Le 30 octobre 2014, la Suède a procédé à reconnaître officiellement la Palestine comme Etat. Cet acte avait été annoncé quelques semaines plus tôt par les nouvelles autorités élues suédoises. Israël a répondu à ce geste avec un discours bien connu chaque fois qu’un Etat reconnaît la Palestine : il fut entendu de la part de l’ambassadeur d’Israël au Costa Rica au mois de février 2008 (Note 1), et de la part de son collègue nommé dans la capitale guatémaltèque au mois d’avril 2013. Tel-Aviv a de surcroît considéré utile de faire référence à la simplicité des manuels d’Ikea (rappelant l’allusion toute aussi utile à la défaite soufferte par le Brésil 7-1 durant la dernière Coupe du Monde, lors du rappel de l’ambassadeur du Brésil en Israël par les autorités de Brasilia en pleine offensive israélienne à Gaza de juillet dernier). Nonobstant, dans le cas suédois, Tel-Aviv a décidé de rappeler son ambassadeur en Suède le même jour du 30 octobre. Ce détail avec la Suède se doit sans doute au fait qu’il s’agit du premier Etat de l’Union Européenne (UE) à reconnaître la Palestine depuis plusieurs décennies.
Une UE divisée :
Il semble utile de rappeler l’attitude de l’UE lors du vote, au mois de novembre 2012, de la résolution reconnaissant à la Palestine le statut d’ « Etat Non Membre Observateur » par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Cette dernière adopta par 138 votes en faveur, 9 contre et 41 abstentions, le projet de résolution A/67/L.28 proposé par 60 Etats. Parmi ces derniers ne figurait aucun des 27 membres de l’UE (alors que de la part de l’Amérique Latine en étaient signataires l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, Cuba, l’Equateur, le Nicaragua, le Pérou, l’Uruguay et le Venezuela). A l’heure du vote, l’apparente cohésion européenne s’estompa : en faveur votèrent l’Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la France, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, Malte, le Portugal et la Suède. Les membres restants de l’UE se retrouvèrent parmi les abstentions, à l’exception de la République Tchèque, qui considéra opportun de voter contre (conjointement avec le Canada, les Etats Unis, les Iles Marshall, Israël, la Micronésie, Nauru, Palau et le Panama) : un groupe d’Etats formant selon la presse internationale une bien singulière « coalition » (Note 2), dans laquelle le Panama se retrouva isolé par rapport au reste de l’Amérique Latine. On doit se rappeler que son Président, Ricardo Martinelli, avait reçu en 2011 le prix décerné par l’American Jewish Congress (AJC), ’Light unto The Nations” (voir communiqué de presse). Ce même prix fut décerné les années antérieures aux Présidents Nicolas Sarkozy (France) , Alvaro Uribe (Colombie) et à Angela Merkel (Allemagne).
Une note du Washington Post du 29/11/2012 fait référence à une bien étrange proposition provenant de la diplomatie britannique, que nous nous permettons de reproduire dans sa version originale : “The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court”. Comme on le sait, Israël et son fidèle allié étasunien ont toujours été extrêmement sensibles sur cette question : le dépôt par la Palestine le 21 janvier 2009 d’une déclaration d’acceptation de la juridiction de la Cour Pénale Internationale (CPI) fut considéré par le service juridique de l’armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme : le « terrorisme légal » (Note 3). Moins connue, une dépêche confidentielle rendue publique par Wikileaks de l’Ambassade des Etats-Unis à Tel-Aviv en date du 23/02/2010 (voir texte complet) exprime la part la crainte extrême que représente pour Israël la CPI : “Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”. Bien moins confidentiel, un article récent publié aux Etats-Unis (intitulé : “US is ‘absolutely adamant’ that Palestine not go to ICC and wreck the peace process — Power) précise que pour la représentante actuelle de l’administration Obama aux Nations Unies à New York : “The ICC is of course something that we have been absolutely adamant about. Secretary Kerry has made it very, very clear to the Palestinians, as has the President. I mean, this is something that really poses a profound threat to Israel” (sic). Affirmer publiquement (comme le fait l’ambassadeur Samantha Power), qu’une cour telle que la CPI (juridiction internationale chargée de juger pénalement des responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide) constitue une menace réelle pour un Etat doit sans nulle doute constituer une véritable première dans l’histoire du droit international, que l’on se doit de relever. Certains y verront peut-être même une manifestation s’apparentant à un aveu.
