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Exxon Mobil contre le Venezuela

Assaut contre la souveraineté nationale

L’entreprise Exxon Mobil a introduit une action devant le Centre International de Règlement des Contentieux Relatifs aux Investissements (CIADI) et a réussi à ce qu’une cour de justice de New York ordonne un embargo à l’encontre de biens de la société nationale pétrolière du Venezuela (PDVSA). Cette mesure s’interprète de plusieurs façons. Economiquement, c’est un maillon de plus à la chaîne d’agressions du capital transnational contre le Venezuela pour l’obliger à céder ses industries pétrolières. D’un point de vue politique, c’est une nouvelle tentative pour déstabiliser le gouvernement démocratique d’Hugo Chávez Frà­as ( NDT : voir aussi l’article de Salim Lamrani). Sur le plan stratégique, c’est un pas de plus vers un blocage économique que veulent imposer les Etats-Unis. Juridiquement, on a affaire, ni plus ni moins, à un essai pour arracher au Venezuela sa souveraineté juridique, c’est-à -dire le droit de définir les controverses en utilisant ses propres lois et tribunaux. La souveraineté, c’est la possibilité pour un état de légitimer ses propres lois, de les faire appliquer, et d’interpréter au moyen de ses organes judiciaires les conflits qui surgissent à propos de leur application. Il suffit d’éliminer cette capacité pour annihiler la souveraineté.

La doctrine Calvo défend la souveraineté de juridiction

Pour saisir la signification de ce débat en Amérique Latine, il est utile de faire un peu d’Histoire. L’invasion du Mexique par la France et l’Angleterre en 1861 alerta la conscience des juristes latino-américains. Déjà en 1868 le diplomate international Carlos Calvo développa dans son oeuvre « Le Droit International Théorique et Pratique » l’idée qu’un Etat indépendant, en vertu du principe de l’égalité des Etats, ne peut être soumis à l’ingérence d’autres Etats. Il affirmait par la même que les étrangers ne pouvaient jouir de droits et privilèges supérieurs à ceux des nationaux, et devaient résoudre leurs conflits devant des tribunaux territoriaux. Convaincus par cette façon de penser, plusieurs pays latino-américains, dont la Bolivie, le Honduras et le Venezuela, introduisirent dans leurs Constitutions et législations, une norme connue sous le nom de « Clause Calvo », relative aux contrats passés avec des investisseurs étrangers. Cette clause interdisait à ceux-ci de résoudre les controverses sur ces contrats en s’appuyant sur ce que l’on appelle à l’extérieur « recours à la protection diplomatique », et leur imposait de régler leurs différends seulement et exclusivement devant les tribunaux de l’Etat hôte, en accord avec leurs lois.

La doctrine Calvo fait partie de nos Constitutions

Selon cette norme, la Constitution de la République du Venezuela, légitimée le 29 mars 1901 dispose, en son article 139, ce qui suit : « Aucun contrat d’intérêt public souscrit par le Gouvernement Fédéral, ou celui des Etats, par les municipalités ou par tout autre Pouvoir Public, ne pourra être transféré, en tout ou en partie, à un gouvernement étranger ; et dans tous ces contrats, on considèrera comme incorporée, bien qu’elle ne le soit pas textuellement, la clause suivante ;’ les doutes et conflits de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent découler d’un contrat et qui ne peuvent être résolus à l’amiable entre les parties contractantes, seront départagés par les tribunaux compétents du Venezuela en conformité avec ses lois, sans que pour aucun motif ni aucune cause, ne puissent être invoquées de réclamations diplomatiques’. Les sociétés crées pour réaliser les dits contrats devront, pour toutes leurs activités, établir leur domicile légal dans le pays, sans que cela n’empêche qu’elles le fassent aussi à l’étranger ».

