Pays arabes : qu’est-ce qui fait mal aux yeux des misérables qui transforment leurs pays en pitoyables banlieues de New York ? Aux yeux de ceux qui promulguent l’obscénité des mutilations physiques et morales, le viol, la corruption, la prostitution généralisée pour les filles et les garçons de pays qui furent grands dans la recherche, dans la pensée ? Une fille de l’Egypte adorée, une fille des Arabes, une fille des traditions anciennes et de la continuité des femmes : la petite Aliaa Magda Elmahdy, Instruite, résistante, pourvue du courage qui manque à tant de nos hommes ! Elle, nue ! Pourquoi nue ? Elle rend visible ce corps féminin, symbole de l’oppression parce que le sexe féminin est une « propriété privée » que les hommes se concèdent de famille en famille ou qu’ils agressent pour toucher leurs ennemis. Laïcité et respect citoyen, elle combat. Le combat passe par la libération et l’appropriation du corps des femmes par elles-mêmes. Aliaa suit ses aînées, telle le docteur Nawelle Saadawi, avec ses romans, ses articles, ses protestations contre la mutilation génitale, le sceau obligatoire d’une religion déclarée, le plomb du pouvoir ! Pourquoi nue ? A-t-on oublié que dans la Haute Egypte, au début de l’histoire, la nudité était une marque de respect et de pureté ? Chaque femme ne porte-t-elle pas en elle tous les chaînons de l’histoire ? Cette femme vient à nous nue, pure, respectueuse pour nous dire qu’il faut lutter. Bien sûr, on a encore les putains des cartes postales de l’époque coloniale en mémoire ! Et alors ? Est-ce que cette petite doit être injuriée parce que des paquebots entiers d’Occidentaux viennent se vautrer sur les enfants égyptiens ? Mais qu’ils voient son regard, ceux-là qui se complaisent à cracher sur sa photo, en la lorgnant ! Une prostituée n’a jamais ce regard là ! Des femmes sans regard, des hommes, les fils des femmes, sans regard : militaires et religieux sont bien d’accord, le troupeau humain ne doit pas avoir de regard, ni de corps ! Et puis ils ont la mémoire courte les candidats au paradis : qui a inventé la poésie telle que pratiquée aujourd’hui ? Les femmes arabes. Qui tenaient salon littéraire, à commencer par la famille du prophète ? Les femmes arabes. Qui se dépoitraillaient devant l’ennemi pour le mener à sa perte ? Les femmes arabes (y compris dans l’armée du prophète), qui fabriquait les armes traditionnellement ? Qui vous enfante, qui vous persuade que vous êtes les plus forts ? Si ces hommes du scandale avaient le sens de l’honneur, cela se saurait : la Palestine n’aurait pas été vendue, revendue, trahie, la vie à l’américaine ne décervellerait pas nos enfants, les chaînes de télévision arabes ne seraient pas composées de saletés américaines et surtout nos velléités de révolutions n’auraient pas été confisquées par des malfrats de tous bords. Nous, les femmes, nous sommes prêtes à faire l’unité arabe. Et le pire : l’union sacrée, ésotérique, des dictatures et des courants religieux pour nous livrer pieds et poings liés au mensonge occidental. Car malgré les religions juive, chrétienne et musulmane, malgré la sacralisation de l’héritage, malgré la maladie de l’infériorité masculine qui doit toujours se justifier, s’imposer, se venger de la gent féminine trop forte, psychologiquement, en régions arabes, les femmes, jusqu’aux invasions occidentales, ont vécu leur corps et leur sexualité comme des choses respectables. La danse ne fut pas seulement loisir masculin, elle fut jeu de société, tradition paysanne. Le sexe n’était pas exclu des conversations de femmes, ni de la poésie. Mais l’empaquetage des corps, les vêtements fermés, à qui les devons-nous ? Aux Anglais, aux Français, à tout l’arsenal chrétien de l’ouest. Et, bien plus tôt dans l’histoire, le voile, à qui le devons nous pour l’Egypte ? Aux Grecs ! Pour le Maghreb ? Aux Romains ! Pour les Arabes de l’Est ? Aux Perses qui le tenaient des Indiens. Bien avant que l’Europe ne balbutie ses premiers poèmes, les terribles Andalouses de la conquête arabe, joutaient sur l’amour, la jalousie, l’honneur, la beauté des hommes. Et pour parler des esclavages consentis, que l’Occident fait passer pour « liberté », les femmes arabes ont, malheureusement, toujours fumé (entre elles, la cigarette au milieu des lèvres) et souvent bu, dans certaines circonstances sociales (telles les séances de transe en Algérie). Et bien des femmes arabes respectables et traditionnelles du XXe siècle allaient au théâtre et au cinéma. Alors qu’on cesse de faire comme si nous étions nées d’hier, emballées dans un petit foulard sacralisé : c’est la misère, le dénuement, le déséquilibre mondial, le joug des pays riches de leurs colonisations, de notre sang, de notre terre et des énergies qu’elle contient qui livrent nos populations à des ignorances coupables. La religion bornée, le créationnisme, l’adoration de la société de consommation, le salut aux plus puissants, le culte du profit : c’est tout un. Que reste-t-il d’autre, à certaines de nos femmes, que de se faire respecter en hurlant plus fort que les chacals, en devenant bigotes, intransigeantes, moralistes bêtement, cruelles envers elles-mêmes et les autres femmes ? Ces femmes-là ont besoin de pouvoir, parce qu’elles manquent d’amour, de plaisir, de joie… Et dans nos sociétés, aujourd’hui, même le pouvoir psychologique leur est enlevé : que voulez-vous qu’elles fassent sinon sombrer dans la loi des hommes pour s’y faire une place ?
