RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Sodexo : une "world company" au « service » du monde carcéral

Illustration : oeuvre du peintre portugais Mario Chichorro.

Télérama du 5 avril 2013 propose un entretien magnifique avec Angela Davis. Dommage qu’il soit illustré par des photos aussi lugubres de la vénérable militante, dont le visage, aujourd’hui, est toujours aussi solaire. Une bonne partie de cet entretien est centrée sur les Noirs aux États-Unis, dont la condition s’est améliorée à la marge mais qui souffrent du démantèlement de l’État providence.

Les États-Unis représentent 5% de la population mondiale, mais 25% de la population carcérale dans le monde. Un adulte sur trente-sept, nous dit Angela Davis, est incarcéré ou sous contrôle judiciaire. Les Noirs, les Latinos sont surreprésentés.

Pour Angela Davis, les prisons sont au coeur du système capitaliste : « Pourquoi de plus en plus d’entreprises s’intéressent-elles aux prisons ? Parce que c’est un secteur profitable. Prenez l’entreprise française Sodexo, qui a bâti une multinationale sur trois piliers. L’industrie alimentaire, d’abord : ils fournissent les cantines scolaires, d’entreprises, distribuent des tickets restaurants. L’industrie carcérale ensuite : Sodexo construit et/ou gère des prisons pour " optimiser leur coût de fonctionnement " , au Chili, au Royaume-Uni [par exemple celle de Salford ], en France. L’industrie militaire enfin : Sodexo gère des munitions, des champs de tir pour les armées, en Australie par exemple. » Ajoutons que Sodexo intervient dans les prisons aux Pays-Bas, en Espagne, au Portugal et en Italie. Tout cela sous l’appellation " Services de Justice " (Justice Services).

La philosophie de cette multinationale familiale (420 000 personnes réparties sur 34 300 sites dans 80 pays) est de proposer « des Services de Qualité de Vie qui contribuent au bien-être des personnes et à la performance des organisations » (voir son site). Sodexo est le premier employeur français dans le monde, le septième employeur européen dans le monde et le vingt-deuxième employeur mondial. Elle est présente dans de nombreux secteurs : entreprises, cliniques et hôpitaux, aide aux personnes âgées, aux handicapés, collectivités territoriales, établissements d’enseignement, sport et loisir. Et aussi dans la défense. Si, depuis 2001, la société n’est plus présente dans les prisons étasuniennes, comme dans celles des pays qui appliquent toujours la peine de mort, elle nourrit cinquante et une bases de marines étatsuniens.

Les relations de la multinationale avec les représentants des travailleurs et les collectivités territoriales n’ont jamais été au beau fixe. Ainsi, en 2010, le procureur général de l’État de New York a condamné Sodexo à indemniser l’État à hauteur de 20 millions de dollars, après des irrégularités constatées dans la facturation de services à vingt et une écoles.

Mais revenons à ce qui préoccupait Angela Davis : le processus accéléré de privatisation des prisons de par le monde.

Je reprends des éléments d’un article du site OWNI de 2010. Sodexo, mais aussi Bouygues ou encore GDF-Suez raflent la mise à mesure que les incarcérés deviennent des marchandises comme les autres. Aujourd’hui en France, un quart des prisons jouissent de la « gestion mixte », la proportion devant s’accélérer dans les années qui viennent. Le secteur privé prend tout en charge, hormis ce qui relève de la Justice proprement dite (direction, surveillance, greffe) : restauration, hôtellerie, transport, travail des détenus etc. Il y a maintenant plus de vingt ans que cela dure. Angela Davis a parfaitement raison : de grandes entreprises gagnent de l’argent grâce aux prisonniers. En 2009, Sodexo a remporté un contrat d’un milliard d’euros pour intervenir pendant huit ans dans vingt-sept prisons. En d’autres termes, le ministère de la Justice est devenu son principal client.

C’est Albin Chalandon (ancien résistant, ancien inspecteur des Finances puis banquier, le Chalandon de l’affaire Chaumet), garde des Sceaux de 1986 à 1988 qui a lancé les premiers contrats de gestions mixte. Sa protégée Rachida Dati - également en tant que garde des Sceaux - poursuivra sur cette lancée en permettant à Bouygues de construire, de financer et d’entretenir trois nouveaux centres pénitentiaires. Un contrat d’1,8 milliard d’euros pour une durée de vingt-sept ans. Le fin du fin serait désormais qu’il y ait des centre d’appels dans les prisons !

En bonne libérale, Dati expliquait en 2008 que le privé savait mieux « optimiser » la chaîne carcérale que le public. Cet argument n’a pas convaincu la Cour des comptes : « Force est de constater que ce choix stratégique n’a reposé ni sur des critères de coût ni sur l’appréciation effective des performances, alors qu’il engage durablement les finances publiques ».

Mais l’important - en France comme aux États-Unis, où la gestion privée est plus onéreuse que la publique - est que les actionnaires soient contents.

Bernard Gensane

http://bernard-gensane.over-blog.com/

URL de cet article 20039
  

Même Auteur
Maurice Tournier. Les mots de mai 68.
Bernard GENSANE
« Les révolutionnaires de Mai ont pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 » (Michel de Certeau). A la base, la génération de mai 68 est peut-être la première génération qui, en masse, a pris conscience du pouvoir des mots, a senti que les mots n’étaient jamais neutres, qu’ils n’avaient pas forcément le même sens selon l’endroit géographique, social ou métaphorique où ils étaient prononcés, que nommer c’était tenir le monde dans sa main. Une chanson d’amour des Beatles, en fin de compte très (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Un écrivain doit désormais être un homme d’action... Un homme qui a consacré un an de sa vie aux grèves dans la métallurgie, ou aux chômeurs, ou aux problèmes du racisme, ou qui n’a pas perdu son temps. Un homme qui sait où est sa place. Si vous survivez à une telle expérience, ce que vous raconterez ensuite sera la vérité, la nécessité et la réalité, et perdurera.

Martha Gellhorn, 1935

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.