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Les médias déconsidérés pondent dans Internet.

Quand le petit Poucet se promène en forêt, il peut cueillir des champignons. Attention, on en trouve des vénéneux ! Cela ne signifie pas qu’il faut abattre la forêt, ni l’entourer de barbelés, ni la dénigrer en bloc. Cela signifie qu’il faut s’initier à la mycologie.

Démonstration :

C’est dans Annie Hall, de Woody Allen : deux vieilles dames discutent dans un restaurant. L’une dit : « La nourriture est infecte, ici ». Et l’autre : « Oui et les portions sont trop petites ».

C’est dans le « Dictionnaire des idées reçues » de Flaubert : « Je n’aime pas les épinards, j’en suis bien aise, car si je les aimais, j’en mangerais, et je ne puis pas les souffrir » (idée que Jean-Luc Godard met dans la bouche de Jean-Paul Belmondo dans « Pierrot le fou »).

C’est dans la vraie vie : les médias traditionnels disent : « Internet, c’est potins, commérages, amateurisme et compagnie ». Puis, ils créent à tour de rôle une version électronique de leur journal ou même ils ouvrent un site qui veut prendre ses distances. Après Rue89, de Pierre Haski (Libération), Médiapart, d’Edwy Plenel (le Monde), on annonce la création d’un site par Jean-Marie Colombani (le Monde). D’autres viendront.

D’où le paradoxal postulat : Internet, ça devient crédible entre les mains de spécialistes des médias discrédités. Le laisser à une nouvelle génération de cyberjournalistes bourrés d’éthique, compétents dans le domaine qu’ils traitent, ouverts à la contestation immédiate de leurs écrits, rompus au maniement de la langue et bénévoles (donc gratuits), ce n’est pas sérieux.

Ah ! qu’il est jouissif de voir des ex-dirigeants de journaux rancis s’engouffrer dans l’espace aéré créé par d’autres, contre eux, malgré leurs lazzis.

« D’abord ils vous ignorent, puis ils se moquent, puis ils vous combattent, puis vous avez gagné ». Ici, avant la victoire annoncée par Gandhi, s’incruste une étape supplémentaire qui s’appelle le pastiche.

Bien entendu, ces vieux routiers s’aspergent d’épices pour masquer le fumet corrompu qui colle à leur costume : ne reculant devant aucun artifice, Plenel qui fut patron et licencieur avant de faire entrer Le Monde en bourse, a pris sa carte au Syndicat National des Journalistes CGT. Mais, dans sa tête, il cotise au MEDEF. Sur Médiapart, il couine : abonnez-vous, « Ainsi, vous soutiendrez l’émergence dans notre démocratie d’un authentique média libre, alors que tous les grands médias sont aux mains d’industriels proches du pouvoir. ». Exactement ce que disent depuis toujours les sites Internet alternatifs, contredits avec dédain par la presse qui a fait Plenel et que Plenel a faite.

Regardons-les au maquillage avant qu’ils ne passent sur l’écran de l’ordinateur ou sur celui de la télévision qui les invite dans des élans de fausse audace : une once d’impertinence, un soupçon d’esprit Canard Enchaîné, un zeste de Voici, un saupoudrage d’analyse philosophique à la BHL. La casquette à l’envers, mais la calvitie en dessous, le jean troué sur un genou cagneux, la langue de bois en verlan, le slalom entre des portes, mais jamais du hors piste. Prêts à tout changer (dans leur accoutrement) pourvu que rien ne change (au Palais Brongniart), ils racolent le lecteur avec leurs appeaux, prétextant que le rejet par le public de leurs supports d’hier est dû à l’attrait d’une nouvelle technologie, mais se gardant bien de l’adopter sans des déguisements qui feront oublier qui ils furent, ce qu’ils firent, et qui doivent masquer ce qu’ils sont, font et feront et qui ne diffère pas pour l’essentiel à leurs pratiques de naguère.

Ce n’est pas leur talent qui est en cause, ce sont les corsets qui les enserrent et dont ils s’accommodent jusqu’à les oublier ; presque de bonne foi, ils prétendent n’en point porter, à l’instar de David Pujadas qui réfute la question dont tout le monde connaît la vraie réponse « Et vous subissez des pressions ? ».

