Êtes-vous nicodémite ?

(et les 10 principes élémentaires de propagande de guerre)

1-nous ne voulons pas la guerre ;
2-le camp adverse est le seul responsable de la guerre ;
3- le chef du camp adverse a le visage du diable ;
4-c’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers ;
5- l’ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c’est involontairement ;
6-l’ennemi utilise des armes non autorisées ;
7-nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes ;
8-les artistes et intellectuels soutiennent notre cause ;
9-notre cause a un caractère sacré ;
10-ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.

Formulés par Sir Arthur Ponsonby en 1928, actualisé par Anne Morelli en 2001.

Anne Morelli est Historienne, professeur honoraire de l’Université de Bruxelles (ULB). Réputée pour son engagement radical, c’est notamment par son ouvrage Principes élémentaires de propagande de guerre que le public la découvre hors des frontières du plat pays. S’inspirant des principes décrits en 1928 par le pacifiste Anglais Sir Arthur Ponsonby, dans son livre Falsehood in Wartime, elle démonte les mécanismes essentiels de la propagande moderne utilisée aussi bien durant la Première Guerre mondiale qu’au cours de conflits plus récents (Yougoslavie, guerre du Golfe, Kosovo, Afghanistan, Irak).

Récemment, Anne Morelli a voulu passer en revue ces dix principes et vérifier s’ils étaient mobilisés dans la guerre en cours en Ukraine. Après avoir mis ses observations et conclusions par écrit, elle les a proposé aux deux quotidiens belges qui la publient régulièrement, cette fois les deux ont décliné. Raison de plus pour le diffuser.

Êtes-vous « nicodémite » ?

Si vous êtes familier de la lecture de la Bible, Nicodème vous est bien connu.

En effet, ce membre du Grand Sanhédrin de Jérusalem apparaît à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament.

C’est un pharisien, secrètement disciple de Jésus.

Il écoute son enseignement (Jean 3, 1-21), prend sa défense (Jean 7, 45-51) et assiste à la descente de croix (Jean 19, 39-42). Mais il rencontre le Christ de nuit, et l’on peut facilement comprendre que c’est par peur de se compromettre (il a des fonctions officielles), et pour ne pas être reconnu.

Le « nicodémisme », dans son sens élargi, recouvre aujourd’hui une attitude de dissimulation, une crainte d’affirmer ses opinions, pour ne pas avoir de problèmes.

La guerre actuelle entre l’OTAN et la Russie m’a donné l’occasion de découvrir beaucoup de « nicodémites ». Ils sont en effet aussi nombreux que discrets ceux qui n’adhèrent pas à la théorie officielle binaire. Deux mondes irréductiblement antithétiques s’affronteraient:d’un côté les démocraties ouvertes et vertueuses, de l’autre un empire despotique peuplé de masses habituées à obéir à coups de « knout ». Nous contre eux. Les bons contre les méchants.

Dans ce climat, comment avoir le courage de dire que notre « communication » est aussi manipulatrice que leur « propagande ». Nous savons peu de choses de celle-ci depuis que la censure démocratique, a interdit pour nous protéger, la chaîne en français « Russia Today », dont l’émission Interdit d’interdire était pourtant un modèle journalistique, et fermé l’agence « Spoutnik ».

Nous sommes donc condamnés à ignorer le point de vue de l’Autre et, de notre côté, toutes les plus vieilles ficelles sont utilisées pour créer l’émotion et nous mobiliser en faveur de la guerre.

Toujours l’utilisation des mêmes rengaines

A l’occasion de la quatrième édition en français de mon petit livre Principes élémentaires de propagande de guerre1 j’ai passé en revue ces principes pour voir s’ils étaient mobilisés dans le conflit entre l’OTAN et la Russie et le résultat est très clair.

Les premiers principes (Nous ne voulons pas la guerre- c’est l’ennemi le seul responsable du conflit) sont indispensables à développer pour qu’une guerre soit populaire.

Il faut persuader l’opinion publique que nous sommes en état de légitime défense et que c’est l’« autre » qui a commencé. Ce sont ses visées expansionnistes qui lui ont dicté son attaque. C’est donc évidemment la Russie qui est présentée comme seule responsable de la guerre en Ukraine. Pourtant Machiavel2 (1469-1527) avait déjà prévenu que celui qui dégaine le premier son épée ne doit pas forcément être considéré comme responsable du conflit. Il peut en effet avoir été mis dans une situation telle qu’il n’y a plus pour lui d’autre possibilité que l’entrée en guerre ouverte. Les Occidentaux parlent ainsi de l’« attaque » de l’Ukraine par la Russie en février 2022, sans prendre en compte le fait que l’avancée de l’OTAN vers l’Est est, du point de vue russe, une menace concrète contre son territoire à laquelle - acculée - elle doit bien finir par « répondre ».

