L’humanitaire au service du capital : le cas du Pakistan

Photo : Big Picture

20 millions de Pakistanais, privés quasiment de tout, errent à travers un pays dévasté et ravagé par de violentes inondations. La brutale montée des eaux a déjà laissé derrière elle plusieurs centaines de victimes. La famine commence à faire son apparition et menace des millions d’êtres humains. La situation sanitaire est catastrophique. Plusieurs millions d’enfants risquent d’être emportés par des maladies mortelles selon les Nations Unis. Ban Ki-moon, en visite dans le pays, disait lui-même qu’il n’avait « jamais vu une catastrophe d’une telle ampleur ». L’ampleur du désastre n’a d’égale que la profonde souffrance de la population pakistanaise livrée à elle-même. Mais si l’aide humanitaire se fait toujours attendre, le matériel militaire de l’OTAN pour la poursuite de la guerre contre les talibans en Afghanistan voisin circule, lui, normalement ! La sale guerre impérialiste passe avant l’aide humanitaire. Pire, pendant que les pakistanais affrontent, dans des conditions inhumaines, cette terrible catastrophe, l’armée américaine continue à bombarder le Nord-Ouest du pays faisant des dizaines de victimes civiles (1). Pour les États-Unis et leurs alliés, la population pakistanaise qui résiste à l’hégémonie impérialiste dans la région ne mérite aucune aide. L’humanitaire doit servir l’intérêt des puissances capitalistes.

Le grand spectacle humanitaire organisé par les pays impérialistes, leurs ONG, leurs sportifs, leurs artistes et leurs médias concernant le séisme haïtien contraste avec le silence, l’indifférence et le mépris avec lesquels la tragédie pakistanaise est traitée. C’est que le Pakistan n’est pas Haïti ! Et même dans le cas de ce dernier pays, plus de neuf mois après le terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010, rien ou presque rien n’a été fait pour une population abandonnée à son triste sort alors que les troupes américaines et les ONG humanitaires par dizaines sont toujours présentes sur le sol haïtien. Mais au moins, on a réussi à transformer la tragédie haïtienne en un immense show humanitaire et médiatique (2).

Le drame pakistanais, lui, n’a été traité qu’avec parcimonie par les médias bourgeois. Et malgré une présence massive des grandes ONG (toutes dépendantes essentiellement des États occidentaux et de l’Union Européenne), l’aide humanitaire pour le Pakistan n’arrive qu’au compte-goutte. Ici nul spectacle humanitaire, nul appel aux dons lancé directement par les médias, nulle opération de relation publique des multinationales et nul battage médiatique. La souffrance du peuple pakistanais se fait dans le silence.

Ironie du sort, le Pakistan est le principal producteur mondial des tentes humanitaires. Mais les industriels américains veulent remplacer les fabricants locaux et vendre aux pakistanais des tentes beaucoup plus chères : « Aider le Pakistan, aider Haïti sont des réactions humanitaires appréciables des États-Unis, surtout s’ils adoptent la stratégie « aide des USA, made in USA » écrivent-ils(3). L’humanitaire c’est aussi du business, il s’arrête là où s’arrêtent également les intérêts des puissances impérialistes !

Il faut dire que sur l’échiquier international, le Pakistan occupe une position singulière à cause de son histoire mouvementée, de sa puissance nucléaire et de sa frontière avec l’Afghanistan.

Le Pakistan a été « Conçu à la hâte et mis au monde prématurément par une césarienne de dernière minute » disait Tarik Ali (4). Il a été également amputé du Cachemire toujours disputé par l’Inde et privé de sa partie orientale, le Bangladesh.

Le Pakistan a payé chèrement son indépendance nucléaire à cause du refus américain. Le gouvernement démocratiquement élu d’Ali Bhutto, le père de l’arme nucléaire pakistanaise, fut renversé par un coup d’État militaire dirigé par le général-dictateur Zia avec la bénédiction des États-Unis. Ali Bhutto fut jugé et exécuté en 1979.

En 1999, un nouveau coup d’État porte au pouvoir un autre général-dictateur, Pervez Mucharraf, le ferme soutien des américains dans la région (on le surnommait d’ailleurs dans le pays... Busharraf !).

Benazir Bhutto, fille d’Ali Bhutto, fut assassinée à son tour en 2007 et de lourds soupçons pèsent toujours sur Mucharraf dans cet assassinat.

Au total depuis sa création en 1947, le pays a connu pas moins de quatre coups d’État militaires. Il est inutile de préciser que la main de Washington est derrière, pour ainsi dire, tous ces événements majeurs qui ont fortement bouleversé ce pays.

