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L’identité du Québec, du Canada et des autres

Le début de l’été est sans doute la période la plus féconde en ce qui touche les polémiques moisies. Avec les vacances qui arrivent et suivant les fêtes du Québec et du Canada, le vide de l’actualité politique fait généralement émerger les traditionnels débats identitaires.

Suivant les bourdes de la fête nationale du Québec, la programmation culturelle de l’été ou un fait divers quelconque, le débat ne manquera pas d’émerger et de s’auto-alimenter, puisque tous les débattants sont particulièrement vigilants en cette période chaude. Cette année ne fait évidemment pas exception et le regain partisan de tout un chacun n’a pas manqué de faire repartir la machine. Il faut dire que les esprits avaient déjà été pas mal échauffés depuis le succès des manifestations contre le racisme, qui ont marqué l’actualité de juin dernier.

Avec les années, le plan de match est assez prévisible et les arguments de tout le monde sont rarement bien innovants. Les nationalistes du Québec et du Canada veulent tous deux fêter leur hégémonie culturelle tout en revendiquant la flamme du progressisme à leur façon. De l’autre côté, les représentants des groupes minoritaires et leurs soutiens opposeront à ces hégémonies leur partition sur les privilèges et la discrimination tout en ne manquant pas d’écorcher tout particulièrement les nationalistes québécois. Ces derniers auront ensuite le bon jeu de dénoncer, à leur tour, les nationalistes canadiens pour la question de l’impérialisme et du racisme du Canada anglais, tout en ne manquant pas de souligner leur statut de minorité dans le Canada. Entre tout ce beau monde, les Premières Nations seront, comme d’habitude, les « alliés » de toutes les parties en même temps, même si ces « alliances » tiennent bien souvent plus de la récupération, que de la réelle solidarité.

Avec les années, je vous avoue être très las de ces polémiques. Pas tellement que ces questions soient sans intérêt, mais surtout parce qu’elles ne mènent politiquement nulle part. Les questions identitaires ont bien sûr leurs importances, car l’identité est une composante fondamentale de la vie en société, mais ce qui est en cause dans ces débats tient beaucoup plus de la guerre d’ego identitaire que du débat constructif. De plus, les conceptions identitaires des débattant sont, le plus souvent, fantasmées et ne correspondent que rarement avec la réalité. Il faut dire que le concept a depuis longtemps besoin de s’actualiser et de s’harmoniser avec la société actuelle et ses besoins, mais les vieilles habitudes résistent. C’est pour cette raison que les nationalistes canadiens ne voient pas l’impérialisme et le racisme de leurs institutions arriérées, que les nationalistes québécois ne remarquent même plus l’extrême-droitisation de leurs idées et les regroupements de défense des minorités ne réalisent même plus leur dérive racialiste et anti-universaliste.

Le cœur du problème et la raison pour laquelle tous ces gens ne voient que des miroirs déformés d’eux-mêmes, comme de leurs adversaires, est « l’essentialisation » d’entités bien mal définies. Ce constat devrait aller de soi, mais il ne l’est pas du tout, car tout ce beau monde semble tenir pour acquises des notions aussi arbitraires qu’instables. Ce qu’est le Canada, le Québec et leurs identités, ou ce que sont les identités de toutes les autres entités minoritaires et non territoriales sont des questions qui se posent, mais ne sont pas des éléments factuellement. Ou plutôt, ne sont pas des concepts empiriques.

L’identité n’est pas une notion mesurable objectivement, d’abord parce qu’elle est interprétée différemment par chacun d’entre nous, mais surtout parce que l’identité est d’abord un sentiment d’appartenance avant d’être une collection de caractères bien établis. On se sent Québécois (par exemple) d’abord parce qu’on ressent un sentiment d’appartenance au collectif et peu importe ensuite si on aime les chansons de la Saint-Jean ou si nous avons un déficit de connaissance historique sur tels sujets clés. En d’autres termes, l’identité ne se décrète pas et ne se définit pas, mais elle se vit et se ressent.

