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Ce que disait Jaurès (2)

Un siècle après son assassinat, la classe politique dans son ensemble ou presque va célébrer la mémoire de Jean Jaurès. L’occasion de mettre certains face à leurs responsabilités et leurs contradictions. Alors, qu’est-ce qu’il disait Jaurès ?

« Nous les avons souvent entendues, les grandes paroles contre la tyrannie du peuple ! Et pendant qu’on la dénonce, on maintient la tyrannie réelle du capital. Je n’ai pas entendu dire que depuis un siècle le peuple ait abusé des forces qui étaient dans ses mains ; c’est lui, en somme, qui a aidé, par les grandes journées révolutionnaires, au mouvement de la Révolution ; et pourtant à peine la Révolution fut-elle installée et maîtresse, que les citoyens actifs et riches supprimaient les droits politiques des prolétaires qui avaient fait la Révolution. Voilà comment le peuple abuse de sa victoire… La vérité, c’est que la force de la démocratie, du prolétariat, rencontre tous les jours devant elle des obstacles formidables, tous ceux du passé, tous ceux du présent, les résistances de l’Eglise, celles des grandes fortunes ; que l’ouvrier et le paysan ont à peine le temps de penser de loin en loin à l’exercice intermittent de leur souveraineté. C’est miracle s’ils arrivent à pouvoir faire passer une ou deux petites réformes tous les vingt ans. Et c’est de ce peuple désarmé, qui lutte si péniblement contre la force de résistance qui l’accable, contre les efforts de la réaction qui le menacent, que vous osez dire : Il ne faut pas le déchaîner, il ne faut pas lui mettre entre les mains un instrument de spoliation. Et pendant qu’on ne lui permet pas de spolier les autres en idée, on le spolie, lui, par des impôts de consommation, on lui retranche sur ses salaires ce que le capital lui a laissé. »

Discours à la chambre des députés le 10 juillet 1893.

« C’est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici, c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain (1). »

Discours à la chambre des députés le 21 novembre 1893.

« Je pourrais répondre que si Dreyfus a été illégalement condamné et si, en effet, comme je le démontrerai bientôt, il est innocent, il n’est plus ni un officier ni un bourgeois : il est dépouillé, par l’excès même du malheur, de tout caractère de classe ; il n’est plus que l’humanité elle-même, au plus haut degré de misère et de désespoir qui se puisse imaginer.

Si on l’a condamné contre toute loi, si on l’a condamné à faux, quelle dérision de le compter encore parmi les privilégiés ! Non, il n’est plus de cette armée qui, par une erreur criminelle, l’a dégradé. Il n’est plus de ces classes dirigeantes qui par poltronnerie d’ambition hésitent à rétablir pour lui la légalité et la vérité. Il est seulement un exemplaire de l’humaine souffrance en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité.

Certes, nous pouvons, sans contredire nos principes et sans manquer à la lutte des classes, écouter le cri de notre pitié ; nous pouvons dans le combat révolutionnaire garder des entrailles humaines ; nous ne sommes pas tenus, pour rester dans le socialisme, de nous enfuir hors de l’humanité.

Et Dreyfus lui-même, condamné à faux et criminellement par la société que nous combattons, devient, quelles qu’aient été ses origines, une protestation aiguë contre l’ordre social. Par la faute de la société qui s’obstine contre lui à la violence, au mensonge et au crime, il devient un élément de révolution. »

Extrait de Les Preuves. Affaire Dreyfus, p. 47.

« Le prolétariat ne veut plus se tenir à des formules générales. Il a, sur l’évolution de la société, une conception d’ensemble ; et l’idée socialiste éclaire devant lui le chemin. Mais il veut connaître à fond, et jusque dans les moindres ressorts, le mécanisme des grands évènements. Il sait que s’il ne démêle par les intrigues compliquées de la réaction il est à la merci de tous les mensonges démagogiques. Saisir la direction générale du mouvement économique qui va vers le socialisme, et pénétrer par l’analyse le détail de la réalité complexe et mouvante, voilà, pour le prolétariat, la pensée complète. Et désormais, dans toutes les grandes crises nationales, il faudra compter avec lui. »

Extrait de Les Preuves. Œuvres. p. 707.

Retrouvez la première partie des citations : http://www.legrandsoir.info/ce-que-disait-jaures-1.html

1) Ici, l’expression « sortir du mouvement républicain » n’est pas à comprendre comme un socialisme en dehors de la République, mais comme un socialisme exigeant à l’intérieur de celle-ci, qui se distingue du mouvement républicain « modéré ». Les républicains se voulaient dans les années 1870 et 1880 les défenseurs de la République face aux monarchistes, majoritaires à la chambre jusqu’en 1877 avant la démission en 1879 du président de la République monarchiste Mac Mahon, auquel succède Jules Grévy. Avec ce dernier, la République s’affirme lentement avant les tourments de la fin de la décennie (affaire des décorations qui pousse Grévy à démissionner en 1887 en raison de l’implication de son gendre, puis la crise boulangiste et le scandale de Panama). Ainsi, en 1893, une fois la République consolidée (celle-ci n’a pas encore été secouée par l’assassinat de Carnot et le début de l’affaire Dreyfus en 1794), Jaurès, qui vient d’être élu député à Carmaux –où sa conviction socialiste s’est affirmée avec le mouvement ouvrier de 1892- ne veut plus se contenter de lutter pour le maintien du régime républicain et espère que celui-ci prenne d’importantes mesures économiques pour tendre vers une république sociale. Fin août début septembre 1893, une cinquantaine de députés socialiste a été élue lors des élections législatives, les monarchistes sont en net recul, et les républicains modérés dominent la Chambre en compagnie des radicaux.


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Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, (…)
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