Les constituants de cette époque ne manquaient ni de patriotisme ni de clairvoyance. Un an et demi après, le 2 décembre 1902, la flotte des impérialismes anglais, allemand et italien imposait un blocus et bombardait le Venezuela pour recouvrer par la force notre « Dette Externe ». Depuis lors, pour éviter des pillages de cette nature, provoqués par des contrats avec des entreprises étrangères ou par les dettes générées par ceux-ci, une norme semblable figure dans toutes les constitutions vénézuéliennes, par exemple l’article 49 de la Constitution de 1936. Ainsi, nous avons traditionnellement défendu le droit à la souveraineté de juridiction, c’est-à -dire, le droit du Venezuela de régler selon ses propres lois et par ses propres tribunaux, les controverses sur les contrats d’intérêt public.

Les accords d’intégration et la souveraineté

Ces dispositions sensées et patriotiques ont pris corps dans des normes plus récentes de portée latino-américaine. Ainsi, le Pacte Andin dans l’article 50 de son Code des Investissements Etrangers interdit à ses Etats membres d’accorder aux investisseurs étrangers un traitement plus favorable que celui qu’ils accordent à leurs compatriotes ; et dans l’article 51, il impose de n’introduire, dans un instrument applicable aux investisseurs étrangers, aucune clause qui établisse un mécanisme international pour résoudre des différents en matière d’investissements.

Nous devons ajouter que le Protocole de Carthagène des Indes du 5 décembre 1985, qui réforme la Chartre de l’Organisation des Etats Américains (OEA), déclare de façon explicite dans son article 35 que les entreprises transnationales et l’investissement privé étranger sont soumis à la législation et à la juridiction des tribunaux nationaux compétents des pays d’accueil. De même, ce principe est reconnu dans le rapport sur les entreprises transnationales du Comité Juridique Interaméricain de 1976, mais aussi dans la Chartre des Droits et Devoirs Economiques des Etats membres des Nations Unies de 1974.

Restriction à notre souveraineté

Las ! nos propres constituants introduisirent dans notre Chartre Fondamentale, un cheval de Troie destiné à nous faire perdre l’avantage de ces normes avancées. Pendant la IV république, la constitution de 1961 « s’enrichit » d’un passage lamentable qui a pour but de remettre en jeu la souveraineté de juridiction du Venezuela. Son article 127 dispose que « dans les contrats d’intérêt public, si ce n’est pas contraire à la nature de ces contrats, se considèrera intégrée, bien que non exprimée, une clause selon laquelle les doutes et les conflits qui peuvent découler de ces contrats et qui ne peuvent être résolus à l’amiable entre les parties contractantes, seront départagés par les tribunaux compétents de la République, en conformité avec ses lois sans qu’aucun motif ni aucune cause ne puissent donner lieu à des réclamations de l’étranger ».

Je fais ressortir de façon volontaire l’exception imprécise « si ce n’est pas contraire à la nature de ces contrats ». Ce fut l’alibi utilisé pour imposer la pratique antipatriotique, antinationale et anticonstitutionnelle d’inclure dans la majorité des contrats avec des entreprises étrangères, une clause qui soumet le Venezuela aux lois étrangères et à des tribunaux, ou à des conseils d’arbitrage non représentatifs. Par exemple, une telle clause s’est frauduleusement glissée dans le contrat de concession de l’autoroute Caracas-Guaira à l’entreprise mexicaine Maxipistas, et quand celle-ci n’a pas rempli ses obligations, le Venezuela a dû se soumettre à un conseil d’arbitres étrangers. Dans ces circonstances, la République a été condamnée, comme ce fut le cas dans toutes les occasions où elle s’est soumise à de tels arbitrages. Appliquer cette clause équivaut à condamner notre pays à perdre dans tous les litiges avec toute entité étrangère.

Exception à la Constitution de 1999

Cette situation de grande vulnérabilité instaurée sous la IV République ne s’est pas améliorée dans la Constitution suivante. Par inadvertance ou par ignorance, les constituants de 1999 reprirent exactement dans l’article 151 la norme citée de l’article 127 de la Constitution « moribonde » de 1961. Je cite « Dans les contrats d’intérêt public, si ce n’est pas contraire à la nature de ces contrats, se considèrera intégrée, bien que non exprimée, une clause selon laquelle les doutes et les conflits qui peuvent découler de ces contrats et qui ne peuvent être résolus à l’amiable entre les parties contractantes, seront départagés par les tribunaux compétents de la République, en conformité avec ses lois sans que qu’aucun motif ni aucune cause ne puissent donner lieu à des réclamations étrangères ». Ainsi de nouveau, ils ouvrirent grand la porte au cheval de Troie pour qu’il ôte sa souveraineté au Venezuela. J’ai critiqué dans la presse cet aspect et d’autres du projet constitutionnel, sans résultats.

