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La boucherie inutile du chemin des Dames amena la contestation dans les deux camps.

Le 11 novembre, à la mémoire des vaincus du capitalisme.

« Le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme l’histoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. » - Jean Jaurès, extrait du discours à la jeunesse, le 30 juillet 1903 à Albi devant les élèves du Lycée de cette ville où ce grand pacifiste y fit lui aussi ses études.

C’était une vision éclatante et perspicace sur nos sociétés, et, par une bassesse honteuse des dominants, ce visionnaire sera assassiné le 31 juillet 1914 trois jours avant le début de la grande hécatombe de 14/18. Etrange destin que celui de cet homme hors du commun qui ne verra pas ce qu’il avait si souvent dénoncé, la guerre et ses horreurs.

Seulement voilà , 107ans après le discours à la jeunesse on est encore à honorer les morts de cette abomination. Que l’on ne s’y trompe pas, s’il n’est pas dans mes idées de contester que l’on rende hommage à ceux qui on laissé leur vie sur les champs de bataille, par contre il semblerait logique que l’on ne se trompât pas de discours…

Certes, on ne peut qu’avoir du respect pour ceux qui on laissé leurs vies, la moitié du visage, un membre, leurs jeunesses pour défendre des causes qui souvent n’étaient pas les leurs, et d’entendre dire que le pays les remercie pour les sacrifices qu’ils ont fait. Non, cela est à peine concevable dans un monde où de temps en temps il serait bien de rétablir certaines vérités et de dire que cette guerre, dont ceux qui en sont sortis vivant diront : « plus jamais ça ! », fut avant tout au service du capitalisme se servant d’un nationalisme exacerbé. Oui, les marchands de canons, les maitres de forge eurent la part belle dans cette tuerie, puisque se sont en fait ces seuls bénéficiaires qu’indirectement on remercie en honorant ceux qui se sont fait tuer pour faire tourner à fond l’industrie du capital.

Les révoltés de mai 1917 ne s’y sont pas trompés en concevant les paroles de « La chanson de Craonne » :

-C’est malheureux d’voir sur les grands boulevards

 Tous ces gros qui font la foire

 Si pour eux la vie est rose

 Pour nous c’est pas la même chose

 Au lieu d’se cacher tous ces embusqués

 F’raient mieux d’monter aux tranchées

 Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien

 Nous autres les pauv’ purotins.

Malheureusement ont connaît la suite de l’histoire, cependant il n’est pas inutile de la rappeler.

La boucherie inutile du chemin des Dames amena la contestation dans les deux camps. Attaque, contre attaque, ordres insensés, tout y fut pour ouvrir le chemin de la révolte.

Officiellement, c’est le 17 avril 1917 que l’on a recensé les premiers mutins de l’Armée française, environ 230 si l’on en croit ce que l’on a bien voulu dire ; ou taire ! Déjà , quelques jours avant, certains avaient cassé la gueule à leur officier et refusé d’aller se faire tuer pour reprendre quelques cent mètres de tranchée ou bien une casemate déjà à moitié rasée, pris et repris l’avant-veille, repris et pris la veille par l’un ou par l’autre des deux antagonistes. Finalement, les historiens avancent le nombre approximatif de quarante mille rouspéteurs, contestataires, rebelles, mutins, à mi-mai 17. On est loin des chiffres officiels !

Le 15 mai, pour régler ce problème, Poincaré et le ministère de la Guerre eurent une idée de génie, ils virèrent Nivelle et mirent à la place Pétain. Dans les livres d’Histoire on nous a dit que se fut le futur Maréchal qui régla la contestation en accordant des permissions plus longues, des montées au front plus courtes avec plus de dopage en vin et en gnole (appelée par les poilus le « Monte-en-ligne »), pudiquement désigné comme amélioration du ravitaillement. En fait, les choses se sont réglées plus brutalement.

Officiellement, une fois de plus, on annonce le chiffre très précis de quarante-deux mutins fusillés. Pour être plus juste, on peut utiliser le terme de décimation. En annonçant le chiffre minimum d’un millier de punis, l’on se rapproche de la vérité. Malheureusement, nous ne saurons jamais le nombre exact de fusillés puisque les proches, les familles reçurent le simple message : « Mort au front, tel jour… », ou bien « Mort pour la France », sans qu’il soit précisé que ce fût sous les coups de l’ennemi. Seuls les désignés pour servir les pelotons d’exécution eurent longtemps des nuits agitées. Traumatisés, perturbés par le souvenir ineffaçable de l’instant où leur doigt appuya sur la détente du Lebel…

Eh oui, il savait pourquoi il se battait : « Pour les exploiteurs »… et ils s’étaient mis en grève !