Affectés du syndrome de l’âne de Buridan, on les voit, indécis, frayer parmi les jeunes pousses d’Internet, les frais tendrons au regard franc et loucher vers les portes à tourniquet des médias traditionnels, en quête de reconnaissance par ceux-là même dont ils prétendent se distinguer désormais. Et qui les accueillent sans lever un sourcil, pas dupes. « Entre donc, fils prodigue, ton couvert n’a jamais été enlevé. Fais voir ta carte du SNJ-CGT. Ah, ah ! »

Il fut un temps où les médias qui font l’opinion acceptaient de s’encanailler à la marge, de laisser couler un filet d’idées nouvelles afin de racoler un public d’étudiants turbulents (futurs notaires, donc futurs clients), de cadres hérétiques, d’enseignants qui ont lu Rabelais, Beaumarchais, Molière, Sartre et qui voudraient voir surgir leurs clones modernes. Des rédac’-chefs maraudaient chez les saltimbanques pour recruter des plumes impies, des dessinateurs iconoclastes. Au fil du temps, ces gens du ruisseau apprenaient à se tenir à table, voire désapprenaient Marx, Bakounine, Trotski, Jean Jaurès. S’ils ne renonçaient pas tous à leur « Ni Dieu ni maître », au moins acceptaient-ils de le susurrer sur des notes de Lulli, au moins s’abstenaient-ils de l’éructer sans préavis sous le nez de l’invité du jour, propre sur lui : le député, la dame aux pièces jaunes, l’évêque, l’ex-taulard-ministre, BHL, Ségolène Royal, Alain Finkielkraut, Serge July, Carla Bruni, Alain Minc, Bernard Kouchner, Jacques Séguéla, le dalaï-lama.

Aujourd’hui, les calques électroniques des médias de papa n’ont plus ces audaces-là , preuve que ceux qui viennent de Libération, du Monde et Cie restent les mêmes en changeant de porte-voix. Ils n’ont pas compris qu’investir Internet avec une maquette ripolinée ne suffit pas à les rendre neufs et innocents aux yeux des citoyens échaudés.
Ils croient que les effronteries calibrées du fils de famille à table peuvent être prises, par le patriarche et les domestiques, pour une harangue de leader syndical au piquet de grève.

Aujourd’hui comme hier, ici comme là , ils souhaitent surtout que rien ne bouge. Entre deux cocktails où ils trinquent avec leurs anciens confrères et l’immuable classe politique, ils sont en mission de récupération d’un espace que les tenants d’un système essoufflé n’ont pas réussi à déconsidérer, à brimer, à isoler, à interdire. Et qu’il faut donc pervertir, c’est-à -dire véroler par le biais des maladies textuellement transmissibles.

Ce que ce pays subit, c’est à eux qu’il le doit. Sans cette chaîne de transmission, Sarkozy pédalerait à vide. On voit ainsi la droite et la fausse gauche de la bien-pensance s’émouvoir : la diffusion de Libération continue de chuter (on parle de moins 19% pour 2008). Malgré Rothschild !

Ah, que se brisent un à un ces maillons, non pas pour que se rabougrisse l’espace de liberté, mais pour que la vérité s’épanouisse dans sa splendeur virginale et sa diversité.

Internaute, mon ami, mon frère, mon espoir, si tu aimes le chant du rossignol, continue à le distinguer du cri à deux notes du coucou. Ne te laisse pas impressionner par la taille de ce squatteur, ni séduire par le zéphyr né de ses ailes.

Le coucou jette hors du nid les oeufs qu’il y trouve pour y pondre le sien, unique, comme sa pensée.

C’est sa nature profonde.

