Résolution 2268 : Intervention du Docteur Bachar al-Jaafari, Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies [Texte intégral]

Lorsque sans se contenter de lire ce qui est consigné dans les communiqués de presse [1][2], on écoute ce qu’a réellement déclaré l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Mme Samantha Power, dans la minute qui a suivi l’adoption à l’unanimité de la Résolution 2268 [3] appuyant l’accord américano-russe sur la « cessation des hostilités » en Syrie, il devient clair qu’il n’y a toujours pas d’entente entre les deux blocs sur l’avenir de la Syrie.

Et si l’on cherche une inflexion significative de lucidité et de bonne foi du côté français, maintenant qu’un de nos médias officiels nous a expliqué le « grand aveuglement » [4] de nos politiciens, il devient encore plus clair que notre nouveau ministre des Affaires étrangères est aussi aveugle que son prédécesseur, puisqu’il a déclaré le lendemain :

« L’application de cet accord constituera un test de la disposition du régime syrien, de la Russie, de l’Iran et des milices qu’il arme, à rechercher une solution négociée au conflit syrien […].

La France veillera, avec la plus stricte vigilance, au respect des engagements issus des communiqués de Vienne et de Munich et des résolutions 2254 et 2268 du conseil de sécurité. Ce n’est que dans ces conditions que les négociations inter-syriennes sur les modalités d’une transition politique pourront reprendre sur des bases crédibles à Genève, sous l’égide de l’envoyé spécial des Nations unies, et selon les termes prévus par la résolution 2254 du conseil de sécurité. Au-delà, la France continuera d’apporter son appui à l’opposition syrienne, représentée par le haut conseil de négociation de Riyad, qui s’est engagé pour une Syrie démocratique, pluraliste et respectueuse de sa diversité, et, au plan politique, à soutenir ses revendications légitimes en matière de transition » [5].

La résolution 2268 serait un test de la disposition du bloc adverse à rechercher une solution négociée au conflit syrien, non une chance de se débarrasser de serviteurs terroristes instrumentalisés pour briser la Syrie, mais qui commencent à sérieusement menacer le monde occidental, sans parler du moyen d’éviter une guerre régionale qui risque de s’étendre jusqu’aux confins de l’Europe et de l’Asie ?

L’« Iran et les milices qu’il arme », comprenez la Résistance libanaise et notamment le Hezbollah contre lequel l’Arabie saoudite est en train de déchaîner, après la Syrie et le Yémen, sa troisième tempête haineuse sur le Liban, ce pays ami dont on prétend vouloir sauvegarder la stabilité.

M. Ayrault rappelle les récents communiqués et les récentes résolutions du Conseil de sécurité, mais oublie curieusement la résolution contraignante 2253, adoptée à l’unanimité la veille de l’adoption de la résolution 2254 ; laquelle résolution 2253 interdit tout soutien aux organisations terroristes, telle « Ahrar al-Cham », partie prenante de la prétendue opposition syrienne représentée par le haut conseil de négociation de Riyad, dont les représentants s’engagent tous les jours, sur les ondes, pour une Syrie anti-démocratique, islamiste et allergique à toute diversité…

De quoi mieux comprendre la réponse du Dr Bachar al-Jaafari aux déclarations de certains délégués permanents auprès des Nations Unies [NdT].

* * *

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, le gouvernement syrien ne s’est épargné aucun effort pour arriver à un règlement politique depuis le début de la crise. Il l’a prouvé à maintes reprises et n’a cessé de poursuivre cette approche.

Partant de son souci d’arrêter l’effusion du sang syrien… le sang de nos enfants… nos enfants à nous… de ramener la sécurité et la stabilité, exécutant ainsi la volonté du peuple syrien, il a officiellement accepté de suspendre les « opérations de combats » sur la base de la poursuite des efforts militaires de la lutte anti-terroriste, contre Daech, le Front al-Nosra et les autres organisations terroristes qui leur sont subordonnées ainsi qu’à l’organisation Al-Qaïda, conformément à la déclaration commune américano-russe.

Le gouvernement syrien considère que le contenu de cette déclaration est un plan important de règlements politiques et confirme, à partir de cette tribune, sa disposition à contribuer à l’application de l’arrêt des combats.

Monsieur le Président,

Pour garantir le succès de la mise en œuvre de ce plan à la date prévue, le gouvernement syrien poursuit sa coordination avec la partie russe pour définir les zones et les groupes armés concernés par l’accord, tant que son effet durera.