L’OTAN, assure que ses avancées vers l’Est sont destinées à « protéger » l’Europe. Il s’agit de prendre des mesures de rétorsion face à l’attaque russe et les USA se disent prêts à utiliser l’arme nucléaire en riposte.

Un autre principe élémentaire de propagande veut qu’on présente le chef du camp adverse comme un fou diabolique.

Lors de la Première guerre mondiale, c’est le « Kaiser » Guillaume II qui endosse ce rôle.

Puis, successivement, Saddam Hussein, Miloseviç, ou Kadhafi.

Le récit occidental actuel ne manque pas d’appliquer ce principe simple et efficace. Nous ne faisons pas la guerre aux Russes mais à Poutine atteint de paranoïa. La Libre Belgique a parlé du tsar soviétique3. Le Vif dans un article de 2014 intitulé « Comment arrêter Poutine » dénonçait déjà sa « malignité », sa diplomatie belliqueuse et le traitait de « voyou »4.

Dans le système binaire de la propagande (« eux » et « nous »), ce sont toujours les dirigeants de l’autre camp qui sont des fous dangereux. « Nos » leaders sont, eux, sains d’esprit et pétris d’humanité.

Pour mobiliser l’opinion publique en faveur de la guerre, il faut aussi la persuader que, contrairement à nos ennemis, nous menons cette guerre pour de nobles causes.

On ne parlera donc pas de nos projets expansionnistes ni des motifs économiques de nos entreprises guerrières. La pensée unique belliciste ne dira pas un mot du gaz de schiste états-unien qui peut remplacer - à prix plus élevé - le gaz russe. On ne développera pas le projet européen qui voit dans l’Ukraine de demain, intégrée dans l’OTAN et l’Union européenne, une belle occasion de « délocalisation de proximité » à bon marché.

Ce dont parleront par contre les médias occidentaux c’est de notre noble propension à courir à l’aide des ennemis de nos ennemis. Nous défendons le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour le Kosovo se détachant de la Yougoslavie mais pas pour la Crimée ou le Donetsk s’ils veulent se détacher de l’Ukraine.

La propagande ne doit relever que les atrocités commises par le camp ennemi et jamais les nôtres.

Ainsi, dans la guerre en Ukraine, seules les violences russes sont rapportées. Lorsque Human Right Watch puis Amnesty international s’inquiètent de tortures et exécutions commises par des Ukrainiens sur des Russes, notamment des prisonniers, l’écho chez nous est faible et ne fait pas la Une de la presse. L’empathie est réservée aux seules victimes de l’ennemi et pas aux victimes de l’Ukraine et de ses alliés. Les réfugiés ne sont émouvants et dignes de solidarité que lorsqu’ils sont présentés comme les témoins de la barbarie ennemie. Pourtant depuis 2014 la guerre en Ukraine a aussi contraint des habitants du Donetsk à quitter leur ville ou village, mais qui s’en est soucié ?

Les mots utilisés dans ce domaine sont lourds de sens. Les charniers et les mercenaires sont le fait de l’ « Autre », les cimetières improvisés et les volontaires étrangers sont de notre côté.

Je ne passerai pas en revue tous les principes de la propagande de guerre, mais TOUS se retrouvent dans la communication pour vendre à l’opinion publique la guerre entre l’OTAN et la Russie.

Je m’arrêterai cependant sur un point en lien direct avec le « nicodémisme ».

Les esprits critiques sont des agents de l’ennemi

Le dixième et dernier principe de la propagande de guerre veut que ceux qui n’adhèrent pas totalement à la politique de leur camp, ceux qui doutent de ce qu’avance la propagande sont immédiatement stigmatisés comme agents de l’ennemi.

Les conflits récents ne font pas exception à la règle. Le pape Bergoglio avance prudemment entre les deux camps en présence dans la guerre en Ukraine. Il a donc été immédiatement taxé de « poutiniste ». Des concerts, des cours universitaires sont annulés, des artistes et sportifs boycottés car ils ne se sont pas clairement déclarés en faveur de notre camp5. Les pacifistes sont écartés des médias.

