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ENTRETIEN AVEC RAFAEL CORREA PRESIDENT DE L’EQUATEUR

"J’ai demandé une arme pour me défendre"

Le 30 septembre 2010, le principal régiment de police de Quito s’est soulevé contre le président Rafael Correa, qui mène d’audacieuses réformes progressistes en Equateur. La tentative de coup d’Etat a fait 8 morts et 275 blessés, mais a échoué. Quelles leçons politiques a tiré le président de cette tentative de renversement ? Pour en parler et nous donner également son point de vue sur la révolution citoyenne, l’évolution de l’Amérique latine et divers fronts de politique internationale, Rafael Correa nous reçoit dans le salon protocolaire du Palais Carondelet à Quito.

Ignacio Ramonet : Vous avez qualifié la tentative d’assassinat du 30 septembre de ’coup d’Etat’. Certains commentateurs estiment que ce n’en était pas un. Pourquoi considérez-vous qu’il s’agissait d’un ’coup d’Etat’ et non une simple mutinerie policière ?

Rafael Correa : Cher Ignacio, il se trouve que non seulement moi, mais les pays d’Amérique latine eux-mêmes ont condamné, durant le dernier sommet à Mar del Plata (3 et 4 décembre 2010), le "coup d’Etat du 30 septembre en Equateur" , car c’est une évidence. Seul un aveugle peut le nier. C’est mis en doute par une presse corrompue qui ne cherche pas la vérité, qui veut seulement nuire au gouvernement. Si on dit ’blanc’, elle dit ’noir’, dans le seul but de nous affaiblir. Mais en tous cas, en se basant simplement sur la sociopolitique latino-américaine et en observant l’histoire de l’Amérique latine, la mutinerie d’une force armée est déjà considérée comme un ’coup d’Etat’.

Les policiers ont été clairement utilisés ce jour-là . Ils ont été désinformés à propos d’une loi qui leur était très favorable. Ils le reconnaissent d’ailleurs amplement aujourd’hui. Nous discutions alors avec les délégations qu’ils nous envoyaient et qui admettaient : "Nous n’avons pas lu la loi" . On la leur expliquait, et ils s’estimaient très satisfaits.

Mais, derrière tout cela, il y avait une conspiration pour déstabiliser le gouvernement. D’ailleurs, le Régiment Quito [qui s’est insurgé] lui-même, ne réclamait pas une augmentation de salaire, il s’opposait en réalité à l’enquête que nous étions en train de conduire sur les atteintes aux droits de l’homme commises par certains policiers. Ils étaient également hostiles à notre décision de transférer les compétences concernant la circulation aux communes. Ils nous criaient : "Mort aux communistes !" , "Dehors Cuba et le Venezuela !" , "Vive Lucio Gutiérrez !" . Tout un plan avait été élaboré pour que les Forces Armées se soulèvent ce jour-là et pour que les gens sortent les soutenir dans la rue. Ce qui a échoué. Ils ont essayé de d’obtenir l’appui des étudiants mais seulement deux ou trois lycées à Guayaquil ont répondu à leur appel, rien de plus. Ils ont organisé des pillages… Comment expliquer que, à huit heures du matin, la Police se déclare en grève, et que, dès neuf heures, il y ait déjà des pillages massifs à Guayaquil... ? Tout cela a été clairement encouragé. Ils ont essayé de s’emparer des chaînes de télévision, ils ont occupé l’aéroport... Après, ils ont directement demandé l’amnistie pour tous les insurgés, malgré la violence des évènements.

L’opposition, réunie dans un hôtel de Quito, célébrait déjà la chute du gouvernement…. Au moment même où j’étais capturé par les policiers… Et les informations postérieures, selon nos services des renseignements, m’indiquent que tout cela a été planifié avec trois semaines d’avance. Ce qui a bouleversé leur plan c’est précisément que je me suis rendu à la caserne du Régiment Quito où j’ai été capturé... Mais leur idée était de semer le chaos, durant deux ou trois jours, jusqu’à ce que le gouvernement tombe. Nous n’avons pas le moindre doute qu’il s’agit une tentative de coup d’Etat, de conspiration, de déstabilisation.


IR : N’avez-vous pas été imprudent en vous rendant là -bas, au siège du Régiment ? Pensiez-vous réellement les convaincre uniquement en parlant avec eux ?

RC : Nous n’imaginions absolument pas, bien sûr, qu’il y avait un tel niveau de violence... Ils n’avaient pas un comportement normal… Je me suis rendu très souvent à des casernes de police, de militaires, à des concentrations d’agriculteurs, d’indigènes, dans des endroits de conflits... J’y suis toujours allé de façon transparente. Je le conçois comme un exercice de démocratie directe tel que nous avons l’habitude de la pratiquer : un président de la république expliquant, cherchant le consensus, informant... Nous n’avons jamais imaginé un guet-apens politique.

Certains ont affirmé, comme vous venez de le dire, que le président, a été "imprudent" . Vous vous rendez compte ! Le chef de l’Etat, chef de la police, se rend à un commissariat de police… Qu’y a-t-il d’anormal là dedans ? C’est ça être imprudent ? S’il vous plait ! … Nous devons dépasser ce genre de choses en Amérique latine. D’autres ont dit que je m’étais ’jeté dans la gueule du loup’. Quelle gueule du loup ? Je suis allé parler à des policiers en grève - selon les informations dont nous disposions, et là en effet, nos services d’intelligence nous ont mal informés - , réfractaires à une loi qui leur était pourtant bénéficiaire mais qu’ils ne comprenaient pas. Et, comme je l’ai fait à maintes occasions, je suis allé personnellement parler avec eux, pour chercher le consensus et expliquer. Mais, j’insiste, nous nous sommes aperçus immédiatement, dès notre arrivée, qu’il s’agissait d’un piège politique. Ils nous ont reçus avec une extrême violence. Dès le début, quelqu’un nous a lancé une bombe lacrymogène, et nous n’avons pas pu entrer.

Mais je me suis dit : "C’est un marginal" . C’est déjà arrivé, il peut y avoir cinq mille personnes qui nous soutiennent et cinq marginaux qui lancent une bombe lacrymogène. Ce n’est pas pour autant que nous devons accuser les autres cinq mille. Nous sommes donc revenus, et cette fois ils nous ont laissé passer... Parce que, entre-temps, ils avaient reçu des instructions : « Le président est là , attrapez-le ! ». Ils ont bloqué le cortège, nous sommes entrés et nous nous sommes tout de suite rendus compte qu’il se passait quelque chose d’anormal. J’insiste sur le fait qu’ils criaient : « Mort aux communistes ! », « Dehors Cuba ! », « Dehors le Venezuela ! », « Vive Lucio Gutiérrez ! »... C’est là que nous avons compris qu’il s’agissait d’une embuscade politique.