Aujourd’hui, l’Afghanistan voisin est toujours occupé par les puissances impérialistes menées par les américains. La résistance afghane, de mieux en mieux organisée, de plus en plus unie, porte des coups décisifs aux armées d’occupation.

Le Pakistan entretient avec cette résistance des relations ambiguës et complexes. En tout cas, les pays occidentaux soupçonnent fortement l’armée pakistanaise et ses services secrets, les fameux Inter-Services Intelligence (ISI), de coopérer avec les talibans pakistanais et surtout afghans. En effet, le Pakistan tient à garder ses vieilles relations avec ces derniers dans le but de préserver ses intérêts stratégiques et surtout de ne pas laisser le champ libre à une autre puissance nucléaire, l’Inde son ennemi de toujours. Car les américains, tôt ou tard, seront contraints de quitter l’Afghanistan : « Si l’Amérique s’en va, le Pakistan est très inquiet d’avoir l’Inde à sa frontière Est et l’Inde en Afghanistan à sa frontière Ouest » (5). Le gouvernement pakistanais redoute que l’Inde développe, après le départ des américains, des relations privilégiées avec les talibans afghans. Rappelons tout de même que de 1947 à 1999 le Pakistan et l’Inde, deux puissances nucléaires, se sont livrés quatre guerres successives. Islamabad considère en quelque sorte l’Afghanistan comme sa chasse gardée.

Le Pakistan n’est pas prêt à abandonner ses relations, même ambiguës, avec les talibans nonobstant les pressions fortes des États-Unis.

En tout cas, les pakistanais sont présentés à l’opinion publique occidentale, comme les amis de ces grands méchants talibans barbus, cruels et primitifs.

Nous les civilisés de l’occident capitaliste, nous n’allons tout de même pas apporter notre secours aux amis de nos ennemis ! Notre humanité a des limites.

Ces deux peuples (afghan et pakistanais) se retournent aujourd’hui contre nous alors que grâce à nos valeureux soldats, nous essayons de leur apporter démocratie et prospérité tout en protégeant leurs femmes.

Les quelques bombes qui tombent de part et d’autre de leur frontière commune et qui font des victimes innocentes ne sont que des erreurs, des bavures bien évidemment...

Et notre présence « là -bas », c’est pour leur bien, n’est-ce-pas ? On leur construit des écoles, des hôpitaux, des routes etc. Mais ces barbares ne comprennent rien à rien ! Il ne comprennent que le langage de la force : « Nous n’avons pas le droit de renoncer à défendre nos valeurs. Nous n’avons pas le droit de laisser les barbares triompher »(6).

Mais derrière la diabolisation du pakistanais et de l’afghan, comme d’ailleurs du cubain, de l’iranien, du palestinien, du nord-coréen, de l’irakien etc. se cachent des intérêts impérialistes. Car ces mêmes « barbares » de talibans, on les appréciait bien et on les appelait même les Moudjahidines de la liberté lorsqu’ils combattaient la présence soviétique en Afghanistan (1979-1989) ! Pour faire barrage à l’armée russe, les américains ont financé, entraîné et armé ces « combattants de la liberté » et le Pakistan devint leur allié privilégié dans la région.

Ainsi le civilisé d’hier est devenu le barbare d’aujourd’hui ! Seule la bourgeoisie, pour ses intérêts, est capable d’un tel exploit. Les ennemis comme les amis d’ailleurs ne sont jamais permanents ; seuls les intérêts sont permanents !

L’humanitaire dans un ordre économique, social et politique profondément injuste qui n’accorde aucune valeur à la vie humaine, ne peut que servir les puissances capitalistes qui l’instrumentalisent cyniquement pour leurs seuls intérêts.

A bas l’humanitaire capitaliste !

Vive la solidarité entre les peuples !

Mohamed Belaali


(1) http://www.latribune-online.com/monde/39339.html

(2) L’humanitaire au service du capital:le cas de Haïti

(3) lemonde.fr/idees/article/2010/09/06/l-aide-au-pakistan

(4) Tariq Ali « Le choc des intégrismes », Textuel, 2002.

(5) Déclaration de Tariq Fatemi, un ex-ambassadeur du Pakistan, au New York Times.