Vladimir Marciac

COMMENTAIRES  

23/02/2009 10:31 par Lapige

On ne saurait mieux dire.
BRA-VO !
Personnellement, cela fait 4 ans que je ne regarde plus la TV, que je me suis désabonné de Libé et que je prend l’info sur le Net. Je me suis donc totalement déshabitué et désintoxiqué de l’info TV/radios et presse.
Lorsque d’aventure, pour ne parler que de la TV, je regarde par exemple un journal, n’importe lequel, pour y voir comment est traité un sujet donné (à l’exception d’arte peut-être ...) je suis frappé, sur de nombreux sujets, par les obséquiosité et inféodations totales au pouvoirs politiques et financiers.
Et corollairement, les compromissions, manipulations, mauvaise foi, amalgames et omissions infligés à ceux qui les regardent.
Un peu comme un grand buveur qui, s’étant arrêté de boire, reprend une cuite un jour, et redécouvre à quel point la GDB peut-être mauvaise, et son grand étonnement d’avoir pu vivre tant d’années dans cet état.
L’interview combinée de NS dernièrement fût du grand, du très très grand art, à ce sujet.
Des carpettes !
Qu’ils aillent se faire voir, nous n’avons plus besoin d’eux.

23/02/2009 13:33 par Montero

Cest vrai qu’on peut voir dans des émissions de télé : Pierre Haski, Edwy Plenel, Jean-Marie Colombani, invités au titre de directeurs de leur site internet.

Aucun des trois ne souhaite un changement de société. Tous sont critiques jusqu’à la ligne blanche à ne pas franchir.

En revanche, on ne voit jamais les administrateurs des sites alternatifs créés pour suppléer les carences des médias dont viennent les trois journalistes cités.

Si chaque lecteur de cet article l’envoyait par lien à son carnet d’adresses, il aiderait ses amis à trier le bon grain de l’ivraie.

23/02/2009 18:57 par delfaud

Bravo pour cet article.
La TV. est intoxiquée.Il est très rare d’y trouver un bon film ; des débats intéressant ;quand aux actualités,elles sont infectes.Le P.C. est devenu le phantome de la télévision.
On retrouve ces dernières sur internet et ça me donne envi de vomir !!!
Par contre cet article je vais l’envoyer à mes amis internautes qui en ont reçu plus d’une centaine sur"Le Grand Soir".En outre je les ai photocopiés ;je les ai classés en 10 albums.J’en distribue dans mon canton.Ma famme s’affole car je ne tiens pas d’encre.Pour moi, ce n’est pas une passion mais un grand cris que j’essais d’exprimer parce que je n’aurais jamais pensé que la France puisse tomber aussi bas.

23/02/2009 21:26 par une retraitée

bravo et merci.................

24/02/2009 02:58 par Onoée

Splendide texte, bien vu, bien tourné...

à déposer au fronton de tout journal alternatif d’internet.

24/02/2009 11:54 par RC de Toulouse

Répertorier les sites d’information sur internet par la généalogie de leurs concepteurs pourrait être une idée propre à aider à séparer le bon grain de l’ivraie.

Peut-être legrandsoir pourrait-il faire ce suivi...

24/02/2009 12:09 par legrandsoir

correction : peut-être que les LECTEURS du grand soir pourraient faire ce suivi.

24/02/2009 18:52 par solesides

très bon article merci.

24/02/2009 19:13 par Crapaud froid

Découvrant depuis peu les sites alternatifs, je constate qu’il n’y a pas photo avec les médias conventionnels, et je m’en veux de m’être laissé plus ou moins intoxiquer pendant des années. Je suis en train de changer mes habitudes de lecture : quand je clique sur Libé, Le Monde, Rue89 et quelques autres, ce n’est plus dans l’espoir d’y trouver un article intéressant, mais dans celui de dézinguer ce que naguère j’aurais considéré comme une "critique pertinente". Désormais, ma confiance dans les médias conventionnels est radicalement négative.

24/02/2009 19:22 par rien

Magistral, continuez !

24/02/2009 19:22 par lediazec

Très beau texte, plein de vérité. Je transmettrai volontiers à monsieur Philippe Val de Charlie Hebdo dont le fiel éclabousse la toile d’une bave visqueuse.

24/02/2009 22:06 par José Paldir

Ah, voilà une verve qui nous met dans une joie profonde !
(dirait la comtesse ?)
Un morceau d’anthologie : la forme est aussi brillante que le fond est lumineux.
Tremblez, vals, plenels, julys, joffrins, colombanis et autres coucous plumitifs ! L’oiseau qui vend du vent, qui court après le vent et qui peste contre le vent n’est pas digne de voler...