La pensée unique belliciste est tellement omniprésente qu’il est très difficile et risqué de la remettre en cause, même si on commence toute intervention par « je ne suis pas pour Poutine ».

J’ai cependant pu vérifier à l’occasion de récentes interventions que j’ai faites à la radio 6ou à la télévision7qu’à côté des thuriféraires de la guerre, il y a aussi des voix critiques, beaucoup plus nombreuses qu’on ne l’imagine, n’adhérant pas au récit médiatique officiel sur la guerre en Ukraine et sur l’utilité des sanctions. Elles préconisent le dialogue, l’action diplomatique, suggèrent d’autres solutions que l’affrontement qui pourrait être fatal à notre planète. Mais ces voix, que l’on a notamment entendues collectivement dans la manifestation du dimanche 26 février en faveur de la paix et contre la guerre, veulent pour la plupart rester discrètes car il leur semble risqué de remettre en question un récit, soutenu par la totalité des milieux dirigeants et médiatiques.

Quand on leur demande individuellement leur opinion en public, beaucoup baissent la tête et s’empressent de changer de sujet.

Ils veulent éviter les insultes et attendent que la tempête passe.

Ils estiment prudent de dissimuler leur opinion, même si dans notre pays il est difficile mais pas mortel, comme dans d’autres, de défendre une conviction « dissidente ».

Ils agissent comme Nicodème....

Anne MORELLI, le 27 février 2023

1 Aden 2023. La première édition date de 2001. Le livre est publié en 7 langues dont le japonais.
2 Nicolò Macchiavelli, Istorie fiorentine, libro settimo, cap. XVI.
3 La Libre, 4 juin 2022.
4 Le Vif, 5 septembre 2014, article de Gérald Papy.
5 Voir mon article sur la russophobie ambiante, publié sur le site du Soir sous le titre « Romain Rolland était-il poutiniste ? », Carta academica, 28 mai 2022. On peut ajouter le cas d’ Emir Kusturica, dont le film On the milky Road a été exclu du Festival de Cannes 2022 : le réalisateur avait maintenu des rapports culturels avec la Russie.
6 RTBF, émission Ouï dire du 8 février 2023
7 LN24, 10 et 21 février 2023

 https://www.activista.be/2023/03/etes-vous-nicodemite.html

COMMENTAIRES  

29/03/2023 10:54 par Koui

Poutine n’est pas Jésus. On n’est pas obligé d’être avec lui ou contre lui. Il n’était pas obligé de céder à la provocation et déclencher une guerre qui a déjà fait 300.000 morts. Évacuer le Donbass aurait été préférable. L’Ukraine, l’OTAN et l’économie américaine auraient fini par s’effondrer d’eux mêmes, sous le poids de leur propre folie.

On voit bien la propagande et les provocations américaines. On sait bien qu’il est difficile d’en placer une quand tout le monde autour de nous à été endoctriné par l’unanimisme des médias otanistes. On ne veut pas passer pour un poutiniste et être punis, simplement parce qu’on n’est pas avec le tyran Zelensky. Beaucoup de gens préfèrent attendre que ça passe, de Mélenchon à Marine Le Pen. C’est un vrai sujet.

29/03/2023 11:24 par michel PAPON

Aucune regle de bon sens ne pourra occulter les consequences qui decoulent d’une crise financiere ; ce sont toujours elles qui rendent une guerre ineluctable. Celle de 1939 a été provoquée par Roosevelt pour qui c’etait le seul moyen de mettre un terme à la Grande Depression survenue apres le krach de 1929.
Il a donc fait pression sur le gouvernement polonais afin d’empêcher les negociations avec Hitler pour regler la situation de Dantzig ; etrange parallelisme avec la situation actuelle où Biden fait pression sur Kiev pour interdire une solution diplomatique sur le Donbass...

30/03/2023 18:06 par CAZA

Et toi qui lis LGS
Est tu nicodémite à l’envers ?

Ben oui certainement en ce qui me concerne perso .
Es tu pour la paix ?
Oui bien sur ,enfin , mais seulement après la défaite sans condition des fascistes ukrainiens et leur condamnation .
Es tu pour Poutine ?
Oui bien sur et surtout contre l’impérialisme criminel des USA .
Es tu pour le dépeçage des USA en 52 états indépendants ?
Oui bien sur et c’est pour bientôt grâce à la Russie et à la Chine .

