Marie-àˆve Malouines. Nicolas Sarkozy, le pouvoir et la peur

Ce livre ne répond pas pleinement à l’attente qu’il suscitait, surtout si le lecteur s’est laissé attirer par l’étonnante photo de couverture. On y voit un Sarkozy mince, arborant un demi-sourire satisfait, dans une tenue à la fois décontractée et stricte, trônant sur un fauteuil XIXe siècle au beau milieu du salon d’apparat de ce que l’on imagine être l’hôtel de ville de Neuilly. L’édile est en effet ceint de son écharpe de maire. Il vient de terrasser Pasqua. Pense-t-il que le monde est à lui ?

Alors, se dit-on, on va enfin savoir pour quoi Sarkozy a peur, et de quoi il a peur, dans l’exercice de son pouvoir. Pendant 230 pages, l’auteur va tourner autour du problème sans jamais donner de vraies réponses. Il aurait fallu être autrement armé, psychologiquement parlant, pour s’élever au-dessus d’évidences rencontrées à satiété dans les médias depuis trois au quatre ans, pour atteindre le coeur du personnage de Sarkozy. Une forte analyse politique (« le pouvoir ») était nécessaire pour expliquer pourquoi cet homme a décidé de défendre, de favoriser outrageusement les riches, ainsi qu’une analyse très fine de sa personnalité (« la peur ») pour expliquer comment et pourquoi ce dirigeant - ministre puis président - inflige sa névrose au peuple français, mais aussi aux dirigeants du monde. Nous ne sommes pas au niveau du Dernier mort de François Mitterrand de Raphaëlle Bacqué, consacré à François de Grossouvre. L’incapacité de Marie-àˆve Malouines à aller à la racine des choses est due à une limite qu’elle partage avec son sujet d’études : elle ne trouve jamais la bonne distance. Comme quand notre kleiner Mann invective un travailleur : « Descend d’là si t’es un homme ! », ou quand il donne une petite tape dans le dos de la Reine d’Angleterre, ce que même Charles, le fils aîné, ne se permet pas. Peut-être parce qu’elle a trop fréquenté le milieu politique, M-E Malouines se retrouve dans la position de la phalène attirée et éblouie par la première lumière qui troue l’obscurité.

On n’oubliera pas, cela dit, de rappeler que Malouines a récemment refusé une Légion d’honneur qu’elle n’avait pas sollicitée, preuve de son indépendance d’esprit et de son courage : il faut en effet une certaine témérité, en Sarkozie, pour résister de la sorte.

Mais ce problème de distance l’amène par exemple à qualifier de manière lapidaire (il ne faut jamais écrire trop vite) Henri Guaino, de « bouillant républicain ». Une expression simplificatrice qui ne veut strictement rien dire : en quoi ce conseiller de l’Élysée serait-il plus républicain que n’importe quel Français moyen ? Non ! Après avoir raté l’ENA, Guaino a nagé entre diverses eaux : cadre de banque, fonctionnaire du ministère des Finances, proche de Chirac, employé par Jean-Marie Messier, cadre du groupe suisse Louis Dreyfus, proche de Séguin puis de Pasqua, et enfin de Sarkozy. Soixante ans après les indépendances africaines, il justifia la colonisation par un argument médiocre et tellement sarkozyen : « On a construit des ponts, pas vrai ? » Guaino est un ambitieux comme tous ces hommes et femmes qui ont choisi l’influence plus que le pouvoir. Il a su glisser de la « fracture sociale » au service des milliardaires du CAC 40. Sans état d’âme. Face au chômage, nous dit l’auteur, Sarkozy tient aux Français un langage de vérité. Non ! Il tient le langage que l’hyperbourgeoisie lui demande de tenir, ce qui consiste, par exemple, à justifier, jusqu’à ce que mort s’ensuive, la logique du bouclier fiscal. Autre remarque franchement grotesque : « Experte dans l’art de la séduction médiatique, Carla est parvenue à séduire la très sourcilleuse cour d’Angleterre en s’enfermant dans un tailleur gris recouvrant pudiquement ses fins genoux ». Qu’en sait Marie-àˆve Malouines ? Se représente-t-elle que la reine a rencontré (d’Einstein à De Gaulle, en passant par Nehru, les Beatles ou Gordon Pirie) TOUS les grands de ce monde depuis soixante-dix ans, et imaginer qu’elle puisse être impressionnée par la fausse pudeur d’un tailleur gris, c’est prendre sa majesté pour une gogole qui n’aurait pas dépassé le niveau de Point de Vue et Images du Monde. Dans un registre plus politique, Malouines nous dit que Sarkozy a été élu pour « bousculer les conservatismes ». Bel exemple d’expression dont use la classe dominante. Dans l’optique de l’hyperbourgeoisie, bousculer les conservatismes, c’est être plus conservateur que ne l’a été la droite depuis soixante ans. C’est, en matière économique et financière, utiliser les recettes des Chicago Boys. Une « ambitieuse réforme fiscale », revient à faire payer aux classes moyennes les cadeaux d’impôts fait aux classes supérieures. « Refondre le système de l’Éducation nationale » (expression bizarre : l’Éducation nationale aurait un " système " ), c’est privatiser à fond, instituer une école à deux vitesses et sortir le "système " de la Fonction publique. « Remettre à plat le marché du travail », c’est donner tous les pouvoirs aux patrons, détruire ce qu’il restait de pratiques démocratiques dans l’entreprise et faire d’un maximum de travailleurs des employés précaires. Ce, avec la complicité, comme l’a bien vu l’auteur, des hiérarchies syndicales, promus au rang d’interlocutrices privilégiées car « elles organisent et canalisent le mouvement social ». Quant à « repenser les finances publiques », cela consiste tout simplement à leur imposer les critères des finances privées.

