On peut qualifier ce thème de “vulnérable” parce que comme il s’agit d’une tentative d’organiser et d’exploiter de manière souveraine la mine au Venezuela, il fait s`élever les voix de protestation, en premier lieu, des mafias et des bandes criminelles qui contrôlaient l’exploitation de l’or, des diamants et du coltan au sud du fleuve Orénoque ; en deuxième lieu, des groupes environnementaux et des organisations sociales (authentiques ou opportunistes, les deux existent), préoccupés par certains énoncés de l’Arc Minier de l’Orénoque, et dévastés dans leur sensibilité par une propagande systématique et bien organisée. En troisième lieu, viennent les attaques contre l’Arc Minier de la part des transnationales et des gouvernements étrangers qui voient freiné ou stoppé leurs plan de tirer bénéfice des richesses minérales du sol vénézuélien. En dernier lieu intervient aussi un secteur citoyen qui n’a jamais été intéressé ni par le thème de la mine, ni par celui de la souveraineté, pas plus que par la problématique indigéniste ou environnementale, mais qui voit dans l’Arc Minier un thème facile pour insulter et pester, même sans éléments concrets.
Exploitation minière ou seulement responsable ?
L’Arc Minier de l’Orénoque (AMO) est un thème sensible et vulnérable pour une raison puissante : l’exploitation minière, pour tout ce qu’elle représente dans le capitalisme industriel, est un thème facile à attaquer et susceptible de criminalisation. Il est pratiquement impossible de parler en termes laudatifs d’une activité qui a détruit nature et cultures, et qui a appauvri les pays pauvres dont le sous-sol contient la matière première. Quand le gouvernement vénézuélien a créé le Ministère du Pouvoir Populaire pour le Développement Minier Écologique, le nom fit scandale, qui suggère qu’on peut faire de l’exploitation minière tout en contribuant à l’écologie. Quand on donne les éclaircissements et les précisions nécessaires – il n’existe pas d’exploitation minière écologique mais il existe une forme hautement polluante de l’exercer -, il est trop tard : le nom du ministère fonctionne comme le titre des articles, et la majorité s’y arrête sans approfondir le contenu.
Le résumé ou la synthèse de ce cirque volant communicationnel est celui-ci : on attribue à l’Arc Minier (créé en 2017) toute la dévastation causée par un exercice irresponsable, esclavagiste et déprédatrice de l’exploitation minière pendant les deux siècles antérieurs. Il n’a servi à rien d’informer, intensément et de manière soutenue, sur le fait que l’Arc Minier est la réponse de l’État pour diminuer la pollution engendrée par l’activité extractiviste, pour faire que la classe ouvrière (travailleurs de la petite exploitation minière) s’engagent à une exploitation plus propre et responsable, pour préserver les zones sacrées et peuplées par les peuples indigènes. Toujours revient la campagne qui rejette la faute sur l’État vénézuélien de générer ce qu’il vient en réalité éradiquer et corriger.
Le contexte est le suivant. Il y a des territoires au nord de l’état de Bolivar (sud du Venezuela, limitrophe avec le Brésil et le territoire de l’Essequibo) où on pratique depuis 200 ans l’exploitation minière, moyenne et à grande échelle. Dans ces zones s’est développé, comme dans toute ville ou conglomérat humain produit par les dynamiques économiques extractivistes, un réseau de mafias, prostitution et drogues, pollution au mercure, dévastation des zones naturelles, présence de transnationales (dans la seconde moitié du vingtième siècle) et corruption. Pour ces raisons, l’Etat a décrété un plan, applicable dans des zones spécifiques de ces territoires, baptisé Zone de Développement Stratégique National Arc Minier de l’Orénoque. L’État vénézuélien avait une dette historique envers les habitants de cette région et de tout le Venezuela, qui consistait à reprendre le contrôle souverain de ce territoire et de ses ressources, et cela ne peuvent le faire à eux seuls ni le gouverneur de Bolivar, ni les Forces Armées, ni l’entreprise privée, ni un ministère. L’Arc Minier compte parmi ses principes directeurs le respect des peuples indigènes, la protection de zones où il n’est ni nécessaire ni pertinent de développer l’exploitation minière, la mise en œuvre de techniques et de méthodes moins toxiques et moins destructrices que l’usage traditionnel du mercure, et la dignification et la relance de la petite exploitation (activité dont vivent des milliers de familles depuis plusieurs générations) alors que se réduit et se régule l’exploitation minière à grande échelle. Il est faux que vont être dévastés 111.800 kilomètres carrés de forêt, comme le dit la propagande contre l’Arc Minier : le décret estime que moins de 5 pour cent de ce territoire sera directement affecté, et que cela est suffisant pour extraire les ressources du sous-sol.
