Il y a 10 ans... La Déclaration du Millénaire
« Nous ne ménagerons aucun effort pour délivrer nos semblables - hommes, femmes et enfants - de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes. Nous sommes résolus à faire du droit au développement une réalité pour tous et à mettre l’humanité entière à l’abri du besoin » (1)
Le 8 septembre 2000 à New York, les chefs d’État des principaux pays riches de la planète s’engageaient solennellement à travailler activement à la réduction des inégalités d’ici 2015. Cet engagement, scellé sous le signe de la Déclaration du Millénaire, s’articulait autour de huit objectifs majeurs appelés communément « Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ». Il s’agissait précisément de :
1 - Réduire l’extrême pauvreté et la faim
2 - Assurer l’éducation primaire pour tous
3 - Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
4 - Réduire la mortalité infantile
5 - Améliorer la santé maternelle
6 - Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies
7 - Préserver l’environnement
8 - Mettre en place un partenariat mondial pour le développement
Dix ans après l’adoption de cette Déclaration et surtout cinq ans avant l’échéance prévue pour la réalisation des OMD, les chefs d’État se sont à nouveau rassemblés (20-22 septembre 2010) pour évaluer le chemin parcouru et les résultats obtenus jusqu’ici.
Résultats très mitigés.
Aux deux tiers de l’échéance et en dépit de quelques avancées significatives, on est manifestement très loin du compte. Pour prendre la mesure réelle de ce constat amer, il convient d’analyser les faits et chiffres de quatre Objectifs du Millénaire.
Relativement à l’Objectif 1, on note quelques résultats satisfaisants. C’est le cas du Vietnam qui a réduit de moitié la prévalence de la faim et l’insuffisance pondérale des enfants, passant de 28 % en 1991 à 13 % en 2004-6 ou encore le Nicaragua qui a réduit son taux de famine de plus de la moitié, passant de 52 % en 1991 à 21 % en 2004-06. Cependant, les Nations Unies reconnaissent que le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde est passé de 842 millions en 1990-92 à 1,02 milliard de personnes en 2009. (2) Par ailleurs, 55 millions d’enfants âgés de moins 5 ans souffrent toujours de malnutrition aiguë à travers le monde et près de 3,5 millions d’enfants en meurent chaque année (Objectif 5). (3)
Si globalement, le taux d’infection du VIH a certes diminué -il est passé d’un pic estimé à 3,5 millions en 1996 à 2,7 millions en 2008, soit une baisse de 30 % -, les chiffres restent tout de même comminatoires. L’Afrique subsaharienne demeure la région la plus fortement touchée. « Elle abrite 67 % des personnes vivant avec le VIH dans le monde et, avec 1,9 million de nouvelles infections au VIH en 2008, elle atteint 70 % de toutes les nouvelles infections. L’estimation du nombre de décès liés au sida semble avoir culminé en 2005 à 2,2 millions. Depuis, il est descendu à (seulement) 2 millions en 2008. (4) » (Objectif 6).
S’agissant de l’Objectif 8, force est de constater que seuls la Norvège, Danemark, Pays-Bas, Suède et Luxembourg ont consacré à l’aide au développement, au moins 0,7 % de leurs revenus annuels. Face à un tel état des lieux, n’est-on pas en droit de se demander, que faire ou comment prétendre atteindre les objectifs fixés, surtout quand on sait que sans financement ceux-ci resteront lettre morte ?
Une seule certitude : à l’allure où vont les choses, on n’atteindra (malheureusement) pas les Objectifs du Millénaire pour Développement d’ici à 2015. En prélude déjà au récent sommet (20-22 septembre 2010), le secrétaire général s’est fendu d’une déclaration qui en dit long sur les résultats très mitigées, inquiétants, voire décevants des OMD. Il dit précisément ceci : « Nous ne pouvons pas décevoir les milliards de personnes qui attendent de la communauté internationale qu’elle réalise ses engagements (…). Réunissons-nous en septembre pour tenir notre promesse ». (5)
« On attrape la poule par les ailes et l’homme par ses promesses ». (6)
A moins d’être une occasion de constater l’échec, de la « solidarité internationale », le sommet qui a eu les 20, 21 et 22 septembre 2010 à New York, est une rencontre inutile sensée rassurer les « bonnes consciences ». C’est à se demander, s’il était nécessaire de dépenser de l’argent pour le transport et le logement des délégations. Cet argent n’aurait-il pas pu -valablement et utilement - alimenter les fonds d’aide à la réalisation des OMD.