IR : Votre vie a-t-elle été en danger ?

RC : Peut-être pas à ce moment précis. En revanche, ensuite, à l’hôpital militaire, c’est certain. Ils ont essayé, à un moment, de pénétrer là où nous nous étions barricadés au troisième étage. Nous nous étions réfugié, ou mis à l’abri, - je ne sais quel terme employer - dans le dernier réduit que nous avions pu trouver. Car, lorsque [après avoir été blessé] mon entourage m’a emmené d’urgence à l’hôpital de la police, ils ont directement encerclé les lieux pour nous empêcher de sortir… Ils [mes gardes du corps] m’ont donc conduit au troisième étage, l’endroit le plus sûr, et ont bloqué la porte. Je disposais d’à peine quelques gardes, quatre ou cinq, prêts à donner leur vie pour le président. A un moment donné, ils [les putschistes] ont essayé de pénétrer là où nous étions en enfonçant la porte ; c’était l’instant le plus dangereux ; j’ai alors réclamé une arme pour me défendre… Je ne sais pas tirer, mais je n’allais pas permettre à ces sanguinaires de m’assassiner aussi facilement.

Nous avons senti à cet instant que nos vies étaient en danger… De même, quand on est venu à notre secours. Les lumières se sont éteintes, la fusillade a commencé, nous sentions les balles siffler au-dessus de nos têtes.

IR. A quoi avez-vous pensé à cet instant ?

RC : Tout le monde a gardé son calme. Moi je pensais plutôt aux victimes qu’il pourrait y avoir entre les civils, les militaires, les policiers. C’était très douloureux, je pensais à eux, et j’étais indigné par l’attitude de la police, jamais je n’aurais imaginé... Ce n’était qu’un groupuscule... La police est une des institutions que nous avons le plus aidée.

IR : Avez-vous pensé que la révolution citoyenne pouvait se terminer avec votre assassinat ?

RC : Nul n’est indispensable mais nous sommes tous nécessaires. Ma disparition physique aurait été, bien sûr, un coup très dur pour la révolution citoyenne… Mais les grands défis sont comme ça… Ils ne reposent pas sur une personne et doivent continuer, et j’étais sûr que si je disparaissais physiquement, des milliers de citoyens sortiraient prendre le relais, et la révolution citoyenne ne s’achèverait pas. Mais cela aurait été, certes, un coup très dur pour le processus.

IR : Avez-vous l’impression qu’il y a eu, réellement, un grand soutien populaire ?

RC : Bien entendu. C’est ce que confirment les sondages. Le problème c’est que nous n’avons pas un mouvement de masse organisé…... C’est une de nos grandes erreurs. Nous l’avons toujours admis, et nous sommes en train de la corriger. Je crois que l’assemblée générale de notre coalition politique, Alianza Paà­s, le 15 novembre dernier, a été le pas décisif pour corriger cela définitivement. Nous sommes arrivés au gouvernement [en janvier 2007] pratiquement grâce à une réaction spontanée des citoyens… A la différence d’Evo Morales [en Bolivie] qui luttait depuis de nombreuses années dans les mouvements sociaux et disposait d’une structure de base, et à la différence d’Hugo Chavez [au Venezuela] qui était soutenu par le mouvement Quinta República. Nous, en revanche, nous sommes arrivés au gouvernement sans mouvement de masse, et notre défi a toujours été de construire cette structure qui, avec le grand capital politique dont nous disposons, devrait se transformer en une structure organisée et mobilisée pour empêcher que des groupuscules puissent déstabiliser le gouvernement, comme ils ont essayé de le faire le 30 septembre dernier. Mais jusqu’à présent, nous avons été débordés, nous n’avons pu le mettre sur pied, non par manque d’envie ou par manque de vision car nous savons que ce mouvement est indispensable, mais par manque de ressources humaines. Nous n’avons pas pu faire davantage face à tant d’urgences et de priorités dont avait besoin le pays. Mais nous savons que c’est indispensable et nous avons tout mis en marche désormais pour y aboutir. Je pense que le pas définitif dans cette voie a été fait le 15 novembre 2010.

Malgré l’absence de cette structure, des dizaines de milliers de personnes se sont de toute façon précipités dans les rues, mettant leur vie en danger. Car vous n’imaginez pas, Ignacio, la brutalité avec laquelle ont agi les putschistes. Des bandes de motards cagoulés sillonnaient la ville tirant en l’air, criblant de balles des ambulances, tabassant des gens, les trainant dans les rues… Malgré cela, les citoyens continuaient de sortir, non seulement à Quito mais aussi dans tout le pays ainsi qu’à l’étranger, devant nos ambassades. Il y a eu une réaction de masse, d’autant plus importante si l’on considère que le gouvernement ne dispose pas encore d’un mouvement politique bien organisé et capable de mobiliser largement et rapidement.

IR : Vous avez dit que les insurgés ont essayé d’entrer en contact avec les Forces armées. Celles-ci étaient-elles impliquées dans le coup d’Etat ?

RC : Ecoutez, nous sommes en proie à une conspiration permanente et ces opposants savent qu’ils ne vont pas nous vaincre par les urnes, et étant donné qu’une partie d’entre eux sont des anciens des forces armées… Ce qui est d’ailleurs une honte pour cette institution, comme l’est Lucio Gutiérrez, une vieille baderne, un soudard semi-ignorant, ambitieux de pouvoir, mais qui a gardé des contacts dans les forces armées. Leur stratégie a toujours été - depuis qu’ils ont vu qu’ils ne gagneraient pas par les urnes - d’infiltrer la police et les forces armées. C’est le résultat d’années d’infiltration.

Ceci dit, les forces armées sont plus professionnelles, ont plus d’autorité et - je dois l’admettre - elles sont moins corrompues que la police. Un des détonateurs de cette conspiration, concernant la police, est l’enquête sur les atteintes aux droits de l’homme commises par des policiers, et le transfert de la responsabilité de la circulation aux communes. La circulation et les infractions au code de la route sont une source de revenus, souvent malhonnête, pour certains policiers corrompus. Ce n’est pas le cas des Forces armées. Les militaires vivent de leur salaire et sont conscients que nous avons doublé celui-ci. Ce que nous avons également fait pour les policiers. Mais nombre de ces derniers ne savent même pas combien ils gagnent car la source principale de leurs revenus provient d’autres activités… Nous sommes donc en train de lutter contre tout cela. Pour les putschistes, l’infiltration et la manipulation était donc plus facile au sein de la police nationale. Mais ils ont également essayé, depuis le début de mon gouvernement, d’infiltrer les forces armées. Ils y sont arrivés, mais elles se sont révélées beaucoup plus cohérentes, solides, et beaucoup plus professionnelles.

