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Posséder ou partager : la seconde vie des choses

Nous avons 35 millions de portables dont la durée de vie est de trois ans en moyenne.

« Le monde du partage devra remplacer le partage du monde. » Claude Lelouch (Extrait d’Itinéraire d’un enfant gâté)

Le titre de cette contribution est là pour attirer l’attention sur un mouvement qui peut ne pas être une mode ou une nécessité dans ce qui nous reste d’espace vital sur une planète de plus en plus abîmée. Dans ce sens nous dit Gérard Charollois qui reprend une interrogation : « Et si l’humanité disparaissait ? »
Un scientifique australien, Frank Fenner, parfaitement rationnel, membre d’une académie de médecine, ose affirmer que l’humanité va disparaître. Il ne s’agit pas d’une prédiction apocalyptique ni d’un verdict sectaire annonçant la foudre d’un quelconque jugement dernier. Pour le scientifique, l’humanité sécréterait les causes de sa perte, accroissant sa vulnérabilité à la mesure de sa maîtrise purement apparente.
Car, écrit l’auteur, en fait, nul ne maîtrise plus rien et les alarmes des scientifiques de toutes les disciplines sur l’altération du climat, l’épuisement des ressources naturelles, les risques viraux résultant de la surpopulation et des échanges planétaires, ne pèsent rien face au rouleau compresseur de l’économie, face à la cupidité de tous les individus, face à la volonté de croissance infinie. La modestie s’impose toujours lorsqu’on évoque le futur. » [1]

Posséder ou partager ?

Faut-il continuer à amasser de l’éphémère coûteux et générateur de déchets ? Martin Denoun et Geoffroy Valadon en parlent : « Dans le nouveau monde qui se dessine caractérisé par une pénurie inexorable d’énergie des changements climatiques de plus en plus récurrents et catastrophiques, faut-il continuer au nom de la boulimie du consommer éphémère, voire inutile ?
La solution ne passe-t-elle pas par le partage et surtout l’impérieuse nécessité de donner du temps aux choses. Et si l’usage ne correspondait pas nécessairement à la propriété ? Soucieuses d’en finir avec l’hyper-consommation d’objets qui ne servent que très rarement, confrontées à un pouvoir d’achat en berne, de nombreuses personnes s’organisent pour partager et troquer. Nous lisons la contribution suivante qui donne des éléments de réponses : « Au domicile de chacun d’entre nous, il existe à la fois un problème écologique et un potentiel économique.
Nous avons dans nos foyers de nombreux biens que nous n’utilisons pas : la perceuse qui dort dans un placard et ne servira en moyenne que treize minutes dans sa vie, les DVD visionnés une ou deux fois qui s’entassent, l’appareil photo qui attrape la poussière plus que la lumière, mais aussi la voiture que nous utilisons en solitaire moins d’une heure par jour ou l’appartement vide tout l’été. La liste est longue. Et elle représente une somme impressionnante d’argent comme de déchets futurs. »
Telle est, en substance, l’accroche des théoriciens de la consommation collaborative. Car, assène avec un grand sourire Rachel Botsman, l’une de leurs chefs de file : « Vous avez besoin du trou, pas de la perceuse ; d’une projection, pas d’un DVD ; de déplacements, pas d’une voiture ! »...

Jeremy Rifkin est celui qui a diagnostiqué cette transition d’un âge de la propriété vers un « âge de l’accès » où la dimension symbolique des objets décroît au profit de leur dimension fonctionnelle : alors qu’une voiture était autrefois un élément de statut social qui en justifiait l’achat au-delà de son usage, les consommateurs se sont mis à louer leur véhicule.

Aujourd’hui, c’est même leur propre automobile ou leur propre domicile que les jeunes proposent à la location. S’ils font ainsi le désespoir de nombreux industriels du transport ou de l’hôtellerie, d’autres y voient un détachement vis-à-vis des objets de consommation porteur d’espoir. Les plates-formes d’échange permettent une meilleure allocation des ressources ; elles atomisent l’offre, éliminent les intermédiaires et facilitent le recyclage.
Ce faisant, elles érodent les monopoles, font baisser les prix et apportent de nouvelles ressources aux consommateurs. Ceux-ci seraient ainsi amenés à acheter des biens de qualité, plus durables, incitant les industriels à renoncer à l’obsolescence programmée (...) » [2]