Mais l’exploiteur ne le voyant pas de cette façon là , fait comme à chaque fois que son dictat est contesté, il mate la rébellion avec des moyens expéditifs et sans pitié. C’est donc pour la mémoire de ces martyres du capital que tous les ans il faut se pencher sur leur tombe en disant plus jamais ça. D’autant que la plupart des guerres qui courent de nos jours sur la planète sont souvent, sous des prétextes fallacieux, les faire valoir et l’apanage des capitalistes qui n’ont aucun sentiment de respect pour l’humain quand il s’agit de servir leurs intérêts. Et quand on veut nous embringuer dans une guerre d’Afghanistan qui ne sert que des intérêts énergétiques, c’est de cela dont il faut discourir le 11 novembre pour l’empêcher car en y réussissant se sera vraiment : plus jamais ça.

C’est en refusant la guerre que l’on servira la grandeur de la France, et non les armes à la main comme trop de discours en ont fait ou en font encore l’apologie.

Ce jour là , le 11 novembre, sera alors une vraie commémoration et les martyres du capital n’auront pas été fusillés pour rien. Gloire aux vaincus !

Le Ragondin Furieux

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COMMENTAIRES  

10/11/2010 13:01 par ALAIN EUGENE VICTOR

Je suis complètement d’accord avec cet article qui apporte une juste vision de cette boucherie qui n’aura servi que les intérets capitalistes et la grande bourgeoisie. J’aimerais juste ajouter un complément à propos de L’Afghanistan. Obama n’est pas en guerre dans ce pays uniquement pour les richesses qu’il possède !!
L’autre but, stratégique poursuivi par Obama dans la foulée de Bush, est de maintenir une puissante armée "atlantique" au flanc sud de la Russie et des ex-Républiques soviétiques d’Asie, à proximité immédiate de l’Inde et de la Chine, les trois "pays émergents" dont Washington craint le plus la concurrence au 21ème siècle. Au demeurant les USA se gardent bien de mettre en difficulté l’immense base arrière des talibans qu’est le Pakistan des généraux intégristes et corrompus car il a besoin de cet Etat religieux pour faire en permanence pression sur l’Inde laïque en entretenant d’absurdes querelles religieuses entre hindouistes et musulmans. C’est pourquoi nul ne doit être dupe de la stratégie d’Obama, cette "colombe" dont l’unique but est de préserver l’Empire du capital par des moyens moins grossiers, mais pas moins efficaces et brutaux que ceux du sinistre Bush.

10/11/2010 14:23 par JACQUES RICHAUD

POUR LES PASSIONNES D UNE HISTOIRE QUI OUVRIT UN SIECLE TRAGIQUE, quelques extraits de ma documentation perso sur le sujet :
Jacques Richaud

1/ Craonne et les mutineries, les conseils de guerre :

Les français dans la première guerre mondiale . Le cas des mutineries de 1917 .
http://ubiqwity.fr/ubik/ubik1/ubik1access/cahiers/premiere/histoire/1GM/mutineries/Les%20mutineries%20de%201917.htm
les « crimes des conseils de guerre » de la Grande guerre
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1624
16 avril 1917 L’offensive du Chemin des Dames et les mutineries
http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19170416
"C est a craonne sur le plateau...." ; (Dossier de documents sur le ’chemin des dames’)
http://www.crid1418.org/doc/pedago/dossier_cdd_loez_05.pdf
TEXTES sur les mutineries de la Première Guerre mondiale (1917)
http://hypo.ge.ch/www/cliotexte//html/1ere.gm.mutinerie.html
les « crimes des conseils de guerre » de la Grande guerre
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1624
article de la rubrique histoire et colonies > les fusillés de la grande guerre
date de publication : samedi 30 juin 2007
Guerre de 1914-1918. Cours martiales et justice militaire
http://www.criminocorpus.cnrs.fr/biblio/v3/b2.php?theme=8111&offset=50&nbmax=10
Le général Bach, mémorialiste des ’fusillés pour l’exemple’
http://www.marianne2.fr/Le-general-Bach,-memorialiste-des-fusilles-pour-l-exemple-_a47474.html

