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Au Nicaragua, les quatre vies du sandinisme.

Alors que le mot révolution a fait sa réapparition en Amérique latine, Managua célèbre le trentième anniversaire du renversement de la dictature d’Anastasio Somoza. Victorieux par les armes en 1979, victime de l’agression américaine, condamné à une longue cure d’opposition, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) a repris le pouvoir en 2006. S’il incarne toujours la gauche, le « pragmatisme » dont il a parfois fait preuve a quelque peu brouillé son image.

« Je ne me rendrai pas. Je vous attends ici. Je veux une patrie libre ou la mort. » La réponse de César Augusto Sandino à la lettre d’un chef militaire américain qui menaçait de le traquer sans relache s’il ne déposait pas les armes, ne manque pas de panache. A ce moment, le Nicaragua a déjà subi plusieurs invasions américaines. La première, entre 1854 et 1856. Le Royaume-Uni tente également de prendre le contrôle de sa côte atlantique. Les deux puissances considèrent ce territoire d’Amérique centrale essentiel pour la construction d’un futur canal interocéanique - qui verra finalement le jour au Panamá en 1914.

Sous prétexte d’aider à éliminer les tensions politiques et militaires entre libéraux et conservateurs, le secrétaire d’Etat Philander C. Knox renvoie des troupes au Nicaragua en septembre 1909 - lesquelles ne repartent qu’en 1925. L’année suivante, plus de cinq mille « marines » débarquent à nouveau. Ils resteront jusqu’en 1933. Raison invoquée, cette fois : la présence d’« agents bolcheviques mexicains » voulant s’emparer de la nation.

Sandino est l’un des ces « agents ». Même s’il se dit libéral, il a pris les armes depuis 1927 pour combattre non seulement l’occupant étranger qualifié d’« impérialiste » ou encore de « bande de cocaïnomanes », mais aussi l’élite libérale-conservatrice qu’il définit comme oppressive, exploiteuse, raciste et prête à vendre sa patrie. « Sandino, raconte le sociologue Orlando Nuñez, a repris les idées ainsi que le drapeau rouge et noir des anarcho-syndicalistes mexicains, l’analyse de classes du Salvadorien Farabundo Martà­ (1). Dans ses écrits, il exprimait la nécessité de l’intégration latino-américaine, comme l’avait rêvée Simón Bolivarmais aussi l’intégration des Indiens dans les luttes politiques, sans exclure l’alliance avec des entreprises nationalistes afin d’affronter l’impérialisme américain. »

Harcelées par les guérillas pourtant modestes que mène Sandino, le « général des hommes libres » et alors que les Etats-Unis s’enfoncent dans la Grande Dépression, les troupes d’invasion, considérées trop coûteuses, se retirent en 1933. Elles laissent derrière elles une Garde nationale que dirige un militaire formé dans les académies américaines, Anastasio Somoza. Le 21 février 1934, Sandino, qui a accepté une négociation avec le gouvernement national, est assassiné à la sortie d’une réception offerte par le président Juan Bautista. Quelques années plus tard, Somoza reconnaîtra que l’ordre de l’abattre a été donné par l’ambassadeur américain Arthur Bliss Lane.


César Augusto Sandino

Sous la tutelle de Washington, la dictature dynastique des Somoza s’installe - Anastasio (1936-1956), Luis (1956-1963), Anastasio Jr (1967-1979) - et va durer plus de quatre décennies. Toutefois, les luttes antérieures n’ont pas été vaines. En 1960, inspirés par le triomphe de la révolution cubaine et guidés par les idées de Sandino, Carlos Fonseca Amador, Tomas Borge et d’autres intellectuels donnent naissance au Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Pendant de nombreuses années, les succès de cette guérilla demeurent limités, en raison de son manque d’expérience dans les relations avec la population rurale. Toutefois, les abus de la famille Somoza, totalement soumise aux intérêts américains, et la concentration du pouvoir entre ses mains changent la donne et provoquent le mécontentement d’une fraction de la bourgeoisie.