IR : Il y a-t-il des puissances étrangères impliquées ?

RC : Nous n’en avons aucune preuve. Au contraire, il y a même eu une grande marque de solidarité de la part du Département d’Etat des Etats-Unis. Mais quand nous sommes arrivés au gouvernement, nos services de renseignements et des unités entières de la police, dépendaient de l’ambassade des Etats-Unis... Les frais d’enquêtes, les salaires, les primes étaient payés par certaines agences de cette ambassade… Nous avons mis un terme à tous ces contacts, même si le gouvernement des Etats-Unis et l’ambassade en tant que telle ignoraient leur existence. Vous savez que la CIA et toutes ces agences fonctionnent avec leur propre agenda.. C’est pourquoi on ne peut pas l’exclure. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il y a [aux Etats Unis] toutes ces organisations d’extrême droite, ces fondations aux noms ronflants qui financent des groupes qui conspirent contre notre gouvernement, qui les financent de façon camouflée, qui les forment...

IR : Le président Barack Obama vous a-t-il appelé pour vous exprimer sa solidarité ?

RC : Oui monsieur, le président Obama m’a appelé, de façon très courtoise.

IR : Les auteurs du coup d’Etat sont-ils identifiés ?

RC : Les exécutants, oui. Plusieurs policiers ont été utilisés, manipulés, souvent à leur insu. Nous avons identifié deux officiers et un fonctionnaire de police comme les meneurs principaux. Les trois sont d’ailleurs en fuite, je crois. En tout cas le fonctionnaire de police s’est échappé, ça c’est clair. Nous le recherchons, il est accusé, par ailleurs, d’atteinte aux droits de l’homme. Mais, j’insiste, ils ont été manipulés, sans exclure pour autant que certains étaient conscients de ce qu’ils faisaient.

Qu’y avait-il derrière tout cela ?… Au départ, un prétexte : protester contre une loi supposée leur porter préjudice. D’autres en ont profité pour fomenter une révolte par peur d’une enquête menée contre eux pour atteinte aux droits de l’homme, ou parce qu’ils refusaient que les compétences liées à la circulation soient transférées aux communes. Des manipulateurs politiques étaient derrière tout cela. Malheureusement, ceci est difficile à prouver. N’importe qui avec un peu de bon sens le comprend.

C’est plus compliqué à démontrer dans un procès juridique. Par exemple, une semaine auparavant, Lucio Gutiérrez, [l’anticastriste cubain] Carlos Alberto Montaner et [le colonel] Mario Pazmiño - ancien chef des services de renseignements des Forces armées équatoriennes, que nous avons renvoyé parce qu’il était payé par la CIA -, s’étaient réunis à Miami. Vous pouvez consulter leurs déclarations… Ils y ont rencontré des banquiers corrompus, évadés du pays, à qui nous avons légalement confisqué des entreprises, et qui ont probablement financé le coup.

Ils ont été très clairs : « Pour en finir avec le Socialisme du XXIe siècle, il faut en finir avec Rafael Correa ». A notre âge, nous ne croyons plus aux coïncidences. Ces déclarations ont été faites une semaine avant les évènements du 30 septembre, et Lucio Gutiérrez, comme par hasard, quitte ensuite l’Equateur, histoire de se trouver à l’étranger le jour fatidique… Ce sont eux les véritables cerveaux du coup. Vous pouvez écouter les déclarations d’un député proche de Gutiérrez, la matinée de ce jeudi [30 septembre] ; il affirme, de façon prémonitoire : « Les policiers vont lyncher le président. » L’enregistrement est là . Le frère de Gutiérrez [Gilmar] commandait la garde à l’Assemblée. Les gardes se sont ralliés à lui et se sont insurgés contre le gouvernement. Les liens sont nets. Ils manipulent clairement tout cela, en coulisses. Mais ils ont été très malins, c’est difficile à prouver dans un procès. En revanche, les preuves, quand on a du simple bon sens, sont là .

IR : Est-ce un hasard s’il y a eu une succession de coups d’Etat dans des pays de l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique (Alba) ?

RC : Ce n’est pas un hasard. Ce sont clairement des tentatives de déstabilisation des gouvernements qui prônent un véritable changement. Pour les oligarchies latino-américaines, pour les groupes américains les plus réactionnaires, pour les "faucons" de Washington, la démocratie en Amérique latine est une bonne chose jusqu’à ce qu’ils décident le contraire. La démocratie ne les intéresse absolument pas ; ce qui les intéresse c’est de maintenir leurs privilèges, leurs positions de pouvoir.

C’est pour cela que les pays progressistes de la région, ceux qui conduisent de vrais changements, doivent subir en permanence des conspirations comme celles que vous venez de signaler : au Venezuela en 2002, en Bolivie en 2008, au Honduras en 2009, réussie, et avortée en Equateur en 2010. Tous des coups d’Etat atypiques. Celui perpétré au Honduras est peut-être le plus proche d’un coup d’Etat classique. Vous savez que, avant, les coups d’Etat en Amérique latine se faisaient ainsi : un général arrivait en force, avec ses hommes en armes, son régiment, sortait le président en place et prenait le pouvoir. Ce mode opératoire est désormais impossible, du moins en Amérique latine, et c’est pour cette raison que maintenant ils maquillent leur forfait. Les coups d’Etat sont devenus "non orthodoxes" .

Rappelez-vous que, au Venezuela, les auteurs du putsch ont parlé de "manifestations populaires" et prétendu que le président Chavez avait renoncé au pouvoir. Ils ont passé des images à la télévision pour essayer de démontrer que les chavistes avaient tiré sur les citoyens, alors que c’étaient les putschistes qui avaient tiré... Ils ont créé un climat de confrontation citoyenne. C’est comme ça qu’ils maquillent leurs coups d’Etat désormais. Souvenez-vous que dans le cas d’Evo Morales, ils ont utilisé la supposée autonomie réclamée par certains groupes autonomistes, en réalité des séparatistes qui voulaient assassiner le président. Ils ont commencé à massacrer des indigènes, .... Les comploteurs n’appellent plus les choses par leur vrai nom : ’coup d’Etat’. Mais derrière ces faux nez, se cachent des groupes politiques qui conspirent. Si le coup d’Etat réussit, ils sortent de l’ombre, sinon ils restent tapis et accusent d’autres personnes... C’est ce qu’ils ont fait en Equateur.

IR : Quelle a été la responsabilité des médias privés ?

