RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Les artistes et la politique en Haïti. Autour de l’affaire Evans Paul

Les réactions sur le web relatives à la nomination d’Evans Paul, dramaturge et metteur en scène, au poste de premier ministre d’Haïti, mettent à nu l’indigence de la pensée critique sur ce territoire. Certains affirment péjorativement qu’on est désormais dirigé par deux artistes, un président-musicien et un premier-ministre-comédien. Ils estiment que ces artistes vont transformer l’Etat en une scène où la vérité sera rejetée au profit de la représentation. Le ridicule serait toujours au rendez-vous. D’autres, plus catégoriques, affirment qu’on va vers l’abîme total en livrant l’Etat aux artistes naturellement incompétents face à la chose publique. L’idée commune est que les artistes doivent rester dans leur domaine respectif, l’art, qui serait incompatible avec la politique (comme prise du pouvoir au niveau de l’Etat). Ainsi, toujours dans cette même perspective, un artiste ne serait pas apte à diriger un pays. Quel est le fondement de cette idée dominante ? Les artistes ne sont-ils pas essentiellement politiques ? L’art n’est-il pas de nature révolutionnaire ?

De prime abord, on peut affirmer que cette conception exprime une majeure incompréhension théorique de ce que sont la politique et l’art. Elle fait de la politique une activité réservée uniquement aux ¨politiciens¨, et donc le plus souvent à l’élite intellectuelle. Cette dernière, en fonction de son capital symbolique, est très bien vue dans les divers postes au niveau de l’Etat. Une telle conception est antidémocratique dans la mesure où elle réclame un certains nombre de savoirs pour diriger. Comme le prétend depuis l’antiquité Protagoras, l’affirmation selon laquelle l’élite intellectuelle serait mieux armée pour diriger ruine toute l’entreprise démocratique. Ce savoir, s’il est vraiment nécessaire en politique, peut être acquis dans les expériences quotidiennes et/ou militantes. Les artistes le possèdent et ne sont pas des handicapés politiques.

C’est au nom de cette exclusion politique que le président Michel Joseph Martelly, un contre-exemple de cette conception, de par son statut de chanteur, a déclaré qu’il ne veut pas de communiste et de pauvre au pouvoir. Et il affirme avec fierté et insistance qu’il est prêt à barrer la route à toute candidature de cette trempe. Son animosité pour le communisme est compréhensible car il est libéral économiquement et ne manifeste aucun intérêt pour améliorer les conditions de vie de la population haïtienne. Quant à combattre les pauvres en politique, on est stupéfait de voir toute sa détermination à renforcer un système oligarchique dans lequel les bourgeois sont rois. C’est un coup dur pour ce peuple qui a opté pour la démocratie lors des événements anti-duvaliéristes de 1986.

Gracia Delva, victime de ce partage de la société, l’a aussi reprise dans une de ces chansons populaires : ¨gen docktè nan tribunal la, se alanvè bagay yo ye ...¨. Il estimait que les choses se font à l’envers en Haïti à cause de ces déplacements sociologiques qui font que les gens changent de places et de rang. Le chanteur, une fois devenu député, va rompre avec cette position, car il fait partie de l’un des rares artistes dans le parlement, pour ne pas dire le seul. Ce mode de fonctionnement à l’¨envers¨ est profitable pour lui mais contesté pour les autres. C’est une limite sociologique qui fixe, en fonction de votre statut ou profession, votre place dans la société et vous empêche d’exercer plusieurs activités. L’exemple de l’artiste Manno Charlemagne, ancien maire de Port-au-Prince, devrait casser cette démarche conservatrice qui fait de la politique un lieu réservé aux privilégiés.

Le monde artistique est essentiellement caractérisé par l’imagination, la création et la nouveauté, dans le but d’exprimer et d’atteindre une certaine originalité. Il y a dans l’art un amour pour le nouveau qui nous met sur le chemin du changement. Un vrai artiste doit user de sa capacité imaginative pour représenter le réel sous un visage original. Disons mieux, il doit contribuer à dessiner un paysage nouveau de la réalité. Il est, dans ce cas, un éternel apôtre du changement. Ce qui serait bénéfique pour la politique dans son objectif principal d’améliorer les conditions de vie de la population. Un artiste en politique doit faire preuve d’imagination afin de créer de nouvelles stratégies pour combattre les imperfections économiques et sociales. L’esprit créatif, c’est ce qui manque à nos hommes politiques. Un dirigeant progressiste doit être un artiste complet.