Néanmoins, l’identité ne se limite pas qu’à ça et comporte une autre dimension qui la rend plus substantielle encore. Si l’identité se forme et existe, c’est aussi en raison d’une similitude dans le vécu et dans les conditions d’existences. L’entité « Premières Nations » (au pluriel) est, par exemple, liée à une similitude dans les conditions d’existences (les réserves, la pauvreté, l’appropriation culturelles, etc.) et dans le regard de ceux qui sont hors de ces conditions. C’est un peu la même chose pour la communauté noire, musulmane ou gaie, qui se crée naturellement, même si ces communautés sont objectivement très arbitrairement composées. En d’autres termes, ce qui les unit c’est le regard des autres et les conditions d’existence partagées.

De leur côté, les identités territoriales ou nationales ont également des raisons objectives de se former, d’abord par l’histoire et la culture partagées, mais surtout par le devenir politique. S’il n’y a pas (ou très peu) de sentiment identitaire nord-américain, comme il existe un fort sentiment d’appartenance sud-américaine, c’est qu’il n’y a pas de devenir politique idéalisable entre le Mexique, les États-Unis et le Canada. Cependant, l’avenir du Québec passionne, comme peut l’être le devenir politique des États-Unis. C’est surtout dans ce « devenir » que l’on devrait retrouver les motivations du nationalisme. Malheureusement les nationalistes et les défenseurs de groupes minoritaires préfèrent trop souvent rêver leurs identités, en se focalisant sur « qui sommes-nous ? », alors que la coexistence réclame de répondre à la question : « que faisons-nous ? ».

Dès que la question se pose en ces termes, le débat tant à devenir bien plus constructif et inclusif. Le cas du mouvement souverainiste est d’ailleurs tout à fait symptomatique de cette dérive, car au fur et à mesure que l’espoir du fameux référendum s’érode, le côté sombre de l’identité reprend imperturbablement le dessus. On passe du projet politique (la souveraineté politique du Québec), à la fossilisation culturelle. La popularité de la Coalition avenir Québec et le déclin du Parti québécois s’explique essentiellement par la mutation du souverainisme en nationalisme ethnoculturel. C’est aussi pour cette raison qu’une part importante de l’ancien mouvement souverainiste se préoccupe plus de combattre la gauche et Québec solidaire que de promouvoir l’unité du mouvement, parfois même en allant jusqu’à soutenir la droite fédéraliste lorsqu’elle combat le multiculturalisme.

Le nationalisme culturel est donc un symptôme de déclin, qui se nourrit du nihilisme et du désespoir, mais qui est devenu partie prenante du paysage politique actuel, en plus de contribuer à l’émergence de toutes les autres identités minoritaires qu’elle prétend pourtant vouloir assimiler, en renforçant les préjugés. Le monde de ce début de 21e siècle est ainsi fait et fait craindre le pire, car les changements sociaux et politiques, si nécessaires à l’espoir, sont directement impactés par cette évolution, car ils nécessitent l’union de gens trop obsédés par leurs identités pour s’occuper de leur avenir. Ils deviennent donc les pions des politiciens démagogues qui savent utiliser ces conflits pour faire avancer leur agenda politique.

De Trump à Trudeau, en passant par François Legault, tous ont bien compris que l’identité divise le corps social des classes sociales inférieures en entité culturelle incapable d’avoir un quelconque effet sur le futur, si ce n’est de tirer la couverture de son côté au détriment des autres. C’est l’ère des majorités contre les minorités, qui s’incarnent politiquement en « populisme identitaire » contre « progressisme multiculturel ». Tous deux forment cependant des pôles interclassistes dominés par la haute bourgeoisie capitaliste et qui, dans chaque cas, suivent leurs propres intérêts sur le dos des pauvres. Populations pauvres elles-mêmes trop occupées à se battre entre elles pour réaliser qu’elle forme elle aussi une communauté : la classe ouvrière !