2/ La réhabilitation attendue :

Histoire - Les "fusillés pour l’exemple" de 14-18 réhabilités ?
http://tf1.lci.fr/infos/france/societe/0,,3845718,00-fusilles-pour-exemple-rehabilites-.html
les 306 « fusillés pour l’exemple » britanniques de 14-18 en voie de réhabilitation
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1489
Pour la réhabilitation des "fusillés pour l’exemple" Nicolas Offenstadt
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2758
05/11/1998 LIONEL JOSPIN
Discours au Chemin des Dames, à l’occasion des commémorations de l’armistice de 1918, pour l’inauguration d’une statue de M. Haïm Kern, à Craonne (Aisne)
http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr/jospin_version3/fr/ie4/contenu/4386.htm

3/ MÉMOIRE ET MYTHIFICATION DES MUTINERIES DE 1917
Leonard V. Smith, Oberlin College, Ohio (traduit par Michèle Chossat).
http://www.imprimerie-d3.com/actesducolloque/frame325045.html
14 août 2007 Auteur(e) :Philippe CONRAD
Anniversaire tragique, prétexte à toutes les déformations. Mise au point par un excellent historien de la Première Guerre mondiale.
http://www.innovation-democratique.org/Les-mutineries-de-1917.html
Concernant le 90° anniversaire de la crise du printemps de 1917, on a entretenu la confusion entre les exécutions intervenues dans les années 1914 et 1915 et celles qui ont suivi les « mutineries » de 1917, alors qu’elles correspondent à des situations bien différentes…etc
CHRISTOPHE PROCHASSON : LES ENJEUX MEMORIELS DE L HISTORIOGRAPHIE DE LA GRANDE GUERRE / ANALYSE D UNE CONTROVERSE FRANCAISE
http://www.celat.ulaval.ca/histoire.memoire/b2006/Prochasson.pdf

4/ OBEIR, DESOBEIR AUX ORDRES DE LA VIOLENCE D "˜ETAT
http://www.crid1418.org/espace_scientifique/colloque07/cr_colloque.pdf
Mots et cultures de l’indiscipline : les graffiti des mutins de 1917 André Loez
http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=GEN_059_0025
LES MONUMENTS AUX MORTS PACIFISTES :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Monuments_aux_morts_pacifistes

5/ En bonus pour les amoureux de Léo et de Louis....

http://www.dailymotion.com/video/xuhtk_leo-ferre-tu-nen-reviendras-pas_music
Et aussi :
http://www.cdmail.fr/affich_fich.asp?refcdm=CDM024953
http://www.ciao.fr/Leo_Ferre_chante_Aragon__90493
http://www.prato.linux.it/~lmasetti/antiwarsongs/canzone.php?id=8044&lang=it

Tu n’en reviendras pas
http://www.deljehier.levillage.org/textes/Ferre/tu_n%20en_reviendras_pas.htm

Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le coeur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là -bas attendent la relève

Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Louis Aragon
Quand les hommes vivront d’amour (Raymond Levesque) : http://fr.youtube.com/watch?v=Wb_4tQ90Muk

Le dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud

Tu n’en reviendras pas par
La chanson de Craonne par Marc Ogeret
http://arlette1941.blogspace.fr/1365573/Tu-n-en-reviendras-pas/

La Chanson de Craonne
http://a.gaudin.free.fr/poilus/Chanson_Craonne.htm
http://www.dailymotion.com/video/k2L6p3kMgOKsJkldyj

10/11/2010 21:54 par Raoul

Ils sont morts pour rien comme aussi ceux d’aujourd’hui ; morts pour l’industrie de l’armement, leurs larbins les politiciens et les collabos de service du capitalisme.

10/11/2010 22:42 par Anonyme

...
"Et s’ils veulent, ces cannibales

Faire de nous des héros

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux..."

(l’Internationale, bien sûr)

A quand le genre humain ?