RC : Enorme, ils conspirent en permanence. Se sont les « chiens de garde » du statu quo ante. Ce n’est pas nouveau, ni en Equateur, ni en Amérique latine. Cela nous renvoie même au 28 janvier 1912, quand Eloy Alfaro fut assassiné. Prisonnier, il avait été transféré de Guayaquil à Quito. Un dimanche, la foule l’a tiré de sa prison et l’a massacré, lui et Ulpiano Páez. Son corps a été traîné dans les rues... Le peuple de Quito n’est pourtant pas un peuple de criminels, mais il avait été chauffé à blanc et manipulé durant des semaines par une presse corrompue. Tous les historiens sérieux le confirment. Nous vivons ce genre de situation en permanence depuis le premier jour de notre mandat. En grande partie parce que nous refusons de nous soumettre au diktat des médias. Ceux-ci considèrent qu’ils sont un pouvoir omnipuissant. C’était vrai, mais cela est en train de changer et ça les préoccupe beaucoup. Ils ont essayé de semer la zizanie et de déstabiliser mon gouvernement depuis le premier jour. Ce qui s’est passé le 30 septembre est le fruit de ce qu’ils ont semé, car ils ont été les premiers à faire de la désinformation à propos de la loi sur la rémunération des policiers. Ils ont tout fait pour monter les fonctionnaires de police contre nous. La loi propose que les policiers puissent toucher la moitié de leur indemnité de départ en obligations d’Etat. Les médias ont crié au scandale, parlé de "tromperie", de "monnaie de singe"... En oubliant d’expliquer que, avant cette loi, les policiers ne percevaient pour ainsi dire pas d’indemnité...

En effet, à son départ à la retraite, un fonctionnaire public avec quarante ans d’ancienneté touchait une indemnité de départ d’un montant équivalent à ses quatre derniers salaires : s’il gagnait 500 dollars par mois, il se retrouvait avec 2 000 dollars, s’il en gagnait 3 000, il en touchait 12 000. Maintenant ils peuvent partir à la retraite avec 36 000 dollars, qu’ils en gagnent 500 ou 3000. C’est-à -dire : équité. Nous avons des fonctionnaires âgés de 80 ans qui travaillent encore ; ils ne prennent pas leur retraite parce que, avant, il n’y avait pas d’indemnité de départ, et les pensions de retraite étaient misérables. Ce n’est plus le cas. Nous avons pensé qu’avec cette prime de départ, beaucoup de fonctionnaires pourraient enfin prendre leur retraite. C’est pourquoi cette loi propose que l’Etat puisse verser jusqu’à la moitié du montant de l’indemnité de départ - qui n’existait pas auparavant, je le rappelle -, en obligations. Ce qui représente d’ailleurs une grande dépense pour le budget. Eh bien, vous n’imaginez pas la campagne que les médias ont menée en disant que nous étions en train de "tromper" les fonctionnaires... Ils ont manipulé l’opinion publique. Nous avons affaire à une conspiration permanente des médias privés, extrêmement corrompus et médiocres de surcroît.

IR : Lors du récent Sommet Ibéro-américain de Mar del Plata, une "clause démocratique" a été approuvée, qui exclut les gouvernements issus d’un coup d’Etat. La formulation est plus timide que celle approuvée en Guyane, en novembre 2010, par les membres de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), qui prévoit l’imposition de sanctions économiques et la fermeture des frontières avec tout pays où un coup d’Etat aurait renversé un gouvernement démocratique. Vous vouliez, semble-t-il, la proposer au Sommet ibéro-américain. L’Espagne et d’autres Etats se seraient opposés à cette proposition. La Déclaration finale inclut néanmoins une condamnation à la tentative de coup d’Etat du 30 septembre dernier en Equateur, tel que vous le désiriez. En êtes-vous satisfait ?

RC : Oui, que tous les pays ibéro-américains reconnaissent une tentative de coup d’Etat le 30 septembre ferme le clapet à cette presse corrompue dont nous avons parlé, et à ce médiocre personnage de l’opposition qui raconte que "le président n’a pas été séquestré" , qu’« il n’y a pas eu de tentative d’assassinat », et que « tout cela est une pure fiction »... Les cadavres des victimes du 30 septembre jouent très bien leur rôle ! Le niveau de traîtrise et d’audace de ces gens est incroyable. En tout cas, la résolution de l’UNASUR a été, en effet, beaucoup plus ferme. Mais l’adoption de cette "clause démocratique" marque un changement d’époque. Vous me ferez peut-être remarquer que la « clause démocratique » existe aussi au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA), mais rappelez-vous que les Etats-Unis en sont membres et ils bloquent toute décision... En tout cas, il est clair que la crédibilité de l’instance en question (le sommet ibéro-américain) est beaucoup plus forte, les décisions seront appliquées, et les coups d’Etats ne seront plus permis dans la région.

IR : Trotsky a dit : "La révolution a besoin du fouet de la contre-révolution." Pensez-vous accélérer et radicaliser la Révolution Citoyenne ?

RC : Bien évidemment. Premièrement, nous sommes d’accord sur un point : il n’y a pas de révolution sans contre-révolution. C’est une vérité immuable. Le processus de changement en Amérique latine connaît beaucoup de résistances. Si elles ne se manifestent pas toujours cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, elles attendent simplement l’occasion pour détruire ces processus par tous les moyens possibles, comme ils l’ont fait ici le 30 septembre : en agressant, en mitraillant, en tuant, en déchirant la Constitution, en occupant l’Assemblée, … Ce qui les intéresse le moins c’est la démocratie et le bien public. Leur seul but est d’empêcher le changement. Après tout ce qui s’est passé, il faut être beaucoup plus ferme, beaucoup plus efficace et précis pour appliquer la Révolution citoyenne en Equateur. Il faut un changement radical, profond et rapide, mais il faudra aussi corriger nos faiblesses. Nous devons être autocritiques. Je suis un universitaire, ces questions de sécurité et de renseignements ne sont donc pas mon domaine. Le 30 septembre s’est produit peut-être à cause de notre manque d’expérience à cet égard. Nous devons être beaucoup plus attentifs et nous investir davantage dans les questions de sécurité. Nous devons remettre en place des mécanismes de renseignements que nous avions dû pratiquement démanteler et reconstruire. J’insiste et je n’exagère pas, Ignacio, même si ça a en a l’air, en vous disant que quand nous sommes arrivés au gouvernement, les responsables [des appareils de sécurité] étaient nommés et payés par l’ambassade des Etats-Unis. Ici, il n’y avait pas de fonds réservés aux services de renseignements… Maintenant, une nouvelle Loi de Sécurité permet de créer ces fonds. Nos services de renseignements étaient - je le répète - financés par l’ambassade des Etats-Unis, c’était des services de ce pays et pas de l’Equateur.

IR : Comment définiriez-vous le concept de révolution citoyenne ?