30/03/2023 20:24 par Michel Regnier

Mille et une fois d’accord avec cet article tellement les médias me saoulent : Internet me lasse, la télé me gave, la radio m’énerve, la presse me donne la nausée et finalement, même les books m’écœurent !
"Haro sur les militants mais halo sur les militaires" en somme, ainsi qu’en baie de Somme et partout ailleurs sur le territoire occidental... D’autant plus en ces temps troublés par Poutine, le grand perturbateur endukrainien devant l’Ethernet, seul responsable du fait que le monde s’en va à vau-l’eau... Dymyr et tandis qu’aux États-Unis, la Démocratie chérie est réduite à l’ abortion congrue  !

31/03/2023 13:03 par Geb.

Eh bien, moi aussi je suis "nicodémite" à l’envers.

Pour les mêmes raisons et effets que CAZA.

Quant à "évacuer" le Donbass comme semble le prôner un interlocuteur ici, ça équivaudrait à "évacuer" un territoire grand comme un tiers de la France. Faudrait demander aux Auvergnats s’ils sont d’accord de partir à Lille.

En plus sans rien régler puisque ce que veulent les agresseurs occidentaux par Ukros interposés ça n’est pas "prendre" le Donbass mais disperser et détruire la Russie... En attendant la Chine.

Alors si ça doit nous arriver qu’il nous en parle d’abord.

On fera en sorte de l’évacuer à lui avant nous.

Quand je lis des gens qui prônent la paix sur le dos des populations victimes pour pas perdre leur bout de gras, j’ai qu’une envie :

...Que Poutine se trompe enfin de bouton et appuie sur le bon.

Et surtout qu’ils meurent pas tout de suite. Qu’ils aient le temps d’apprécier le traitement.

Comme l’ont apprécié les Vietnamiens, les Coréens, les Libyens, les Palestiniens, et les autres, depuis plus de cinquante ans... grâce à nos impôts et nos nervis, pendant qu’ici d’autres, au lieu de tout foutre en l’air quand ils en avaient les moyens, se la jouaient pacifistes en promenant des pancartes en couleur, en écoutant Bob Dylan et Mère Térésa, et en se réservant un "Tour" à Las Végas", le "Royaume de la Liberté" ; livré par Boeing le fabricant du B52....

Y en a qui ont réellement rien compris : Plus il procrastineront, plus ils glanderont sous tous les prétextes possibles, plus ça sera dur d’en sortir, et plus ils vont souffrir. Eux, et leurs familles qu’ils font semblant d’aimer et protéger.

Pourtant avec ce qu’on s’est pris ces quatre dernières années même un boeuf aurait réagi violemment et se serait souvenu que même s’il n’avait plus de couilles il lui restait une paire de cornes bien pointues.

Et "tout ça" continue de couper les poils du cul des autres victimes en quatre pour en connaître la couleur et savoir si elles sont "fréquentables".

Quand on vit dans un camp de concentration, TOUT ce qui n’est pas un Kapo ou dans un mirador est "fréquentable" si on veut se battre sincèrement et efficacement contre le système carcéral.

Ceux qui n’ont pas compris ça sont promis au charnier ou au crématoire.

31/03/2023 17:53 par J.J.

Moi qui suis un vieux machin, j’ai entendu ça déjà, bien qu’étant alors très jeune, quand dans la journée on écoutait Radio Paris et la propagande boche et vichyste. Mais à cette époque, heureusement, à la nuit tombée, on pouvait écouter Radio Londres et Radio Moscou, sur les "grandes ondes", en sourdine, bien sûr.
Je ne sais par quel hasard du sort, j’ai découvert que l’icône RT sur ma tablette était toujours active, et ainsi tous les jours (mais ne le répétez pas !) je peux avoir des nouvelles d’ailleurs et même de France que l’on ne trouve nulle part. Par exemple comment le Conseil Constitutionnel a désavoué les déclarations d’un petit ministre mégalo (pléonasme) et aux nombreuse casseroles habitué à nous débiter encore plus de mensonges que ses collègues.

02/04/2023 22:06 par Auguste Vannier

Les 10 points d’Anne Morelli sont quotidiennement documentés par la propagande de l’occident collectif. Je suis resté stupéfait par la censure, je pensais ne jamais voir ça de ma vie. J’en suis réduit à fréquenter Réseau International (émaillé de temps à autre de délires d’extrême droite, mais en définitive pas tant que ça). Tout de même je me demande pourquoi et comment se fait-il que ce site d’info ne soit pas censuré, ni gêné par des problèmes d’internet...

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