11/11/2010 00:28 par JACQUES RICHAUD

L’Internationale aussi ? ... Pourquoi pas
L’INTERNATIONALE : http://www.deljehier.levillage.org/internationale.htm

http://www.youtube.com/watch?v=EpgrO-tieGM (En Français)

http://www.youtube.com/watch?v=fCFibtD3H_k&feature=related (En Russe)

http://www.youtube.com/watch?v=Z4N_07o0PJU&feature=related (En Anglais)

http://www.youtube.com/watch?v=bSw0DBT8SkU&feature=related (En Allemand)

http://www.deljehier.levillage.org/telechargements/internationale-cn.mp3 (En Chinois)

http://www.deljehier.levillage.org/telechargements/inter_jap.mp3 (En Japonais)

http://www.deljehier.levillage.org/telechargements/inter_turc.mp3 (En Turc)

Pour écoutez "L’Internationale" dans toutes les langues

Cliquez ICI

http://www.deljehier.levillage.org/textes/chansons_revolutionnaires/l_internationale.htm

Debout les damnés de la terre
Debout les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère
C’est l’éruption de la fin
Du passé, faisons table rase
Foule esclave debout debout
Le monde va changer de base
Nous ne sommes rien soyons tout
REFRAIN
C’est la lutte finale
Groupons-nous et demain
L’internationale
Sera le genre humain

Il n’est pas de sauveurs suprêmes
Ni Dieu ni César ni tribun
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun
Pour que le voleur rende gorge
Pour tirer l’esprit du cachot
Soufflons nous-mêmes notre forge
Battons le fer quand il est chaud

L’état comprime la loi triche
L’impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s’impose aux riches
Le droit du pauvre est un mot creux
C’est t’assez languir en tutelle
L’égalité veut d’autres lois
Pas de droits sans devoirs dit-elle
Egaux pas de devoirs sans droit

Les rois nous saoulaient de fumées
Paix entre nous guerre aux tyrans
Appliquons la grève aux armées
Crosse en l’air et rompons les rangs
S’ils s’obstinent ces cannibales
à faire de nous des héros
ils sauront bientôt que nos balles
Seront nos propres généraux

Ouvriers paysans, nous sommes
Le grand Parti des travailleurs
La terre n’appartient qu’aux hommes
L’oisif ira loger ailleurs
Combien de nos chairs se repaissent
Mais si les corbeaux les vautours
Un de ces matins disparaissent
Le soleil brillera toujours

Hideux dans leur apothéose
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu’il a créé s’est fondu
En réclamant qu’on le lui rende
Le Peuple ne veut que son dû

11/11/2010 14:19 par Mengneau Michel

Comme Craonne ne fut pas que le seul lieu de contestation on peut rajouter cette triste histoire....

La révolte des sacrifiés !

Par Michel MENGNEAU

Comme tous les ans, dans les premiers jours du mois de novembre, à l’approche du 11, flotte en ma tête une chanson ; elle revient sans cesse, comme un ressac continu. Elle donc est là , ténue, bien ancrée depuis pas mal d’années, c’est la chanson de Craonne. « C’est à Craonne sur le plateau… ». Souvenir des sacrifiés !

Elle a bercé mon enfance, et pour cause, ce fut Edmond mon grand-père qui me la fredonnait à l’oreille ; enfance heureuse puisque j’ai passé une bonne partie de celle-ci sur les genoux de cet érudit libertaire tandis que mes parents travaillaient.

Edmond l’Anar, comme beaucoup de ceux nés à la fin du XIXème siècle il avait fait la grande guerre. Non pas dans les tranchées, mais sur la mer. Hormis quelques médailles qui lui importaient peu, le souvenir qu’il affichait le plus volontiers, y tenant beaucoup, était celui d’une grande photo du Suffren sur lequel il avait navigué un certain temps, -le « Suffrin » comme disaient à tord les bretons puisque le Bailli de Suffren naquit au Château de Saint-Cannat situé entre Salon-de-Provence et Aix, et il est douteux que dans le midi de la France on prononçât son nom ainsi.

Photo dans le bas de laquelle on pouvait lire : « -Campagne de 1914-15- », « -Souvenir d’années terribles- ». Et oui, aux Dardanelles (février, mars 1915) ce ne fut pas une croisière de plaisir car la grande tuerie eut aussi la mer comme champ de bataille.

