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Le gang des Bois du Temple : ma cité contre l’Arabie Saoudite

Il était facile d’opposer Le gang des Bois du Temple à la dernière Palme d’or : pour L’Humanité, c’est « une anatomie d’une chute « sans cinoche » » . Rabah Ameur-Zaïmeche nous propose en effet l’« anatomie » d’une bande de lascars dans une cité : cela nous ouvre plus au monde réel et aux problèmes de la société actuelle que les avanies d’un couple d’intellos conçues pour le Festival de Cannes. La presse est le plus souvent élogieuse (une des seules exceptions : Le Figaro) à l’égard du film de RAZ ; il est certes surprenant, à la fois humain, poétique, mais aussi hétérogène, et on peut s’interroger sur certains aspects, religieux et politiques.

Ce n’est pas un film d’action qu’a voulu faire RAZ : le braquage lui-même, l’enquête par un détective privé, et le dénouement sanglant sont rapidement expédiés, presque résumés, en opposition à des séquences, qu’on pourrait considérer comme des temps morts, ou de flottement, qui sont, elles, filmées avec lenteur, et développées. RAZ prend plaisir à faire sentir l’atmosphère conviviale d’une cité, le vivre ensemble au quotidien d’habitants solidaires, unis par leurs conditions de vie en marge de la ville, et un avenir bloqué ; il y a une très jolie scène, pleine d’humour, où les lascars, prudents après la réussite de leur coup, dépensent modestement leurs gains en sachets de graines pour nourrir les pigeons. Mais leur tentative pour échapper à l’impasse de la cité tournera vite mal : ce sera « la chute cruelle d’une utopie politique » (Culturopoing).

Mais les aventures des lascars sont encadrées par deux séquences dont le protagoniste est un certain Monsieur Pons, qui se veut anodin (il est surtout connu dans la cité par sa mère qui offrait des crêpes aux gamins), mais qui est en fait très mystérieux.

Le film s’ouvre sur la mort de sa mère, et on suit la messe funèbre, filmée très longuement et de façon très rapprochée. Le premier sentiment est de surprise : pas de prières dirigées par un imam, mais une messe catholique – et à aucun moment dans le film il ne sera question d’Islam, que ce soit pour (Les Misérables) ou, comme plus souvent, contre. Par contre, la caméra suit attentivement, et même respectueusement, les gestes du prêtre, les va-et-vient de la cassolette d’encens, et la fumée qui s’en échappe (on ne peut ici que se souvenir des origines orientales du rituel catholique). Et l’on restera dans l’église tout le temps d’une chanson (ou cantique) chantée d’une voix rauque et hiératique par une vieille dame : Annkrist (chanteuse bretonne qui a eu son heure de gloire dans les années 70, et qui est, depuis 2021, redécouverte).

Mais, avant même cette scène, on voyait un panoramique aérien, plongeant sur la ville proche (Bordeaux, en l’occurrence : la Cité des Bois du Temple, à Clichy sous Bois, a été détruite, et RAZ la recrée, peut-on dire, de façon universelle), à partir du toit d’un immeuble, et du regard de M. Pons. Même s’il semble seulement, au début, n’être que l’ami de la bande, c’est ainsi lui qui domine (au propre comme au figuré) tout le film, auquel il apporte aussi sa conclusion.

Qui est donc M. Pons ? Il veille d’en haut sur la cité, essayant d’aider ses habitants (il ramasse même les sacs poubelle abandonnés sur la pelouse) : on pense aux anges des Ailes du désir, de Wim Wenders. Le film aurait pu s’appeler : Le ciel au-dessus de Clichy sous Bois (comme le titre allemand du premier : Le ciel au-dessus de Berlin). M. Pons est « l’ange de la cité » (entendu dans le débat sur le film de France Culture), un « collègue » de Damiel, l’ange qui renonce au ciel pour aider une humaine. Dans la cité, M. Pons se déplace toujours avec son caddy : peut-être contient-il, au lieu de courses, ses ailes ? Et lorsque le gang aura été liquidé, M. Pons, ancien soldat, se décidera à ressortir son arme, pour se transformer en Justicier (c’est, heureusement, l’antithèse de l’ignoble Dheepan, d’Audiard, où l’ancien soldat des Tigres sri-lankais ressortait son arme pour nettoyer son immeuble des Noirs et des Arabes). On peut alors faire le lien avec la scène de l’église : lorsque le prêtre (dont le visage reste toujours invisible) place sa main sur le visage en larmes de M. Pons et l’attire à lui pour le consoler, c’est comme si Dieu l’élisait pour lui confier une mission.

Cette lecture expliquerait l’aspect de « poésie élégiaque » (France Culture) qui émane du film. Mais on est gêné par le choix étonnant, pour incarner l’Ange de la Justice, ou de la Miséricorde, d’un ex-soldat des forces coloniales françaises, qui plus est sniper, qui, dit-il, est intervenu au Rwanda (et on sait bien que la France n’est pas intervenue pour s’opposer au génocide), au Congo. Les « grands frères » musulmans remplacés par un tonton sniper ? Voilà qui est inquiétant.

Un autre élément étonnant, c’est le choix, comme victime du braquage, d’un prince saoudien, montré, à plusieurs reprises, de façon caricaturale : égrenant son chapelet, le visage caché par les pans de sa keffieh rouge, donnant sa main à baiser, de façon féodale ou mafieuse, à son homme de confiance étasunien.
Les critiques se montrent souvent flous quant à sa nationalité, le désignant comme « qatari », « émirati », ou, plus vaguement, arabe. Mais non, il est clairement identifié dans le film comme saoudien : dans le débat de France Culture, on s’étonne, judicieusement, qu’un prince saoudien apparaisse comme l’ennemi numéro un des habitants des cités ! Le film aurait été plus fort, et on l’aurait suivi plus volontiers, si le gang avait dérobé, outre l’argent, la mallette pleine de papiers compromettants à un grand dirigeant d’entreprise franco-étasunien, ou (rêvons un peu) à Macron : c’est seulement ainsi que l’intrigue aurait eu un véritable enjeu.

Mais on peut faire une hypothèse : le film s’intègre bien (que RAZ en soit ou non conscient) dans ce contexte qui voit l’Arabie Saoudite s’éloigner des Etats-Unis et s’intégrer aux Brics. Dans une interview, le réalisateur raconte qu’à l’origine du film, il y a eu le meurtre, en 2018, de Jamal Khashoggi, à l’ambassade saoudienne d’Istamboul. Mais pourquoi se focaliser là-dessus, alors qu’auparavant et depuis, il y a eu tant d’assassinats politiques, dont la CIA et le Mossad sont spécialistes ? Auxquels s’ajoute maintenant l’Ukraine, avec la liste noire (kill list) de la plate-forme Myrotvorets.

Ces choix curieux (l’ange sniper et le bouc émissaire saoudien) affaiblissent le film, qui est de plus écartelé entre deux centres d’intérêt, le braquage des lascars, et le rôle sotériologique de M. Pons. Les moments les plus intéressants sont finalement marginaux par rapport à l’intrigue, ce qui fait qu’on sort du film à moitié convaincu (ou à moitié déçu).

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