 5 étages sous mes pieds ainsi que les sous-sols du bâtiment grouillent de créativité, de projets en tout genre et d’inconnus aux visages familiers. Les Indignés y ont également installé leur Media Center, le deuxième du genre à Bruxelles. C’est ici qu’atterrissent les décisions et autres informations produites dans les assemblées qui se tiennent dans les amphis de l’université ou ailleurs dans la ville.

Une période d’adaptation

Pour répondre aux besoins criant d’informations fiables sur ce qui se déroule à Bruxelles depuis l’épisode politico-médiatico-policier du week-end dernier, je vais tenter - quoique cet exercice périlleux n’a que l’ambition de sa subjectivité - de dresser ici un état de lieux de la situation générale du mouvement.

Pour nous resituer dans le contexte, nous devons garder à l’esprit que la situation est assez inédite. Il s’agit d’un endroit où des centaines de citoyens venus de dizaines de pays différents, inconnus les uns pour les autres, se retrouvent enfermés. Le mot d’ordre, c’est la débrouille, l’entraide et le partage. Ca se démène dans tous les coins pour produire du contenu, organiser des ateliers, traduire des compte-rendus, etc. Il y a donc fort à parier que la diffusion d’information devrait être plus efficace à cours terme. Et l’échéance du 15 octobre est là pour rappeler tout le monde aux essentiels.

Parallèlement, les discussions, les états d’âmes et les débats organisationnels sont légions. Il ne serait pas honnête de ne pas relayer la cacophonie structurelle ambiante, tant en terme de diffusion d’informations contradictoires qu’en terme d’absence de communication extérieure. J’ai croisé plusieurs personnes dans le hall du HUB qui avaient du mal à s’informer quant aux horaires, aux thèmes et aux lieux des assemblées et des ateliers.

Le double discours des autorités

En m’engageant dans la rue du HUB, j’ai aperçu une voiture banalisée en planque. On aurait dit Dupont et Dupond en blouson de cuir. S’ils sont là , ce n’est pas pour guetter l’arrivée des Tueurs Fous, mais plutôt pour alerter leurs acolytes dès qu’un petit groupe de plus de 5 personnes quittent le HUB. Sans compter les combis en faction dans le Parc Elisabeth qui se trouvent à 100m à peine.

En listant les appareils de ce dispositif policier, je ne peux m’empêcher de repenser aux paroles prononcées par les représentants des forces de l’ordre lors de l’Assemblée du 8 octobre : « Nous voulons collaborer avec vous et nous sommes convaincu que le mouvement des Indignés est un mouvement pacifique qui a le droit de faire entendre sa voix » ou encore cette phrase écrite par Freddy Thielemans dans sa lettre du 6 octobre dernier : « Parce que, comme vous, je suis convaincu que la Ville de Bruxelles - et telle est mon ambition pour celle-ci en ma qualité de Bourgmestre - doit rester une capitale ouverte sur le monde en offrant un espace de dialogue et de revendications sur les grands enjeux de société qui nous interpellent ».

Aujourd’hui, le comportement des forces de l’ordre et l’état d’alerte permanent dont il témoigne, nous renseignent explicitement sur leurs vraies intentions. Leur but étant bien de museler le mouvement et de veiller à ce que ce dernier végète bien sagement dans son coin. Mais la réalité risque bien de les rattraper car ce HUB a tout les airs d’une cocotte minute sur un feu de Bengale. A force de vouloir concentrer tant d’énergie dans un vase clos, le besoin d’oxygène dont manque cruellement les assemblées populaires risque d’être fatal pour les fins stratèges de la police fédérale.

Les assemblées populaires manquent d’oxygène

Les assemblées générales se tiennent dans les amphis. Même si cela peut paraître sexy au premier abord, les amphis se révèlent être un handicap dans la pratique. En effet, ces endroits sont idéaux pour des conférences ou des ateliers, mais ils ne répondent pas du tout aux besoins pratiques du mode assembléaire. La disposition en cercle fait défaut. Les gens ne se voient pas. Il y a une séparation gênante entre l’espace des orateurs et celui de l’auditoire.

Les quelques assemblées qui y ont eu lieu depuis l’installation dans le HUB ont toutes été le théâtre de l’improductivité et de la divergence. La structure assembléaire est très difficile à reproduire dans un environnement clos, ce qui m’amène à la conclusion suivante : Le HUB pour les conférences, les ateliers, peut-être, mais pas pour y tenir des assemblées populaires qui par nature ont vocation à exister sur les places publiques où leur visibilité, leur caractère ouvert et libre prennent toute leur ampleur. Cantonner le mouvement à un bâtiment, c’est le priver de son essence.

Notons également que la méthodologie assembléaire développée en Espagne ces derniers mois est mise à rude épreuve. Les barrières culturelles et linguistiques existent même si la volonté de les effacer est manifeste.

Les sorties de la journée

Vers 11h30, une trentaine de personnes ont quitté le HUB pour se rendre au Parlement Européen. Juste avant d’arriver à destination, ils furent cordialement accostés par un agent de police qui leur expliqua qu’ils ne pouvaient se rendre du côté Schuman, mais qu’ils pouvaient par contre se rabattre sur la place du Luxembourg. Sur le chemin, la joie et la bonne humeur et les danses théâtrales rythmèrent la marche.

Une fois arrivés sur place, un député européen se manifesta et leur expliqua qu’il ne pouvait inviter que 8 personnes dans les bâtiments du Parlement. Alors que certains des Indignés accompagnèrent leur hôte, les autres organisèrent une assemblée sur l’esplanade du Parlement, sous les yeux attentifs d’un cordon policier.