25/02/2009 10:16 par herbert andré

salut et BRAVO, ça fait du bien de lire de tels articles : aprés la magistrale lettre Cesare Batisti sur la liberté (tout court) un texte sur la liberté de la presse et d’internet.

anticapitalistement
andré

25/02/2009 11:01 par Владимир

Lulli plus connu sous le nom de Lully

25/02/2009 16:16 par Anonyme

chère Crapaud froid,

bienvenu dans le monde réel,
mieux vaut tard que jamais,
bon quand on commence à comprendre comment ça fonctionne, ça donne pas forcément le moral, informé enfin certes, mais vous allez être déprimé devant toute cette veulerie...

25/02/2009 22:25 par jean paul

"la casquette à l’envers,la calvitie en dessous"
quelque chose contre les chauves ?
Alors je dirai "cheveux longs et idées courtes"
non, je blague...

25/02/2009 23:19 par Vladimir Marciac

A ВР»Ð°Ð´Ð¸Ð¼Ð¸Ñ€ : Jean-Baptiste Lully est né Giovanni Battista Lulli à Florence.
On peut discuter de la lettre finale du nom.

Mais l’important est ailleurs et notamment dans la liberté immédiate de ВР»Ð°Ð´Ð¸Ð¼Ð¸Ñ€ d’ajouter une nuance et de la voir publier. C’est bien ce que disait l’article.

Dans les médias de papa, le rédacteur a toujours raison, sur tout, à 100%, tandis que les commentaires attentatoires à sa supériorité autoproclamée sont poubellisés.

VM.

25/02/2009 23:28 par Pierre Fayollat

Comme nombre d’entre vous, je ne regarde plus guère la TV, sauf exception, et encore moins les JT voix de son maître. Celle-ci existe aussi sur Internet. De nombreux sites ne font que relayer les dépêches de l’AFP et sont assez superficiels ou bien ne sont que les copies plus pâles et moins complètes que les titres imprimés qu’ils relaient ; leur seul avantage étant d’avoir accès aux archives en ligne.

Dans l’article de Vladimir Marciac, je lis une animosité certaine à l’endroit des sites clones de la presse écrite reconvertis sur Internet, ce que je comprends puisqu’ils en reprennent les mêmes travers éditoriaux : suivre le vent prudemment, présenter une information biaisée sous couvert d’objectivité. Le clou de ces jours étant la manière de présenter la nomination de François Pérol à la tête de la 2ème banque française : « Le président a dit ceci, Bayrou a dit cela » mais sans jamais prendre parti, des fois que, quel courage.

Mais il existe aussi des sites différents, même s’ils sont perfectibles. C’est pourquoi je m’informe quasiment exclusivement sur Internet et notamment, depuis des mois maintenant, sur Médiapart auquel je suis abonné. Ce site a été le premier et donc le seul à publier une série d’articles approfondis d’enquête sur la magouille Caisse d’Epargne et Banque Populaire qui lui a valu une mise en examen. Récemment, c’est encore ce site qui a seul dénoncé le coup de force illégal du président de la République (enfin de ce qu’il en reste) dans la nomination de son conseiller élyséen à la tête de cette banque. Et ce n’est qu’un petit exemple du courage éditorial et de l’intérêt des articles qui y sont publiés sous la plume d’une trentaine de bons voire d’excellents journalistes.

De plus, les lecteurs motivés, en dehors de commenter évidemment les articles du site, tiennent, s’ils le veulent, un blog qui enrichit considérablement le site de toutes sortes d’informations passionnantes sur le monde, la politique, la culture etc.

Autrement dit, vous êtes libre de ne pas aimer Edwy Plenel, de lui reprocher son passé au Monde ou ses fréquentations actuelles ou passées et de bouder à cause de celà la formule payante de Médiapart. Mais permettez moi de contester votre opinion et de la trouver partiale, non démontrée et méprisante d’une manière tout à fait injustifiée.
Je précise que je ne suis qu’un simple abonné de ce site et que je viens aussi sur legrandsoir (même si j’ai cessé d’y croire voila un moment déjà ) !

26/02/2009 11:45 par Vladimir Marciac

à Pierre Fayollat qui écrit :

Autrement dit, vous êtes libre de ne pas aimer Edwy Plenel, de lui reprocher son passé au Monde ou ses fréquentations actuelles ou passées et de bouder à cause de celà la formule payante de Médiapart. Mais permettez moi de contester votre opinion et de la trouver partiale, non démontrée et méprisante d’une manière tout à fait injustifiée. Je précise que je ne suis qu’un simple abonné de ce site et que je viens aussi sur legrandsoir (même si j’ai cessé d’y croire voila un moment déjà ) !"