RC : Je vous l’ai déjà défini : il s’agit d’un changement radical, profond et rapide des structures en place. Surtout en ce qui concerne les rapports de pouvoir. C’est le grand défi de l’Amérique latine du XXIe siècle, du moins de la première partie de ce siècle. Un changement définitif des rapports de pouvoir ; celui-ci était aux mains de quelques personnes, de quelques élites qui nous ont toujours exploités avec la complicité de puissances étrangères. Le pouvoir doit passer aux mains des grandes majorités, ce qui aura un impact sur la qualité de l’Etat. Nous devons passer de l’Etat bourgeois et aller vers de véritables Etats populaires.

IR : Pourriez-vous nous citer quelques-unes des principales avancées sociales ?

RC : Nous en avons beaucoup, et nul ne le nie. Seul un idiot dirait le contraire. Nous avons fait d’immenses progrès au niveau de la santé, de l’éducation, de l’intégration sociale, reflétés par les augmentations accordées à ces lignes du budget de l’Etat. La meilleure façon de voir qui détient le pouvoir dans une société, c’est d’observer la répartition des ressources du budget de la nation. Elle reflète le rapport de forces. Le budget d’un Etat en est le principal révélateur. Nous avions - avant notre gouvernement - un budget dont la dotation principale était consacrée au service de la dette extérieure, et celle-ci était même remboursée de façon anticipée. A peine une proportion marginale était dédiée à l’éducation, à la santé, etc. C’était la preuve que les créditeurs, la banque et le capital financier détenaient le vrai pouvoir, et non le peuple. Aujourd’hui cela a changé, le service de la dette a été réduit de façon drastique, tandis que les budgets consacrés à la santé, l’éducation et le logement, entre autres, ont plus que doublé. Nous avons construit plus de logements que tous les gouvernements de l’histoire réunis. Nous pouvons parler d’intégration économique et sociale notamment avec le ’crédit de développement humain’, qui a été transformé en ’crédit d’égalité des chances’… Il y a eu énormément d’avancées. On arrive peut-être maintenant à l’étape la plus difficile, après avoir beaucoup fait sur le plan quantitatif... Après la création de plus de collèges, avec un nombre d’élèves qui a augmenté de façon exponentielle, une confiance dans l’éducation publique qui a été retrouvée, des élèves qui ont accès à des livres et des uniformes gratuits, de meilleurs hôpitaux, de meilleurs équipements, etc.

Maintenant vient l’étape la plus difficile : l’étape qualitative. Être plus efficaces. Il nous faut offrir de meilleurs services. Les budgets ont énormément augmenté, mais un dollar investit ne signifie pas nécessairement un meilleur service. Il nous faut donc faire beaucoup d’efforts en matière d’efficacité et de qualité, en autres dans les services hospitaliers et dans l’éducation.

IR : Une proposition faite par votre gouvernement en matière de protection de l’environnement, est l"initiative Yasunà­-ITT". Pourriez-vous nous rappeler en quoi cela consiste et comment imaginez-vous qu’elle puisse s’appliquer ?

RC : C’est une initiative révolutionnaire. Là on va savoir qui est qui, comme disait Miguel d’Escoto, ancien président de l’Assemblée générale des Nations unies. Le moyen le plus concret et le plus clair pour combattre le changement climatique est de passer de la rhétorique aux actes. Ce que propose l’Equateur au reste du monde est de garder dans son sous-sol des réserves de pétrole jugées très importantes, et d’éviter ainsi le rejet de 400 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, moyennant une compensation, à niveau international, pour un montant qui n’atteint même pas la moitié de ce que nous pourrions percevoir en exploitant cette énergie.

Financièrement, ce qui nous convient le plus est d’exploiter ce pétrole, mais cela contribuerait au changement climatique, au réchauffement global. Ce pétrole se trouve dans une zone riche d’une très grande biodiversité, proche de groupes indigènes "non contactés" . Sans compter les 400 millions de tonnes de CO2… Nous faisons cet énorme sacrifice, mais nous demandons que le reste du monde partage cette responsabilité, nous ne voulons pas être les imbéciles de service.

D’un point de vue conceptuel, la logique et la légitimité sont irréprochables. Certains parlent d’un "chantage de l’Equateur" . C’est absurde ! C’est un principe très connu qui stipule que celui qui reçoit la compensation est celui qui a, en matière d’environnement, un droit d’action ou d’omission. C’est-à -dire que si nous avons le droit d’exploiter le pétrole et nous ne le faisons pas de façon volontaire, nous avons droit à un dédommagement.

Dans le cas de la forêt primaire, en discussion dans le cadre du protocole de Kyoto, quand un pays a le droit de couper les arbres d’une forêt primaire et ne le fait pas, on lui donne une compensation… C’est exactement la même logique. Nous avons le droit d’exploiter le pétrole et nous ne le faisons pas : compensation. Actuellement, un Etat est rétribué quand il fait une action qu’il n’est pas obligé de faire, par exemple : la reforestation. Il n’a aucune obligation, mais il le fait et contribue ainsi à freiner le changement climatique : compensation. C’est ce qui doit être dédommagé. C’est ce à quoi n’a pas abouti le protocole de Kyoto. Cette position est celle de l’UNASUR.

Je pars aujourd’hui pour Cancun au Sommet du climat, où nous allons présenter précisément ce concept. Il faut discuter des ’émissions nettes évitées’. Ce qui doit être dédommagé ce sont les ’émissions nettes évitées’.

Quand je construis une usine hydroélectrique pour remplacer une usine thermoélectrique, je réduis les émissions, donc on me doit une compensation. Quand je n’exploite pas la forêt vierge, je purifie l’environnement, donc : compensation. Quand je replante des arbres, je réduis les émissions de gaz, donc : compensation. Quand je n’exploite pas le pétrole, j’évite d’envoyer des émissions de CO2 ; cela doit être compensé de la même façon. La légitimité de la logique est implacable. Nous allons voir qui est qui, nous allons voir qui passe de la rhétorique aux faits.

IR : Vous avez été élu avec l’appui du mouvement social et en particulier grâce à celui du grand mouvement indigène équatorien. Cependant, aujourd’hui, tant la CONAIE [Confédération de nationalités indigènes d’Equateur] que Pachakutik ont pris de la distance avec votre gouvernement et le critiquent. C’est assez incompréhensible en Europe. Pourriez-vous nous expliquer comment et pourquoi cela s’est-il produit ?

