Le soleil se couche derrière les vieux quartiers de la Havane. Des couples d’amoureux parsèment la Corniche. Ici il n’y a pas de racisme, pas de doctrines religieuses ni de sectes, pas de guerres menées par “ISIS” et “le Front al-Nusra,” et pas de Guerre de Dahis et El Ghabra*. Il y a des amoureux de différentes races et ethnies. Leurs origines africaines et espagnoles donnent un charme indéniable aux nuits cubaines. La ville swingue au son de la Salsa qui sort des voitures parquées des deux côtés de la route.
La Havane – Des slogans contre le voisin étasunien bordent la route qui mène de la Havane à Santa Clara. Sur les panneaux il y a aussi des portraits des ‘Cinq Cubains,’ détenus dans la prison infamante de Guantanamo [l’auteur commet une erreur ici : les Cinq ont été détenus aux Etats-Unis - NdR], et que les Etats-Unis ont accusés d’avoir infiltré l’opposition cubaine aux Etats-Unis. Leur arrestation a provoqué un problème diplomatique entre les deux pays.
L’employé de l’agence de location de voitures nous sourit. Il essuie la poussière du pare-brise, puis se glisse sous la voiture et en fait le tour pour s’assurer que tout est en ordre et enfin il nous donne les papiers à signer. Il sourit à nouveau et dit : “Je voudrais bien aller avec vous à Santa Clara.” Comme tous les habitants de ce beau et chaud pays, il semble avoir des sentiments spéciaux pour Santa Clara.
Avant de quitter La Havane, la capitale, nous sommes allés voir le building de la Section des Intérêts Américains sur le toit duquel flottent 138 drapeaux noirs. C’est comme ça que Cuba a bloqué l’écran électronique installé au 5ème étage de la “section d’espionnage” – comme ils disent – pour empêcher la diffusion de propagande anti-cubaine. Les relations se sont légèrement améliorées pendant le mandat du Président Barack Obama mais Cuba continue à souffrir de l’injustice de son voisin.
Au printemps 1960, le Secrétaire d’Etat étasunien Christian Herter a dit qu’il fallait adopter "une course d’action aussi habile et discrète que possible pour empêcher l’argent et les marchandises d’arriver à Cuba, et ainsi provoquer, avec la baisse des revenus des habitants, la famine, le désespoir et la chute du gouvernement."
Cuba a souffert de la famine et n’a pas plié. Elle a gardé la tête haute et est restée dignement solidaire de ses combattants de la liberté.
“Pouvez-vous nous indiquer la route de Santa Clara ?” La Cubaine tout de blanc vêtue a penché la tête vers nous, au point de quasiment la passer par la fenêtre. Elle dit qu’elle va non loin de là et veut monter à l’arrière de la voiture mais nous lui demandons de s’asseoir à côté du chauffeur car je suis déjà à l’arrière.
Elle nous complimente pour notre respect des femmes. Elle veut savoir d’où nous venons et ce qui se passe dans notre pays. Ici, la culture populaire est plus centrée sur la littérature, les arts, la science, et la médecine. Peut-être comme antidote à la souffrance. Elle dit qu’autrefois la Palestine était la seule chose qu’elle connaissait dans le monde arabe. En dépit de son manque de moyens, Cuba accueille et sponsorise encore aujourd’hui des étudiants palestiniens. Maintenant, cette dame cubaine connaît la Syrie, l’Irak, l’Etat Islamique en Syrie et en Irak (ISIS), la Tunisie, le Yémen et l’Egypte. Elle sourit et nous dit : “Méfiez-vous des Etats-Unis et de l’OTAN... ils sont la cause de nos problèmes.”
Elle s’appelle Maria. Sa petite alliance en or contient peut-être une des nombreuses histoires émouvantes de Cuba. Nous faisons silence. Elle place sa main droite sur la vitre pour saluer les gens comme si elle les connaissait, nous guide vers notre destination, nous remercie et sort de la voiture. Ici les gens sont gentils et aiment la vie. Ils sont instruits et ont enduré avec patience les sanctions imposées à leur pays. Ils apprécieraient certainement un peu de luxe mais pas au prix de leur dignité.
Maria fait environ 50 kilomètres chaque jour pour aller au travail. Elle a deux diplômes, un d’infirmière et un de littérature internationale. Une broche représentant Che Guevara est épinglée sur sa poitrine. Il y a des portraits du “Che” – comme elle dit avec affection – tout le long de la route de la Havane à Santa Clara. Il sourit sur toutes les posters. C’est comme s’il se moquait de ce que les Etats-Unis sont devenus sur la scène internationale – ou peut-être de ce qui reste de la gauche arabe à l’époque du nouveau califat islamique.