Celle-ci pense qu’une alliance avec le FSLN lui permettra de se débarrasser du dictateur et de récupérer l’espace politique qui lui est refusé. Le Front, de son côté, voit dans ce rapprochement la possibilité d’atteindre plus rapidement ses objectifs. La jonction avec les chrétiens adeptes de la théologie de la libération - l’Eglise des pauvres - sera décisive. Tandis que la répression s’accroît, les spectaculaires actions militaires du FSLN, en 1978, provoquent à travers le monde une vague de sympathie. Même le gouvernement américain du président James Carter (1977-1981) ne peut continuer à soutenir Somoza. L’insurrection armée triomphe le 19 juillet 1979.

Carlos Fonseca Amador

La révolution sandiniste suscite un engouement international et ne laisse pas les gouvernements indifférents, en particulier les sociaux-démocrates européens. La présence de jeunes gens issus de la grande bourgeoisie dans les plus hautes instances de l’Etat les rassure quant au type de système politique qui devrait s’imposer. En revanche, au Nicaragua, ce sont les révolutionnaires, issus des milieux populaires et anticapitalistes qui sont les mieux acceptés par la population. Porteur du même nom que son père, fondateur du FSLN, Carlos Fonseca se souvient : « Parce qu’elle a créé une grande effervescence et de la motivation, la révolution a marqué la vie de presque tous les Nicaraguayens qui entraient tout juste dans l’adolescence. On pouvait être optimistes et rêver. »

En moins de dix ans, la croisade nationale d’alphabétisation du gouvernement que préside le jeune Daniel Ortega fait chuter l’analphabétisme de 54 % à 12 %. La population modeste peut enfin accéder aux études supérieures. Les soins médicaux cessent d’être le privilège d’une minorité. Les paysans bénéficient d’une réforme agraire. Nationalisation des ressources stratégiques, incitation à la syndicalisation et à l’organisation en coopératives des petits et moyens producteurs,… ce fut d’après Nuñez, « un processus de justice sociale et d’organisation directe du peuple, sans précédent dans l’histoire du Nicaragua et de l’Amérique latine, à l’exception de Cuba. »

Mais, pour mettre en oeuvre ces mesures, le système politique et économique devait être restructuré… Des discordes fondamentales apparaissent rapidement au sein de l’alliance au pouvoir. Le secteur de la bourgeoisie rallié au FSLN voulait renverser la dictature, mais, en aucun cas, changer les structures de l’Etat : il en sortirait perdant. De leur côté, les révolutionnaires voyaient dans leurs alliés un moyen de légitimer leur gouvernement à l’étranger, pensant qu’ils éviteraient ainsi ostracisme ou agression. « La révolution devait démontrer, continue Nuñez, qu’elle était démocratique et catholique, c’est à dire, sans risque pour les intérêts des Etats-Unis et de l’Europe. »

Mauvaise appréciation. Si, à l’époque du président Carter, les Etats-Unis aidaient déjà d’anciens gardes somozistes à former des groupes contre-révolutionnaires, la situation s’aggrave : devenu président en janvier 1981, Ronald Reagan va même jusqu’à déclarer que le Nicaragua est son « premier problème » de sécurité nationale… Quelques mois plus tôt, en avril 1980, la quasi-totalité des membres de l’oligarchie s’était retirée du Front. Unie avec l’élite somoziste, elle appuie les plans de déstabilisation de Washington. Au Honduras, au Salvador et au Costa Rica, militaires et mercenaires américains et cubano-américains (2) entraînent les forces contre-révolutionnaires : la «  contra ». Depuis les frontières de ces pays limitrophes, celle-ci mène des incursions meutrières. « On a obligé ma génération à faire la guerre, témoigne Fonseca Jr. J’avais 15 ans à peine quand j’ai dû partir au combat, comme des milliers d’autres Nicaraguayens. Et ce, par la faute des Etats-Unis et de l’oligarchie nationale. »

« Athées », « va-t-en guerre », « communistes », « régime totalitaire exportateur de révolution », « trafiquants de drogue »... Il n’y a pas que les balles pour faire mal. Avec comme source le quotidien La Prensa et les médias du Nicaragua - où, prétend la propagande, la liberté d’expression n’existe pas - se développe une campagne internationale de diffamation.

