Car si l’histoire retiendra son rôle de premier plan dans l’histoire du Portugal depuis la chute du régime fasciste, le moins que l’on puisse écrire est que son action a non seulement suscité des fortes contestations de la part de ceux qui précisément ont été des acteurs de cette révolution comme elle n’a jamais mérité de sa part un quelconque début d’autocritique.
Il aura tout fait pour empêcher que cette révolution puisse entraîner des transformations sociales, économiques et politiques permettant au peuple de prendre son destin en main, d’abord à l’occasion d’un processus de décolonisation laissant l’initiative aux mouvements de libération des pays concernés puis lors d’un processus politique à même de libérer le pays des tutelles économiques qu’il subissait depuis si longtemps.
C’est d’ailleurs en tant que ministre des Affaires Étrangères du gouvernement provisoire qu’il imposera, sur injonction des USA, la présence de l’UNITA à la conférence d’Alvor au Portugal en janvier 75 sur l’accession à l’indépendance de l’Angola, alors que ce mouvement qui est né de la collaboration avec l’armée coloniale portugaise pendant le conflit contre le MPLA, mouvement historique de libération, n’était même pas reconnu comme mouvement de libération par l’O.U.A., avec le résultat tragique pour le peuple angolais qui en résultera.
Il n’a jamais non plus hésité à présenter le Général Spinola, ancien Commandant du corps expéditionnaire de l’armée coloniale portugaise en Guinée, premier Chef de la Junte de Salut National, mise en place le 25 avril 1974 pour remplacer le pouvoir fasciste comme un grand chef militaire opposé au dernier Président du Conseil fasciste, Marcelo Caetano le successeur de Salazar, et comme un homme du 25 avril. Or Spinola, membre par le passé de la « División Azul » ayant combattu aux côtés des nazis sur le front soviétique, n’a jamais été lié aux Mouvements des Capitaines. S’il est devenu Chef de la Junte de Salut National, c’est par le biais d’un compromis entre le Mouvement des Forces Armées, auteur du mouvement militaire ayant mis fin au fascisme et qui lui préférait le Général Costa-Gomes , et les dirigeants de la dictature. Lorsque son interlocuteur avait l’outrecuidance de rappeler les liens de Spinola avec l’extrême-droite et ses tentatives de coup d’État contre la Révolution des Œillets, notamment le 11 mars 1975, SOARES ne s’embarrassait pas en répondant « qu’il ne sait pas s’il a tenté ou non un coup d’État et encore moins s’il avait des relations avec l’extrême-droite » alors que ces faits sont historiquement avérés. Mais il a sans ambages affirmé « Spinola a été un grand chef militaire, d’un courage exemplaire d’ailleurs. »
Lorsqu’il était questionné sur ses liens privilégiés avec Frank CARLUCCI, ambassadeur des USA nommé juste après le 25 avril 1974 et haut fonctionnaire notoire de la CIA, il avait le culot de dire qu’il n’en savait rien : « Les attaques des communistes contre Carlucci ont été totalement inutiles. Quant à être ou pas de la CIA, je ne saurais le dire, cela ne m’a d’ailleurs jamais intéressé. » Des faits pas même contestés pourtant.
C’est le même Soares qui n’hésitait pas à traiter, lors d’un meeting contre la Révolution à Lisbonne le 19 juillet 1975, la direction du Parti Communiste Portugais « d’irresponsables et de cercle de paranoïaques » ainsi que les dirigeants de la grande centrale syndicale portugaise, la CGTP-Intersindical, d’être aussi un « repaire d’irresponsables que ne représentent pas le peuple portugais. » Lui aussi qui avouait que « lors du moment le plus difficile du Processus Révolutionnaire, Monsieur le Patriarche nous a aidés, j’ai d’ailleurs sollicité plusieurs audiences qu’il nous a accordés, certaines d’ailleurs secrètes. » Quand l’on sait quel a pu être le rôle contre la Révolution des Œillets de la hiérarchie catholique portugaise de l’époque, voilà qui se passe de commentaires.
Il est vrai qu’il n’hésitait pas à se targuer des excellentes relations qu’il entretenait avec Manuel Fraga Iribarne, franquiste notoire ainsi qu’avec Adolfo Suarez, autre néo-franquiste notoire.
Après avoir réussi à inverser le cours historique de la Révolution avec le Coup d’État du 25 Novembre 1975, il s’est méticuleusement investi dans la remise en cause de ses grandes conquêtes sociales comme la Réforme Agraire, les nationalisations et les droits des travailleurs notamment. Il aura été à ce titre le maître d’œuvre de l’adhésion du Portugal à la C.E.E., ancêtre de l’actuelle Union Européenne. Cela lui permettra, après une défaite aux législatives de 1985, d’être élu Président de la République en 1986 pour deux mandats successifs, sachant que le Président de la République au Portugal n’a pas le rôle de chef de l’exécutif qu’il a en France.
Là encore quelques citations de l’intéressé s’imposent :
« J’ai décidé de présenter ma candidature aux présidentielles en 1986, tout en ayant conscience d’avoir mené au gouvernement une politique impopulaire mais nécessaire, courant le risque de perdre les élections ! »
« Pour le Portugal, l’adhésion à la CEE représentait une option fondamentale vers un futur de progrès et de modernité. »
Les Portugais, confrontés à des politiques sociales de plus en plus dures et injustes justifiées soi-disant au nom de l’Union Européenne apprécieront sans aucun doute ces oracles lénifiants. Qu’il s’agisse des retraités obligés de survivre dans la misère, des jeunes contraints de s’expatrier pour essayer de trouver une planche de survie après s’être épuisés à force de contrats précaires, de tous les citoyens morts de n’avoir pu être pris en charge par un Service National de Santé sinistré malgré l’extrême dévouement de personnels pressés jusqu’au citron, de tous ceux qui se gèlent dans les établissements d’enseignement du pays depuis qu’ils ne sont plus chauffés, ils sont nombreux les Portugais à apprécier tout le sel, si tant est qu’il leur en reste pour agrémenter leur rata, de ces propos.
À propos justement de l’entrée dans l’Union Européenne, il ne dira rien sur la soumission aux logiques de marché du capital des forces politiques qu’il a mené, avec d’autres, pas un mot sur la responsabilité des dirigeants politiques, dont lui-même, dans cette évolution. Il gardera silence sur la complicité avérée de la social-démocratie et de la droite européenne dans ce processus d’éloignement des centres de décision des mécanismes de contrôle démocratique dont le rôle joué par Jean-Claude Juncker, actuel Président de la Commission Européenne pourtant mouillé jusqu’au cou dans le scandale LuxLeaks, n’est qu’une des tristes illustration.
Alors, un peu de décence malgré tout ne saurait nuire dans ce cortège funèbre qui n’est pas obligé de virer au funeste.
Pedro da Nóbrega