A noter qu’en réponse à ce vote obtenu par la Palestine aux Nations-Unies le 29 Novembre 2012, le Premier Ministre israélien donna son accord pour poursuivre la politique de colonisation hors du territoire israélien, avec 3000 logements nouveaux en Cisjordanie et notamment à Jérusalem Est (voir note de presse du 30 novembre 2014) : une réaction qui fait partie d’une bien longue liste d’actes de ce type, et qui se vérifiera une nouvelle fois en 2014, à l’occasion cette fois de l’adhésion de la Palestine à divers traités universels en matière de droits de l’homme (Note 4). On notera que les 3000 logements illégaux décidés fin 2012 donnèrent lieu à une innovation technique au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies : le « véto implicite » instauré par la délégation des Etats-Unis (Note 5).
La révision minutieuse sur l’état des relations de la Palestine avec les 28 Etats membres actuels de l’UE impose quelques nuances. A la Suède depuis le 30 octobre, il faut ajouter Malte et Chypre qui reconnaissent la Palestine comme Etat depuis 1988, ainsi que les Etats de l’ancien bloc socialiste aujourd’hui intégrés à l’UE et qui reconnaissent également la Palestine (depuis 1988) : la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et la Roumanie. Lors du vote de novembre 2012 aux Nations Unies, ces cinq Etats (ainsi que la Slovaquie et la Slovénie) optèrent pour l’abstention, à l’exception de la République Tchèque, dont la fidélité extrême aux Etats-Unis et à Israël obligea son délégué à voter contre : un exercice dont la consistance du point de vue juridique est sans doute sans précédent. Les propos tenus moins d’un an plus tard par l’actuel Président de la République Tchèque concernant l’emplacement souhaité de l’ambassade tchèque en Israël confirment que cette fidélité constitue en réalité une loyauté à toute épreuve (Note 6).
Le geste du Costa Rica :
La reconnaissance de la Palestine comme Etat par le Costa Rica date du mois de février 2008, et provoqua la surprise d’Israël et des Etats Unis (voir dépêche confidentielle rendue publique para Wikileaks). Les indiscrétions d’autres câbles Wikileaks sont sans ambigüités à propos de la perception des responsables politiques à l’ambassade des Etats-Unis à San José transmises à leurs supérieurs à Washington quant à la position hardie - et difficilement réfutable - du Costa Rica : dans l’une d’elles (voir texte) ont y lit qu’il s’agit d’ « a well-reasoned rationale for recognizing “State” of Palestine, taking into account Costa Rica’s yes vote on UN Resolution 181 and the GOCR (Government of Costa Rica) desire to give a strong show of support to Abbas, in the face of Hamas”. Ce geste audacieux du Costa Rica fut présenté de telle manière qu’il donna lieu à la reconnaissance de la Palestine par le reste de presque toute l’Amérique Latine quelques mois plus tard. Après le Costa Rica, firent de même le Venezuela (avril 2009), la République Dominicaine (juillet 2009), la Bolivie, le Brésil, l’Equateur et le Paraguay (décembre 2010), le Pérou et le Chili (janvier 2011), l’Argentine (février 2011), l’Uruguay (mars 2011), El Salvador et le Honduras (août 2011). A ces reconnaissances, il faut ajouter celles de Cuba et du Nicaragua (faites dès 1988). Les derniers Etats de la région à procéder de la sorte sont le Guatemala (avril 2013) et Haïti (septembre 2013). Seuls la Colombie, le Mexique et le Panama maintiennent leurs distances avec la Palestine actuellement : dans deux des trois cas, la proximité avec les Etats-Unis peut expliquer cette attitude.
A noter qu’à l’occasion de la dernière opération israélienne sur Gaza initiée en juillet 2014, plusieurs Etats latino-américains ont procédé à rappeler leurs ambassadeurs dès la fin du mois de juillet 2014 (Brésil, Chili, El Salvador, et Pérou). En outre, plusieurs chefs d’Etat (Equateur, Bolivie, Nicaragua, Uruguay et Venezuela) ont fermement condamné Israël, usant de qualificatifs tels que « acte de folie », « génocide », « massacre » (objets d’une étude récente publiée au Costa Rica). Alors que début août 2014, le bilan officiel donné par les Nations Unies était de 66 morts côté israélien (dont 63 militaires et trois civils) et de 1525 victimes mortelles côté palestinien (voir rapport officiel au 3 août 2014), le bilan un mois plus tard était de 71 morts israéliennes (incluant celles de 66 militaires et de quatre civils) ; et, côté palestinien, de 2131 morts (1531 correspondant à des civils, dont 501 enfants et 257 femmes) - voir rapport officiel au 4 septembre 2014.
Le défi posé par la Suède :
Les déclarations de la Ministre des Affaires Etrangères suédoise, Margot Wallström, expliquant les raisons pour procéder à la reconnaissance de la Palestine, ont été accompagnées par un communiqué officiel dans lequel la Suède a annoncé une augmentation significative de sa coopération avec la Palestine. Salué par les autorités palestiniennes comme un geste “courageux et historique”, cette initiative de la Suède a relancé le débat en Europe sur la question, y compris au Royaume-Uni : son Parlement a adopté le 13 octobre dernier une résolution exigeant au Pouvoir Exécutif de procéder à cette reconnaissance (avec 274 votes pour et 12 contre). Le Congrès espagnol a fait de même le 18 novembre, avec une écrasante majorité (319 votes pour, une abstention et deux votes contre) (Note 7). La France a vécu une expérience similaire, avec un débat sur la reconnaissance de la Palestine qui débuta vendredi 28 novembre au sein de l’Assemblée Nationale (voir texte de la proposition de résolution 2387 déposée le 20 novembre 2014) et un vote le 2 décembre : le texte obtint 339 votes en faveur, 151 contre et 16 abstentions (voir notre brève analyse publiée sur le site Derechoaldia).
On notera que le résultat quasi unanime des exercices parlementaires au Royaume-Uni et en Espagne lancent un message clair et univoque au Pouvoir Exécutif (et par la même occasion aux autorités israéliennes).
Il s’agit d’un mécanisme inusité pour procéder à la reconnaissance d’un Etat par un autre Etat, lequel constitue, comme on le sait bien, un acte juridique unilatéral que peut adopter tout Exécutif dans le cadre de ses compétences en matière de politique extérieure. Avec la Suède, on dénombre à l’heure actuelle 134 Etats reconnaissant officiellement la Palestine comme Etat, sans avoir eu nécessité de session parlementaire préalable quelconque. Comme tout acte juridique unilatéral, la forme que revêt l’acte de reconnaissance de la Palestine comme Etat est variable : il peut s’agir d’une longue déclaration officielle comme ce fut le cas du Brésil au mois de décembre 2010 (voir texte du communiqué officiel) ; ou bien d’un texte plus modeste, comme celui de l’Uruguay du mois de mars 2011 (voir texte du communiqué officiel) ou encore celui de El Salvador d’août 2011 (voir texte du communiqué officiel) pour ne citer que quelques exemples.