L’économie de guerre entraîne des pénuries alimentaires, un ralentissement des programmes de développement social et par là même, le mal-être d’une partie de la population. Les sandinistes, de leur côté, portent aussi une part de responsabilité dans le renforcement de la « contra ». Car une fraction de la paysannerie a pris son parti. Elle supporte mal la priorité donnée à la formation de fermes d’Etat ; l’appui aux coopératives perçues comme une concurrence déloyale ; les attaques du libre-marché, du commerce et les prix administrés. S’y ajoutera, à partir de septembre 1983 - persistance de la menace oblige -, le service militaire obligatoire. Actuellement député du FSLN au Parlement centraméricain, l’ancien combattant Jacà­nto Suárez l’admet : « Nous n’avons pas su gérer la relation avec la campagne, par exemple, et quand, aujourd’hui, nous parlons avec les ex-dirigeants de la "contra", nous nous apercevons que nous avons commis de grandes erreurs. On a attaqué des secteurs paysans et indiens (3) ; certains d’entre nous ont pensé que les armes leur donnaient le droit d’imposer leur volonté. »

Malgré les ravages qu’elle provoque - on dénombrera vingt-neuf mille morts à la fin du conflit -, la contre-révolution échoue militairement, contenue dans un périmètre rural limité, le «  corridor de la contra ». Les Sandinistes remportent largement les élections présidentielle et législatives de 1984 et Washington, qui la maintient sous perfusion, s’enfonce dans les scandales : révélation en 1986 des ventes d’armes à l’Iran (Irangate) ou du trafic de cocaïne institutionnalisé par la Central Intelligence Agency (CIA) depuis la Colombie pour financer la « contra » ; condamnation des Etats-Unis en 1987 par le Tribunal international de La Haye, pour le minage des ports du Nicaragua. Mais Managua est à ce moment économiquement et humainement épuisé. Vient alors le temps des négociations sandinistes-« contra », puis celui de nouvelles élections.

Candidate de Washington et des forces anti-sandinistes regroupées pour l’occasion au sein d’une coalition, l’Union nationale d’opposition (UNO), Mme Violeta Chamorro triomphe le 25 février 1990. Au cours de la campagne électorale, les sandinistes avaient encore, d’après les sondages, le soutien de 53 % de la population. Mais, selon M. Suárez, un évènement inattendu et mal géré va renverser la situation. « L’intensité de la guerre avait baissé grâce aux négociations avec la "contra" et, par conséquent, le nombre de morts avait diminué. On voyait enfin le bout du tunnel. Mais, quand le Panamá a été envahi (4) l’ambassade américaine, à Managua, a été encerclée par les tanks. Les sandinistes armés sont sortis dans les rues, en signe de solidarité avec ce pays. Deux jours plus tard, on a sondé l’opinion. Nous avions chuté à 34 %. Et là , impossible de renverser la tendance : l’idée d’un retour de la guerre avait fait peur aux gens. »

Encore au pouvoir pour quelques semaines, les sandinistes signent un protocole de transition avec Mme Chamorro. Bien que les Etats-Unis s’y opposent, le nouveau gouvernement accepte qu’ils conservent le commandement des forces armées, de la police et des services de sécurité. Lesquelles vont être démantelés petit à petit. Selon M. Lenà­n Serna, inspecteur de l’armée à cette époque, ce sont les Européens qui s’acquitteront de cette tâche, par missions militaires interposées, dans le cadre du « processus de paix ». Alors président du gouvernement espagnol, M. Felipe González « a joué le rôle que les gringos ne pouvaient assumer directement, assure M. Serna, c’est ainsi que, finalement, nos services de renseignements se sont retrouvés presque totalement aux mains des Etats-Unis. » Néanmoins, en gardant le contrôle de l’armée et de la police, les sandinistes ont empêché que ces dernières deviennent des instruments de répression. Ainsi, le dernier haut gradé ayant un parcours de guérillero sandiniste partira à la retraite en 2010.

