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Colombie : L’Empire Contre-Attaque (Huffington Post)

A la mi-avril, le Sommet des Amériques se tenait à Carthagène en Colombie. Bien sûr, on se souviendra davantage du Sommet pour le scandale des services secrets américains qui étaient là pour préparer la voie à la visite du président Obama, mais qui étaient plus intéressés à se mettre au lit avec des prostituées pour ensuite refuser de payer.

Toutefois, deux développements importants, et tout aussi troublants, ont également émergé du sommet : (1) le Président Obama a annoncé que les États-Unis mettraient en oeuvre l’Accord de Libre-Echange (ALE) avec la Colombie ce mois-ci ; et (2) Obama a annoncé que les États-Unis enverraient des commandants de brigade U.S. pour conseiller l’armée et la police colombiennes dans leur campagne de contre-insurrection. Alors que la première annonce a été largement médiatisée, la seconde ne l’a pas été et celà , en dépit du fait que ces deux politiques sont étroitement liées.

L’ALE est conçu pour ouvrir la Colombie à une plus grande exploitation et pénétration par les multinationales, plus particulièrement celles des industries extractives, comme le pétrole, le charbon, l’éthanol (issu de l’huile de palme), l’or et autres métaux précieux. Comme l’explique un excellent rapport de Peace Brigades International (PBI), au cours des 10 dernières années (c’est-à -dire durant les années menant au passage définitif à l’Accord de Libre-Echange), 40% de tout le territoire colombien a été « attribué ou sollicité par des compagnies d’exploitation minière et de pétrole brut ». En outre le PBI explique :

Des 114 millions d’hectares du vaste et prospère territoire de la Colombie, plus de 8,4 millions ont été autorisés pour l’exploration des gisements minéraux et plus de 37 millions d’hectares sont autorisés pour l’exploration de pétrole brut. En outre, selon le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, plus de 5,8 millions d’hectares de terres ont été autorisés pour l’exploitation des ressources minières non renouvelables en 2010.

Comme l’explique le PBI, la Colombie est en effet un pays riche en ressources, avec un approvisionnement riche en or, émeraudes, argent, platine, nickel et cuivre ; les « plus grandes réserves de charbon de toute l’Amérique latine » ; et une production de pétrole comparable à celle de ses voisins du Vénézuela et surpassant celle de l’Égypte. Cependant, le prix pour l’extraction de ces ressources précieuses en Colombie est énorme, avec des millions de Colombiens payant littéralement pour cette extraction de leurs vies, leur terres et leurs maisons. Ainsi, le PBI rapporte que « 80% des abus des droits de l’Homme en Colombie au cours des dix dernières années ont été commis dans les régions minières et productrices d’énergie, et 87 % de la population déplacée de Colombie proviennent de ces lieux. » Un tel déplacement est sans précédent dans le monde, la Colombie possédant maintenant la plus grande population de déplacés internes sur terre avec plus de 5 millions (pour une population d’environ 45 millions d’habitants). En d’autres termes, comme conséquence directe des efforts miniers se déroulant en Colombie, plus de 10% de la population colombienne est maintenant en situation de déplacement interne - un chiffre qui a de quoi impressionner.

De plus, un tel déplacement se répercute de façon disproportionnée aussi bien sur les 102 groupes indigènes de Colombie que sur la population Afro-colombienne. Dans une interview que m’a accordée Gimena Sánchez du Bureau de Washington pour l’Amérique Latine (WOLA) pour cet article, celle-ci a expliqué :

Actuellement, plus de 30 groupes indigènes distincts courent le risque d’une extinction culturelle et physique en raison de la violence, du déplacement et du manque de protection de leurs droits fonciers collectifs. Des opérations d’exploitation minière à grande échelle qui font partie du moteur économique favorisé par l’Administration de Santos sont projetées dans nombreuses terres collectives indigènes et cela va aggraver la crise des droits humains à laquelle ils sont confrontés. Une situation semblable se déroule sur les territoires des communautés Afro-colombiennes, malheureusement, l’héritage de l’esclavage qui inclut la discrimination raciale a rendu le scénario Afrodescendant moins visible en Colombie et leurs cas ne sont pas aussi bien documentés que ceux des indigènes [...] les intérêts économiques étant sous-jacents dans beaucoup de déplacements violents actuels en Colombie. Une bataille pour le contrôle des territoires autochtones et Afro-colombiens se déroule au bénéfice d’intérêts économiques légaux et illégaux. La Colombie souhaite sécuriser ces zones militairement afin de pouvoir mettre en oeuvre des projets de développement à grande échelle qui profiteront surtout aux entreprises multinationales et colombiennes. Le gouvernement colombien, les entreprises et les multinationales voient seulement le symbole du dollar lorsqu’il s’agit des terres collectives indigènes et Afro-colombiennes en raison des minéraux et de la biodiversité qu’ils contiennent.

Les États-Unis fournissent avec enthousiasme l’appui militaire pour permettre au gouvernement colombien d’arracher cette terre par la violence aux groupes indigènes et Afro-colombiens. Ainsi, depuis 2000, les États-Unis ont versé environ 8 milliards de dollars en aide militaire à la Colombie, faisant de la Colombie l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide militaire dans le monde. A présent, selon le Wall Street Journal, le Président Obama est en train d’augmenter la mise, en annonçant, lors du sommet des Amériques, que les États-Unis enverraient des « Commandants de brigade U.S. ayant une expérience pratique de contre-insurrection en Afghanistan et en Irak pour passer deux semaines avec des unités de l’armée et de la police colombiennes déployées dans les bastions rebelles » pour aider à maîtriser ces zones.

