« Restez chez vous » : on n’en peut plus de ce refrain. On n’en peut plus des insipides bulletins d’information de 18h. On n’en peut plus de la surenchère sécuritaire. On n’en peut plus de la rhétorique, et encore moins de la substitution de l’Etat par la charité. On n’en peut plus.
Mais il y a pire : la fable qui veut qu’après l’épidémie le monde sera meilleur, à condition que maintenant nous soyons tous sages – restez chez vous, restez chez vous, restez chez vous, amen. En fait, ce n’est pas vrai, le monde sera pire. Bien pire, à moins que les peuples ne retrouvent le chemin de l’action et de la rébellion. Mieux : de la révolution.
Et comment ne pas voir que, « si tout ne va pas tout à fait bien », pour paraphraser un des slogans les plus déments du moment, ces Messieurs affirmeront que c’est notre faute ? Toute leur communication aboutit à cela, à un message de culpabilisation. Si les choses vont bien, ce sera grâce à eux et au confinement qu’ils nous ont imposé ; si elles vont mal, ce sera seulement notre faute, parce que nous ne serons pas assez restés à la maison.
Pas un mot, par contre, sur la souffrance. Massimo Cacciari le remarquait hier dans le Corriere della Sera : il s’est dit furieux de ce que :
« personne ne commence par dire : « mes chers concitoyens, nous savons très bien que, pour vous, rester à la maison est difficile, parce que les trois quarts d’entre vous vivent dans des maisons qui ne sont pas tout à fait celles des bouffons et pantins qui, à la télé, vous disent : restez chez vous ». Bien sûr, si vous avez une maison aussi belle que la mienne, cela peut être agréable, pour un mois, deux mois. Pas pour moi, mais c’est possible. Mais si on est à cinq dans 50 mètres carrés ? »
Mais combien de temps pensent-ils qu’on puisse continuer ainsi ? Ne voient-ils pas les millions de personnes laissées sur le bord de la route ? Bien sûr qu’ils les voient, mais ils passent leur chemin et s’en remettent aux techniciens. Oui oui, les techniciens...
Congédiés, momentanément, les économistes politiquement corrects (ce n’est plus le moment de faire de doctes exposés sur les fractions de point du déficit), voici maintenant les joyeuses bandes des « experts » de la maladie. Des « experts » qui ne sont pas si experts que cela, vu la masse de contradictions qu’ils ont produites au début. Maintenant, pour ne pas se tromper, ils parlent d’une seule voix : restez chez vous, pas de relâchement, ce sera long, rien ne sera plus comme avant, et ainsi de suite.Il y a une semaine, Matteo Renzi a mis – de façon pertinente, s’il m’est permis de le dire – le doigt dans la plaie. Qu’il l’ait fait par désir invétéré de se mettre en avant, ou pour redonner un peu de visibilité à son micro-parti, peu importe ; mais il y a deux choses qui importent : le fait qu’il ait dénoncé l’absence de vision politique sur la sortie de l’urgence ; et qu’il ait récolté pour cela une avalanche de « non ».
Non de Buriani et Lopalco, cela va sans dire. Non de Calenda, Salvini, Crimi et Grasso, tous unis dans la lutte. Mais pourquoi « non » à toute invitation à raisonner, à projeter, à imaginer la « réouverture » du pays ? Qu’est-ce que cette politique qui ne sait dire que : « restez chez vous, restez chez vous, restez chez vous » ?
Il faut ensuite remarquer que c’est la même politique (avec, en gros, les mêmes hommes politiques) qui a taillé dans la santé et l’a privatisée pendant des décennies, estimant que la dépense publique est un péché auquel il faut renoncer. Cette même politique (et ces mêmes hommes politiques) qui, même devant la catastrophe actuelle, n’ont pas jugé utile de prononcer un seul mot d’autocritique. Même chose pour les techniciens et grands hommes de science, presque toujours les mêmes qui ont avalisé cette politique. Les mêmes qui ont dit et pensé pendant des années que les maladies infectieuses n’étaient plus désormais qu’un mauvais souvenir du passé.
Un autre exemple de l’actuelle domination de la pensée unique psycho-sécuritaire nous a été fourni par la circulaire d’il y a quelques jours du Ministère de l’Intérieur. Un document explicatif, bien qu’écrit avec les pieds, qui tentait de concéder une ouverture, si modeste fût-elle, aussi bien en matière de sorties des enfants, qu’en ce qui concerne l’activité de base. Scandale ! a crié en chœur, une minute après sa publication, tout le front rigoriste, comme Fontana, de la Ligue du Nord, et l’inénarrable Vincenzo De Luca (celui qui voulait utiliser le bazooka [contre les contrevenants du confinement]). De fait, le lendemain matin, la Ministre [de l’Intérieur] Luciana Lamorgese, a battu en retraite. Du reste, si on joue au plus dur, certaines têtes de bois gagneront toujours.
Voilà où en est réduit le pays. D’un côté, l’épidémie, que, du reste, les mesures de confinement ne semblent pas arrêter ; de l’autre, les dommages humains et sociaux du sécuritarisme. Au milieu, une catastrophe économique que peu de gens semblent encore vraiment mesurer.
Ce qui est choquant, ce ne sont pas les incertitudes du monde politique, ni les fluctuations du monde scientifique. Ce sont là choses compréhensibles, et même, dans une certaine mesure, excusables. Ce qu’on ne peut absolument pas tolérer – en même temps que la criminelle sous-estimation du drame social qui s’est produit avec le confinement – c’est l’atmosphère de plomb qui s’est installée, la volonté d’empêcher tout débat, et de censurer le moindre désaccord.
Nous vivons à présent dans un climat orwellien. « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est la servitude. L’ignorance, c’est la force. » Restez chez vous, restez chez vous, restez chez vous : fin de la discussion.
Qu’ils en soient ou non conscients, ils dépassent vraiment les bornes. Cela ne pourra pas durer longtemps.
Leonardo Mazzei