La thèse d’une troisième révolution industrielle par J. Rifkin

Justement, Jeremy Rifkin économiste, essayiste, dans une analyse lumineuse et providentielle, même en ces temps de périls, de l’avenir des sociétés, écrit : « Nous sommes, à la fin d’une ère, celle d’une économie fondée sur les énergies fossiles, le travail à temps plein, une organisation pyramidale des entreprises, une gestion exclusivement marchande du monde...
Et nous entrons dans ce qu’il appelle la troisième révolution industrielle qui va bouleverser nos manières de vivre, de consommer, de travailler, d’être au monde, un nouveau paradigme économique qui va ouvrir l’ère post-carbone, basée notamment sur l’observation que les grandes révolutions économiques ont lieu lorsque de nouvelles technologies de communication apparaissent en même temps que des nouveaux systèmes énergétiques (hier imprimerie/charbon ou ordinateur/ ; aujourd’hui Internet & les énergies renouvelables). La Seconde Révolution Industrielle se meurt donc. Dans un futur proche, les humains génèreront leur propre énergie verte, et la partageront, comme ils créent et partagent déjà leurs propres informations sur Internet. Cela va fondamentalement modifier tous les aspects de la façon dont nous travaillons, vivons et sommes gouvernés.
Comme les première et deuxième révolutions industrielles ont donné naissance au capitalisme et au développement des marchés intérieurs ou aux États-nations, la troisième révolution industrielle verra des marchés continentaux, la création d’unions politiques continentales et des modèles économiques différents. » [3]

Pour Rifkin le défi est triple : La crise énergétique, le changement climatique, le développement durable. Ces défis seront relevés par un changement de la mondialisation à la « continentalisation ».
C’est-à-dire la fin d’une énergie divisée, pour une énergie distribuée. Les cinq piliers de la Troisième Révolution Industrielle sont :

  1. Passer aux énergies renouvelables.
  2. Transformer les bâtiments sur chaque continent en mini-centres énergétiques, créant de nombreux emplois.
  3. Permettre à chaque bâtiment de conserver cette énergie.
  4. Utiliser la technologie internet pour créer un réseau similaire d’énergie. Chaque bâtiment ayant de l’énergie en trop pouvant la vendre sur ce réseau.
  5. Créer des réseaux électriques continentaux dans lesquels les véhicules électriques puissent vendre leurs surplus d’énergie en se branchant à une prise, tout en étant garés. (...) La Troisième Révolution Industrielle conclut-il, est un changement radical spatiotemporel. Elle va créer des citoyens globaux, dans une biosphère partagée, et nous reconnecter avec la planète. Nous avons peu de choix si nous voulons espérer restaurer la santé de la biosphère et préserver la planète pour les générations futures. » [4]

Comment mieux utiliser et partager ce qui existe plutôt que posséder davantage
Dans le même ordre du partage : « Est-il indispensable de posséder une voiture que l’on utilise 2 à 5% du temps plutôt que de louer son usage où et quand on en a besoin ? Est-il judicieux de se déplacer « en solo » quand on peut covoiturer ? Est-il impératif d’acquérir un vélo plutôt que d’utiliser le service mis à disposition dans ma ville ? Est-il nécessaire de construire de nouveaux bâtiments et équipements publics quand ceux existants sont sous-utilisés ?
Il y a un paradoxe. Nous avons des besoins de mobilité ou d’espace. Nous y répondons par la possession d’un véhicule ou la construction d’un nouvel équipement public. Les avantages sont connus : en possédant, la disponibilité de l’usage nous est garantie.
Mais les inconvénients ont commencé à dépasser les avantages dans plusieurs domaines, aux plans individuel et collectif : posséder une voiture en ville est devenu un tracas et une source de dépense considérable, en investissement et en fonctionnement ; les consommations d’énergie et de matières premières sont disproportionnées par rapport aux usages rendus. » [5]

Le modèle circulaire en application : une autre solution

Tendre vers une société durable et sans déchet, telle est aussi l’ambition poursuivie par l’architecte américain, William McDonough et le chimiste allemand, Michael Braungart ; ils ont publié en 2002 le manifeste du mouvement : « Cradle to Cradle Remaking the way we make things » (« Du berceau au berceau. Repenser la manière dont nous faisons les choses »). En apportant des solutions concrètes aux entreprises ou aux institutionnels qui les sollicitent.
Leur modèle considère que toutes les matières premières entrant dans un processus de fabrication industrielle peuvent être vues comme des « nutriments » qui se divisent en deux grandes catégories. Les « nutriments techniques » comprennent les matières premières non organiques et non nuisibles à l’environnement (les matières synthétiques mais non toxiques sont de celles-là), tandis que les « nutriments biologiques » d’origine organique qui peuvent être compostés sans traitement spécifique reviennent nourrir les sols.
En résumé, il faut « des matériaux totalement sains qui retournent soit à la terre, soit à l’industrie pour être recyclés indéfiniment » expliquent McDonough et Braungart ». [6]

L’Ademe (Agence francaise pour les économies d’énergie donne des pistes de « sobriété » Nous lisons :