Le gros de la campagne contre l’Arc Minier s’est appuyé sur des images et des témoignages recueillis dans les zones minières… avant le décret gouvernemental. Fleuves éteints et réduits à des puits stériles pleins de mercure, vastes zones forestières dévastées. Il s’est avéré incroyablement difficile d’expliquer aux groupes d’opinion créés à ce sujet comprennent que l’Arc Minier est une solution potentielle à ces dévastations et non leur origine.
Tandis que cette propagande négative se renforce et que se déploient des sites informatifs ( http://arcominerodelorinoco.com/ ) financés par la NED (National Endowment for Democracy (cette façade montée par le Département d’État pour “laver” ou filtrer ses rétributions aux mouvements anticommunistes, progressistes et anti-vénézuéliens d’Amérique) charriant tous les préjugés et les mensonges proférés contre l’AMO, le travail sur le terrain a commencé à démontrer son efficacité en matière de captation souveraine et responsable de ressources. Le Venezuela a produit entre 2012 et 2016, 5,1 tonnes d’or, avec des processus conventionnels et l’intervention minière à grande échelle. En seulement huit mois à partir de l’activation de l’Arc Minier de l’Orénoque, la production a atteint 8,6 tonnes. Ces 8,6 tonnes ont été converties en lingots et entreposées dans les chambres fortes de la Banque Centrale du Venezuela, pour grossir les réserves internationales, les actifs de la République.
Le cas le plus récent et vérifiable du pillage de l’or vénézuélien est celui de Curaçao, une dépendance hollandaise des Caraïbes proche de nos côtes : cette île a exporté 2.300 millions de dollars en or entre 2010 et 2015, sans posséder une seule mine d’or…
L’explication de ce saut olympique tient à deux facteurs d’explication : le contrôle effectif des ressources exploitées, qui auparavant “s’évadaient“ impunément par d’autres pays à travers les fleuves et les forêts, et l’encadrement de la petite exploitation minière, jusqu’ici considérée comme illégale et objet de persécution.
Classe ouvrière et communautés de mineurs
Dans la petite exploitation se trouve la clef, non seulement de l’augmentation de la production mais de l’humanisation et de la reconnaissance de l’activité minière. Les travailleurs se sont organisés en Conseil Populaire Minier, et cette instance de travailleurs maintient une relation net une coordination directes avec l’État. En échange de cette reconnaissance ce sont les travailleurs organisés qui concrétisent et massifient les instructions et la philosophie de l’Arc Miner : petit à petit on élimine l’usage du mercure (la technologie d’extraction par cyanure et charbon actif est moins risquée et moins polluante), on réalise un recensement des travailleurs qui interviennent dans le processus, on vérifie l’accomplissement des engagements centraux : les ressources extraites ne sont vendues qu’à l’État (un coup porté aux mafias transnationales) et les zones protégées et les territoires indigènes sont respectés et préservés.
De nombreux activistes de l’agroécologie, et beaucoup d’entre nous, défenseurs d’une agriculture propre et liée à la terre, souhaiteraient que l’exploitation minière soit proscrite come activité économique. Mais dans des territoires où il y a des communautés qui vivent de la petite exploitation minière depuis plusieurs générations cette élimination ne serait pas possible sans perpétrer un véritable génocide. Après avoir longtemps tourné le dos à l’exploitation minière l’État vénézuélien a permis que croissent des phénomènes parallèles et pervers de l’extractivisme criminelle à grande échelle et la délinquance organisée qui a pillé ces ressources durant des siècles.
Il y aura certainement une opposition au projet, et le discours transversal continuera à être la perversion de l’activité minière en tant qu’activité extractiviste. Toute attaque transnationale, corporative ou de gouvernements ennemis, sera compréhensible et logique. La difficulté sera de concilier le discours de groupes environnementalistes (authentiques ou manipulés) du Venezuela qui continueraient à attaquer l’exploitation minière pendant que l’on continue à se servir de l’activité minière par antonomasie : la pétrolière. Attaquer l’activité minière pendant qu’on vit du pétrole : c’est le paradoxe fondamental de ces étranges temps de furie antivénézuélienne.