RC : Il y a une certaine confusion sur ce point : ni la CONAIE, ni Pachakutik ne nous ont appuyés lors des élections. Malgré tous nos efforts pour réaliser une alliance, ils ont présenté leur propre candidat, Luis Macas, un de mes amis. Il a obtenu 2,5% des voix. Nous avons eu ensuite un certain appui de différentes institutions, mais depuis le début de notre mandat, CONAIE et Pachakutik ont eu une position, dirais-je, assez destructive. Les deux organisations ne sont qu’une seule et même chose. Mais il faut différencier certains groupes indigènes et le mouvement indigène. Le mouvement indigène, bien au contraire, nous a toujours soutenu, preuves à l’appui : en avril 2009, durant une nouvelle élection présidentielle, fruit de la Constitution, la province où nous avons obtenu le plus de voix a été Imbabura, siège d’une des plus fortes concentrations de population indigène. Nous avons donc un solide appui des indigènes. Malheureusement, certains dirigeants ont complètement perdu le nord, Ignacio, je vous le dis de tout mon coeur, et ce n’est pas pour justifier notre position. L’Europe devrait démystifier le mouvement indigène, du moins démystifier certains dirigeants.

Nous sommes tous ici en faveur de ce mouvement, pour réparer l’exclusion criminelle que ces personnes ont subi durant des siècles, mais cela ne signifie pas qu’ils aient toujours raison. Prenez les positions de certaines organisations qui disent, par exemple, "Non au pétrole ! », « Non à l’extraction minière ! », « Non aux monocultures ! » … Nous sommes prêts à donner jusqu’à notre dernier souffle pour construire plus d’hôpitaux, plus de d’écoles, mais comment le faire sans disposer, par exemple, de nos ressources naturelles non renouvelables ? Ce sont donc des positions dogmatiques dépourvues de sens. Ils recherchent des bénéfices corporatifs comme l’éducation bilingue que la CONAIE contrôlait et qui était la pire éducation possible. Toutes les évaluations nous le confirmaient. Nous portions ainsi préjudice à ceux qui avaient le plus besoin d’aide. Le rectorat, le ministère de l’éducation ont donc récupéré cette branche de l’enseignement. On doit démystifier certains dirigeants indigènes ; l’Europe croit que parce qu’ils sont indigènes, ils ont toujours raison. Il y a des gens honnêtes dans le mouvement indigène, mais il y a aussi des corrompus. Il y a des progressistes et des réactionnaires. La CONAIE - c’est un fait publique et notoire - a établi récemment un accord avec le secteur le plus réactionnaire de la politique équatorienne : la Junte civique de Guayaquil (Junta Cà­vica de Guayaquil). Je ne sais pas si vous la connaissez. Ils se sont réunis et ont décidé que la Junte Civique de Guayaquil financerait les mobilisations de la CONAIE... Ils ont totalement perdu la tête… L’Europe doit démystifier certains groupes indigènes.

IR : Votre gouvernement propose en ce moment une loi sur la propriété des médias qui a l’air d’être une des plus avancées au monde. Quelles résistances suscite-t-elle ?

RC : Je ne sais pas si vous faites référence à ce que dit la Constitution, qui interdit désormais que des groupes financiers possèdent des médias. Justement, le délai - pour se mettre en conformité avec la loi - prenait fin en octobre 2010. Dès le mois d’août, j’ai mis en garde : "Attention ! Nous devons nous attendre à tout !" Car retirer au secteur financier les médias constitue un changement fondamental dans les rapports de force. Avant, en Equateur, que pouviez-vous faire contre le secteur bancaire ? Il possédait cinq des sept chaînes de télévision… Et il contrôlait les deux autres, via la publicité... En gros si vous vouliez légiférer sur les taux d’intérêt, les banques lançaient sur leurs cinq grandes chaînes des campagnes permanentes sur le thème d’ « attentat à la propriété privée », à "l’initiative privée" , à la "libre entreprise" ... Et les deux autres chaînes devaient se taire sinon elles perdaient leurs recettes publicitaires… C’était un pouvoir énorme. Cette nouvelle disposition constitutionnelle change donc réellement les rapports de force dans notre pays.

J’avais donc anticipé : « Soyez attentifs ! Ces gens vont tenter n’importe quoi pour éviter de rendre, en octobre, leurs médias ! ». Je ne me suis pas trompé. C’est certainement l’une des raisons de la tentative du coup d’Etat du 30 septembre. Des représentants du secteur financier et des banquiers corrompus ont sans doute financé le putsch dans l’espoir de ne pas perdre leurs médias... Mais ils ont échoué, et en octobre ils ont dû les remettre à l’Etat. Nous sommes d’ailleurs en train de réviser certaines transactions en apparence fictives, des changements de propriété de dernière minute qui ont l’air très louches... Les mêmes banquiers voulaient apparemment continuer à contrôler les médias... C’est donc un coup très dur. Et cela change les rapports de force en faveur des grandes majorités populaires.

D’autre part, en effet, une loi est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, une loi très avancée, qui permettra aux citoyens de contrôler les excès de certains groupes de presse. Vous n’imaginez pas les attaques qu’à subi cette loi. C’est peut-être la campagne la plus dure qu’a connu ce pays, des pages entières dans les journaux, totalement coordonnées, réclamant "plus de respect" , "notre liberté est en jeu" ... La manipulation de toujours, en quelque sorte. En réalité, personnellement, je ne suis pas beaucoup intervenu et j’attends que la discussion, à l’Assemblée nationale, soit terminée et le texte de la loi établi pour le réviser.

IR : Certains dirigeants de l’opposition de gauche, en particulier le Mouvement populaire démocratique (Movimiento Popular Democrático) accusent votre gouvernement de "corruption" , ils évoquent des contrats de millions de dollars passés par l’ un de vos frères. Ils parlent aussi de "trahison du désir de changement des peuples d’Equateur" . Que leur répondez-vous ?

RC : Premièrement, qui vous a dit que le Mouvement populaire démocratique (MPD) était de gauche ? C’est le meilleur allié de la droite. A l’Assemblée nationale, ils ont toujours pris ce parti. Vous n’ignorez pas qui était Lucio Gutiérrez... Le MPD l’a défendu jusqu’à la dernière minute… Ces gens ne sont pas de gauche. Ce sont des opportunistes, ils cherchent à maintenir leurs privilèges et les espaces de pouvoir qu’ils ont gagné dans les universités et dans certains milieux locaux, etc. Ce sont les grands responsables de la médiocrité de l’éducation primaire, secondaire et supérieure du pays, car ils ont infiltré ces secteurs… Le MPD n’a de gauche que son discours, ne vous trompez pas.