Les entretiens qui se déroulèrent à l’intérieur du Parlement furent cordiaux, bien que le passage des invités fût encadré de près par les forces de l’ordre et que les regards des députés européens qu’ils croisaient n’étaient pas très avenants. Les Indignés ont néanmoins pu faire part de leur revendications et de leurs positions quant aux problèmes majeurs qui frappent nos sociétés actuelles. Ils quittèrent ensuite le Parlement pour se diriger vers la Grand-Place où ils arrivèrent vers 13H30. C’est alors qu’ils furent refoulés par la police, les empêchant ainsi de tenir une assemblée populaire sur la célèbre place. Ce qui me semble tout simplement scandaleux. Interdire arbitrairement à des citoyens de circuler librement est tout simplement illégal.

Des problèmes méthodologiques

Outre la problématique du type d’espace public convoité que j’ai essayé de développer dans un autre article que je publie parallèlement, nous pouvons constater la difficulté de mettre rapidement en place des structures organisationnelles efficaces compte tenu du fait que les acteurs de ce défi font à peine connaissance et qu’ils viennent de dizaines de pays différents.

La pression et la surveillance constantes exercées par les forces de l’ordre, couplées à la perte de repères et la relative organisation qui règne dans le HUB et dans le mouvement, m’oblige à dresser un constat mitigé. Mais j’espère néanmoins que les citoyens mobilisés arriveront à donner forme à leurs ambitions. D’après un ami présent sur place, l’assemblée de ce soir s’est plutôt bien déroulée, d’autant plus que la thématique principale fut celle de la méthodologie à appliquer et plus particulièrement celle de la prise de décision. Nul doute que c’est une affaire à suivre de près.

La conquête des places publiques

Il me semble qu’il est grand temps pour les Indignés de se lancer à la conquête des places publiques. Que le mouvement puisse s’oxygéner et reprendre son souffle. La marche partie d’Allemagne a traversé la frontière belgo-allemande hier et devrait atteindre la capitale européenne jeudi 13. Du côté hollandais, un peloton de cyclistes a quitté Amsterdam pour rejoindre Bruxelles vendredi 14 en faisant étape à La Haye, Breda et Anvers. Par ailleurs, un nombre indéfini de cars espagnols est sur les startingblocks pour être à Bruxelles pour la journée du samedi 15.

Dans l’espoir d’avoir pu contribuer à dissiper les zones d’ombres qui se répandent et sèment parfois l’incompréhension. Car il apparaît évident que, dans l’état actuel du mouvement, bienheureux celui qui pourra présager des évènements à venir.

Littéralement,

Badi Baltazar

Les photos sont accessibles sur Le Buvard Bavard à cette adresse : http://www.lebuvardbavard.com/2011/10/bruxelles-les-indignes-assignes.html

COMMENTAIRES  

13/10/2011 16:56 par tact

Avant tout : total respect aux marcheurs !
Mise en pratique, action directe, que du beau...

Par contre question organisation et structure, les indignés : quel manque criant de commissaires politiques ;)

Et souvent de culture politique tout simplement.
Cela écrit sur ce coup la police a probablement rendu service aux indignés en ne leur permettant pas de camper dans ce parc.
Car l’étrange choix de ce lieux révèle soit une méconnaissance totale de la ville,
ou si ce n’est pas le cas un amateurisme -parfois sympathique- qui ici dépasse l’entendement.
Il suffit de se rappeler toute la difficulté qu’il y a eu à "gérer" les 2 ou 3 sdf/ivrognes locaux (sans parler du nombre de visiteurs qu’ils ont fait fuir) cet été quand les indignés occupaient une sympathique petite place de St-Gilles...
Alors choisir un parc décentré où les activités nocturnes "stupéfiantes" et autres sont coutumes, en bordure du quartier le plus tendu de la capitale...hum.

13/10/2011 20:44 par moi

Par contre question organisation et structure, les indignés : quel manque criant de commissaires politiques ;)

Et souvent de culture politique tout simplement.

C’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en luttant qu’on acquière l’expérience de la lutte politique et qu’on éprouve le besoin de partager l’expérience des autres indignés/révoltés/révolutionnaires, présents et passés...

Courage les indignés, ne vous laissez pas complexer par ceux qui prétendent savoir !

14/10/2011 01:02 par tact

@moi :)
yep mon commentaire précédent est plutôt craignos,
mea culpa...mais pas maxima.
Donc j’insiste : total respect aux marcheurs !
Et à toutes celles et ceux qui y sont présents, en vrai, pas derrière un écran.
En effet c’est en forgeant...

Reste que pour le dire de manière plus constructive et moins prétentieuse, il y a bien - à mon humble avis - un problème de positionnement et dans le mode de fonctionnement.
Je n’ai pu partager que l’expérience Bruxelloise précédente et l’impression que cela m’a laissé est mitigée.
Pour résumer : Louise Michèle ou Makhno avaient beau êtres anarchistes, ils avaient pourtant des revendications et/ou un projet clair et fédérateur.
Tandis qu’ici tant d’assemblées générales interminables pour ...ne rien décider, sinon de la gestion pratique, toilette sèche et cuisine végétarienne...et le récurent : "que ferons nous face à la police" alors que nous n’étions pas 200, ;)
Dès que possible je passerai voir comment se déroule ce nouvel épisode.
D’agréables surprises en perspectives ?

14/10/2011 22:21 par moi

Y a pas de mal, tact. D’avance merci pour ton futur témoignage

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