L’assemblée informative commence avec les mineurs, avant d’initier le recensement. Ils sont dans une communauté proche de Tumeremo, mais plus proche du territoire de l’Essequibo, où sont arrivés au bout d’un voyage de plusieurs heures en barque. Les jeunes du Ministère du Développement Écologique expliquent le motif de leur présence : quelques hommes interviennent, interrompent, veulent parler tous à la fois, par moments la conversation se fait lourde et difficile. Soudain arrive un monsieur qui veut mettre « de l’ordre » à sa manière : il sort un pistolet et tire vers le toit. Alors les autres se taisent. Sachez-le : il y a beaucoup de façons de faire respecter un droit de parole.
Pendant trois mois une équipe de techniciens et de professionnels du Ministère du Pouvoir Populaire pour le Développement Minier Écologique, accompagnés par des jeunes garçons et filles de la Mission Piar et du Plan Travail pour les jeunes, formé dans sa majorité par des jeunes de 17 à 35 ans, ont décidé d’abandonner leur confort pour se submerger dans la forêt et créer à la sueur de leur front, le Registre Unique des Mineurs (RUM) ; pour connaître et faire connaître de près la réalité des peuples miniers qui habitent l’Arc.
Ainsi formulé, cela pourrait sembler n’être qu’une action de plus de la bureaucratie d’État. Jusqu’à ce qu’on se rende compte des données profondes du contexte et que l’exploit soit mesuré à sa juste valeur : il y avait des endroits où aucune institution de l’État n’avait jamais mis les pieds, et c’est là où ces jeunes garçons et filles ont dû se rendre, se plongeant dans des zones où se déplacent des groupes et des individus qui exercent le contrôle et l’autorité sans discussion possible. Ces derniers qui ont oublié un (gros) détail : cette région fait partie d’un pays où il y a des lois et des institutions. La Révolution a décidé de ne pas le leur expliquer à coups de tanks, d’avions et d’infanterie (ce à quoi on pense souvent dans cette situation) mais en envoyant des jeunes armés d’un sourire, d’une dose de naïveté, et de l’envie de travailler. A la tête de cette équipe chevauche Félix Caraballo, un lutteur de La Vega qui jusqu’il y a peu de mois n’en savait pas beaucoup sur les mines mais pas mal sur les dimensions humaines de l’organisation sociale.
Auparavant le mineur arrivait à un lieu où l’information était centralisée ; cette fois, avec l’appui des organisations populaires et de mineurs organisés, plus de 70 jeunes ont habité chez eux, dans les mines d’or de l’état Bolívar. C’est là, dans cet autre Venezuela, caché pour la majorité, qu’ils ont déambulé, embrassant avec vigueur et apprenant avec les neurones frais une réalité en marge du quotidien.
Petits et (grands) mineurs : de la mitraille à l’hymne national
Liss Lares a 30 ans, est sociologue et assistante adjointe à la Direction Générale de la Gestion Productive de la Petite Exploitation Minière ; elle a fait partie de cette équipe qui est partie dans la forêt à la recherche de ces vénézuéliens demi-oubliés. “Nous sommes restés dans les mines des municipalités de El Callao, Cedeño et Piar ; nous avons dormis dans des espaces seulement pourvus d’un toit, dans des hamacs ou sans hamacs, avec une moustiquaire, dans des zones ou rôde le paludisme, où il y a des dynamiques de violence. Nous avons mangé ce que mangent les mineurs, car c’est de ce que cela qu’il s’agissait. Pour nous ce fut un processus transformateur, nous avons toujours été disposés à arriver aux mines les plus profondes et nous avons réussi à atteindre la tâche que nous nous étions fixée”.
Le Registre Unique Minier a eu pour objet la caractérisation des zones consacrées à l’exploitation minière et à ses réalités connexes : qui sont les mineurs, d’où ils viennent, quels sont les attentes de ces personnes qui vont chercher de l’or et d’autres ressources minérales de la terre. Liss était particulièrement intéressée de connaître la situation de la femme ; créer cet instrument qui permettra à l’État d’orienter les politiques sociales avec l’appui du peuple des travailleurs de la mine, fut une bonne occasion de s’approcher de cette réalité.
Pour le dire avec élégance et décence, les femmes sont les personnes qui ont vécu les pires choses dans un territoire et une activité où abondent, parmi les mineurs de vieille souche et qui ont construit une culture de travail, des aventuriers de partout du Venezuela et d’autres pays, qui lorsqu’ils arrivent à une zone minière (à une “bulla” : c’est le lieu où quand on découvre de l’or commence à se former une communauté) installent en grappe un campement chaotique et insalubre, couvert de baraques et de toits de plastique ; ils s’organisent pour perforer des trous de plusieurs mètres de profondeur, sortir les “moulins” et récupérer de l’or à raison d’un gramme par 200 kilos de matériel brut. Dans la culture du mineur, tout travailleur nouveau qui sort ses premiers grammes d’or doit les dépenser dans les currutelas (bordels), où les jeunes filles se font payer en grammes (un gramme valait 5 millions de bolivars en décembre). Il y a aussi des femmes qui travaillent à creuser le sol mais la stigmatisation fait que toute femme qui travaille comme mineuse soit qualifiée ou traitée comme un objet sexuel.
Hilgardo Medina travaille comme analyste au ministère, sa préoccupation principale est l’impact environnemental que provoque l’exploitation minière. Dans un véhicule du style Fun Race il a voyagé huit heures de Tumeremo jusqu’à la mine de Botanamo. Tenter de récupérer la couche végétale superficielle où on note les dommages environnementaux est la raison d’être de ce qu’on appelle l’« exploitation minière écologique”, et qui ont éveillé tant de doutes et de soupçons chez des personnes qui croient tout savoir de la mine mais ne sont jamais allés à aucune d’elles. “C’est le lieu où on accède le plus difficilement, ce n’est pas un problème d’accès physique mais la difficulté d’accéder à la conscience du mineur”, dit Hilgardo. “A Botanamo, il y a deux ans, il y a eu une opération de la garde nationale qui a démantelé le campement des mineurs pour trouver le chef d’une bande criminelle qui opérait sur ce territoire. Quand les mineurs ont repris le territoire ils se sont réinstallés comme une organisation populaire, avec leurs règles internes pour restituer l’ordre et avec un grand niveau de conscience. Aujourd’hui quand ils nous ont reçu ils ont chanté l’hymne national”.
Alexandra Meneses, ingénieure géologue, diplômée de l’Université d’Orient, a 26 ans et bien que sa spécialité soit le pétrole, sa vocation sociale l’a poussée à rejoindre cette équipe. Durant cinq semaines elle a parcouru les différentes zones pour parvenir aux fronts miniers et inspecter, géoréférencer (à l’aide du GPS) chacune des communautés productives. “Un jour nous sommes arrivés à la Mine de Hoja de Lata, située dans la municipalité de El Callao, à neuf heures du soir. A cette heure nous avons dressé le campement ; le jour suivant nous nous sommes éveillé à 5 h. 30 pour nous doucher avec un demi seau d’eau et déjeuner entourés de chèvres, de vaches, de chiens et de coqs. Parfois nous marchions pendant deux heures et en arrivant à la mine nous nous mettions à travailler immédiatement avec les gens, mais très tôt on se réunissait avec l’équipe pour préparer l’assemblée d’introduction avec les mineurs, pour les informer de ce que nous étions en train de faire sur place. Ensuite nous revenions à El Callao comme point de rencontre pour laver les vêtements, se reposer et réunir les données que nous avions recueillies”.
Saydubi Santana est de Caracas, elle a 25 ans, est activiste de la communauté de la diversité sexuelle et était chargée de l’enregistrement audiovisuel. Durant le parcours de six heures aller/retour à El Chivao en barque, elle est tombée malade à El Dorado, et vu les symptômes, a dû être rapatriée parce qu’on soupçonnait le paludisme. Finalement on a su que c’était autre chose : un parasite qui s’était introduit par les pieds. Le paludisme fait peur à cause de ses séquelles : tu l’attrapes une seule fois et l’organisme s’en ressent toute la vie. Elle était en train d’apprendre tout ça quand elle rencontra un mineur qui avait souffert réellement du paludisme… mais 79 fois. “Voir autant d’enfants malades de paludisme, voir des jeunes filles de 15 ans travailler dans un bordel pour survivre au coût de la vie élevé, observer la division marquée des rôles de genre, c’est-à-dire l’homme à la mine et la femme à la cuisine, c’est quelque chose de réellement très choquant”. On suppose que l’Arc Minier a été créé pour mettre un terme à ces choses choquantes mais, à cause de la propagande, beaucoup de gens continuent à croire que ce fut l’Arc Minier qui a créé ces maux. Qu’allons-nous y faire ? Un jour nous apprendrons à écouter des histoires de la voix de ceux qui se sont plongés dans l’Histoire.
José Roberto Duque et César Vázquez
Source : https://arconoticias-info.blogspot.com/ et http://epaleccs.info/chambeando-en-otra-venezuela/.
Photos : José Roberto Duque et Emilio Guzmán
Traduction : Thierry Deronne