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Auteur : Santiago ALBA RICO

Combien vaut une vie humaine ?

Santiago ALBA RICO

Combien vaut une vie humaine ? L’une des manières de la calculer est celle utilisée par les avocats de la multinationale Union Carbide afin de fixer le montant des indemnités aux victimes du désastre de Bhopal en 1984. Si le « revenu per capita » de l’Inde est (était à cette époque là) de 250 dollars tandis qu’aux Etats-Unis il est de 15.000 dollars, on peut alors conclure que la valeur moyenne d’une « vie indienne » est de 8.300 dollars tandis que celle d’une « vie étatsunienne » atteint 500.000 dollars. Les compagnies d’assurance utilisent habituellement ce type d’évaluations pour augmenter leurs marges de bénéfices.

Il existe d’autres possibilités, que l’on juge plus barbares, à savoir celles de ces systèmes « primitifs » d’équivalents que nous appelons « vengeance ». La forme la plus extrême est la loi du Talion (« œil pour œil, dent pour dent »), mais il en existe d’autres, plus bénignes, parmi différents peuples ; on peut alors échanger une vie humaine contre quatre moutons, ou encore compenser la perte d’un membre par un morceau de terre ou une femme d’âge pubère. En définitive, quand nous calculons la valeur de la vie humaine nous avons souvent recourt à des « expressions monétarisées », c’est-à-dire que nous tentons de saisir une quantité qui est, elle, incommensurable, en la comparant à des formes comptables extérieures : argent, bétail, marchandises. Mais, à leur tour, quelles sont les valeurs de l’argent, du bétail et des marchandises ? Le concept de "valeur-travail" Comme on le sait, David Ricardo et Adam Smith furent les premiers à couler dans une formule un rapport que tous les peuples acceptaient intuitivement (...) Lire la suite »

Syrie et Irak : deux anniversaires entrelacés

Santiago ALBA RICO

Cela fait deux ans en ce mois de mars qu’à débutée la révolution syrienne et il y a très peu de choses à fêter.

La férocité criminelle du régime, qui combine dans la meilleure tradition impérialiste les bombardements aériens et les escadrons de la mort ; l'ignominieux soutien de la Russie et de l'Iran ; la moins ignominieuse stratégie de « régulation de la douleur » de la part des Etats-Unis et de l'UE en faveur d'Israël ; l'incapacité de l'opposition à représenter quelque chose de plus que les intérêts partisans ou personnels ; la « sectarisation » de l'affrontement militaire alimentée par l'Arabie Saoudite et le Qatar ; l'influence croissance du djihadisme sur le terrain et le fait, enfin, que l'ASL (Armée syrienne libre), comme le dit mon ami Tariq Al-Ghourani, soit une « armée de victimes », tous ces facteurs ont transformé la demande initiale pacifique, massive et on ne peut plus juste de démocratie en une catastrophe régionale. 70.000 morts, plus de deux millions de déplacés ou réfugiés, des quartiers entiers rasés, tout une génération d'enfants que l'Unicef considère déjà « perdus ». La métaphore de (...) Lire la suite »
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L’histoire exemplaire du cygne assassin. (Rebelion)

Santiago ALBA RICO
Parmi les dix premières causes de mortalité mondiale, on trouve, selon l'âge, le sexe ou le pays, les maladies cardio-vasculaires, les maladies infectieuses, le cancer, les accidents de la route, la violence, la guerre, le SIDA, la faim, l'accouchement, le suicide. Et les autres ? Les morts qui échappent aux statistiques contiennent en elles-mêmes une force déconcertante et héroïque et parfois l'allusion à d'autres mondes possibles que nous avons désormais dépassés ou qui ne sont pas encore survenus. Il n'est pas normal, par exemple, de mourir, comme le sultan Humayun, au XVIº siècle, écrasé sous le poids des livres de sa propre bibliothèque ou bien de périr, traîné par la foule, dans un centre commercial, comme cela arriva au pharmacien nord-américain Walter Vance, en 2009 : caricatures tragiques de deux idéaux opposés et inégalement victorieux dans l'histoire de l'humanité. Mais peu de morts sont aussi étonnantes et, disons, anti-statistiques que celle-ci, publiée par les journaux en avril dernier : « (...) Lire la suite »