Nous oublions souvent que même les marins, qui sont d’un monde à part, eurent leur moment de révolte devant la boucherie inutile, et, malgré la censure, la chanson de Craonne parviendra jusque dans les équipages de la flotte déjà sensibilisés par l’absurdité du monde dans lequel ont les avaient entrainés. La prise de conscience qu’ils se battaient pour des intérêts qui les dépassaient, ceux du grand capital, firent que l’on entendait aussi des grognements dans les rangs de la marine. Moins fort peut-être car la discipline y était de fer, mais perceptible dans les rapports avec les gradés ; cela fait d’ailleurs remonter à ma mémoire le souvenir d’une anecdote mainte fois racontée par Edmond qui se trouvait sur les lieux à cette époque, escale technique probablement.

C’était à Toulon, c’est sûr, à St Mandrier, je ne peux l’affirmer, ni si c’était devant l’arsenal, l’Amirauté, ou autre lieu stratégique, ma mémoire est vague sur le lieu exacte, peu importe d’ailleurs…

Le fusillé-marin de garde dans la guérite semblait endormi, le fusil nonchalamment appuyé à celle-ci. Un jeune lieutenant de vaisseau vint à passer, s’apercevant de la scène, il s’approcha subrepticement, se saisi du fusil et ôta les cartouches qu’il cacha sous la guérite. Sur ces entrefaites, content du mauvais tour qu’il allait jouer au marin pour le faire plonger -comme le disait l’expression populaire pour désigner la mise aux arrêts-, il alla chercher un autre officier pour lui servir de témoin.

Mais l’homme de garde dormait en gendarme, c’est-à -dire que l’un de ses yeux guettait malgré l’apparente somnolence de son propriétaire ; et oui, il parait que les gendarmes dorment ainsi, ça demande à être vérifié ! Bref, sitôt que le lieutenant eu tourné les talons, notre sentinelle totalement éveillée récupéra ses munitions et arma son fusil en basculant la culasse.

Le lieutenant, de retour en compagnie de l’un de ses collègues, s’avança d’un pas décidé vers l’entrée du lieu gardé par le fusiller-marin. Celui-ci, voyant la détermination de l’officier qui ne déclina pas son identité, fit alors les sommations d’usages ; à la troisième, il tira, tuant net le lieutenant de vaisseau…

Arrêt de rigueur, déclaré sentinelle dangereuse, mais comme il n’y avait pas eu de témoin de la manipulation de l’officier hormis le rapport orale du second officier, l’affaire en restera là . Sans doute les autorités militaires n’ont-elles pas voulu alimenter la révolte sourde que l’on sentait perceptible.

Au demeurant, c’eut été à proximité de la présence de l’ennemi, aux ras des tranchées, on aurait compris plus facilement une telle rigueur de la part des protagonistes de ces faits, mais Toulon étant à l’autre bout de la France tout laisse à croire que ce fût le fort ressentiment envers cette guerre injuste et pour les officiers donnant des ordres souvent ressentis comme absurdes, voire insensés, qui arma le bras meurtrier du marin.

C’est du moins tel qu’Edmond l’a toujours ressenti, malaise qui alors courrait dans toute l’armée française, la marine comprise. Les sacrifiés ne voulaient plus l’être…

Certes, en cette fin d’année 2010, où une xénophobie nauséabonde est exacerbée par les plus hautes sphères d’un état autocratique, j’aurais pu aussi rappeler à la mémoire de beaucoup le sacrifice de nos frères africains qui vinrent se faire tuer dans les tranchées pour défendre la prétendue mère patrie, qu’il conviendrait mieux d’appeler « l’amère patrie » quand on pense à ce que l’on fait maintenant des fils de ceux qui sont venus se battre pour elle.

Mais tous les exploités devant l’esclavagisme du capitalisme ne sont-ils pas frère !, et il est bon de rappeler que tous ne se plièrent pas sous le joug d’exploiteurs cherchant dans la guerre les prétextes pour remettre l’économie en marche, pour freiner le trop d’acquits sociaux, et surtout, en occupant le peuple, stopper ainsi la rébellion que l’on sentait monter dans divers pays !

« On vante les héros de la guerre sauvage parce que, désirant se distinguer devant les hommes, jouir de la gloire et obtenir des récompenses, ils ont tués et ont été tués.

Personne ne parle des héros de la guerre contre la guerre qui, en silence, sont morts et meurent sous les verges et dans les prisons ou dans l’exil et qui demeurent malgré tout fidèles à la vérité et à leur noble cause.  » Tolstoï (Les deux guerres, 1888)

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