Ces commandants s’ajoutent aux 250 membres du personnel militaire américain déjà présents en Colombie - un chiffre qui, comme l’explique le Wall Street Journal, ne comprend pas les agents de la CIA et de la DEA dans ce pays. Alors que les États-Unis et la Colombie ont déjà « mis en place cinq Joint Task Forces (1) dans les zones où les FARC » sont les plus actives, le but est de créer sept task forces. En outre, tandis que le Wall Street Journal affirme que les États-Unis examinent simplement la demande de la Colombie en drones pour aider dans les efforts de contre-insurrection, d’autres sources, notamment Le Washington Post (examen des documents de Wikileaks) et Business Insider, ont rapporté que les États-Unis ont fourni des drones à la Colombie depuis 2006, bien que les États-Unis continuent de prendre soin de les garder en-dessous des écrans radars.

Et bien que les États-Unis prétendent aider l’armée colombienne afin de soumettre les zones de lutte contre les drogues, il est en fait évident que les régions doivent être soumises à l’exploitation par les multinationales (principalement des États-Unis et du Canada) dans les industries extractives. Pas étonnant alors que les commandants américains opéreront depuis la base de Tibu en Colombie, laquelle abrite de vastes ressources de palme et de pétrole brut. En prime, Tibu est sur la frontière vénézuélienne, permettant aux États-Unis et à la Colombie d’intimider le Vénézuela et son Président, Hugo Chavez.

L’aide des Etats-Unis comprendra l’aide à la Colombie avec « sa propre version de l’armée américaine du Joint Special Operations Command pour mener des missions hunt-and-kill (2), » visant à nouveau exclusivement les rebelles FARC d’extrême gauche et non les groupes paramilitaires d’extrême droite qui sont alignés avec l’État colombien et qui sont responsables de la plupart des abus des droits de l’Homme en Colombie. En effet, comme l’explique une bonne analyse par Susana Pimiento et John Lindsay-Poland du Fellowship of Reconciliation :

La participation dans une telle campagne militaire U.S. agressive pourrait saper les tentatives potentielles de négocier un règlement du conflit armé, qui connaît un soutien croissant en Colombie. La campagne qui apparemment ne cible pas les successeurs des groupes paramilitaires, est également susceptible de bénéficier à ces groupes qui continuent de commettre des atteintes aux droits de l’Homme, à se livrer au trafic de drogue et à opérer dans plus de 400 communes de 31 États colombiens, selon un rapport publié par l’Institut de Développement et de la Paix, INDEPAZ.

Déjà , l’annonce de la mise en oeuvre imminente de l’ALE, en conjonction avec l’annonce du rôle militaire U.S. intensifié en Colombie, est en train d’encourager ces forces en Colombie (surtout ceux alignés avec l’État colombien), fait plier par de violentes répression ceux qui s’engagent sans violence dans la lutte pour les droits à la paix, à la terre et au travail. Ainsi, selon Justice For Colombia (3), l’armée colombienne a assassiné le dirigeant communautaire nommé Duvier Celeita Cifuentes, un organisateur avec le syndicat agricole Sintrapaz, qui a appelé à un règlement pacifique du conflit armé en Colombie le 26 avril. Le 27 avril, un garde du corps d’Alfonso Castillo, le président d’ANDAS (l’Association Nationale des Personnes Déplacées), a été assassiné. En outre, Martha Cecilia Guevara, une organisatrice locale de la marche nationale pour la paix qui s’est tenue à Bogota (La Marche Patriotique) a disparu le 18 avril alors qu’elle s’apprêtait à se rendre à la marche. De même, le 18 avril, Herman Henry Dias, un organisateur paysan avec FENSUAGRO, a été tué, probablement par l’armée colombienne, après qu’il ait organisé le contingent de Putumayo pour la Marche Patriotique.

Avec l’intensification de la poussée U.S. militaire et économique en Colombie, nous pouvons malheureusement anticiper encore plus de violences à l’égard des acteurs pacifiques en Colombie dans le but de sécuriser davantage le territoire colombien pour l’exploitation et l’appropriation massive. C’est cette violence et la perte de la vie qui sont le véritable coût de l’intervention U.S. en Colombie. En effet, le scandale des Services Secrets est devenu une métaphore juste de l’engagement américain en Colombie, et dans le reste de l’Amérique latine, les Etats-Unis continuant de faire à toute l’Amérique latine, ce qu’ont fait les Services Secrets à ces femmes à Carthagène.

Dan Kovalik

avocat américain des droits de l’Homme et des travailleurs - voir le film L’Affaire Coca-Cola (disponible sur YouTube)

(1) Joint Task Force : force de lutte armée contre le terrorisme créée par les Etats-Unis.

(2) " chasser-et-tuer" : missions d’assassinats sélectifs qui ont également visé des citoyens américains soupçonnés d’avoir des liens avec Al-Qaïda.

(3) Justice For Colombia : ONG britannique.

Notes et traduction : GM

source : http://www.huffingtonpost.com/dan-kovalik/colombia-the-empire-strik_b_...

URL de cet article 16841
  

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