Gaza : le moyen et le message

Santiago ALBA RICO
Gaza n'est ni un pays, ni la partie d'une nation, ni une bande de terre et encore moins un ensemble d'êtres humains : c'est un simple investissement. Israël - et je le dis sans la moindre pointe d'ironie - n'est pas en train d'appliquer une politique génocidaire en Palestine : elle veut tuer des enfants, mais pas tous les enfants ; elle veut détruire des écoles et des hôpitaux, mais non pas empêcher radicalement toute forme de survie ; elle veut affamer ses habitants, mais non pas les tuer tous par la faim. N'oublions pas que c'est Ariel Sharon, le même qui avait joué pendant des mois au chat et à la souris avec Yasser Arafat dans la Mouquata, qui a appliqué le fameux « plan de déconnexion » en 2005 pour transformer Gaza en une immense Mouquata de 1.500.000 habitants. Gaza est très importante pour Israël. C'est l'urinoir où les dirigeants sionistes soulagent leurs plus bas instincts ; c'est le petit frère désarmé qu'ils frappent quand ils voulaient frapper son grand frère plus costaud ; c'est la (...) Lire la suite »

La décision d’avoir une jambe (Rebelion)

Santiago ALBA RICO
Un enfant est victime d'un accident et il est amputé d'une jambe. A partir de cet instant il peut se produire une des deux choses suivantes : soit l'enfant bâtit son caractère autour de la jambe qui lui manque et donc à partir de tout ce que désormais il ne peut plus faire, soit, au contraire, il forge son caractère autour de la jambe qui lui reste et donc à partir de tout ce qu'il peut encore faire. Boiter est un défaut, certes, mais c'est aussi une façon de vivre ; c'est le procédé spécifique grâce auquel je parcours le chemin qui me ramène à la maison ou qui me permet d'arriver à l'heure à mon rendez-vous avec ma bien-aimée ; c'est aussi la possibilité d'adjoindrer à mon corps une canne élégante. Le philosophe Jean Paul Sartre dirait que le rôle vital d'une des deux jambes " celle qui nous manque ou celle qui nous soutient encore " est une décision absolue et, par conséquent, un acte de liberté. Nous ne sommes pas responsables de l'accident qui nous a mutilés, c'est vrai, mais nous sommes (...) Lire la suite »

Défense du luxe (Rebelion)

Santiago ALBA RICO
Il a peu de temps, j'ai lu l'information suivante : dans un des palais de Ben Ali, le dictateur déchu, sa femme, Leila Trabelsi, gardait mille paires de chaussures des griffes les plus prestigieuses et les plus chères. Mille paires de chaussures ! Non, Madame Trabelsi n'est pas un monstre polypode obligé de marcher sur deux mille tentacules, comme pourrait peut-être l'imaginer un archéologue des temps futurs qui tomberait sur les vestiges matériels de son palais. Comme la plupart des humains, Madame Trabelsi est parfaitement constituée et elle aurait dû avoir 1.998 pieds supplémentaires " ainsi que leurs respectives jambes " pour pouvoir porter tous ses souliers. Avait-elle trop de souliers ? Ou bien avait-elle juste le pouvoir qu'il faut avoir, ni plus ni moins, pour faire fi de la relation qui existe entre un corps et un objet ? C'était là le privilège de longues années de corruption et de pillage : si Leila Trabelsi ne pouvait pas avoir plus de pieds que les autres Tunisiens, elle (...) Lire la suite »

Calcul de vies

Santiago ALBA RICO
Voici un modèle de bonne gestion des ressources. D'après un rapport du diplomate irlandais Roger Cassement, de 1899, le gouvernement colonial de sa majesté Léeopold II, roi de Belgique, remettait à chaque soldat présent au Congo un nombre déterminé de cartouches dont il devait justifier l'usage avec une stricte exactitude dans l'exercice de ses tâches au service des compagnies exploitantes du caoutchouc. Pour faite la preuve qu'il n'avait pas gaspillé une seule cartouche, à la fin de la journée, chaque soldat devait remettre une main droite (oui, une main humaine) pour chaque balle manquante dans sa cartouchière. Certains, mal nourris, trichaient : ils utilisaient quelques cartouches pour chasser et ensuite ils coupaient la main d'un Congolais vivant en guise de certificat de bonne conduite dans leur service. Rien qu'en six mois, on avait comptabilisé 6.000 Congolais assassinés ou mutilés, un par cartouche ou peut-être davantage parce que pour économiser leurs munitions, nous dit Cassement : « (...) Lire la suite »

Qu’il y ait des riches, n’est-ce pas un droit pour les pauvres ?

Santiago ALBA RICO
J'ai déjà écrit quelque part que dans notre monde il n'existe que trois sortes de biens : les biens universels, les biens généraux et les biens collectifs. Les biens universels sont ces biens pour lesquels il suffit qu'un exemplaire ou un modèle unique existe pour que nous nous sentions universellement rassurés. Ce sont ces choses qui sont là et qu'il n'est pas nécessaire de tenir entre nos mains ou de posséder individuellement : il y a le soleil il y a la lune, les étoiles, il y a la mer, il y a UN Machu Picchu et UN Everest, il y a UN Taj Mahal et UNE Chapelle Sixtine, UN Che Guevara et UN Saint-François, UN Garcà­a Lorca et UN José Martà­ et UN Garcà­a Márquez et UN Silvio Rodrigo et UN Cintio Vinter. Les biens généraux, par contre, ce sont ceux qu'il faut généraliser pour que l'humanité soit pleinement accomplie. Il ne suffit pas qu'il y ait du pain, là -bas, dans le palais du prince ou qu'il y ait une maison, plus loin, dans le parc de Monsieur le Comte ; ces choses-là il faut qu'il y en ait ici, (...) Lire la suite »

Si tout le monde me voit, je ne laisse pas de traces

Santiago ALBA RICO
Dans un monde d'aveugles, nous passerions tout notre temps à nous tâter avec les mains dans le noir et à nous chercher les oreilles avec la bouche. Dans un monde totalement visuel, dans lequel les corps n'auraient que la forme, nous passerions nos journées à nous passer des images ou à les imposer ou à nous les voler les uns aux autres comme seule voie d'accès individuel à l'existence. Que signifie l'acte de regarder ? Quels effets cet acte introduit-il dans la matière ? Plutarque disait, à propos des amoureux, qu'un seul regard est susceptible de provoquer un incendie à plusieurs mètres de distance, chose rendue littéralement vraie, sans haine et sans amour, par les pilotes qui bombardent l'Iraq ou l'Afghanistan du haut de leurs avions. Les hommes se mesurent réciproquement, se classent, s'humilient ou se rendent hommage avec le regard. Il y a des formes d'attention qui vous enferment dans votre corps - ce que nous nommons « peine » ou « honte » - et d'autres qui corrompent l'âme à force (...) Lire la suite »

Plaisirs

Santiago ALBA RICO
Il y a des expériences tellement intenses qu'elles sont dépourvues d'étendue. Il y a des émotions tellement collées à notre poitrine qu'il est impossible de les situer ailleurs. On peut dire que c'est cela que tous nous appelons, en Australie, en Espagne, en Chine, « plaisir » et « douleur » ; c'est-à -dire le fait de n'être ni en Australie, ni en Espagne, ni en Chine lorsque nous frémissons. Mon crâne ne me fait pas mal quelque part dans le monde, mais dans mon propre crâne ; je ne ressens pas cette rage de dents quelque part dans l'extension de mon corps, mais dans une sorte d'intimité sans fenêtres ; mes reins ne me font pas souffrir un certain mardi, énième jour de mars, mais en ce pur présent, en cette éternité concrète. Il en est de même avec le plaisir dont les plus courtes intensités suppriment également, tant qu'il dure, tous les liens avec le monde et avec le temps. Dans leur relation avec le monde, il y a peu de différence entre la souffrance et la jouissance : le plaisir est une douleur (...) Lire la suite »
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