L’accord rend l’Ukraine ingouvernable et aura certainement pour résultat collatéral la partition du pays.
Le très mauvais projet de l’UE
L’idée de revenir à la constitution de 2004 est aussi bizarre qu’insensée. Une des questions principales débattues pendant la Révolution Orange était de savoir qui devait dominer l’autre, de la présidence ou du parlement. Eh bien les Ukrainiens ont désormais essayé les deux avec le même résultat : l’échec. Pourquoi un système centré sur le parlementarisme devrait-il maintenant fonctionner, cela n’est pas précisé. Ce qui est inquiétant c’est que Viktor Yanoukovitch a accepté de donner au parlement le contrôle de la police et des forces de sécurité. Il ne faut pas s’attendre dans ces conditions à ce qu’une enquête soit conduite sur les grandes violences commises par les insurgés. Par contre on peut être sûr qu’une chasse aux sorcières sera lancée contre la police et les forces de sécurité !
L’accord prévoit la formation d’un "gouvernement d’union nationale" dans les jours qui viennent. Le Secteur de Droite en fera-t-il partie ? Qu’en sera-t-il de ceux qui se sont rendus coupables de violence contre le régime légalement élu ? S’ils en font partie, cela reviendra à demander aux incendiaires de combattre le feu. Tout le temps que le Secteur de droite de Dmitro Yarosh contrôle les rues, l’unité nationale est une illusion.
Un autre point de l’accord est la réforme constitutionnelle. Pour le coup c’est à mourir de rire. L’opposition (et ses amis voyous, les émeutiers) et l’UE piétinent la constitution depuis des mois. L’Ukraine a eu deux élections récemment (présidentielle et parlementaire) et elles ont toutes les deux été reconnues valides par Bruxelles et Washington. Il est difficile de croire que les émeutiers ultranationalistes fanatiques qui viennent de violer de manière aussi flagrante toutes les règles du droit en Ukraine, aient besoin d’une constitution.
L’accord prévoit aussi une élection présidentielle avant décembre 2014 (quelques mois seulement avant l’expiration du mandat du président actuel). Mais il faut qu’il y ait une constitution avant. A nouveau on ne peut s’empêcher de rire. Il est clair que les régions du sud et de l’est vont exiger que la nouvelle constitution leur garantisse une grande autonomie par rapport à Kiev. L’Ukraine de l’ouest s’y opposera. Aussi ne vous imaginez pas qu’il y aura bientôt une nouvelle constitution, ni une élection présidentielle avant la fin de l’année.
Et puis il y a la question de l’enquête sur les récents actes de violence. Elle doit être conduite par les autorités, l’opposition et le Conseil de l’Europe. Qui sera donc l’opposition dans ce cas ? Le Secteur de la Droite de Dmitro Yarosh ? Doit-on penser qu’il suffit à un voyou raciste de porter un costume luxueux (payé par l’UE) pour devenir une personne respectable et légitime ?
La naïveté de l’accord ne s’arrête pas là : il est stipulé que les autorités n’imposeront pas l’état d’urgence et les autorités comme l’opposition s’engagent à ne pas user de violence. Ce point de l’accord ne vaut même pas la peine qu’on le commente. Le gouvernement aurait dû déclarer l’état d’urgence il y a des semaines et faire évacuer la place Maidan. La violence a certes été utilisée des deux côtés. Mais quand une opposition soi-disant politique en vient aux armes, cela s’appelle une insurrection (et c’est illégal et illégitime).
Au-delà de ce mauvais accord et de l’incompétence de Yanoukovitch
Certes l’UE et les Etats-Unis (voir l’enregistrement qui a fuité sur Victoria Nuland) n’ont pas marchandé leurs efforts pour déstabiliser l’Ukraine, mais Yanoukovitch est tout autant responsable du désastre. Il s’est montré indécis et irresponsable. Tout cela aurait pu être évité s’il avait agi comme un président doit le faire. Mais il semble qu’il ne pensait qu’à se faire réélire. Inutile de dire qu’aujourd’hui il ne représente plus rien. C’est tout à fait extraordinaire, si l’on considère que les institutions étatiques lui sont restées fidèles tout au long de cette crise artificielle (créée par l’Occident). Yanoukovitch les a trahies. Et il a trahi l’Ukraine et ses partenaires.