« Comment le consommateur peut-il réduire significativement la quantité de déchets qu’il produit et participer ainsi à la mise en place d’une économie circulaire ? Les Français semblent déjà bien informés, puisqu’en 2010 ils sont 98% à avoir déjà donné une seconde vie à un objet quelconque.
Ainsi, le réemploi n’est plus exclusivement associé à des situations de grande pauvreté et se pare d’une image positive, celle du consommateur « malin ». En 2012, près de la totalité des Français (98%) déclarent avoir déjà pratiqué le réemploi et l’on estime à 1 250 millions d’euros par an le chiffre d’affaires lié au réemploi et à la réutilisation.
Le marché de la réparation tire également profit de la crise économique : le nombre d’entreprises de réparation a augmenté de 26% tous secteurs confondus entre 2007 et 2011. La réparation automobile est le secteur le mieux représenté avec 60% des entreprises du secteur.
L’impact sur l’environnement s’en fait d’ailleurs sentir : on estime qu’en 2011,825.000 tonnes de déchets ont été évitées grâce au réemploi et à la réutilisation, participant ainsi au développement de l’économie circulaire. Les efforts doivent être poursuivis pour favoriser ces nouveaux modes de consommation, notamment grâce à la promotion du réemploi ou à l’accompagnement des collectivités locales afin qu’elles développent des partenariats avec des structures spécialisées. » [7]

Et en Algérie ?

Quelques possibilités : les Algériens ont perdu le sens de l’économie, la disponibilité excessive de tout, stérilise toute recherche tendant à éviter le gaspillage ; l’Algérien de 2013 pense que tout lui est dû.
Il est vrai que les scandales en tout genre qui portent sur des sommes colossales lui donnent la conviction que tout est pourri, que c’est le sauve-qui-peut, qu’il faut revendiquer « sa part de la rente », au besoin de façon brutale. Nous avons perdu le sens de l’économie et de la durabilité des choses. Nous avons 35 millions de portables dont la durée de vie est de trois ans en moyenne. Cela veut dire qu’il a un moyen de recycler 3 millions de portables/an. Nos greniers périclitent d’équipements inutilisés qui peuvent avoir une seconde vie si cette philosophie du partage que nous nous vantons d’avoir de par notre culture et notre religion existait réellement.

Nous ne savons pas ce que sont les économies du fait d’une consommation débridée où les utilités sont gratuites. A titre d’exemple, s’agissant du concept « Heure d’été -heure d’hiver ». Dans les pays développés, on fait la « chasse au gaspi ». Un simple calcul permet d’avoir une idée du gain. Pour les cinq millions de logements, c’est un gain de 18 millions de kWh ou encore, c’est l’équivalent de 15.000 tonnes de pétrole ou encore 10 millions de dollars, de quoi retaper les laboratoires des universités. Il nous faut compter le moindre centime et rompre avec le gaspillage.
Nous « produisons », 12 millions de tonnes de décharges. Les décharges sont des trésors si on sait y faire ! Il en est de même justement de la récupération de l’eau de pluie. Nos aînés récupéraient l’eau de pluie au nom de l’autosuffisance. Si on compte seulement 1 million de logements avec une surface de 100 m2 et une pluviométrie de 800l/m2 dans l’année. Avec une récupération à 50%.
C’est au total 80 millions de m3 (près de 10%) de l’eau nécessaire à l’approvisionnement des habitants Nous vivons au-dessus des moyens de la planète. L’alternative est dans la sobriété, le changement de rythme, la décroissance qui suggère un changement de valeur : ne pas stigmatiser la lenteur, ne pas s’éblouir de la nouveauté, ne pas faire dans le mimétisme ravageur de l’Occident ; rouler en 4x4, un portable vissé à l’oreille, se chausser de Nike, ce n’est pas cela le développement. Avec des convictions, de l’inventivité et de la persévérance, nous pouvons faire des choses formidables.
L’éco-citoyenneté est un combat qui commence à l’école et se poursuit par la suite dans la vie de tous les jours de chacun d’entre nous. Nous n’avons pas le choix. » [8]

La croissance infinie dans un monde fini est une équation intenable. La Terre est un équilibre : les éléments qui la composent (faune, flore, minéraux, eau, etc.) forment un tout indissociable et interdépendant.
Pierre Rabhi écrit : « Le progrès ne libère pas. (...) Il faut que l’humanité se pose la question : Qu’est-ce que vivre ? S’il s’agit juste de consommer, je n’appelle pas ça la vie, cela n’a aucun intérêt. Nous sommes devenus des brigades de pousseurs de caddies. Cela me terrifie. »
On a évoqué la décroissance, qui est considérée comme une infamie dans le monde d’aujourd’hui. En 1972, nous étions en dessous de la capacité maximum de la Terre à supporter nos activités, à 85% environ. Aujourd’hui, nous sommes à 150%.
La situation est confirmée par la formule du Smithsonian Magazine, « The world is on track for disaster... », autrement dit, « tout se déroule comme prévu pour que survienne le désastre ».
Le modèle de développement actuel s’avère inefficace et non viable, pas seulement pour l’environnement, mais aussi pour les économies et les sociétés, a déclaré le Directeur général du BIT, Juan Somavia. Il nous faut tourner le dos à l’ébriété énergétique. Ce sera alors l’avènement du BIB (Bonheur Intérieur Brut) au lieu du PIB (Produit Intérieur Brut) qui a amené l’humanité à sa perte en déifiant la croissance et le marché. » [9]

Chems Eddine CHITOUR


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