Mon opinion est effectivement partiale. C’est l’objet même de l’article et son titre annonce le ton.

Vous avez remarqué que vous avez pu immédiatement le déplorer ici et faire l’éloge de Médiapart et d’Edwy Plenel.

Essayez maintenant de faire l’éloge du Grand Soir et d’un de ses rédacteurs dans Médiapart et signalez-moi SVP les résultats.

Edwy Plenel est allé en décembre pérorer avec RSF au théâtre du Rond-Point (ils ont signé ensemble un texte passe-partout que la profession ne veut même pas reprendre).

Essayez de passer sur Médiapart un point de vue où seront rappelés les propos de Ménard sur la torture (voir "La face cachée de reporters sans frontières", M. Vivas, Editions Aden) ou bien un avis critique sur les nouvelles activités salariées de Ménard dans une monarchie polygame où la presse peut parler à condition de ne pas critiquer la famille régnante et sa politique. Signalez-moi alors ce qu’en dit Médiapart.

Bref, ce n’est pas parce que les coucous d’Internet ont de folles audaces qui les rend moins pire que les organes dont ils viennent que ces oiseaux-là doivent être pris pour des rossignols. L’article ne disait que cela.
Que Médiapart et autres se la jouent parfois Canard Enchaîné, c’est ce que vous aimez et que j’écrivais, lisez-moi bien.

Enfin, vous tenez mes propos pour « non démontrés ». Demandez donc à Plenel si je mens quand j’écris : « Plenel qui fut patron et licencieur avant de faire entrer Le Monde en bourse, a pris sa carte au Syndicat National des Journalistes CGT ». J’attends avec gourmandise les circonvolutions de sa réponse, s’il y en a une.

Pour finir, si vous avez renoncé au Monde pour Médiapart, vous ne sauriez être foncièrement mauvais, la démarche inverse serait bien plus alarmante (hé, je vous taquine !).
V.M.

26/02/2009 14:14 par Clemsos

Merci pour l’article, je me suis bien marré !
Vraiment trés bien écrit bravo

Je me permet de poster un article que j’avais écrit il y a un an en revenant de la conférence pour le lancement de Mediapart, ainsi qu’une réponse qui m’avait été envoyé par une journaliste de Mediapart.

a+

— Mediapart ou le journalisme parisien numérisé
par Clemsos, le 02 fev 2008

Boulevard St-Germain-des-Prés, dans le forum de la FNAC "Digitale".

Une cinquantaine de cinquantenaires assis sur des chaises pliantes, dont une quarantaine de journalistes parisiens et quelques étudiants d’écoles de journalisme.

Devant eux, confortablement installé dans de gros fauteuils, deux anciens du Monde, présente leur nouveau projet de site d’information micro à la main.

Les gens se regardent, se reconnaissent, se sourient. Entre complicité et concurrence, c’est toute la corporation des journalistes de Paris qui s’est réuni pour célébrer la grande messe du passage à Internet. Ca sent la famille ici.
Je me demande vraiment ce que je fais là ...

Les gens trépignent d’impatience, le speech commence, petits rires et boutades et même sérieux quand il le faut. Tout le monde se sent à l’aise. Le public est conquis, le projet Mediapart va vraiment révolutionner le paysage de l’information en France. C’est décidé, Internet va permettre de "sortir des logiques de pression commerciales et politiques". François Bonnet et Laurent Mauduit nous parlent avec gravité de la "crise de l’offre éditoriale" en France (Edwy Plenel n’a pas pu venir). Ils vont enfin pouvoir appliquer leurs "règles du jeu, celles de la presse de qualité".

L’audience oscille entre stupeur et ravissement (Internet, c’est le monde de demain !), entre indignation et révolte lorsqu’est évoqué la pauvreté éditoriale de la "grande" presse quotidienne française.

Seul sur ma chaise, je bouillonne à petit feu.