Le philosophe français Jacques Rancière va plus loin en déclarant que l’art est essentiellement politique dans sa tendance à ne pas respecter l’ordre social. Selon lui, l’art a cette capacité de tourner en dérision les icônes dominantes de la société. Il nous fait voir ce qui était caché et entendre les non-dits, déclare Jacques Rancière. L’art nous rapproche de la vérité en faisant rupture avec les schèmes dominants. La politique est au cœur des pratiques artistiques qui cherchent toujours à s’écarter des agencements du réel.

Tous ces artistes qui s’engagent dans la sphère politique en Haïti montrent que le temps est venu de renverser cette vieille conception qui rend politiquement incompétents les artistes. Ces derniers doivent faire preuve d’imagination au pouvoir, afin de nous aider à sortir du chaos économique et social actuel. L’imagination, lieu du possible, fait bon ménage avec le futur dans une perspective meilleure. Dans Les théoriciens au pouvoir, Démesvar Delorme s’inscrit dans cette démarche selon laquelle la faculté d’imaginer serait essentielle pour diriger. Sans pointer les artistes, ce grand intellectuel haïtien nous invite à faire de la politique avec un souci d’invention et de changement. Il serait préférable que tous les politiciens haïtiens deviennent artistes dans leur façon de diriger. On aurait eu une nouvelle société dans laquelle la misère et l’exploitation auraient disparu.

L’esprit de cet article n’est ni de soutenir Evans Paul comme premier ministre ni d’inciter beaucoup plus d’artistes à venir en politique, mais plutôt de profiter de cet appel à la nouveauté émanant du monde artistique. Il faut que nos actions politiques soient caractérisées par ce principe de changement permanent. On a besoin que l’arène politique haïtienne ait enfin une dimension esthétique relative à la forme des décisions politiques. L’enjeu est d’insuffler imagination et créativité au niveau de la conduite de l’Etat. Ce pourquoi la société haïtienne a besoin de dirigeant-artistes pour déclencher sa transformation.

Tout le monde peut faire et parler de la politique. Quant à la question qui peut diriger, il y a des bémols à placer. En revanche, il n’est pas question d’exclure un groupe social de la politique. Il est infondé de dire que les artistes ne peuvent pas diriger. Dans un système démocratique, le pouvoir politique ne peut pas être réservé aux élites afin d’éviter tout basculement dans l’aristocratie ou l’oligarchie. Mais alors comment déterminer ceux qui peuvent diriger dans un système qui se dit démocratique ?

Jean-Jacques Cadet
Sociologue, doctorant en philosophie.

URL de cet article 27720
  

Harald Welzer : Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle
Bernard GENSANE
Il s’agit là d’un ouvrage aussi important que passionnant. Les conclusions politiques laissent parfois un peu à désirer, mais la démarche sociologique est de premier plan. Et puis, disposer d’un point de vue d’outre-Rhin, en la matière, permet de réfléchir à partir d’autres référents, d’autres hiérarchies aussi. Ce livre répond brillamment à la question cruciale : pourquoi fait-on la guerre aujourd’hui, et qui la fait ? L’auteur articule, de manière puissante et subtile, les questions écologiques, les (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Puisque le commerce ignore les frontières nationales, et que le fabricant insiste pour avoir le monde comme marché, le drapeau de son pays doit le suivre, et les portes des nations qui lui sont fermées doivent être enfoncées. Les concessions obtenues par les financiers doivent être protégées par les ministres de l’Etat, même si la souveraineté des nations réticentes est violée dans le processus. Les colonies doivent être obtenues ou plantées afin que pas un coin du monde n’en réchappe ou reste inutilisé.

Woodrow Wilson
Président des Etats-Unis de 1913 à 1921

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.