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Le coup d’Etat en Turquie : perspective historique

Les remarques ci-après ont pour sujet la tentative de coup d’État militaire en Turquie, dans la nuit du 16 au 17 juillet dernier, tentative qui a donné l’occasion au président turc, Recep Tayyip Erdogan, de procéder à de vastes purges - qu’il avait peut-être déjà envisagées, et que l’échec du coup d’État n’aurait, en ce cas, fait qu’anticiper et, surtout, qu’amplifier. [Ce que le Monde diplomatique (avec prescience ?), avait peut-être subodoré par ses deux articles de juillet].

Il est intéressant de noter que les médias qui, à cet égard, ont rappelé les divers coups d’État qui ont eu lieu en Turquie depuis la guerre (1960, 1971, 1980, 1997), et qui furent tous des coups d’État réussis (du point de vue de leurs instigateurs), n’aient pas rappelé une autre rébellion militaire, dans cette même Turquie, bien longtemps auparavant, rébellion elle aussi ratée, celle des janissaires, exterminés par le sultan Mahmoud II le 16 juin 1826.

Quel rapport y a-t-il entre l’un et l’autre événement ?

A. Dans l’un et l’autre cas, l’élément révolté est l’armée, une armée avec un statut initialement prestigieux, lié à la formation de l’État (ottoman dans un cas, turc dans l’autre). Les janissaires étaient une troupe d’infanterie d’élite, recrutée initialement par enlèvement d’enfants chrétiens (et non pas musulmans !) dans les territoires chrétiens occupés, temporairement ou durablement, par les Ottomans (Bosniaques, Grecs, Albanais, Serbes, Ukrainiens, Russes...). L’apogée de cette troupe correspondit à peu près à celle de la grande période d’expansion (et aussi d’apogée) de l’empire ottoman, de la fin du XIVe siècle (bataille de Nicopolis en 1396, conquête de Constantinople en 1453) à la mort du sultan Soliman le Magnifique, en 1566, voire, au plus tard, à la guerre de Quinze ans, terminée en 1606. Par la suite, les janissaires furent de plus en plus recrutés parmi les Turcs eux-mêmes - ce qui, paradoxalement, affaiblit leur valeur militaire. Et, au lieu de combattre des adversaires extérieurs (les Vénitiens, les Autrichiens, les Russes...), quelquefois avec succès, mais, le plus souvent, avec échec (Mogersdorf, Vienne, Zenta, Peterwardein, Belgrade...) les janissaires versèrent dans l’indiscipline et tournèrent leurs ardeurs guerrières vers l’intérieur, en se révoltant à plusieurs reprises contre les sultans.

B. L’armée turque, qui a pris la succession de l’armée ottomane après 1918, jouit également d’un grand prestige, en raison de la guerre fondatrice de l’actuelle République de Turquie, juste après la défaite de l’empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale : victoire contre les Grecs, victoire contre les Français, victoire contre les Arméniens. Il est d’ailleurs révélateur que, lorsqu’on visite le Musée militaire d’Istanbul, les deux épisodes les plus mis en valeur dans les reconstitutions du XXe siècle, sont la bataille des Dardanelles - l’une des rares victoires turques de la guerre de 14 - et la guerre gréco-turque. Et le prestige de l’armée turque tient aussi à son rôle de gardienne de l’héritage kémaliste (laïcisation du pays, réorganisation administrative et culturelle sur le modèle européen, qui libérait la Sublime Porte de son humiliant statut "d’homme malade de l’Europe").

Depuis la guerre de 14-18, l’armée turque n’a guère connu d’engagement à la hauteur de sa puissance (elle est la 2e armée de terre de l’OTAN et possède 300 avions de combat contre 230 à la France). La Turquie n’a pas (prudemment ? sagement ?) participé à la Seconde Guerre mondiale. Elle a fourni, par mouvement tournant, quelque 15 000 hommes regroupés dans une brigade durant la guerre de Corée, et a occupé le nord de Chypre en 1974 contre la faible armée chypriote grecque. Elle a enfin participé à quelques opérations lors des guerres yougoslaves, dans les années 1990, sous commandement international. Mais tout cela, eu égard à ses possibilités, est fort mince. [Je précise que je n’insinue pas pour autant, que, depuis 1922, les Turcs auraient mieux fait de connaître des grandes guerres : s’ils les ont évitées, tant mieux pour eux].

De fait, l’armée turque, depuis 1945, s’est bien plus "illustrée" par ses coups d’État (voir ci-dessus) et sa très longue guerre contre les Kurdes, commencée en 1984 et toujours pas achevée, avec quelques incursions dans les pays voisins contre des Kurdes d’autres pays) : elle apparaît donc davantage comme un instrument de répression interne que comme un outil de défense externe. Et, de fait, depuis 1922, la Turquie n’a guère été menacée de l’extérieur.

Dans les deux cas, l’armée qui se révolte est une institution qui a perdu beaucoup de son prestige faute de se battre avec des adversaires extérieurs à sa mesure, et qui a dilapidé son crédit par des révoltes contre le gouvernement. Et c’est une institution qui se sent menacée (sur le déclin ?), dans le cas des janissaires par la constitution d’une armée à l’européenne, dans le cas de l’armée turque de 2016 par la montée d’un islamisme qui sape les fondements du kémalisme et du laïcisme dont elle se pense garante.

Le problème, pour une armée qui fomente un coup d’État, est que celui-ci ne réussit que s’il est appuyé par une fraction importante (mais surtout, influente) de la société. Par exemple en Espagne en 1936 ou au Chili en 1971, ou en Indonésie en 1965 ("L’année de tous les dangers"). Or, ce n’était le cas ni pour les janissaires en 1826, ni pour l’armée turque en 2016. Dans les deux cas, elle ne disposait plus d’un soutien suffisant au sein de la société. Dans les deux cas, le chef de l’État a pu faire appel à la population qui, prévenue contre les militaires rebelles, est venue en renfort des forces loyalistes. En 1826, des janissaires furent égorgés dans les rues par la population, et l’on a rapporté que quelques soldats rebelles, le 16 et le 17 juillet dernier, auraient été lynchés par les partisans d’Erdogan sur des ponts d’Istanbul.

Ce complot raté a précipité une évolution que redoutaient les comploteurs (ou les révoltés), qui discernaient que leur institution était en péril. En fait, comme dans la fable, par son action, elle n’a fait que précipiter l’évolution. Sans passer en revue tous les complots (ou prétendus complots) réprimés au cours de l’Histoire (de la Conjuration d’Amboise au complot contre Hitler de juillet 1944), les deux situations qui peuvent y faire penser le plus furent la répression des Streltsy par Pierre le Grand en 1698 (qui amena la création d’une armée russe à l’européenne), et, toujours en Russie, mais bien plus tard, le coup d’État communiste d’août 1991 contre Mikhaïl Gorbatchev, qui précipita la dislocation de l’URSS - et la disparition de son régime - et l’ascension de Boris Eltsine.

Philippe Arnaud

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