Une communauté capable de créer des institutions qui correspondent au besoin de reconnaissance identitaire des gens tout en éliminant l’essentiel des sources de la discrimination. Évidemment, le grand soir s’éloigne au même rythme que les chicanes communautaires fusent, mais un jour (et je le souhaite proche) l’urgence de la cause fera sauter les digues !

Benedikt Arden, juillet 2020

 https://www.lequebecois.org/lidentite-du-quebec-du-canada-et-des-autres/

COMMENTAIRES  

21/07/2020 14:15 par Georges Olivier Daudelin

Premier constat : Cet article est anti-Québécois et pro-Canadian.
Deuxième constat : Monsieur Arden confond la gauche de la droite. La gauche n’existe pas au Québec, ni au Canada d’ailleurs.
Troisième constat : Monsieur Arden est libéral et pour le droit fondé sur la croyance.
Quatrième constat : Monsieur Arden ne discerne pas entre Chose Publique et Chose Privée.

Tout mon respect pour Monsieur Benedikt Arden, mais je dénonce vivement son positionnement politique et économique.

Je suis pour la souveraineté populaire/nationale ; le drapeau bleu fleurdelisé et le drapeau rouge, ce dernier étant non unifolié.

22/07/2020 10:30 par babelouest

C’est clair, je plussoie : si ce monsieur était français, j’aurais honte d’être né sur le même sol que lui. Il ne veut pas savoir ce qu’est la souveraineté, qu’il considère comme étant dans le même panier que les pires dérives. Merci au Grand Soir de "nous avoir donné à lire" ce que pensent certains. Mais cela fait mal. Le Canada est français, n’en déplaise à ceux qui se considèrent comme les sujets (!) de la Couronne, et l’on sait ce que veut dire la Couronne. Les anglo-saxons et leurs acolytes ont un rapport très particulier, et qui me ferait vomir, avec l’argent.

22/07/2020 13:58 par Benedikt Arden

@Georges Olivier Daudelin
1- Cet article dénonce les dérives multilatérales des conceptions identitaires en raison de la dépolitisation du débat public au Québec, ce qui inclut aussi les fédéralistes.
2-La gauche existe au Québec et au Canada et celle-ci avec toutes ses tendances (dont la gauche marxiste dont je fais partie).
3-Je ne suis pas "libéral", mais marxiste (et indépendantiste de surcroît) et mon propos est exactement le contraire de celui que vous me prêtez (je présume qu’il s’agit d’une autre façon de parler du multiculturalisme ?).
4-Le sentiment identitaire est devenu une position politique en soi, alors tout ce qui touche le domaine privé et hors propos.
5-D’après son positionnement, je constate que monsieur Daudelin est un nationaliste québécois. Son biais idéologique est donc facilement identifiable et d’ailleurs fort compréhensible. Seulement, cela ne le dédouane pas de répondre a un texte qu’il n’a visiblement pas compris ou ne veut pas comprendre, sinon il aurait éviter de répondre machinalement à un épouvantail de fédéraliste libéral.

@babelouest
La souveraineté est une chose qui est d’abord politique et la dérive nationaliste (ce n’est pas la même chose) des souverainistes est un symptôme d’un déclin du mouvement qui est évident (j’en sais quelque chose, je faisais partie du RRQ et de ON). Prétendre que je le "considère comme étant dans le même panier que les pires dérives" relèvent de la mauvaise foi d’un nationalisme buté.
Si on me reproche de mettre tous les nationalismes/identitarismes dans le même panier, je plaide coupable. Mais le fait de m’accuser d’être un fédéraliste (nationaliste) canadien, parce que je critique celui des Québécois (ou des autres ?), démontre surtout que :

Le cœur du problème et la raison pour laquelle tous ces gens ne voient que des miroirs déformés d’eux-mêmes, comme de leurs adversaires, est « l’essentialisation » d’entités bien mal définies.

Je vous invite à lire cet article qui pourra préciser certains aspects du présent texte : http://www.rebellium.info/2015/10/la-dialectique-de-lexclusion_11.html

22/07/2020 14:48 par Xiao Pignouf

@Babelouest

Le Canada est français

Bah oui, tiens, la Belgique aussi une fois !