En tant qu’être privé, Sarkozy, comme disait Sartre, vaut tous les hommes. Ses angoisses, ses points névrotiques sont aussi respectables que ceux du commun des mortels. Que, comme Proust, notre kleiner Mann ait réclamé un baiser à sa mère, le soir, pour être rassuré, pour compenser l’éloignement du père, n’est pas inintéressant. Cela n’en fait pas, pour autant, un « bâtard », comme il le prétend, ni un « déclassé », comme l’analyse Malouines. Pas de prolos chez les Sarko. Le petit Nicolas a beau être « fier de sa différence », elle ne le promeut pas, a priori, au rang de grand homme. Ni même d’exemple.

Dans l’histoire de la République, Sarkozy restera à jamais comme le Président qui aura imposé les critères les plus vulgaires des milieux d’affaires : un journaliste pris en otage, ça coûte cher ; mais pas une Liliane Bettencourt. Un artiste novateur et inconnu ne vaut rien, tandis que la famille du défunt sculpteur César mérite tous les égards. Sans tabou.

Est-ce par angoisse que Sarkozy, comme l’observe à bon escient l’auteur, ouvre quantité de chantiers en même temps, « pour diluer les critiques dans un brouhaha de polémiques » ? Est-ce par angoisse qu’il empile des lois sécuritaires identiques, partant du fait que « l’opinion a la mémoire courte, et prend pour une nouveauté ce qui n’est que redite ? » La réponse à ces questions déçoit car, justement, l’auteur ne dialectise pas le contenu du pouvoir et la peur qu’éprouve Sarkozy face au pouvoir et, surtout, face à lui-même.

Pour Marie-àˆve Malouines, Sarkozy serait désormais « apaisé ». Allons donc ! Après une psychanalyse d’une quinzaine d’années, on pourrait peut-être en reparler. Pour l’instant, contrairement à ce qu’elle affirme, Sarkozy n’exerce pas le pouvoir avec la distance et la hauteur qui conviennent. En témoigne son discours vichyste contre les Roms. Sa nature profonde, son rapport à l’Autre relèvent toujours du « Casse toi, pauv’con ! »

Bernar GENSANE

Paris, Stock, 2010

COMMENTAIRES  

19/09/2010 05:16 par Anonyme

Franchement, les pbs psy de Sarko, je m’en tape ! Sauf si c’est pour nous indiquer quelque astuce pour le faire dégager... ce qui ne semble pas être le cas du bouquin, et qui n’est pas non plus celui de cet article.

19/09/2010 08:40 par argeles39

Un bouquin qui ne présente pas, à l’évidence, un grand intérêt, car l’indigence morale du personnage s’est largement illustrée. Dès l’entame du quinquennat, quand on la vu débarquer du yacht Bolloré, la messe était dite pour ceux qui avaient encore un doute......

19/09/2010 10:28 par legrandsoir

Sauf si c’est pour nous indiquer quelque astuce pour le faire dégager...

Astuces connues : mobilisation, engagement, organisation, élection... Option : révolution (plus compliquée, mais soyons raisonnables, demandons l’impossible).

28/09/2010 09:37 par MEve Malouines

J’ai lu votre critique avec beaucoup d’intérêt, et vous laisse libre de vos commentaires.
Je conteste simplement deux points. Non, je ne suis pas une phalène éblouie par la lumière. Pour qui me connait, la phrase est totalement inadéquate. Votre argumentation prouve une chose : j’ai atteint le but que je recherchais, c’est à dire ouvrir et alimenter la réflexion, sans asséner ma vérité au lecteur, mais en lui donnant des éléments pour construire la sienne. Ce que vous faites fort librement.
Seconde remarque : il me semble que vous n’avez pas lu TOUT le livre. Vous vous êtes précipité un peu vite sur le dernier chapitre, qui n’est pas LA conclusion du livre. Car il y en a deux. La lecture du chapitre précédent sur l’autocrate aurait sans doute mieux correspondu à vos attentes.
Bien à vous
MEM

28/09/2010 12:54 par Bernard Gensane

Je sais que, par manque de temps, de nombreux journalistes ne lisent pas en totalité les livres qu’ils commentent. Je ne suis pas journaliste, mais universitaire. Ce qui signifie d’abord que, contrairement à vous et à vos collègue, j’achète les livres que je lis. De plus, le fait d’être à la retraite me permet de prendre mon temps pour lire, et pour écrire. Sur mon blog, la recension de votre ouvrage porte le n° 60 (le n° 61 est celle du livre des Charlot-Pinçon).

J’ai lu votre ouvrage de la première à la dernière ligne. Répondre à des critiques par un procès d’intention ne peut pas vous mener bien loin.

J’avoue que si j’ai acheté votre livre, c’est pour le deuxième mot du sous-titre (« la peur »). Contrairement à beaucoup de gens de gauche, je pense qu’il ne faut rien écarter, et que la personnalité morale ou psychologique des gens qui nous gouvernent importe, tout en n’étant pas déterminante. Mais même dans ce registre, vous ne fendez pas l’armure : j’ai entendu des psychologues ou des psychanalystes aller beaucoup plus loin que vous face au " cas " Sarkozy.
Est-ce parce que je suis un ancien professeur de langues et de littérature, ce qui m’intéresse d’abord dans l’actualité politique, ce sont les problèmes de discours. Et là , je persiste à penser que vous êtes piégée, de par votre proximité physique et intellectuelle avec la sphère qui vous occupe. Une des raisons pour lesquelles Sarkozy a gagné l’élection présidentielle de 2007, c’est qu’il a non seulement imposé ses thèmes, donc ses mots, mais qu’il a surtout prescrit le sens qu’il fallait donner à ces mots. D’où, on l’a compris, mon long développement sur la manière dont vous avez qualifié Guaino. Vous reprenez le discours sarkozyen, ce que sa bande appelle désormais des « éléments » de langage sans distance critique, at face value, comme disent les Anglais. « Bousculer les conservatismes » (p. 183) ? Fidel Castro l’a fait. Salazar et Pinochet aussi, mais pas dans le même sens. Il y a une bonne trentaine d’années, mes collègues universitaires juristes avaient été amenés à débattre de manière plutôt vigoureuse par rapport aux « réformes » (déjà ), impulsées par la droite sur des problèmes sécuritaires, des problèmes de responsabilité collective (déjà ). C’était l’époque Marcellin, Bonnet, Poniatowski. Les juristes qui résistaient à ces dérives, et que l’on pouvait rencontrer dans les réunions d’Amnesty International, étaient qualifiés et se qualifiaient de « conservateurs », au sens où ils voulaient « conserver » les grandes valeurs républicaines sous-tendant les droits de la personne humaine. Le sens d’un mot n’est jamais arbitraire. Du début jusqu’à la fin de votre ouvrage, il n’y a pas une ligne où vous ne vous installiez dans la tonalité, dans la logique, dans l’essence du discours de l’avocat d’affaires de Neuilly. Comme quand vous évoquez dans le même paragraphe (p. 226) « la part de nostalgie qui est en lui » et « l’assistanat prôné par la gauche », selon ses conseillers. Constamment, vous parlez la langue de l’Autre.

En tant qu’ancien fonctionnaire, je suis particulièrement sensible au saccage de la fonction publique par Sarkozy (ce que vous appelez « de grandes réformes de structures », parce que ce sont ses mots), un grand oeuvre commencé par Chirac, Raffarin, Villepin etc. S’il fait cela, ce n’est pas parce que, jeune homme, il a supplié son ami Hortefeux de l’accompagner à New York car il avait une sainte trouille de cette grande ville inconnue, avec son cosmopolitisme si inquiétant vu de Neuilly, ses flics surarmés qui vous plaquent sur le capot d’une voiture pour un rien. Il a parachevé cette entreprise parce que lui et ceux qui l’entourent sont les délégués du CAC 40 au sommet de l’État. Pour rapide qu’elle soit, cette présentation des faits n’est malheureusement pas caricaturale.

Je prends acte que vous n’êtes pas une phalène et vous adresse mes meilleures salutations.

BG

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