À cet égard, nous insistons de nouveau sur l’importance du contrôle des frontières et de l’arrêt du soutien apporté par certains États aux groupes armés afin d’interdire à ces organisations de renforcer leurs capacités ou de modifier leurs positions ; ceci pour éviter ce qui pourrait saper cet accord.

Tout comme nous insistons sur le fait que nos Forces armées conservent le droit de répliquer à toute violation commise par ces organisations terroristes contre elles ou contre les citoyens syriens.

Monsieur le Président,

La délégation de la République arabe syrienne a participé aux récents pourparlers de Genève avec tout le sérieux requis et en toute bonne foi, pour parvenir à un règlement politique de la crise en mon pays, la Syrie.

Aujourd’hui, je répète que le gouvernement syrien est prêt à participer efficacement à tout effort sincère ayant pour but d’arriver à un règlement politique aux termes duquel les Syriens décident seuls de leur avenir et de leurs choix, par le dialogue entre Syriens, sous direction syrienne, sans ingérence extérieure et selon des modalités garantissant la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie, telles que mentionnées dans le deuxième paragraphe de l’introduction à la résolution 2268 adoptée à l’instant.

Monsieur le Président,

En conséquence de ce qui précède, la balle est de nouveau dans la cour des autres parties, lesquelles devront prouver leurs bonnes intentions et leur véritable engagement à faciliter le règlement politique de la crise en Syrie, sans imposer des conditions préalables au peuple syrien et sans interférer dans ses affaires intérieures, en cessant de soutenir ou de couvrir le terrorisme et en mettant fin aux pratiques de certains pays qui empêchent le règlement politique.

Quant aux Syriens, Monsieur le Président, ils sont invités à travailler au renforcement de la réconciliation nationale et à la mobilisation de tous les efforts afin de vaincre le terrorisme, de reconstruire le pays, une nouvelle Syrie une et indivisible aussi bien au niveau de son peuple que de sa géographie, et de préserver sa souveraineté et son indépendance nationale.

Pour terminer, Monsieur le Président, notre collègue déléguée des États-Unis a indiqué, dans sa déclaration, qu’à sa connaissance le Front al-Nosra était absent de Daraya, ville située dans la banlieue de Damas. Ce discours est totalement faux parce que le Front al-Nosra est bien présent à Daraya. D’ailleurs, voici encore une liste de centaines de noms de terroristes tués en Syrie au cours de l’année 2015. La plupart d’entre eux appartiennent au Front al-Nosra et à Daech, certains ayant été tués à Daraya.

Le plus important, Mesdames et Messieurs, est que le vrai nom du Front al-Nosra est « Organisation d’Al-Qaïda dans les Pays du Levant », nom bien connu de vos experts travaillant au sein des organes subsidiaires chargés de la lutte contre le terrorisme. Par conséquent, nous parlons bien de l’Organisation Al-Qaïda.

Qui est le chef du Front al-Nosra ? C’est Al-Joulani, anciennement bras droit d’Al-Baghdadi, le chef de Daech [EIIL ou EI], dont il s’est séparé pour créer le « Front al-Nosra en Syrie ». Nous parlons toujours de l’Organisation Al-Qaïda.

Al-Joulani a déclaré son allégeance à Al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda. Le Front al-Nosra est donc effectivement lié à Al-Qaïda.

Al-Zawahiri a désigné l’un de ses fidèles muftis saoudiens auprès de Jabhat al-Nosra à Idlib en Syrie, pour couper les têtes et bouffer les foies et les cœurs. Le nom de ce mufti saoudien est Abdullah Mouhaisni et figure sur la liste du Conseil de sécurité des entités et individus soutenant le terrorisme.

Tel est le Front al-Nosra que certains omettent de citer dans leurs déclarations, avec sans doute l’idée qu’ils pourraient éventuellement les soustraire à la lutte antiterroriste en Syrie.

Ceci dit, le Front al-Nosra fait partie de « Ahrar al-Cham », cette autre organisation terroriste inventée par les Services de renseignements turcs et qui sévit au nord de la Syrie, près de la frontière turco-syrienne.