Les lieux communs défilent devant mes yeux ébahis par la suffisance de notre assemblée. Ceux là -même qui, chaque jour, écrivent pour cette presse si pauvre en idées regardent les hommes de Mediapart en héros. Internet : le salut du journalisme !

Je suis effaré de voir nos deux stars du journalisme nouvellement Internet versant presque une larme en évoquant la grande époque de Libération, aujourd’hui tombé cruellement aux mains du capital. Ces deux types-là étaient à la tête des rubriques politique et économie de Libé au début des 90’s. Ce sont la démagogie et la molesse de leurs plumes, incapables de critiquer un PS devenu réactionnaire, qui ont éconduit une bonne part de leur lectorat et mené à la ruine un journal qui se portait trés bien à l’époque. Pour être grinçant, je pourrais dire que Rottschild a bénéficié de leur fantastique travail éditorial. Mais peut-être est-ce ma mauvaise foi.

La question du modèle économique est au coeur du débat.
Le site mediapart.com et son équipe seront entièrement financés par les abonnements. Pas de pub, c’est la liberté ! Au bout d’une heure de débat, on apprend que c’est pas de pub "pour le moment". En effet, il faut 1 million de visiteurs uniques pour qu’une pub Web rapporte, c’est donc inutile dès le lancement d’un site.

Objectif : 60 000 abonnés en 3 ans, les abonnements allant de 5 à 15 euros/mois. Un choix risqué mais qui a le mérite de ressituer le lectorat au centre du journal, en faisant le premier décisionnaire (c’est trés facile de se désabonner par Internet). Je vous passe les inepties du genre : "il n’y a pas encore de précédent dans l’Internet, c’est un business modèle entièrement nouveau." Rappelons que l’abonnement est le modèle natif du Web (forums et info payantes), bien avant que la pub ne s’y intéresse.

Les abonnés resteront donc ’maîtres’ de ce nouveau site. Une partie importante du projet est liée à leur participation. L’équipe Mediapart n’a pas voulu en dire davantage, préférant se réserver l’exclu pour le jour de la mise en ligne du site. Espèrons qu’ils feront quand même mieux que le Post, ridicule site participatif du Monde au contenu si mauvais que le célèbre quotidien n’en revendique même pas la paternité explicitement. "La garantie du contenu de Mediapart, c’est votre participation", "recréer une relation citoyenne avec le lecteur", bref on ne nous dit absolument rien ni sur les processus d’évaluation et de modération, ni sur la liberté de publication qui sera laissé aux abonnés.

Quand à l’équipe elle-même, des journalistes de La Croix, L’Equipe, Le Monde, des étudiants du CFJ et quelques journalistes web (pas de nom de médias Web cités). Bref, on garde les mêmes et on recommence. Pas vraiment de quoi être optimiste coté ligne éditoriale. D’ailleurs, tout cela reste bien flou si ce n’est "on va vous donner la dizaine d’infos qui comptent (...) avec une véritable valeur ajoutée". Beaucoup d’enquêtes a priori et, ce qui m’a fait presque rire, "un regard neuf sur la banlieue". Ces messieurs avouent d’une voix grave à l’audience subjuguée avoir changé de regard sur les médias aprés les "évènements de Novembre 2005 en banlieue".

On nage en plein délire : Laurent Mauduit lui-même était éditorialiste au Monde pendant cette période. Je me dis que je lirai leur nouveau journal le jour où ils décideront d’installer leur rédaction quelque part entre Aulnay-sous-Bois et Goussainville.

Puis viennent les questions, après le brillant discours.
Ca commence par deux ou trois spécimens de l’audience, bien verbeux, qui s’évertuent à s’indigner de Bolloré ou de Sarkozy et finissent par se perdre dans les méandres de leur suffisance pour oublier qu’il devait poser une question.

Les monologues terminés, une étudiante se risque à la question : "Est-ce que Mediapart sortira de la connivence qui sclérose le journalisme actuellement ?" Assurément oui, nous assure-t-on, cela ne fait aucun doute. Néanmoins, je ne suis pas très convaincu. Sur la page d’accueil du site mediapart.fr, on trouve en vrac les vidéos de soutien de Ségolène Royal, Kamini (?), Noël Mamere, François Hollande, François Bayrou, Michel Field et j’en passe. Bref, on présente un peu la famille.