La « contra » dissoute, ses membres réintègrent avec plus ou moins de difficultés le tissu social nicaraguayen. Les nouveaux gouvernants et l’oligarchie commencent à attaquer les accords et à dépouiller les Nicaraguayens des acquis de la révolution. Ceux qui n’appartiennent pas au « petit groupe exclusif » qui tient le haut du pavé se rendent vite compte de la réalité. M. Israel Galeano, l’un des anciens chefs de la « contra », constatera : « L’oligarchie a chassé Somoza avec votre aide, vous, les sandinistes. Elle vous chassé avec notre aide. Aucun d’entre nous n’a gagné, ni vous, ni nous, les "contras" : c’est l’oligarchie qui a triomphé. (5) »


Ronald Reagan affiche son soutien aux Contras

Mme Elena Aguilera, une ancienne combattante sandiniste qui collabore avec l’Ecole ouvrière-paysanne Francisco Morazán, dans les environs de Managua, explique comment on a volé l’Etat et trompé les paysans qui avaient bénéficié du million d’hectares distribués dans les années 1980. « On leur a d’abord dit que les propriétaires allaient réclamer leurs terres, mais que le gouvernement les indemniserait. Ce qu’il a fait, et à bon prix. Malgré cela, ces propriétaires ont adressé des requêtes pour le "vol" de leurs propriétés. Les procès se sont éternisés. Ni les paysans, ni les coopératives n’avaient d’argent pour se défendre. Alors, des "conseillers" sont arrivés et leur ont recommandé de vendre leurs terres aux plaignants, c’est à dire à ceux que le gouvernement avait déjà indemnisés. Comme par hasard, ceux-ci avaient d’étroites relations familiales ou amicales avec des gens haut placés dans le gouvernement... »

Mme Chamorro met le Nicaragua à l’heure néolibérale. En profitent les entreprises transnationales, américaines en particulier, mais aussi européennes et asiatiques. L’oligarchie financière se consacre à la dilapidation des biens de l’Etat et à la spéculation économique. « En très peu d’années, raconte Nuñez, ils ont presque liquidé la bourgeoisie nationale, déjà faible, non consolidée, et bouché l’horizon des petits et moyens producteurs de la campagne et de la ville. Ils ont plongé le Nicaragua dans la pire crise économique, sociale et financière de son histoire. » A partir de 1990, trois présidents - Mme Violeta Chamorro, MM. Arnoldo Alemán et Enrique Bolaños - anéantissent pratiquement ce que la révolution avait bâti. Les salaires perdent jusqu’à un tiers de leur valeur, le sous-emploi approche 45 % et la misère touche nombre de Nicaraguayens.

Ce douloureux retour en arrière ne rencontre guère de freins. « La révolution n’a pas duré assez longtemps pour créer un nouveau système, analyse M. Fonseca. Cela est dû à des réalités politiques, économiques et à la guerre qui lui a été imposée. L’institutionnalisation de la participation populaire dans l’exercice du pouvoir ne s’est pas fait. Si cela avait été le cas, le néolibéralisme n’aurait pas pu aussi facilement déboulonner les conquêtes sociales. »

Le mouvement est d’autant plus dévastateur que la résistance est affaiblie par les violentes luttes intestines déchirant les sandinistes.

En 1994, lors du congrès du FSLN, deux tendances s’affrontent. Selon M. Fonseca, « les uns prêchaient la renonciation à l’anti-impérialisme, au socialisme, au caractère avant-gardiste du parti. L’autre courant, mené par Daniel Ortega, exposait la nécessité de réaménager le programme, sans s’éloigner des principes idéologiques du sandinisme. » Ce dernier obtient douze des quinze postes de direction. Dénonçant son « autoritarisme », la plupart des dirigeants nationaux, l’immense majorité de ceux qui ont été ministres et la plus grande part des députés quittent le Front, pour fonder le Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) (6).