Monsieur le Président,

Dès aujourd’hui et à peine la résolution 2268 adoptée, certains cherchent déjà à outrepasser ses dispositions en évoquant des sujets sans aucun rapport avec son contenu. C’est pourquoi j’aimerais, à partir de cette tribune, inviter les délégués de pays membres qui ont parlé de mon pays d’une manière inappropriée, et en violation de la résolution 2268, à commencer par se conformer, eux-mêmes, à ses dispositions à l’intérieur de cette salle, avant que nous exigions leur respect à l’extérieur.

Dr Bachar al-Jaafari

Délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies

26/02/2016

Source : Vidéo / Al-Fadaiya [Syrie]

https://www.facebook.com/seyasi/videos/991964300879587/

Transcription et traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Notes :

[1] Security Council Unanimously Endorses Syria Cessation of Hostilities Accord, Unanimously Adopting Resolution 2268 (2016) http://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/security-council-unanimously-endorses-syria-cessation-hostilities-accord

[2] Le Conseil de sécurité appuie l’accord sur la cessation des hostilités en Syrie, à quelques heures de son entrée en vigueur http://www.un.org/press/fr/2016/cs12261.doc.htm

[3] Vidéo / Syria - Security Council, 7634th meeting [Intervention de Samantha Powers vers 27’30”] http://webtv.un.org/watch/syria-security-council-7634th-meeting/4776235812001

[4] Un oeil sur la planète - Syrie : le grand aveuglement - 18 février 2016 https://www.youtube.com/watch?v=Kh8FnLJFTMA

[5] Syrie - Déclaration de Jean-Marc Ayrault - Adoption de la résolution 2268 du conseil de sécurité des Nations unies (26 février 2016) http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/la-france-et-la-syrie/actualites-2016/article/syrie-declaration-de-jean-marc-ayrault-adoption-de-la-resolution-2268-du

COMMENTAIRES  

01/03/2016 23:45 par chb

Le nouveau ministre français des AE n’a donc pas modifié la posture hypocritement droit-de-l’hommiste du précédent. Notre diplomatie, toujours à la remorque de Washington, continue de nous tisser ses mensonges alambiqués destinés à justifier les opérations impérialistes - et agressives - dont la sphère occidentale est coutumière.

A ce sujet, un article édifiant, par l’un des membres de la famille Kennedy, décrit le processus et replace ses derniers avatars avec l’EI dans une perspective historique. Assez long, son texte "Pourquoi les Arabes ne veulent pas de nous en Syrie" décrit entre autres la mise en place de l’OTAN par chantage avant l’engagement US contre les nazis, et la litanie de coups fourrés au Moyen-Orient (des complots, quoi). L’instrumentalisation du jihadisme, pour contrôler pétrole et zones stratégiques, n’est pas nouvelle ! Traduction du papier en cours, pour les-crises.fr.

On se rappellera que la CIA s’intéressait de près aux putschistes sectaires en Syrie dès 57, puis en 80, puis en 2009 en préparation de la "guerre civile"... Le "printemps de Damas" concocté sciemment pour favoriser une option de pipeline qatari et affaiblir l’Iran (et la Russie) était-il déjà une option pendant que Sarko (l’américain !) recevait al Assad en grande pompe à Paris ? Le capitalisme prédateur a assez souvent prouvé son agressivité pour qu’on considère la chose probable. En tout état de cause, la perte consommée de notre souveraineté au profit de l’OTAN, et notre amitié avec des dictateurs contre tel ou tel dirigeant voué aux gémonies, sont des indices graves de crimes en cours. Toujours cynique, la République Normale ne s’en démarque pas, même sous un gouvernement remanié. En font les frais le contribuable et les expulsés de la jungle de Calais.

05/03/2016 07:36 par chb

Une version abrégée de l’article de Robert F. Kennedy Jr, "Pourquoi les Arabes ne veulent pas des Américains en Syrie ?" est accessible en français ici.

Bien avant l’occupation de l’Irak en 2003, qui a engendré le soulèvement sunnite, précurseur de l’Etat islamique, la CIA a nourri le djihadisme violent, en en faisant une arme de la guerre froide, ce qui empoisonna les relations US/Syrie.

Faut reconnaître que cette diplomatie-là, quoique décriée universellement pour les mensonges qui la justifie et pour ses nombreux fiascos, a continué depuis al Qaeda jusqu’à sa version al Nosra "qui fait du bon boulot" (selon l’ex-responsable de nos ingérences extérieures, maintenant sage en chef de notre conseil de surveillance de la république).

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