Inutile en effet de se leurrer. Durant 3 jours, on a eu droit à un sommet mondial du verbiage, des océans de paroles incantatoires, un affichage de bons sentiments et des promesses qui seront très peu respectées. Chaque dirigeant à essayer de se montrer sous le joug du défenseur des plus pauvres, la voix des sans voix. Mais en réalité, on a là une illustration abjecte de la diplomatie politico-malsaine des droits humains. Celle-ci consiste à produire des déclarations humanistes, pompeuses et pieuses (sans implications pratiques), pour s’arroger une respectabilité internationale. « Le décevant sommet de Copenhague sur le changement climatique fut un exemple malheureux de cette tendance paradoxale » (7) dira Kofi Annan dans une tribune consacrée à ce sommet.
Au même titre que le récent sommet de Copenhague donc, le cirque de New York, s’est refermé sur une note « rassurante » des politicards clownesques et dans le brouhaha de la foule de délégués accrédités, applaudissant non sans scrupule ce « show » dont l’échec était prévisible. Le moins qu’on puisse dire en effet, c’est qu’aussitôt arrivé, ce cirque est reparti sous les pluies automnières des déceptions attendues et dans la brume épaisse des occasions manquées par les pays riches de prendre leur responsabilité.
Un proverbe africain dit « On attrape la poule par les ailes et l’homme par ses promesses ». En regardant les chiffres, il apparait clairement que les gouvernants des pays riches sont pris au piège de leurs propres déclarations et contradictions.
Tenir les engagements pris.
Plus que des paroles et promesses soigneusement formulées, les pauvres de la planète ont besoin d’actes et d’actions fortes. De ce fait, il faut tenir parole et donner du relief aux engagements pris. C’est notre capacité à agir collectivement qui est interpellée ici de manière centrale.
« Le message doit être clair dit Kofi Annan : réaliser les OMD n’est pas une option, mais bien une nécessité. » (8) Nécessité morale, mais aussi nécessité géostratégique.
En effet, les nations riches ont fondamentalement intérêt à contribuer à la distribution juste des richesses de la planète et à l’amélioration des conditions de vie des nations démunis. On pourrait emprunter au philosophe Hans Jonas l’idée d’une heuristique de la peur (9), pour argumenter en faveur de cette solidarité internationale. Les États riches devraient pronostiquer sur le fait que la césure entre nations riches et pauvres constitue un puissant ferment de tensions à travers le monde, d’épidémies, de terrorisme et de migrations massives et désordonnées vers l’Occident et agir dont en amont.
Il faut cependant souligner que, la réalisation OMD est assujettie à une réelle volonté politique. En empruntant cette fois-ci à la terminologie hégélienne (10), on est tenté d’affirmer que : rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans volonté politique. La volonté politique apparait comme le facteur déterminant dans la réalisation des OMD. Pour s’en convaincre davantage, il suffit d’avoir à l’idée, l’impressionnant plan de sauvetage des banques et fabuleux déploiement politique, diplomatique, financier, juridique auquel on a assisté durant la récente crise financière. Autant dire que, sans volonté politique, les OMD sont voués (à court, à moyen et même à long terme) à l’échec.
Restons tout de même lucides pour constater que cette volonté politique ne se décrète pas. Par conséquent, il faut l’aiguillonner en permanence. D’où le rôle central de pressurisation que doivent jouer les organisations non gouvernementales et la société civile auprès des gouvernants.
En conclusion, s’il convient de mettre en relief - pour immédiatement dénoncer - les manquements des pays riches à leurs engagements, il importe aussi de souligner l’apathie des pays bénéficiaires. En effet, ceux-ci se placent trop souvent dans une position de victime permanente, qui se contente de demander toujours plus d’aide sans pour autant garantir l’utilisation adéquate de cette aide. Ici, l’inertie politique, le déficit démocratique et la corruption constituent des obstacles structurels majeurs à la réalisation des OMD. A l’évidence donc, des actions de lobbying et de pression doivent également être entreprises en direction des dirigeants des pays bénéficiaires de l’aide afin que ceux-ci -en fonction des responsabilités qui sont les leurs - participent pleinement à la réalisation des OMD. Il y va de la survie de milliers d’humains.
Christian DJOKO
Expert en droit de l’homme et étudiant Erasmus Mundus
(1) Déclaration du Millénaire, ONU A/Res/55/2, 2000
(2) http://www.un.org/fr/millenniumgoals/pdf/mdg_glance.pdf
(3) http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/MMAO-899HK4?OpenDocument
(4) http://www.un.org/fr/millenniumgoals/pdf/mdg_glance.pdf
(5) Ban Ki Moon cité par OXFAM, http://www.oxfamsol.be/fr/-Objectifs-du-Millenaire-pour-le-.html
(6) Proverbe africain
(7) http://www.lemessager.net/2010/09/koffi-annan-juge-les-objectifs-du-millenaire-pour-le-developpement/
(8) Idem.
(9) JONAS H., Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 3e édition, Trad. de l’allemand par Jean Greisch, Paris : Cerf, coll « Champs essai », 1995, p. 16.
(10) Hegel affirme dans La raison dans l’histoire : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion »