Ainsi donc, suivant l’appel du Gouvernement, je me rends deux heures après le départ de la manifestation sur le point d’arriver, à proximité du centre-ville. Evidemment, je n’ai pas été surpris de voir qu’il n’y avait personne, que c’était tout juste à moitié vide, et qu’il n’y même pas de personnalité politique sur l’estrade. Les "gens" aux alentours m’ont dit que c’était parce que la manifestation n’était pas encore partie.
Rassuré sur la véritable capacité de mobilisation de ces socialo-communistes rouges à casquettes, je me dirige vers le centre ville histoire de déguster un entremet au restaurant français le plus proche.
Le problème c’est qu’à cause de ces Jean-foutre, toutes les rues étaient bordélisées. Tous les deux cents mètres, un petit groupe écoutait un muezzin bolchevique faisant le sermon en criant des "Viva Chavez" et autres signes d’aliénation collective. A certain moment on croirait presque qu’il y a une manifestation, mais je ne me laisse pas avoir, je sais bien que cela ne peut être vrai.
Sur les coups des 14h, je me décide à retourner sur le point d’arrivée de l’action : la place O’Leary.
Et là , je ne sais pourquoi, mais les gens se sont unis pour m’empêcher de passer ! Impossible d’approcher plus près. Certains arguaient du fait qu’il y avait trop de monde.
Sottise ! Je vois bien qu’il restait encore de l’espace au beau milieu de la fontaine.
Bien décidé à ne pas me laisser abattre je me fraye un passage, en m’offrant au passage un casquette couleur locale, histoire de m’infiltrer au coeur de la populace sans être identifié.
Après moult coups de coudes et de fesses et un certain nombre de pieds écrasés, j’arrive enfin à 4 mètres des barrières marquant la fin du territoire autorisé. Devant moi une pancarte : "Je donnerais tout pour pouvoir t’embrasser". J’ai cru un instant qu’il s’agissait de moi. Dommage.
Il est 15h.
Venue du fond de l’avenue, à présent toute aussi bondée que là où je me trouve, descend une camionnette avec à son bord un type, qui fait des signes de la main. Il semble que cette personne relève d’une certaine importance étant donné le mouvement d’hystérie collective qui se déclenche à sa vision.
Enfin, hystérie serait un mot beaucoup trop faible, ça crie, ça hurle, ça court vers la camionnette, sans se préoccuper des risques importants qu’il y a à se faire écraser sous un pneu.
Le type perché sur le toit de la camionnette sourit, et quand il regarde dans la direction de quelqu’un, celui-ci hurle. Rarement on a vu pareil spectacle, sauf peut être à Rome avec Jean Paul IV.
La voiture passe devant moi, sans laisser le temps aux journalistes aux alentours de poser une seule question au type. Quel toupet !
Et puis des balcons aux alentours, des gens balancent des confettis. Enfin le type arrive sur l’estrade.
Les gens hurlent des cris animaliers tels "Uh Ah, Chavez s’en va pas"
Et voila que le type commence à prendre la parole en chantant l’hymne national. J’en suis désormais sûr, il y a un grand péril nationaliste ici. La preuve ? Tout le monde chante autour en coeur, plus ou moins juste (ne peuvent-ils pas prendre des cours de chant à la fin ? C’est agaçant pour les oreilles sensibles)
Il enchaîne avec deux trois autres chansons connues également du public. Je commence à comprendre qu’il s’agit d’un amuseur public. En attendant, je suis comprimé entre une "représentante de la Mission santé" et un membre du "Front national (raciste ?) paysan Ezequiel Zamora". Je révise ma Bible, Ezequiel était une figure maléfique de l’Ancien Testament. Difficulté à respirer, mais je dois rester, pour l’honneur de l’information juste et équilibrée.
Et puis il commence son discours, sous les cris toujours plus animaliers d’une foule qui ne l’écoute pas. Enfin ils se taisent (c’est agaçant vraiment), les quelques groupies à l’avant daignent baisser leur drapeau pour permettre aux autres groupies de voir le spectacle.
Bon le type parle, parle, parle ; en fait de parler, il se répète un peu beaucoup.
"Vive les femmes, vive la révolution, vive la socialisme !"
Apparemment, ce qu’il raconte a un peu d’impact sur la foule qui crie de plus belle.
Au-dessus de lui, un écran géant montre le type, puis montre la foule. Il semble qu’il y ait du monde.
Décidé à rendre compte de la réalité de la supercherie (puisque tout ceci est une mise en scène bien entendu).
Je remonte les avenues adjacentes. Non, elles sont vraiment bondées. L’autre avenue ... aussi, sur encore 200 mètres. Et plus bas ? Egalement. Mais il y a vraiment des centaines de milliers de personnes dans la rue ?
Avec toute la mauvaise volonté que l’on peut admettre vis-à -vis de ce genre de sauterie, il faut admettre que oui, il y a vraiment tout ce monde. Et les trois quarts d’entre eux portaient des t shirts, casquettes, drapeaux, rouges, signe qu’ils ne sont pas tout à fait inconscients de pourquoi ils sont là . Mais bon dieu, rentrez chez vous, ça ne sert à rien, vous ne passerez pas à CNN, qu’est-ce que vous croyez ? Vous ne vous rendez pas compte que vous êtes en train d’appuyer démocratiquement une dictature sanguinaire qui outrepasse la liberté de consommation et de spéculation ?
Alors bon, résigné, découragé par tant d’acharnement à détruire ma haute et juste pensée journalistique, je m’en vais, suivant une des avenues, toujours bondée, en fait, on peut croiser des manifestants pendant encore près d’un kilomètre. 1h plus tard, arrivé à mon logis, je regarde Globovision, la véritable télévision : il semble qu’il n’y a pas eu de manif place O’Leary aujourd’hui, seulement un rassemblement de l’opposition dans les quartiers de l’est, avec un très très très grand succès. Je regarde les images ... comparativement, c’est quand même un bel un échec pour les forces de la liberté.
Et puis finalement je me rassure, puisque je sais pertinemment que demain l’on ne verra que cette seconde manif là dans les médias occidentaux et nullement la première.
Re-motivé, et bien décidé de rendre compte de la réalité objective d’un pays dictatorial sans liberté d’expression j’entame mon article à paraître demain qui s’intitulera : "Malgré les pressions du régime, la population du Venezuela a boycotté massivement la parade militaire du dictateur".
Qui ira vérifier ?
En direct de Caracas, JPL, pour Le Monde.
PCC : Grégoire Souchay.
http://escapades-bolivariennes.blogspot.com/2010/01/ceci-nest-pas-un-soutien-populaire.html