C’est pourtant ce même FSLN qui revient au pouvoir avec la victoire à la présidence, le 5 novembre 2006, de M. Ortega (avec 38 % des voix). Pour y parvenir, ils ont noué une série d’accords politiques, provoquant interrogations, critiques et vives réactions, dans le pays, et chez beaucoup de ses sympathisants et amis, à l’étranger. (...)

Par le passé, les Sandinistes s’étaient alliés avec les conservateurs afin de faire juger et incarcérer l’ex-président Arnoldo Alemán pour corruption. Cette fois, ils offrent à ce dernier, condamné à vingt ans de détention, de le faire sortir de prison - remplacée par une mise en « résidence surveillée » à son domicile -, en échange de la « neutralité » du Parti libéral constitutionnaliste (PLC). Ils provoquent également la stupeur en signant des pactes de « non-agression » avec celui qui a été l’un de leurs plus féroces ennemis dans les années 1980 : le cardinal Miguel Obando y Bravo. Confrontée à la progression des religions évangéliques, l’Eglise catholique y trouve son compte et joue le jeu (7).

« On a mis en oeuvre une politique audacieuse et avantageuse d’alliances avec les partis de l’oligarchie, justifie M. Eden Pastora, le mythique Commandant Zéro (8). Un jour avec l’un, le lendemain avec l’autre. Et, pendant qu’on avançait, sans se vendre, on les divisait, on les affaiblissait. Au début, j’avais du mal à l’accepter mais je comprenais. S’ils nous mènent au pouvoir, s’ils nous permettent de relancer des programmes sociaux, bénis soient ces pactes. » De son côté, M. Serna ajoute : « Les alliances que nous avons passées quand nous n’étions pas au gouvernement ont été des manoeuvres. Nous nous y connaissons en matière de tactiques et de stratégies. Nous avons été guérilleros, militaires, politiques ! » Il n’empêche... Pour beacoup, ce pragmatisme est dur à avaler.
Installé officiellement à la présidence le 10 janvier 2007, le FSLN l’emporte dans cent cinq communes des cent quarante-six existantes, lors des élections municipales du 9 novembre 2008. C’est que, au-delà de ces avatars et avanies, la santé et l’éducation sont redevenues gratuites. Des milliers d’enfants ont repris le chemin de l’école. Un plan « Faim zéro » a été mis en place : un million de repas quotidiens sont distribués dans les centres éducatifs.

Photos de la révolution sandiniste, par Susan Meiselas (difficile à trouver)

Pour assurer souveraineté et sécurité alimentaires du pays, terres et prêts à très bas taux d’intérêt sont attribués aux petits et moyens producteurs. Quelque cent mille familles paysannes bénéficient de ce projet administré par des femmes, organisées en coopératives. « Elles sont les plus stables et presque toujours en charge de la survie de la famille, observe Mme Aguilar. Encore davantage maintenant que les hommes doivent partir en vadrouille [souvent à l’étranger] pour chercher du travail (9). » Ces femmes reçoivent une formation et ont leur donne des vaches, des porcs, des graines. Elles rembourseront 20 % du prêt, le reste devant être capitalisé pour leur permettre de devenir indépendantes et productrices d’aliments.

Le programme « Usure zéro » finance, lui (à un taux d’intérêt de 5 % alors qu’il est généralement de 25 %), une partie des 45 % de Nicaraguayens qui travaillent à leur compte. Si les banques l’ont perçu comme une déclaration de guerre, les commerces de chaussures, de meubles et de vêtements qui en bénéficient peuvent offrir des produits plus avantageux au consommateur. « Si l’ambassade américaine et l’oligarchie sont furieuses de la perte du leadership politique, constate Nuñez, elles le sont aussi du rapprochement de nombreux entrepreneurs nationaux avec le Front. »

La dynamique régionale fait le reste... Au sein de l’Alternative bolivarienne pour notre Amérique (ALBA) (10), le Nicaragua échange des haricots, de la viande ou des vachettes contre du pétrole vénézuélien (11). L’ALBA finance également une bonne partie des programmes sociaux. Des médecins cubains opèrent gratuitement les yeux de milliers de personnes, avec des équipements modernes envoyés par le Venezuela ; une campagne d’alphabétisation a été lancée à l’aide d’un programme, lui aussi cubain, « Yo si puedo » (« Oui, je le peux ») .