Cité in www.wsws.org

(6) rue89

COMMENTAIRES  

13/09/2010 11:17 par vladimir

l’apparent "fiasco" de l’aide humanitaire capitaliste a Haiti et au Pakistan lié aux pratiques imperiales :

Les données biométriques, trésor de guerre de l’armée américaine

LEMONDE.FR | 10.09.10 | 08h21  "¢  Mis à jour le 10.09.10 | 10h18

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/09/10/les-donnees-biometriques-tresor-de-guerre-de-l-armee-americaine_1409115_651865.html

Hommage à Alain Gossens

Article placé le 12 sept 2010, par Mecanopolis

Le journaliste Alain Gossens est décédé en juillet dernier, dans des circonstances pour le moins troublantes*. Depuis 1989, il s’était spécialisé dans l’actualité judiciaire, principalement sur les affaires de réseaux pédophiles qui ont secoué la Belgique. Le texte que nous plaçons aujourd’hui, en guise d’hommage, est le premier d’une série que nous allons consacrer au sujet...

http://www.mecanopolis.org/?p=19502

dont les resultats sont a relativiser dans le cours de l’effondrement psychologique et militaire du camp imperialiste :

Désarroi, doute et désordre, et "désacralisation"

13/09/2010 - Faits et commentaires

http://www.dedefensa.org/article-desarroi_doute_et_desordre_et_desacralisation__13_09_2010.html

qui passe par l’effondrement de la puissance emotive ,le choc émotionnel s’est usé a force d’etre employé a outrance par les medias, du 11 septembre comme du reste,les catastrophes etc :

9/11, ses complots et sa "désacralisation"

13/09/2010 - Ouverture libre

http://www.dedefensa.org/article-9_11_ses_complots_et_sa_desacralisation__13_09_2010.html

l’insensibilité generale apparente se desagrege lors d’evenements sociaux qui stoppent le jeu des roles sociaux previsibles,la greve generale illimitée est donc redoutée...

13/09/2010 19:10 par Paul

L’humanitaire au service du capital, cela dérange un peu !
En général,on a plutôt un jugement positif sur l’action humanitaire. Dans mon entourage, beaucoup de militants de gauche continuent à donner à ces célèbres ONG que l’auteur dénonce.
Lorsque l’on discute entre nous, nos différences portent uniquement sur le choix des ONG : chacun a son organisation préférée ! On n’a jamais remis en cause le bien-fondé de leurs actions.
Les propos de l’auteur m’interpellent ; ce texte "m’oblige" à relativiser mon jugement sur l’humanitaire.

Bien cordialement.

13/09/2010 19:50 par legrandsoir

Il serait dommage de tirer des conclusions hâtives sur telle ou telle ONG... Si les états-unis, en particulier, sont spécialistes des "ONG-chevaux de Troie", il existe des ONG qui forcent (et méritent) le respect, et heureusement. Il nous semble que ce texte n’est pas un appel à ne pas donner (l’auteur infirmera le cas échéant...).

13/09/2010 20:29 par kounet

L’humanitaire s’est fait souvent manipulé...
Je préfèrerais, comme toujours, que les nations gavées par le pillage mondial pratiqué, aient un fond commun dans les mains de l’ONU ou d’un autre organisme indépendant ( avec l’ONU, il y a à dire )pour aider n’importe quel groupe humain en difficulté...
Mais le capitalisme voyou n’arrive pas à capter cela, il ne capte que le profit !Et il abrutit les peuples avec leurs medias aux ordres qui sont devenues une honte pour l’esprit, mais les maitres ont les esclaves qu’ils méritent ! On peut inverser la phrase !

15/09/2010 12:43 par Anonyme

Tout à fait d’accord avec l’auteur !
L’humanitaire ne peut trouver sa place que dans un système injuste.
Non seulement il ne s’interroge pour ainsi dire jamais sur les causes des drames humains, mais aussi il contribue au maintien du capitalisme.
Les ONG quelque soit leur origine restent largement dépendantes des classes dominantes. Et lorsqu’elles entrent réellement en conflit avec ces classes, elles sont tout simplement stigmatisées et marginalisées (voir l’exemple de Gaza...).

15/09/2010 12:55 par legrandsoir

Non seulement il ne s’interroge pour ainsi dire jamais sur les causes des drames humains,

Insistons que ce n’est pas le cas de toutes les ONG et qu’il revient à chacun de prendre conscience du problème et d’agir avec discernement...

mais aussi il contribue au maintien du capitalisme.

Cette phrase est délicate. On pourrait comprendre que vous suggérez qu’il vaut mieux "les laisser les crever, comme ça ils se révolteront contre le capitalisme".

Le paradoxe est le suivant : avec les ONG (certaines) le système semble bienveillant et "secoureur" alors qu’il est souvent (parfois, presque toujours, toujours, selon votre analyse) la cause du drame. Mais sans les ONG (certaines) beaucoup de drames humains passeraient inaperçus et le système s’en accommoderait très bien et ne s’en porterait pas plus mal que ça...

(Commentaires désactivés)