Deuxièmement, accuser de "corruption" pour gagner un crédit politique est l’attitude la plus corrompue qui soit en Amérique latine. Qu’ils nous disent donc où est la corruption. Moi, je peux démontrer des cas de corruption les concernant : la façon dont ils obligeaient les instituteurs, par exemple, à participer au financement de leur propre corporation. Qu’ils disent donc où est la corruption. Cela fait parti de la stratégie de la droite. Ils essayent de nous voler notre bien le plus précieux : l’honnêteté. Qu’ils enquêtent et disent si le président s’est enrichi de façon illicite, s’il a pris vingt centimes qui ne lui appartenaient pas. Qu’ils nomment les ministres… Je peux garantir l’intégrité de tous les hauts cadres du gouvernement. Bien sûr, celle de cadres moyens, dans certaines provinces, c’est autre chose... Mais cette accusation contre nous est déjà une forme de corruption…

En ce qui concerne les contrats millionnaires de mon frère. Il a fait, dans mon dos, illégalement, 80 millions de chiffre d’affaires de contrats, ce à quoi j’ai répondu en mettant fin à tous les contrats et en récupérant les dépôts de garantie qui avaient été versés. Ce qui a permis de préserver, de manière préventive, les intérêts de l’Etat. Que pouvais-je faire de plus ? Le mettre en prison ? Non, car il n’y a pas eu infraction pénale, simplement infraction administrative. Mais, si certains pensent qu’il faut le mettre en prison parce qu’il s’agirait d’un délit d’action publique, ils peuvent eux-mêmes se charger de déposer plainte. Ils doivent le faire d’ailleurs, sinon ils se rendent complices de corruption. S’ils sont au courant et ne le dénoncent pas, comme n’importe quel citoyen peut le faire devant le fisc, c’est grave. Et pourtant, ils ne le font pas. C’est donc de l’hypocrisie. En quoi est-ce ma faute si mon frère a agit avec une extrême indélicatesse, s’il a été déloyal à mon égard ? J’ai pris toutes les mesures que la loi permettait pour préserver les intérêts de l’Etat. Alors, comme ils n’ont rien à me reprocher, ils continuent à répéter les mêmes idioties... Oubliez qu’ils sont de gauche, ils n’ont rien à voir avec la gauche. Allez voir à l’Assemblée avec qui ils votent. Avec l’extrême droite de toujours …

IR : Comment expliquez-vous que l’Amérique latine soit aujourd’hui la région du monde où il y a le plus d’expériences progressistes ?

RC : D’heureuses coïncidences, non ? Résultat des abus excessifs commis par la bourgeoisie. Ils nous ont trop exploités. En d’autres termes, le néolibéralisme et ensuite Monsieur [George W.] Bush. Ce dernier a été le meilleur électeur en Amérique latine, nous devons lui en être reconnaissants ! Beaucoup de gouvernements progressistes de la région sont arrivés au pouvoir grâce à lui, en réponse ou en rejet à ses politiques. Et comme ces gouvernements s’en sortent bien, cette tendance progressiste continue de s’étendre en Amérique latine. Ce que les gouvernements néolibéraux ont fait durant les années 1980 et 1990 a eu des conséquences terribles : un désastre économique et social, sans parler de l’échec démocratique. Quelles atteintes à la démocratie ! Rien ne se décidait dans les urnes. Quel que fût le résultat des élections, les politiques suivies restaient les mêmes, définies par des instances extérieures ou par des pièges institutionnels mis en place. Prenons l’exemple des Banques centrales autonomes. Qu’étaient ces Banques centrales autonomes ? Indépendamment de l’élu qui arrivait au pouvoir, la politique monétaire demeurait la même. Les Banques centrales étaient autonomes par rapport à notre démocratie, à nos peuples, mais elles étaient totalement dépendantes de la bureaucratie internationale. Un tel système était fait pour que rien de change. Sans parler de l’échec économique, social et démocratique qui ont marqué ces décennies de longue nuit néolibérale.

L’Amérique latine avait perdu jusqu’à sa dignité, l’estime de soi. Cela ne surprenait personne qu’un bureaucrate du FMI vienne nous dire ce que nous devions faire, vienne réviser nos comptes. Maintenant, si un bureaucrate descend de l’avion, il y remonte directement et repart dans l’autre sens. Je n’oublierai jamais - et ceci m’a beaucoup impressionné, comme je viens de le dire au Sommet Ibéro-américain - quand j’ai accompagné Cristina [Fernández, présidente de l’Argentine] devant le cercueil de Néstor Kirchner. Des dizaines de milliers d’Argentins défilaient, des jeunes pour la plupart, et aucun ne disait : "Merci Nestor, pour avoir augmenté les réserves monétaires." , ou « Merci Nestor, pour avoir réduit le risque pays. » Ils disaient : « Merci Nestor, pour nous avoir rendu notre dignité. ». L’Amérique latine préfère le risque d’être libre, plutôt que la néfaste solvabilité d’être servile. On avait perdu jusqu’à notre dignité. Notre estime de soi était ravagée.

Aujourd’hui, ont voit tout cela réapparaître. On voir des gouvernements souverains, dignes, qui récupèrent leur dignité, celle de nos peuples, et cette estime de soi. C’est une contribution fondamentale à ce changement d’époque que vit l’Amérique latine. C’est une des explications les plus claires de ce changement. Des gouvernements qui vont véritablement nous défendre, qui vont véritablement oeuvrer pour nous sont enfin arrivés au pouvoir ; des gouvernements qui vont vraiment faire ce dont nos pays ont besoin. Les gens sentent qu’ils récupèrent cette dignité et cette estime de soi.

IR : Au Sommet ibéro-américain de Mar del Plata, d’où vous venez, vous avez demandé - selon la presse - que figure, dans la déclaration finale, une condamnation de la diplomatie des Etats-Unis après les révélations de WikiLeaks, mais cette proposition n’a apparemment pas été retenue.

RC : Tout cela est faux. C’est une invention de la presse. J’ai lu dans le journal argentin La Nación : que "Correa s’est rendu au Sommet avec l’intention de condamner les Etats-Unis" . C’est une pure invention. Je n’ai même pas fait référence au problème de WikiLeaks durant mon intervention, vous pouvez le vérifier. C’est absolument faux. De surcroit, ils ont affirmé que le chancelier Ricardo Patiño a essayé d’inclure cela dans la déclaration finale.

C’est le fruit de la mauvaise foi et de la médiocrité de cette presse argentine, que d’autres médias ont repris sans vérifier les sources, et maintenant c’est à nous de démentir. Cela n’a ni queue ni tête. En tous cas, ça ne vient pas de nous ; nous n’en avons jamais fait mention. Nous avions une toute autre priorité au Sommet ibéro-américain : obtenir la condamnation unanime de la tentative de coup d’Etat du 30 septembre en Equateur, par exemple. Et nous l’avons obtenue. Mais nous n’avons même pas mentionné Wikileaks. C’est une pure invention de la presse, médiocre et corrompue, qui répète sans vérifier ses sources[i].