« Nous avançons à bon rythme, avec le peu que nous avons et l’aide de pays amis d’Amérique latine et des Caraïbes, analyse Mme Aguilar. Mais on nous a déclaré une guerre médiatique. On ne nous annonce que des problèmes ! Sans doute veut-on empêcher que le Front gagne à nouveau en 2012. » En août 2008, le nouvel ambassadeur de Washington, M. Robert Callahan, est arrivé à Managua. Sa présence a rouvert les blessures. Dans les années 1980, cet homme était attaché de presse à l’ambassade américaine du Honduras, avec pour chef M. John Dimitri Negroponte. A l’époque, la CIA dirigeait depuis ce pays la frange la plus sanguinaire de la « contra ».

Aujourd’hui, préoccupé par les avancées des sandinistes, il appuie ouvertement l’opposition nicaraguayenne. Une ingérence qui a conduit le président Ortega à le menacer d’expulsion, en mai 2009. Les représentants de l’élite et les anti-sandinistes ont alors répliqué que le chef de l’Etat « mordait la main de celui qui lui donne à manger ». De quoi faire se retourner dans sa tombe le général Sandino.

Hernando Calvo Ospina
Envoyé spécial du Monde Diplomatique

Journaliste, auteur de Colombie. Derrière le rideau de fumée. Histoire du terrorisme d’Etat, Le temps des cerises, Paris, 2008.

(1) Fondateur du Parti communiste du Salvador, Farabundo Marti fut fusillé après l’écrasement de l’insurrection populaire de 1932, qui fit plus de vingt mille mort.

(2) Lire « L’équipe de choc de la CIA », Le Monde diplomatique, janvier 2009.

(3) Référence au conflit du pouvoir révolutionnaire avec les Miskitos de la côte atlantique.

(4) Le 20 décembre 1989, les Etats-Unis lancent l’opération « Juste cause » pour renverser et arrêter l’homme fort du pays, le général Manuel Noriega, très peu democrate, narcotrafiquant et... ancien collaborateur de la CIA.

(5) Cité dans Orlando Nuñez, La oligarquà­a en Nicaragua. Cipres, Managua, 2006.

(6) Sans grand succès : les dissidents n’obtiendront que 1% des voix aux élections de 1996 (7 % en 2006)

(7) L’élite nicaraguayenne et Washington feront immédiatement pression sur le Vatican pour que Mgr Obando y Bravo soit remplacé.

(8) Le 22 août 1978, à la tête d’un commando, M. Eden Pastora a pris le contrôle du Palais national, prélude à l’insurrection déclenchée en septembre. Devenu vice-ministre de la Défense, il passera à la « contra » en 1982 et rejoindra le front qui se développe sur la frontière du Costa Rica. La présence de sa faction aura pour principal effet de semer la zizanie au sein des groupes contre-révolutionnaires qui s’y trouvent et de « neutraliser » ce front sud, pour le plus grand profit... des sandinistes.

(9) Lire Raphaëlle Bail, « Pour les Nicaraguayens, la survie s’apelle Costa Rica », Le Monde diplomatique , décembre 2006.

(10) Impulsée par Caracas, elle est constituée par le Venezuela, Cuba, le Honduras, la Bolivie, la Dominique, Saint Vincent, les Grenadines, Equateur et le Nicaragua.

(11) Dans le cadre de l’accord Petrocaribe, qui concerne une vingtaine de pays, ce pétrole fourni par le Venezuela est payé à 50 % et le reste sur vingt ans, avec des taux d’intérêt de 1%. La moitié non réglée immédiatement doit être utilisée pour financer des programmes sociaux.

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