RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Petite fable écologique et sociale.








Noël 2007

Imaginons un pays qui ne produit que des automobiles. Cette société est composée de 80 salariés et de 20 rentiers. Chaque rentier reçoit un revenu double de celui d’un salarié. Il le consacre à l’achat d’un 4x4 par ailleurs deux fois plus cher à produire et deux fois plus polluant que les 80 voitures que consomment les 80 salariés.

Imaginons maintenant une sorte de Grenelle qui réduit le revenu des rentiers de manière à ce qu’ils puissent n’acheter que des voitures normales, comme les salariés. Et faisons les comptes.

Le PIB valait 120 (puisque les 4x4 comptaient double) et il baisse à 100. Il y a donc « décroissance » de 20 %. Le temps de travail des salariés s’est réduit dans la même proportion sans que leur niveau change. Et puisque les 4x4 étaient deux fois plus polluants, les émissions totales de CO2 ont été également réduites de 20 %. La seule différence est dans la répartition du revenu : la part des salaires a augmenté, passant de 66,6 % (80 sur 120) à 80 % (80 sur 100), et celle des rentiers a baissé en contrepartie.

Cette fable a manifestement été suggérée par les réactions très hostiles d’Angela Markel à une décision de la Commission européenne fixant pour 2012 un seuil maximal d’émission de CO2 pour les voitures. Comme l’Allemagne s’est spécialisée sur les grosses berlines (de luxe ?) plus polluantes, cette mesure a été considérée comme ciblant l’industrie allemande. Voilà pourquoi cette fable imagine un monde improbable ne produisant et ne consommant que des voitures. On peut évidemment rendre ces hypothèses plus conformes à la réalité. Mais cela ne changera pas qualitativement ses enseignements.

Premier enseignement : il existe un lien très fort entre la répartition des revenus et le mode de consommation. En modifiant la répartition des revenus, on peut supprimer la possibilité même de consommations nuisibles. Les 4x4 et autres grosses voitures sont socialement inutiles et écologiquement néfastes.

Deuxième enseignement : on ne peut pas discuter de la croissance et de la décroissance sans s’intéresser au contenu social du PIB. La restriction du revenu consacré à l’achat de 4x4 conduit à la décroissance. Mais il y aurait aussi décroissance si on avait divisé par deux le salaire. Chaque salarié n’ayant plus droit qu’à une demi-voiture, le PIB aurait reculé d’un tiers mais avec une part salariale chutant à 50 %.

Troisième enseignement : l’articulation des choix écologiques et sociaux pose la question d’une véritable démocratie. Dans notre exemple on doit comparer, d’un côté, la « liberté » des rentiers de rouler en 4x4 plutôt qu’en voiture et, de l’autre, le surcroît d’émission de CO2 dont pâtit l’ensemble de la société. Il faut, comme disent les économistes, « internaliser » le bien-être non marchand d’une moindre pollution de manière à pouvoir le comparer à la satisfaction marchande des rentiers. Or, la démocratie actuelle rend quasi-impossible ce type de choix, tant est forte la main-mise des possédants sur son mode d’expression.

Quatrième enseignement : la suppression des consommations inutiles ne dégrade pas le pouvoir d’achat des salariés et améliore leur bien-être, puisqu’ils travaillent moins longtemps.

Reste l’objection possible à cette fable : elle postule que la consommation des rentiers est plus polluante que celle des salariés. Mais, en supposant même que la consommation des rentiers ne soit pas plus « écologiquement incorrecte » que la moyenne, la réduction de leur volume fera baisser les émissions de CO2 et le temps de travail. Imaginons une Europe sans 4x4, Mercedes, BMW et autres grosses bagnoles. Les riches pollueront moins, en tout cas sous cette forme. Leurs frustrations seront compensées par un supplément de bien-être social et écologique : moins de CO2 et moins de temps de travail. Mais l’emploi, dira-t-on ? C’est à ce genre d’objection que l’on mesure la prégnance de la logique marchande qui confond chiffre d’affaires et bien-être. Encore une fois, si l’on cessait de produire les biens et services inutiles, le temps consacré à leur production deviendrait lui aussi inutile et peut être transformé en temps libre. Mais, encore une fois, cela suppose de rogner dans la même proportion la part des richesses qui correspond à ces consommations inutiles.

Sur le fond, il faut transformer le mode de satisfaction des besoins sociaux en favorisant les formes moins polluantes. Cela passe par le développement de l’offre de services collectifs (santé, éducation, etc.) moins voraces en énergie, par la relocalisation des activités réduisant les dépenses de transport, par l’amélioration de l’habitat et des espaces sociaux. La consommation marchande n’est souvent qu’un substitut à la satisfaction de besoins sociaux élémentaires. L’extension du temps libre et la mise à disposition d’équipements collectifs apparaissent comme les préalables d’une transformation des modes de consommation. Cette conception, que l’on peut qualifier de matérialiste, s’oppose nettement à la dénonciation de consommateurs privés d’alternative réelle et aux solutions marchandes inefficaces et socialement régressives comme l’écotaxe.

Michel Husson, économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic. Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social", La Découverte.




Lutte pour le climat et anticapitalisme, par Daniel Tanuro.



Les fabriques de l’idéologie, par Michel Husson.




Les fausses habiletés de Sarkozy, par Michel Husson.

A propos de la loi sur les heures supplémentaires, par Michel Husson.








URL de cet article 5856
  

Même Thème
Abrégé du Capital de Karl Marx
Carlo CAFIERO
« Le capitalisme n’est et ne sera pas là de toute éternité. » Cet Abrégé, rédigé en 1878, nous livre l’essentiel de l’analyse contenue dans le Livre I du Capital de Karl Marx. Ce compendium de la critique du système capitaliste - « où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais bien le travailleur qui se trouve au service des moyens de production » - a été rédigé à destination d’un public populaire. Écrit dans un style simple et sans l’appareil scientifique qui rend (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Ceux qui qualifient les chômeurs et les handicapés de parasites ne comprennent rien à l’économie et au capitalisme. Un parasite passe inaperçu et exploite son hôte à son insu. Ce qui est la définition de la classe dirigeante dans une société capitaliste.

Jason Read

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.