23/07/2020 06:03 par babelouest

@ Xiao Pignouf
Je n’ai pas été assez précis. Ce sont des Français qui ont exploré ces immenses étendues, fraternisé avec les Peuples Premiers et semé les bases d’une nouvelle civilisation dans un climat rude. Puis sont arrivés les hommes en rouge sang, qui ont souvent massacré les habitants d’origine en même temps que les Français au nom du Profit. Sur ce désastre, hélas, ce sont deux Français aux goûts de lucre, Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers, qui ont créé une compagnie commerciale en 1670, c’est l’une des plus anciennes du monde, et cette création eut lieu à Londres. La Compagnie de la Baie d’Hudson témoigne de ce dualisme, où le cerveau est français, et le tiroir-caisse anglais.

Le Canada est français, partout où la langue perdure. C’est pourquoi il ne faut pas ramener la francophonie au Québec. En revanche les Anglais n’y ont apporté que leur brutalité stupide, POUR FAIRE DE L’ARGENT, ils ont ce talent, mais pas de génie. Leur seule unité : la Couronne. Plus mesquin, tu es déjà mort depuis longtemps.

Bien entendu, pour comparer, actuellement le gouvernement français en France n’existe plus : ce n’est plus que l’une des sordides boutiques de la Couronne. Un synonyme de celle-ci ? Ce qu’on appelle l’État profond. C’est assez clair ?

23/07/2020 13:20 par Xiao Pignouf

@Babelouest

D’’accord, mais il reste que déclarer que le Canada est français, ça ne plaira ni aux Québécois, ni aux Canadiens en général.

En revanche les Anglais n’y ont apporté que leur brutalité stupide

Je ne suis pas spécialiste de la colonisation américaine, mais vous êtes sûr que les Français ont tous été de sympathiques pionniers ? Quand on voit leur comportement en Afrique, on se demande comment il en aurait été autrement outre-Atlantique.

C’est assez clair ?

Non, pas vraiment, j’avoue que j’ai du mal à voir où vous voulez en venir... mais faudrait que vous en discutiez avec un ou une Canadienne. L’êtes-vous d’ailleurs ?

23/07/2020 19:20 par babelouest

@ Xiao Pignouf
Pour vous répondre sur un point, j’échange des messages pratiquement tous les jours avec un ami québécois, et ce, depuis des années. Je l’ai même aidé à éditer deux livres.

Et certains de là-bas (pas tous, comme ici il y en a qui ne réfléchissent pas) préféreraient effectivement parler de Canada français, plutôt que de Québec. La langue est un élément très important.

24/07/2020 14:50 par Benedikt Arden

@ Xiao Pignouf
En tant que Québécois, je peux te confirmer que pratiquement personne n’utilise le terme de « Canadien français » aujourd’hui, car le terme fait essentiellement référence à l’époque où le Québec était en sous-développement et où les Québécois étaient gravement discriminés et exploités. Depuis la Révolution tranquille, la dénomination civique de « Québécois » est utilisée par l’immense majorité des gens (et de l’État), au point même où les anglophones sont parfois appelés « Québécois anglais ».
Cependant, il y a bien quelques tendances politiques qui utilisent encore le terme de « Canadien français », mais celles-ci se limitent généralement a celles qui se revendiquent de Robert Rumilly, Lionel Groulx et de l’époque de Maurice Duplessie. Autrement dit, l’extrême droite.

30/07/2020 02:07 par Vania

Le terme "canadien français’ est aussi utilisé par "Elvis Gratton" personnage créé par le cinéaste P. Falardeau pour caractériser le québécois fédéraliste et son idéologie :
Voici un extrait d’Elvis Gratton et son idéologie :
À partir de 3:17 :
https://www.youtube.com/watch?v=xUO-SkUJQRA
ou encore :
https://www.youtube.com/watch?v=YdJTrMqODvg

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