Guevara n’était pas cubain. C’était un docteur argentin, un intellectuel et un écrivain. Il est venu à Cuba soutenir la révolution. Les gens l’adoraient et son image est restée gravée dans les rues comme dans le cœur de tout un chacun. Il y a des quantités de portraits de lui mais très peu de portraits ou de statues du leader cubain Fidel Castro. Les leaders ici se révoltent, triomphent et construisent leur nation. Dans les pays où on révère les statues, les leaders volent leurs peuples. Ici, l’histoire fait justice aussi bien aux rebelles qu’aux leaders. Là, l’histoire condamne aussi bien les statues que ceux qu’elles représentent.
Comme Santa Clara est belle ! La statue de Che Guevara s’élance vers le ciel. Elle surmonte sa tombe qui est devenue un des lieux de pèlerinage les plus visités.
Un tableau carré du beau rebelle est suspendu entre des tableaux ronds de ses camarades de lutte et de révolution. Il y a une fleur de lys rose à côté de son portrait sous lequel une torche brûle jour et nuit – comme la révolution elle-même – et comme la dignité du peuple de Cuba aujourd’hui.
La réceptionniste nous sourit. Elle sait que nous sommes venus – comme des millions de visiteurs avant nous – nous frotter à une vraie révolution. Ici, la révolution n’a pas consumé ses enfants pas plus que la révolution n’a été consumée. L’employée sourit, nous rappelle qu’il est interdit de prendre des photos, puis se remet à lire. Nous lui demandons combien coûte l’entrée. Elle ferme son livre, enlève ses lunettes et dit en Espagnol : "Chers camarades, la révolution n’est pas à vendre." Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à d’anciens soutiens de nos révolution, actuellement membres de l’OTAN.
On voit ici beaucoup d’effets personnels de Che Guevara et de ses compagnons : sa carte d’identité avec la date de sa naissance, 1928, son appareil photo auquel on doit les dernières photos des rebelles, une tasse de maté (une boisson verte qui ressemble à du thé), un Colt, des vêtements militaires, une vieille radio, une ceinture de cuir et beaucoup de photos du beau rebelle en compagnie de Fidel Castro, le leader de la révolution. Chaque objet est accompagné de beaucoup d’explications.
Les visiteurs du mémorial ressentent quelque chose d’étrange. C’est peut-être dû à l’importance symbolique de l’endroit, ou à l’honorabilité et la dignité du révolutionnaire qui se reflètent dans son sourire et ses effets personnels.
Comme nous, environ 1 500 visiteurs viennent chaque jour visiter le mémorial. Si chacun donnait seulement un dollar cela permettrait d’améliorer les conditions de vie à Cuba. Mais ici la révolution n’est pas à vendre. La majorité des visiteurs sont des Italiens. La gardienne du mémorial précise sur le ton de la plaisanterie : “surtout des Italiennes.”
Nous sommes les seules Arabes sur la liste des visiteurs. Les Arabes ne s’intéressent pas à l’histoire de la révolution cubaine ou alors ils n’aiment pas ce genre de tourisme. Les Arabes mettent leur argent dans les banques étasuniennes et le dépensent dans les rues, les night-clubs et les casinos européens, ou ils l’envoient aux terroristes takfiri pour détruire d’autres pays dont certains ressemblent à Cuba. La gardienne est contente d’apprendre que l’image du Che est aussi gravée dans le cœur et les foyers de beaucoup d’Arabes.
La nuit cubaine tombe sur Santa Clara. Nous sortons un cigare du paquet jaune comme font les Cubains à Cuba. Ici, ce ne sont pas seulement les riches prédateurs ou les politiciens véreux qui y ont droit. Le cigare ici n’est pas un signe de statut ou de classe sociale. Les éboueurs, les serveurs des restaurants, les chauffeurs de taxi, les intellectuels, les politiciens, tout le monde fume le cigare. Le cigare est la fierté de Cuba.
Les nuits cubaines sont magnifiques. Malgré les terribles difficultés économiques, les gens sont heureux. Dès la fin de l’après-midi, la musique commence à jaillir des maisons, des cuisines et des cafés. Les Cubains, en vêtements d’été, se rassemblent devant les maisons. Ils apportent à manger et à boire et ils dansent. Il est courant de voir des ménagères danser avec leur mari. Tout le monde est hospitalier et un hôte est prêt à faire des km à pied pour raccompagner un invité qui ne connaît pas le chemin. Les gens respirent la gentillesse à un point qu’on trouve rarement ailleurs.
La révolution cubaine ne vient pas de nulle part. L’histoire de ce pays ressemble à celle des pays arabes. Depuis son indépendance en 1902, Cuba a su punir les dirigeants corrompus liés aux Etats-Unis. Le voisin étasunien n’a pas hésité à violer ses voisins plus petits. Les Etats-Unis ont attaqué Cuba au moins trois fois et aidé à installer et à protéger le dictateur Fulgencio Batista qui a opprimé le peuple et bradé les ressources du pays à l’Occident. Cela vous rappelle-t-il quelqu’un ? Et même pas mal de monde ?