On annonce la couleur tout de suite : Mediapart sera un nouveau théâtre pour la contestation médiatique, où se produiront les acteurs bien-connus du show "anti-sarko", qui sert aujourd’hui d’alibi démocratique à notre président.

"Et quelle place sera laissé pour l’autocritique ?". Alors là , on a le droit à une réponse édifiante de Laurent Mauduit, qui passe brillamment juste à coté de la question en attaquant sur la "critique des médias déjà mis en place dans notre rubrique La presse en débat". On avait dit "auto"-critique...

Puis vient la question fatidique : "Internet, ce n’est pas de la communication par hasard ?". Oh le malheureux ! Que n’a-t-il pas dit ! Oui, Internet est essentiellement de la communication, mais pas Mediapart ! Bien au contraire, Mediapart déjoue les pièges de la crapuleuse "communication", celle du gouvernement et des grandes entreprises. Je souris malgré moi en les regardant déverser leur abjection sur ce grand méchant fantasme qu’est la "communication", et qui a bon dos décidément.

En pleine promo dans leur fauteuils, avec la com comme seul espoir de survie pour leur média, ils préfèrent vanter la valeur de leur futur journal sur le seul gage de leur nom, plutôt que de publier leur première enquête. Communication ? Encore une fois de qui se moque-t-on, me dis-je.

Je décide donc de poser ma question au micro, essayant de pondérer la défiance que me suscite ces personnages qui semblent toujours si satisfaits d’eux-mêmes. Rien de politique, ma question porte sur le travail de l’écriture pour Internet, très différent pour moi de celui du papier. Je remarque notamment qu’ils continuent à appeler un article "un papier", comme le veut le jargon du métier. Ce terme est somme toute assez inadapté quand on parle d’écran. Je précise que j’étudie actuellement la communication, histoire de mettre un peu d’huile sur le feu.

Alors là , je suis du pain béni pour eux et je me dis que j’ai été un peu con quand je les voit jubiler en me rembarrant. "Ce que vous voulez c’est deux lignes de textes noyés par de de belles guirlandes qui clignotent !", c’est encore un coup de "la culture du zapping" et voila tout. Je m’entends demander si je connais le New Yorker (ce serai bien étonnant tout de même), qui est un exemple et qui publie des papiers de 50 feuillets ! Les gens qui veulent lire tranquillement n’auront qu’à imprimer ! J’aurai voulu dire simplement que si on écrit pour être imprimé, alors pas la peine de se présenter comme un journal Web, mais on m’avait déjà repris le micro.

La réflexion autour de l’écriture pour le multimédia, texte-image-photo-son-vidéo-interaction, c’est du gadget pour nerds en mal de scoop. Toutefois, la vidéo n’est pas trop mal, "on peut l’utiliser comme une preuve, et ça coupe un peu le papier". Voila pour ce qui est de l’écriture pour Internet. Pour ma part, je continue à penser qu’on ne lit pas du tout sur le papier comme sur un écran et qu’un véritable travail de réflexion sur l’écriture est à mener. C’est à la fois un passage obligé pour être lu sur le Net et une chance inespérée pour les journalistes de reconsidérer l’écriture elle-même comme une pratique créatrice de sens.

Sauf le respect, le style journalistique aujourd’hui est à peu prés aussi codé que l’est l’écriture de script informatique, et la plupart du temps aussi affligeant de stérilité. Tout ça au nom d’une soi-disant objectivité. Dans la société des Saintes Ecritures, on sait que tout a commencé par le verbe et on ne joue pas avec ça.

Enfin bref, la conférence se termine.

Je pars la dent acérée contre ce "grand journalisme parisien" incapable de la moindre remise en question, figé dans des postures de pouvoir qui seules le légitime, et au passage le discrédite un peu plus chaque jour. Derrière moi, on jubile d’auto-satisfaction. Les plumes ’victimes’ du grand capital, pieds et poings liés dans les tribunes des quotidiens nationaux, congratulent les courageux qui prennent sur eux de créer du ’nouveau’ en se lançant dans l’aventure Mediapart.

On est heureux de savoir que quelque chose va être fait.

La décadence peut continuer.