Le caractère unanime des récents votes au Royaume Uni et en Espagne sur la question laisse entrevoir une marge de manœuvre extrêmement étroite pour un Exécutif hésitant. On notera dans le cas espagnol la discrétion de la réaction israélienne, qui tranche avec la réaction virulente de l’ambassade d’Israël en Espagne suite à une modeste déclaration en signe de solidarité avec le peuple palestinien adoptée par le Parlement de la Galicie au mois de mai 2014 (Note 8). Quant aux déclarations de hauts responsables israéliens publiées dans la presse suite au geste de la Suède, elles laissent entrevoir leurs craintes concernant les effets de cette reconnaissance dans le reste de l’Europe. Ces craintes (fondées) rappellent précisément l’argument (tout aussi fondé) présenté par le Costa Rica en 2008, que nous pouvons apprécier en relisant le texte d’une conférence de son ancien Ministre des Affaires Etrangères, Bruno Stagno (2006-2010), prononcée lors d’une réunion des Nations Unies à Montevideo en 2011 : “En 1947, le Costa Rica, ainsi que 12 autres pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, approuva la résolution 181 (II) de l’ Assemblée Générale relative au Plan de Partage du Mandat Britannique en Palestine. A cette occasion, nous avons fait partie des 33 pays qui ont reconnu très tôt que la coexistence de deux Etats s’imposait comme la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres. Depuis, nous avons vu défiler une tragédie derrière l’autre, incluant guerres et intifadas, assassinats et attentats, affectant sérieusement le droit à vivre sans peur des deux peuples. Parallèlement, et sans un calendrier saisonnier clair, nous avons vu naître des promesses et des espoirs de divers processus de paix, sans obtenir la récolte des dividendes de la paix. Une terre fertile pour les doubles discours, pour des intérêts extérieurs et pour une triste réitération d’évènements remettant à plus tard la réalisation du mandat accordé en 1947 » (traduction libre du texte espagnol).
Conclusion :
Il y a cinq ans, le professeur Alain Bockel dans un article intitulé « Gaza : le processus de paix en question » publié dans l’Annuaire Français de Droit International analysait l’option des responsables israéliens définie comme « la gestion du pourrissement » à laquelle on assiste depuis plusieurs années : une option « empruntée par les gouvernements israéliens successifs depuis dix ans avec un bonheur relatif » et qui consiste, selon cet auteur, « à laisser les choses en l’état, en refusant en fait toute solution allant dans le sens de l’émergence d’un véritable Etat palestinien, tout en donnant l’apparence de la bonne volonté en se prêtant périodiquement au jeu de la négociation » (Note 9). C’est effectivement ce à quoi on a assisté durant toutes ces années, avec cependant une augmentation spectaculaire du nombre de logements israéliens illégaux en Palestine et à Jérusalem Est par rapport aux années précédentes (Note 10). Pour une avoir une idée des chiffres, une ONG israélienne dénombrait 13.851 nouveaux logements israéliens approuvés pendant la période allant d’août 2013 à mars 2014 en Cisjordanie et à Jérusalem Est (voir note de presse).
On remarquera que dès 1988, le même Annuaire incluait un article du professeur Jean Salmon qui concluait pour sa part que « reconnaître l’Etat palestinien n’est sans soute rien de plus que l’affirmation du droit du peuple palestinien à créer aussitôt que possible cet Etat, mais c’est surtout poser un acte de solidarité à l’égard du peuple palestinien et de volonté de respect du droit international » (Note 11). Le geste de la Suède a relancé de manière notoire le débat dans plusieurs Etats européens. Durant ces derniers jours, la discussion en France sur la reconnaissance de la Palestine s’est considérablement intensifiée et elle s’est étendue à bien d’autres membres de l’Union Européenne, tels la Belgique, le Luxembourg, le Danemark pour ne citer que quelques pays. Cette discussion devrait tenir compte, parmi d’autres éléments, de l’absence de réaction significative israélienne au geste suédois (l’ambassadeur israélien rappelé le 30 octobre est de retour dans son bureau depuis le vendredi 28 novembre (selon une note de presse), en signe de « paix » : ce retour s’est fait sans que l’on comprenne bien quel fut le geste hostile ou offensif de la pacifique Suède l’obligeant à quitter la capitale suédoise pour y revenir en « signe de paix ». Le débat devrait aussi tenir compte de la discrétion israélienne en ce qui concerne la décision du Congrès espagnol du 18 novembre.
Nicolas Boeglin
Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR).