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Auteur : Frederic LORDON
Concéder « terrorisme », c’est annuler que ce qui se passe en Israël-Palestine est politique.

Catalyse totalitaire

Frederic LORDON
Il y a une économie générale de la violence. Ex nihilo nihil : rien ne sort de rien. Il y a toujours des antécédents. Cette économie, hélas, ne connaît qu’un principe : la réciprocité – négative. Lorsque l’injustice a été portée à son comble, lorsque le groupe a connu le meurtre de masse et, pire peut-être, l’invisibilisation du meurtre de masse, comment pourrait-il ne pas en sortir une haine vengeresse ? Les rationalités stratégiques – faire dérailler la normalisation israélo-arabe, réinstaller le conflit israélo-palestinien sur la scène internationale –, si elles sont réelles, n’en ont pas moins trouvé parmi leurs ressources le carburant de la vengeance meurtrière. « Terrorisme », mot-impasse La FI n’a pas commis les erreurs dont on l’accuse. Mais elle en a commis. Une – et de taille. Dans un événement de cette sorte, on ne se rend pas directement à l’analyse sans avoir d’abord dit l’effroi, la stupeur et l’abomination. Le minimum syndical de la compassion ne fait pas l’affaire, et on ne s’en tire pas avec (...) Lire la suite »
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Leur société et la nôtre

Frederic LORDON
« Évidemment ils se sont goinfrés comme des porcs ». « Ils », McKinsey. Le propos est « entendu de la bouche d’un homme au cœur du système ». On ne sait pas qui est l’homme. Mais on sait qui rapporte ses propos. C’est Jean-Dominique Merchet, éditorialiste bizarre, entendre : reconnu par la corporation « éditorialiste » quoique faisant souvent écart à sa ligne d’uniforme imbécillité. Ici la qualité du rapporteur rend plus difficile d’évacuer pour complotisme la véracité du propos rapporté — comme le ferait le premier Gilles Le Gendre venu ou le spécialiste du complotisme de France Inter. On tiendra donc pour raisonnablement assuré que : oui, comme des porcs. On le tiendra d’autant plus que la porcherie McKinsey n’est en fait qu’une réalisation particulière de la porcherie générale qui a pour nom présentable « capitalisme néolibéral ». Le capitalisme néolibéral est cette forme d’organisation de la société qui a pour effet de la mettre entièrement à disposition de la jouissance d’une poignée de porcs — rassemblés sous (...) Lire la suite »

France Inter comme les autres

Frederic LORDON
Le problème n’est pas, n’a jamais été les « 1 % ». Au reste si vraiment on voulait cerner la grande richesse qui fait les oligarchies, il faudrait plutôt aller chercher du côté des 0,01 % voire des 0,001 %. Non, le problème — le verrou politique — ce sont les 10 %. Les 10 % qui, ne souffrant de rien, sans être richissimes, « y » croient dur comme fer. Adhèrent à tous les énoncés de l’hégémonie, les répandent comme évidences autour d’eux, s’interloquent qu’on ne les partage pas. Une sociologie plus polémique que scientifique des 10 % dirait : c’est la classe nuisible — tout en postures, à célébrer au nom d’abstractions avantageuses (la mondialisation contre le repli, l’Europe contre les nationalismes, l’ouverture contre la fermeture) des transformations qui détruisent les autres classes. Une économie politique sérieuse (celle de Bruno Amable et Stefano Palombarini) dirait : c’est le bloc bourgeois. Une vue littéraire (celle de Sandra Lucbert) : c’est le PFLB — le PourFaireLeBourgeois. Et en effet, synthétiquement : (...) Lire la suite »
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« Les connards qui nous gouvernent »