_Clément RENAUD

— Pour continuer le débat, une réponse d’une journaliste de MediaPart —

Bonjour,

J’ai lu avec attention votre billet, et je ne me retrouve pas du tout dans la description que vous faîtes et du projet et de l’équipe, à laquelle j’appartiens.

"On prend les mêmes et on recommence", écrivez-vous. Je n’ai pas 50 ans, j’en ai 25. Je ne sors ni du Monde, ni de Libé, mais de l’école de journalisme de Lille. Je ne suis pas parisienne, ma vie s’est partagée entre un village de 1000 habitants dans le Loiret et la ville de Lille... Je ne connaissais pas (personnellement) Edwy Plenel, François Bonnet et les autres il y a encore deux mois. Pour moi, tout cela est nouveau, et si vous regrettez que tout le monde "se connaît" et "se reconnaît", et bien moi je découvre tout, je n’estime pas appartenir à un quelconque microcosme parisien, j’apprends à connaître les membres de cette équipe dans laquelle mon avis compte autant que celui d’un autre. Voilà , à mon sens, comment doit fonctionner une rédaction inter-générationnelle.

Et vous serez sans doute étonné de lire que je ne suis pas une espèce rare à "MediaPart" : nous sommes une petite dizaine (sur 27) à avoir 25-30 ans, - et même pour certains à faire nos débuts dans le métier -, comme vous le verrez bientôt dans la présentation complète de l’équipe sur notre pré-site. La Netscouade, l’agence Internet qui réalise notre site et avec qui nous travaillons, est également une toute jeune entreprise multimédia.

L’éventail des médias dont sont issus les autres membres de l’équipe est large : Libé, Le Monde, Les Inrocks, 20 minutes, Les Echos, Marianne, La Tribune, La Vie, France Soir, lefigaro.fr, la-croix.com, lemonde.fr, Télérama, France culture, Reuters, etc.

Quant à notre projet : non, nous ne comptons pas plaquer un journal de presse écrite sur un site Internet. Ce serait trop bête de ne pas profiter des avantages du net ! Nous voulons varier les formats (long, court) comme les supports (audio, vidéo, texte). Ce que vous voyez pour l’instant, c’est notre pré-site, avec des articles sur le thème "la presse en débat" et quelques premières enquêtes. Notre site sera évidemment plus varié, sur le fond comme sur la forme, avec notamment quelques innovations.

Rien d’arrogant là -dedans, juste l’envie de relever le défi d’une information différente et de qualité, en réinvestissant des lieux désertés, en sortant de l’info circulaire, et en remettant l’investigation au centre de notre métier. Le pari est lancé, à nous maintenant de le tenir.

Marine Turchi, (jeune) journaliste à "MediaPart".

d’aprés http://opennewsroom.blogspot.com/2008/02/mediapart-ou-le-journalisme-parisien.html

26/02/2009 23:38 par Vladimir Marciac

Bravo Clemsos pour ce travail. Dommage que je ne vous ai pas lu avant.

Marine Turchi, (jeune) journaliste à "MediaPart" vous confirme ce que j’ai écrit en révélant :

« L’éventail des médias dont sont issus les autres membres de l’équipe est large : Libé, Le Monde, Les Inrocks, 20 minutes, Les Echos, Marianne, La Tribune, La Vie, France Soir, lefigaro.fr, la-croix.com, lemonde.fr, Télérama, France culture, Reuters, etc. »

Pas mal de coucous, même si l’on veut ne pas tout mettre dans le même nid.

Quant à l’âge, il ne s’agit pas de l’âge biologique (dont on se fiche), mais idéologique.
La jeune Marine insiste sur les aspects de Médiapart qui s’apparentent au maquillage :

« varier les formats (long, court) comme les supports (audio, vidéo, texte). Notre site sera varié, sur le fond comme sur la forme, avec notamment quelques innovations. »

Rien de bien méchant n’est annoncé sur le fond.

Les boules de naphtaline seront cependant perturlurées de couleurs chatoyantes.

17/04/2009 01:20 par SD

Un rat a beau mettre un costume la queue dépasse toujours.

Proverbe populaire

SD

20/01/2011 15:26 par Isidore

Une web-tv anti-tv consciente, Multitudes : http://worldtv.com/multitudes .
Une autre interface à travers son blog : http://multitudes-iskra.blogspot.com/

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