Tentatives pour récupérer la pleine juridiction

Plus tard, j’ai fait partie de la Commission Présidentielle pour la Réforme de la Constitution qui s’est réunie en 2007, dont le compte rendu cite ma proposition « d’éliminer la clause de sauvegarde "si ce n’est pas contraire à la nature de ces contrats’, parce qu’elle est imprécise, vague et peut conduire la République à se soumettre à des tribunaux ou organes étrangers en violation de sa souveraineté, de sa Constitution et de ses lois ». Cette proposition n’a pas fait consensus, et ne fut donc pas transmise au Président. En octobre de cette année, Fermà­n Toro Jiménez, Judith Valencia Mario Sanoja Obediente y Vladimir Acosta rédigions un texte à l’attention de la "Chambre d’Observation’ (NDT : La "sala situacional’ prend part aux activités programmées par la Commission Mixte pour l’étude de la Réforme Constitutionnelle afin de se conformer au calendrier de travail établi) de l’Assemblée Nationale qui rassemblait des propositions d’amendement, indiquant la nécessité d’éliminer cette clause de sauvegarde, mais cette suggestion ici non plus ne fut pas retenue. J’en ai profité pour proposer l’élimination de la clause d’exception incriminée lors de tout autre réforme constitutionnelle à venir. Ceux qui ne tirent pas d’enseignement de l’Histoire, disait Santayana, se voient obliger de la répéter. Exxon Mobil ne peut invoquer cette exception.

Dans tous les cas, le régime judiciaire actuel ne nous laisse pas sans défenses. Pour nous amener devant des tribunaux ou arbitrages internationaux, Exxon Mobil devra démontrer que les contrats en cause ne sont pas soumis à la Constitution parce que « cela serait contraire à la nature de ces contrats », chose difficile à soutenir et impossible à démontrer. Il est évident que l’on parle d’accords passés avec une entreprise vénézuélienne, propriété intégrale de la République du Venezuela, pour exploiter des ressources naturelles vénézuéliennes, avec des installations situées au Venezuela, des travailleurs majoritairement vénézuéliens et en profitant de services publics, de sécurité juridique et de protection vénézuéliens. Rien ni personne ne peut placer au-dessus de ces faits un tribunal ou un conseil d’arbitres Etasuniens ou d’un quelconque autre pays. Encore moins pourrait-on alléguer que ce ne sont pas des contrats d’intérêt national alors qu’ils traitent de l’exploitation d’une ressource appartenant à la République.

Nullité par faute d’approbation de l’Assemblée Nationale

Il faudrait aussi voir si ces dits contrats ont été soumis à l’approbation de l’Assemblée Nationale, ainsi que le requiert selon le cas l’article 150 de la Constitution en vigueur, ou le 126 de celle de 1961. Pour ne pas avoir respecté cette obligation, ils seraient plus nuls que nuls et ne pourraient donner lieu à réclamation, ni devant les tribunaux du Venezuela ni devant des conseils d’arbitres étrangers, parce qu’il leur manquerait une qualité formelle indispensable pour prétendre à une existence juridique.

L’agression actuelle contre le Venezuela a des aspects politiques, économiques, diplomatiques, stratégiques. Ces mises au point juridiques servent à démontrer son manque évident de légitimité, et la nécessité de renforcer notre système normatif pour prévenir des agressions futures et prévisibles.

Traduction par Laurent pour le Grand Soir

»» http://www.rebelion.org/noticia.php++cs_INTERRO++id=63171

voir aussi : Exxon Mobil contre Petróleos de Venezuela


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