Triste perspective : la partition de l’Ukraine ?
Il est difficile de croire que l’Ukraine puisse demeure l’État souverain qu’elle est aujourd’hui. Pendant la Révolution Orange manquée, il y avait une opposition soudée. Viktor Youshchenko était respecté et considéré comme un leader légitime par une grande partie des groupes d’opposition. Malheureusement pour tous les Ukrainiens le mandat de Youshchenko s’est soldé par un échec total. Aujourd’hui la situation est bien pire. L’Ukraine a un président terriblement faible et indécis et des oppositions qui n’ont rien à voir entre elles. Qui domine qui ? Dmitro Yarosh ou Vitaly Klitschko ? Klitschko est certainement politiquement correct et tout à fait désireux de se laisser diriger par Victoria Nuland et ses pairs, mais Yarosh, c’est une autre paire de manche, c’est un extrémiste et il ne sera suivi que par une poignée d’Ukrainiens.
Dans un pays comme l’Ukraine, où la direction centrale est faible et l’opposition tout aussi faible et fragmentée, la logique de la sécession tente à s’imposer. Avant la Révolution Orange, l’Ukraine était divisée ; la crise actuelle incite à se demander pourquoi il faudrait s’en tenir au statu quo. L’Ukraine du sud et de l’est a maintenant toutes les raisons d’envisager de couper tous liens significatifs avec ceux qui contrôlent désormais Maidan et Kiev.
Derrière ce qu’on a appelé un "choix de civilisation" il y la question de qui contribue au budget de l’État. C’est l’Ukraine du sud et de l’est qui paie aujourd’hui les factures. L’UE souhaite-t-elle adopter une Ukraine occidentale pauvre et arriérée ? Les Ukrainiens de l’ouest pourront-ils aller travailler librement dans l’UE ? Et il y a beaucoup d’autres questions.
C’est l’économie, idiot !
Pendant que l’UE et le Département d’Etat étasunien s’ingéniaient à recruter des hommes de paille sur le terrain et à faire de la désinformation sur l’Ukraine dans les médias, cette ancienne république soviétique s’est retrouvée confrontée à une faillite économique et financière. La situation économique en Ukraine est grave. La Russie a décidé de retirer sa proposition de fournir au pays une aide de 15 milliards de dollars. Quand la promesse a été faite, il y avait un gouvernement légitimement élu à Kiev. L’accord de l’Union Européenne a bousculé le champ politique. Victoria Nuland et Bruxelles vont-ils soutenir financièrement les émeutiers de Kiev ? Le bon peuple d’Ukraine du sud et de l’est aimeraient bien le savoir.
Pour conclure...
Washington et Bruxelles cherchent depuis longtemps à provoquer un changement de régime en Ukraine. Ils pourraient parvenir à leurs fins. Mais les deux entités pourraient se repentir de voir leur rêve se réaliser. Au bout de compte elles pourraient se retrouver avec un état failli à leurs frontières, l’Ukraine occidentale peuplée de gens qui sont loin de partager les "valeurs de l’euro", c’est le moins qu’on puisse dire. Et puis il y a la Russie et ses intérêts. Les médias dominants occidentaux sont passés maîtres dans l’art des reportages paresseux, médiocres et biaisés, mais la vérité c’est que la Russie n’a aucune confiance dans la classe politique ukrainienne de quelque bord qu’elle soit. Pour le Kremlin, Viktor Yanoukovich, Viktor Youshchenko et Youlia Tymoshenko sont tous des perdants politiques sur qui on ne peut pas compter.
L’Ukraine est déchirée. Je pense que la Russie se sortira mieux de toute cette affaire que Washington et l’UE. Le changement de régime est une mauvaise habitude qui mène historiquement aux pires catastrophes. Malheureusement pour les Ukrainiens les mauvaises habitudes des Occidentaux n’auront aucune conséquence bénéfique sur leur vie.
Peter Lavelle participe à l’invitation de RT aux émissions "CrossTalk" et "On the Money."
Traduction : Dominique Muselet