IR : Des centaines de milliers d’Equatoriens résident et travaillent en Espagne, certains font l’objet d’actes xénophobes et discriminatoires, d’autres sont en proie à des problèmes de saisie de leurs biens immobiliers par les banques à cause de la crise économique. Quelle opinion avez-vous de l’attitude des autorités espagnoles concernant ces émigrants équatoriens ?

RC : Je crois que le gouvernement du président [José Luis] Rodrà­guez Zapatero, un ami cher et un gouvernement pour lequel j’ai beaucoup d’estime, a fait preuve de toute la coopération possible. Bien sûr, on ne peut jamais contrôler, avec des dizaines de millions d’habitants, le fait qu’un marginal xénophobe agresse un étranger que celui-ci soit latino-américain ou marocain. Mais je ne pense pas que cela vienne d’une politique institutionnalisée ni tolérée par le gouvernement espagnol.

En ce qui concerne la crise, c’est quelque chose de complexe, le gouvernement espagnol a de grosses difficultés, injustes de surcroit. Il mérite plus de chance. Je ne veux pas m’immiscer dans leurs affaires internes, mais j’en ai parlé avec le président Zapatero. Nous lui avons proposé, durant le dernier sommet Amérique latine-Europe à Madrid, de changer de logique pour gérer la crise, sur des choses très particulières.

Les abus sur les crédits bancaires en Espagne me parait, par exemple, incroyable. Les principes légaux de ces crédits, la soumission totale des personnes aux intérêts du capital. La base légale du risque retombe sur les gens quand elle devrait être assumée par le capital. A quoi je fais allusion ? Imaginons qu’une banque vous prête 300 mil euros pour l’achat d’un appartement, et que la valeur de celui-ci - qui va servir de caution - soit estimé par la banque à 300 mil euros. Arrive ensuite une crise et vous ne pouvez plus payer votre crédit. Quelle est la caution de votre crédit bancaire ? L’appartement. Si vous le rendez à la banque, les traites de votre crédit devraient cesser. Vous ne devez plus rien. Eh bien non, les banquiers disent : "En raison de la crise, le logement ne vaut plus que 100 mil euros, vous nous devez encore 200 mil euros !" C’est horrible ! Le risque retombe sur la personne et non sur le capital. C’est non seulement injuste mais stupide, les banques vont se retrouver dans la pire des situations. Elles vont avoir sur les bras des milliers de logements vides sans possibilité de récupérer les crédits, et les immigrés et leurs familles résidant en Espagne, n’auront plus de logement… Le pire des mondes.

Il faut chercher une solution au problème. Le capital financier veut sortir d’une crise qu’il a lui-même produit, au moindre coût, et il exige que les coûts soient assumés par d’autres. Ce n’est pas une bonne solution. La bonne solution serait la suivante : "Ecoutez, tant que vous êtes vivants, payez-moi ce que vous pouvez comme loyer. Si après deux ou trois ans la situation change, on verra…" .

Cela signifie bien sûr que la banque perd aussi, mais elle reçoit au moins quelque chose, et les gens ne sont pas à la rue. Si au terme de deux ou trois ans la crise n’est pas finie, c’est comme si les gens avaient payé un loyer et au moins ils ont un logement… Mais si après deux ou trois ans on sort de la crise, et bien les gens peuvent continuer à payer le crédit et les banques déduisent du montant de celui-ci ces deux ou trois ans de loyers... Ce que je veux dire c’est qu’il y a des solutions plus logiques et moins dogmatiques, mais il faudrait pour cela ne pas compter sur l’orgueil et la myopie du capital financier qui veut sortir d’une crise qu’il a lui-même provoqué, sans en assumer le moindre coût. Les principales victimes sont les immigrés, de nombreux Equatoriens en situation difficile sont en passe de perdre leur logement.

IR : Ils reviennent en Equateur ?

RC : Quelques uns, oui, et nous les aidons de tout coeur.

IR : Une dernière question, président. Le G20 prétend gouverner le monde. Trouvez-vous cela normal ?

RC : Normal, non. Il ne faut pas se faire d’illusions, à l’échelle internationale il faut des processus similaires à ceux que vivent nos nations en interne : des changements dans les rapports de force. Ne nous trompons pas. Prenons, par exemple, le problème de l’environnement dont nous parlions tout à l’heure. Les pays pauvres, surtout ceux du bassin amazonien, nous sommes des générateurs d’environnement et devrions être récompensés de préserver cette richesse, mais les grandes puissances ne vont pas nous prendre en compte tant que les rapports de force restent les mêmes… Imaginez, par exemple, le contraire : que ceux qui génèrent de l’environnement soient les Etats-Unis ou l’Europe, et que nous nous en soyons les consommateurs ; il y a longtemps qu’ils nous auraient déjà obligé à payer ou à dédommager cet effort, par la raison ou par la force, en nous envahissant ou en utilisant n’importe quelle moyen. Lamentablement, à l’échelle internationale, si nous voulons un monde plus juste, un changement dans les rapports de force est indispensable. Même pour que la globalisation fonctionne débarrassée de ses terribles contradictions : une très grande mobilité des capitaux et des marchandises, mais une criminalisation de la mobilité humaine. Qui peut comprendre cela ?

Créer un marché mondial dans une société mondiale, mais sans gouvernance… Qui gouverne le marché mondial ? Nous sommes victimes de ce marché, et la crise actuelle est le résultat du manque de gouvernance. Les Etats du G20, dominés aussi par le capital financier, n’osent pas faire le premier pas. Faites un bilan de toutes les politiques appliquées par les instances internationales en Amérique latine durant les dix dernières années : elles ont été faites en fonction du grand capital, surtout du capital financier. Parfois elles ont été bénéfiques à nos pays, et d’autres fois non, mais le dénominateur commun est le même : le maximum de bénéfices pour le grand capital et pour le capital financier. Tant que cette logique ne changera pas, tant que la société humaine ne reprendra pas le contrôle du marché, ces crises recommenceront et nous serons à nouveau victimes du marché.

Un changement dans les rapports de force à l’échelle globale est indispensable, car le G20, dont les Etats qui le composent sont eux-mêmes dominés par ce capital financier, ne s’intéresse pas à cette question ; il n’en parle même pas. L’intégration est une des stratégies pour réussir à changer les rapports de force à l’échelle mondiale. Une Amérique latine intégrée, avec toutes les potentialités dont nous disposons en termes de ressources naturelles, de PIB, de population, etc., pourrait avoir beaucoup plus de présence et constituer un facteur déterminant pour modifier enfin, à l’échelle internationale, les rapports de force.

* Entretien réalisé à Quito, Equateur, le mardi 7 décembre 2010.

(Une version complète, en espagnol, de cet entretien est disponible sur le site web : www.monde-diplomatique.es)

(Traduit de l’espagnol par Sarah Testard.)

Source : mémoire des luttes

http://www.medelu.org/spip.php?article698

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