Mais, dans la grande tradition arabe, des femmes continuent de se lever. Et, comme le veut cette tradition ancestrale, elles sont provocantes et courageuses à l’extrême ! Cette jolie petite Aliaa Magda en est un exemple. Au lieu de condamner son geste, nos gens feraient bien de réfléchir s’ils ne veulent pas que la génération des soixante ans et plus n’aille appuyer l’action de cette enfant décidée : vous imaginez, si de partout depuis le monde arabe, les grand-mères qui s’étaient dévoilées au temps des indépendances venaient vous « blogguer » leurs fesses ! Et craignez car nous en sommes capables ! Votre superbe honneur, frères de l’interdit et de l’angoisse, que vous placez entre nos cuisses, en prendra un sacré coup au niveau international ! ô fils des hommes, depuis quand l’oeuvre heureuse de votre dieu peut-elle vous offenser ? Vous blasphémez ! Un imam, de l’époque des décolonisations, en Algérie, disait que si les musulmans étaient vraiment musulmans, une fille de seize ans, nue, portant une cassette de bijoux sur la tête, pourrait traverser un pays musulman sans la moindre peur ! Donc… Sont-ils musulmans les lubriques à l’oeuvre ? Et vous, prétendus gens de la laïcité et du progrès, prêts à nous vendre, encore un peu plus, à l’Occident, depuis quand la beauté peut-elle vous déconsidérer ?
ô vous tous ! Tant de cadavres raidis, tant d’horreurs ne vous font pas frémir, tant de tortures vous laissent indifférents ! Mais le corps sacré et beau, l’enveloppe chaude du couloir qui mène à la vie vous fait hurler ?
Et certains Occidentaux de vous accompagner parce que « cela ne se fait pas et met le feu, que c’est de la provocation »…Alors, Amis d’Occident qui vous préoccupez de nous, je vous adresse ici une très respectueuse et très amicale requête : laissez-nous lutter. De la résistance de l’esprit naît le futur de l’Homme. Nous choquons un peuple stupéfait, ahuri, obscur, ignorant, maltraité ? Laissez-nous le choquer ! Ce que nous attendons de vous, ce ne sont pas des commentaires ni des jugements mais une mobilisation contre les causes de cette situation ; la défense des valeurs universelles et humanistes contre le cynisme de la loi de profit des sociétés qui affichent, hypocritement, se soucier de notre sort. Depuis quand le respect de l’indécence des pouvoirs et de ceux qui s’y soumettent serait-il convenable ? Ne faites pas semblant d’ignorer qui crée et manipule les mouvements extrémistes de tous bords. Au bout du questionnement ne trouvons-nous pas que c’est le monde riche qui ne veut pas que l’imbécillité perde sa virginité ?
Hawa Djabali
femme de théâtre, journaliste, écrivain algérien.
Le Monde arabe actuel, en régression, est un grand corps martyrisé, qui tombe en morceaux, semblable, comme dans la légende, au corps d’Osiris, ressuscité par Isis.
A toutes fins utiles, et pour qu’il soit bien clair que cette jeune femme n’est ni une anomalie, ni une exception, je précise que nous sommes beaucoup dans cette ligne de pensée dans les pays arabes et en exil. Nous exécrons l’obscénité des pratiques capitalistes qui utilisent indifféremment, les dictatures, les mouvements religieux, les corps d’armées, et toujours le meurtre et la violence, pour parvenir à leurs fins. Ce n’est pas le droit à l’égoïsme que nous demandons, c’est l’accès à la liberté.