Frederic LORDON
Bien sûr ça n’est pas moi qui le dis — ça non. C’est Claude Askolovitch. Plus exactement, Claude Askolovitch rapporte les propos d’un « ami pneumologue ». En même temps, on sent qu’il les endosse un peu. Ça n’est pas exactement lui qui le dit mais un peu comme si quand même. En tout cas, tous les papiers de la respectabilité sont dûment tamponnés : un journaliste de France Inter et d’Arte, on pourra difficilement plus en règle. Et donc tout d’un coup, sans crier gare, le voilà qui parle, ou laisse parler, de nos gouvernants comme de « connards ». On se demande ce qui l’a piqué — en même temps il faut admettre : quand une vidéo appelée à demeurer dans la mémoire collective montre Agnès Buzyn, ci-devant ministre de la santé, déclarer fin janvier qu’évidemment le virus restera à Wuhan et qu’il n’y a aucune chance que nous en voyions jamais la couleur ; quand, jusqu’au 12 mars après-midi, le ministre Blanquer assène qu’il n’y a aucune raison de fermer les écoles (moi aussi, comme Claude Askolovitch, j’ai un ami : dans (...) Lire la suite »
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Il est allé trop loin, il doit partir

Frederic LORDON
La vidéo tournée d’un immeuble en hauteur plonge sur une cour de récréation du 19e arrondissement d’où monte un grand cri scandé : « Macron démission ! Macron démission ! ». Ce pouvoir est devenu l’objet du lazzi des enfants. Normalement un régime qui en est là ne connaît plus qu’une forme ou une autre de sursis. On ne spéculera pas plus que ça sur le sens politique des petits. Davantage sur le degré auquel le pays est imprégné de la détestation du monarque pour que les mioches en aient capté quelque chose. En tout cas, les petites éponges de cour de récré ne se trompent pas : il est haï. Et pour des raisons écrasantes, incontestables, dont la gravité ne cesse d’ailleurs de croître. Dans la série graduée des actes par lesquels un souverain en vient à perdre sa légitimité, le point maximal est atteint quand il prend le parti de constituer sa population en ennemie, et par conséquent de lui faire la guerre. Nous en sommes là, littéralement. Déployer des blindés en ville, équiper les forces de police de fusils à pompe, (...) Lire la suite »

Fin de monde ?

Frederic LORDON
La chute d’un ordre de domination se reconnaît à la stupéfaction qui se lit sur les visages de ses desservants. Samedi, le spectacle n’était pas seulement dans la rue. Il était, et il dure toujours depuis, sur les faces ahuries de BFM, de CNews, de France 2, et d’à peu près tous les médias audiovisuels, frappées d’incompréhension radicale. Que la stupidité ait à voir avec la stupéfaction, c’est l’étymologie même qui le dit. Les voilà rendues au point d’indistinction, et leur spectacle commun se donne comme cette sorte particulière d’« information » : en continu. Comme l’esprit se rend préférentiellement aux idées qui font sa satisfaction et là où il trouve du confort, les trompettistes du « nouveau monde » et du « macronisme révolutionnaire », sans faire l’économie d’une contradiction, retournent invariablement à l’écurie de leurs vieilles catégories, les catégories du vieux monde puisque c’est celui-là qui a fait leur situation, leurs émoluments et leur magistère (lire « Macron, le spasme du système »). Et les voilà (...) Lire la suite »
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Dire ensemble la condition des classes populaires et des migrants (1)

Frederic LORDON

Nous tentons, autant qu’il est possible, d’éviter les entretiens liés à la parution d’un livre. Frédéric Lordon est de retour en librairie ; de ce nouveau livre, il ne sera donc pas question. C’est que nous avions à l’esprit de revenir à ses côtés sur deux décennies de parutions et d’interventions dans l’espace public.
Ballast.

L’économiste régulationniste — spécialiste des crises financières, des manœuvres boursières et de l’euro — est devenu philosophe spinoziste, et ce dernier s’est imposé comme l’une des figures de l’anticapitalisme hexagonal. On se souvient, au printemps 2016, de son appel à soutenir, en pleine contestation de la loi El Khomri et des mobilisations de Nuit debout, le blocage du pays tout entier par la grève générale : « On ne tient pas éternellement une société avec BFM, de la flicaille et du Lexomil ! » Mais s’il ne sera pas question de son dernier-né, l’actualité n’en est pas moins venue bousculer notre entreprise : un texte de sa plume paru le 17 octobre 2018 sur les blogs du Monde diplomatique, titré « Appel sans suite : migrants et salariés », a suscité au sein d’une partie de la gauche radicale une désapprobation souvent vive. Lordon y tançait le « Manifeste pour l’accueil des migrants » porté par Mediapart, Regards et Politis, tenu à ses yeux pour pure inconséquence politique. Retour, en guise de premier (...) Lire la suite »
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Benalla et l’arc d’extrême droite

Frederic LORDON
L’affaire Benalla, c’est la police qui en parle le mieux. « Nous avons le sentiment que d’une affaire Benalla, on est en train de faire une affaire de police (1) », déclare un syndicaliste policier. Précisément. Et d’ajouter dans un éclair de lucidité dévastatrice : « Ce n’est pas ça la police. Il a ruiné notre image. » Bien sûr, avant d’être dévastatrice, cette lucidité est paradoxale puisqu’elle prend la forme retournée de la dénégation, ce tour du psychisme qui fait dire la vérité mais en énonçant le contraire de la vérité. En lieu et place de « ça n’est pas ça la police » et « il a ruiné notre image », le lecteur attentif aura évidemment rectifié de lui-même pour entendre « la police, c’est tout à fait ça (si ça n’est pas bien pire) » et « il a mis en pleine lumière ce que nous sommes ». La mise au débat public des manières réelles de la police via les méfaits d’un séide de seconde zone fait irrésistiblement penser à Al Capone, tombé pour fraude fiscale. Hegel appelait « ruse de la raison » cette manière particulière (...) Lire la suite »
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Ordonnances SNCF : l’occasion

Frederic LORDON
Si ceux qui ont quelque responsabilité dans la « conduite » des mobilisations qui s’annoncent ne comprennent pas que le mouvement ne doit pas être « le mouvement des cheminots » ou le « mouvement contre les ordonnances SNCF », alors le mouvement échouera – une fois de plus. Que le mouvement doive aussi être cela – mouvement des et pour les cheminots –, la chose est tellement évidente qu’elle devrait aller sans dire. Mais si le mouvement n’est que cela, il est perdu d’avance. Contre l’offensive générale, le débordement général C’est que, comme on disait jadis, toutes les conditions objectives sont réunies pour que le mouvement déborde de partout – quand, précisément, tout l’enjeu est de le faire déborder. Rarement si grand nombre de secteurs de la société sont arrivés ensemble à un tel point d’épuisement, d’exaspération même, ni n’ont été maltraités avec une telle brutalité par un gouvernement qui, en effet, a décrété l’« offensive générale » (1). C’est bien simple : ça craque d’absolument partout. Ehpad, hôpitaux, (...) Lire la suite »
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Politique post-vérité ou journalisme post-politique ?

Frederic LORDON

Un système qui, le lendemain de l’élection de Donald Trump, fait commenter l’événement par Christine Ockrent – sur France Culture… – et le surlendemain par BHL interviewé par Aphatie, n’est pas seulement aussi absurde qu’un problème qui voudrait donner des solutions : c’est un système mort.

On ne s’étonnera pas que le thème des morts-vivants connaisse un tel regain d’intérêt dans les séries ou dans les films : c’est l’époque qui se représente en eux, et c’est peut-être bien le sentiment confus de cette époque, à la fois déjà morte et encore vivante, qui travaille secrètement les sensibilités pour leur faire apparaître le zombie comme le personnage le plus parlant du moment. Les morts-vivants On objectera sans doute que les morts-vivants sont plutôt des trépassés qui reviennent, alors qu’en l’occurrence l’époque, si toute vie s’en est retirée, n’en finit pas de mourir. Institutions politiques, partis en général, parti socialiste en particulier, médias, c’est tout le système de la conduite autorisée des opinions qui a été comme passé à la bombe à neutrons : évidement radical au-dedans, ou plutôt chairs fondues en marmelade indifférenciée, seuls les murs restent debout, par un pur effet d’inertie matérielle. Au vrai, ça fait très longtemps que la décomposition est en marche, mais c’est que nous avons affaire (...) Lire la suite »
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