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Passeurs et farceurs

Les passeurs sont des salauds, c’est entendu. Profiter que des hommes, des femmes et des enfants ont le désir ardent de fuir – au risque assumé de leur vie – la misère, la répression ou la guerre est une infamie sans nom. Il faut la condamner sans réserves évidemment et n’avoir aucune indulgence envers ses auteurs.

Pourtant, disons-le tout net, une fois l’indignation prononcée, à l’occasion d’un naufrage « record » au large des côtes italiennes, la terrible question reste entière. L’indignation ne met jamais fin au crime. Affubler les passeurs, en haut-lieu, du vocable de « terroristes », très en vogue ces temps-ci, ne saurait satisfaire l’intelligence de tous ceux qui ont l’ambition de dépasser l’émotion puisqu’ils savent qu’elle est le plus souvent l’ennemie de la compréhension. Si l’on peut prêter à l’homme de la rue des circonstances atténuantes à son ignorance il en va tout autrement de l’homme de pouvoir, qui plus est lorsqu’il incarne le pouvoir suprême. Quand le sens profond du tragique est caché derrière des paravents commodes nous reconnaissons là une farce. Traquer les passeurs, en admettant que ce soit possible, ne saurait donc suffire. Il faut dénoncer dans le même temps les farceurs. Au cours des vingt dernières années, trente mille êtres humains sont morts aux portes de « notre » Europe, trois mille cinq cents en 2014 et déjà près de deux mille depuis le début de l’année 2015 hypocritement proclamée « année du développement ». L’hécatombe est devenue telle que l’on n’ose plus qualifier ces migrants désespérés eux aussi de terroristes comme on a eu l’audace crasse de le faire voilà quelques années. Farce, vous dit-on !

Le problème est d’abord celui des frontières que le monde riche maintient contre le monde pauvre et/ou en guerre tout en regrettant qu’elles ne puissent être infranchissables. L’Europe-forteresse est bel et bien une réalité si l’on comprend que l’Union Européenne est coupable d’une grande duplicité. Le discours sur la nécessaire coopération économique avec les pays de l’autre rive de la Méditerranée est contredit par les accords – pour ne pas parler de pressions – passés avec les gouvernements de ces pays pour qu’ils retiennent leur migrants potentiels. Et les pays européens de financer les opérations. C’est ainsi que la Libye, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, et désormais la Mauritanie comme le Sénégal, constituent un immense corridor où sont enfermés dans un « archipel de camps de rétention » de fortune un nombre croissant de déshérités. On admirera ici l’accommodement de la loi fondamentale. Si la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 stipule expressément que toute personne est libre de quitter son pays, officiellement ce sont désormais les pays d’origine qui retiennent les candidats au départ et non les pays d’accueil ou de transit européens qui les rejettent. Cette « externalisation des frontières » de l’Europe est une manière – on ne peut plus lâche – de confier à d’autres le traitement de problèmes que les pays européens ont pourtant largement contribué à faire émerger.

Il n’y aurait ni passeurs ni trafic morbide d’êtres humains si la liberté de circuler existait encore. C’est le refus quasi systématique des visas qui instaure l’économie du voyage sans retour. Toutes les associations s’occupant sérieusement des questions migratoires le clament depuis longtemps : si le franchissement de la Méditerranée était libre très peu nombreux seraient les migrants s’installant en Europe. Ils feraient des aller-retour qu’ils ne font pas quand ils ont payé très cher leur voyage clandestin et quand ils savent qu’en repartant ils ne pourront sans doute plus revenir. Le risque d’une invasion consécutive à l’ouverture des frontières est un pur fantasme alimentant le fonds de commerce de l’extrême-droite européenne montante. Quelle est donc cette Europe de cinq cents millions d’habitants qui se pense menacée dans ses avantages économiques et dans sa culture – déjà bariolée du reste - parce qu’elle accueillerait deux cent mille personnes chaque année ? Au lieu de répondre à la barbarie des passeurs par l’intelligence d’une politique migratoire tuant dans l’œuf leur lucratif business des âmes damnées et la clandestinité largement fantasmée qu’il suscite, il est question de fomenter des coalitions pour mener des expéditions punitives supposées les mettre hors d’état de nuire. Bomber le torse, montrer ses muscles, puis quitter la place en laissant derrière soi une société plus dévastée qu’à l’arrivée. La France Sarkozy a « libéré » la Libye. Qu’en reste-t-il quatre ans plus tard ? La France de Hollande devait sauver le peuple malien. Deux ans plus tard, le Mali est toujours menacé de partition. A chaque fois, le potentiel des migrants augmente. C’est que, contre toute fausse naïveté, la démocratie ne s’exporte pas !

Et si le pire n’était pas la guerre ? La domination du « modèle » économique du Nord imposé aux sociétés vulnérables du Sud, sans consultation des peuples qui tentent d’y survivre, font des ravages moins brutaux mais plus amples que les conflits guerriers. Les plans structurels d’ajustement « recommandés » dès les années 1980, notamment aux pays africains, par le tandem FMI-Banque mondiale ont été la plupart du temps désastreux. « La quasi-totalité des migrants en difficulté n’aurait pas pris le risque de partir si les politiques économiques mises en œuvre étaient créatrices d’emplois. », écrivait Aminata Traoré en avril dernier avant d’ajouter : « Les règles de l’OMC sont hautement destructrices. » Ainsi, L’accaparement des terres agricoles par les firmes transnationales va exclure davantage de paysans de leur activité de production. Une terrible catastrophe est programmée depuis l’adhésion de nombre de ces pays à l’Organisation mondiale du commerce. «  Un travailleur agricole bien équipé pourrait remplacer 2 000 paysans pauvres. Trois milliards de personnes ne pourront pas être absorbées par l’industrie, même avec une croissance fantastique », annonçait Samir Amin dès 2006. Enfin, les farceurs qui n’accusent que les passeurs oublient singulièrement l’acte principal de leur domination : l’économie du Nord est très gourmande en ressources énergétiques, minières, forestières ou encore halieutiques dont regorge le Sud. Elle en a besoin, alors elle se sert abondamment, ne laissant que des miettes aux peuples soumis à ce pillage néocolonial. Et l’on a le monstrueux toupet de s’étonner qu’une telle injustice nourrisse l’esprit de révolte, puisse précipiter ses victimes dans les bras des pires extrémistes, les pousse à quitter leur terre et leur famille ? Honte à nous qui osons encore nier ces faits incontestables et qui rendons nos frontières si dangereuses à franchir.

Stefan Zweig qui se définissait avant toute chose comme citoyen du monde assista avec effroi après la Première Guerre mondiale à la chute morale de l’Europe. On commença par y imposer la nécessité pour tous les hommes d’avoir des papiers. Ce que ce si brillant esprit écrivit alors aurait pu servir d’avertissement : « Partout on se défendait contre l’étranger, partout on l’écartait. Toutes les humiliations qu’autrefois on n’avait inventées que pour les criminels, on les infligeait maintenant à tous les voyageurs, avant et pendant leur voyage. » (1) Faut-il raconter la suite de l’Histoire ? Elle se fit sans Zweig qui avait préféré se donner la mort en 1942.

Yann Fiévet

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