Batista a arrêté le jeune Fidel Castro. Dans la prison du dictateur, Castro a écrit ses célèbres lettres : “L’Histoire m’absoudra.” Et l’Histoire lui a rendu justice. L’Union Soviétique est devenue son alliée. La Chine l’a soutenu. Les Etats-Unis ont coupé les liens avec son voisin qui est devenu un puissant symbole de dignité. La révolution a fait tache d’huile. Les portraits de Che Guevara se sont multipliés dans toute l’Amérique Latine et l’Afrique. Il a continué à porter la bannière de la fierté et de la dignité jusqu’à ce qu’il soit trahi par la Bolivie où il avait ranimé le sentiment révolutionnaire.
Guevara a été martyrisé. La révolution a triomphé. L’Amérique, furieuse, s’est ingéniée à asphyxier Cuba économiquement en sanctionnant toutes les entreprises qui commerçaient avec l’île. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Les Européens ont soutenu Washington. Comme l’histoire se répète ! L’ONU toujours impuissante – qu’elle condamne ou ne fasse rien du tout – a dormi plus profondément que d’habitude, exactement comme elle le fait pour la Palestine.
Cuba n’a pas cédé et est restée debout. Elle s’est engagée à maintenir la dignité de son peuple et sa fierté est devenue un phare. Puis est arrivé l’envahisseur imbécile George W. Bush. Le Néron de l’Irak a voulu punir le voisin rebelle. Il a dit : "Nous allons écraser le régime cubain en moins de temps qu’il ne faut pour le dire." Guevara a continué à sourire sur ses portraits et Castro s’est moqué de lui de son lit d’hôpital en disant : "Bush devrait se rappeler que nous avons vaincu Batista alors que nous n’étions qu’un millier contre les 80 000 hommes du dictateur... s’ils nous envahissent nous feront de leur vie un enfer."
Les menaces ont été sans effet et les sanctions n’ont pas entamé la dignité du peuple ni la qualité de l’instruction du pays. Cuba a progressé au niveau scientifique, médical et culturel de manière extraordinaire. Le pays a mis au point des médicaments et des traitements pour le diabète, le cholestérol, au moins 13 maladies infectieuses infantiles et des vaccins contre l’épilepsie. Le pays a exporté des médicaments dans plus de 40 pays et plus de 80 000 médecins ont travaillé au Venezuela voisin pendant le mandat du fidèle et regretté Camarade Hugo Chavez.
Castro a dit à Bush : “Pendant que vous exportez des bombes dans le monde, nous nous exporterons des docteurs et des médicaments.”
Le merveilleux air d’opéra “Hasta Siempre, Comandante” passe à la radio. Nous augmentons le volume. La voiture glisse comme l’eau d’une rivière entre les arbres magnifiques. Nous apprécions la fraîcheur de la brise vespérale après deux jours passés à Santa Clara. Les champs verts, les près colorés et les vieilles maisons de bois des villages cubains nous sourient. Nous écoutons une autre version de la chanson par un orchestre cubain. Il y a beaucoup de versions de ce chant qui glorifie la mémoire d’une camarade venu d’Argentine pour dire aux Cubains que tous le peuples sont unis dans la révolte contre la dictature, l’oppression, la tyrannie et le colonialisme. Sheikh Imam et sa chanson “Guevara n’est plus” me vient à l’esprit. Nous avons envie de chanter : “Oh Camarades de la fière Cuba” de Marcel Khalife.
Ici la révolution n’est pas à vendre et c’est pourquoi elle a réussi. Ici le Printemps a été l’oeuvre de vrais combattants de la liberté et c’est pourquoi il suscite le respect. Ici le peuple a subi le pire sans se plaindre pendant un demi-siècle, forçant finalement les Etats-Unis à s’excuser et à reconnaître que leur politique était erronée.
Félicitations à Cuba et à son peuple, en espérant que le retour des Etats-Unis ne sonnera pas le glas de ce beau pays, ni de ses villes où flotte encore le parfum de son histoire**.
Sami Kleib
Notes du traducteur :
* La Guerre de Dahis et El Ghabra est une guerre qui a duré de 608-610 à 650 environ, née d’un différend entre deux hommes de tribus rivales d’Arabie (Wikipedia).
** Pour moi, l’article sonne un peu comme un éloge funèbre ; on y sent déjà une sorte de nostalgie d’un monde révolu. C’est avec la même nostalgie que je l’ai traduit, sachant que "l’amitié" du grand voisin étasunien ne fait pas peser une menace moins grande sur ce courageux petit pays que sa vindicte.
Traduction : Dominique Muselet