Réponse ouverte à la Convocation à l’AG de la section jeune d’un parti politique

L’état de minorité des politiciens et de l’intérêt politique parmi les jeunes et les moins jeunes

Luca V.B.

Aider quelqu’un, c’est l’aider à ne pas avoir besoin de vous.

Bonjour, il y a maintenant pas mal de temps que je suis dans votre parti, mais – je dois l’avouer – je ne suis encore jamais venu. Cela dit, je lis vos PV et autres documents, mais bizarrement plus je les lis moins j’ai envie de venir ; quand bien même – assurez-vous – je partage vos idéaux de base. Bref, je souhaite partager avec vous les raisons de ma désertion, car – cela ne fait aucun doute chez moi – nous sommes la nouvelle génération et c’est à nous que reviennent le pouvoir sinon le devoir d’échapper à la logique marchande qui nous menace tous. En outre, sans vouloir pour autant donner trop de valeur à mon message, je souhaite souligner que ma désertion fait écho à la désertion de milliers de jeunes et de personnes moins jeunes. Or, je ne me permettrais pas d’être leur porte-parole ; cela dit, je vous fais part d’un point de vue qui, je pense, est partagé par une grande frange de la population qui ne se retrouve plus dans la politique qu’on lui propose, mais surtout, en dernière analyse, qu’on lui impose. Or, je le souligne, selon moi, la politique devrait être un médium collectif pour tous les citoyens qui vivent ensemble. Cela n’est pas le cas, il y a donc un problème que je veux absolument traiter ici. Voilà, pour le dire, la première raison de mon message.

D’abord, je dois dire que votre conception de la politique – qui est parfaitement en adéquation avec le discours dominant et ordinaire de ce que doit être la politique aujourd’hui – me laisse tout à fait froid. Mon message a, par conséquent, pour unique prétention que de donner un nouvel élan à l’exercice de la politique et à la réinvention de la démocratie. En ce sens, évidemment, je suis prêt à faire partie d’un groupe qui se donnerait comme objectif cette réinvention. Maintenant, pour reprendre les propos de Michael Sandel dans son article La marchandisation de la société paru dans Le Temps du 8 janvier 2015 (journal suisse romand), j’ai envie de dire qu’en lisant vos différents ordres du jour et PV, j’ai d’abord l’impression – qu’exactement comme le demande la logique actuelle et comme tous les autres partis conventionnels – vous évitez les questions de fond, c’est-à-dire les « débats sur les valeurs, les grandes questions éthiques et le concept de citoyenneté ». En effet, il me semble que vous restez fixés sur des épiphénomènes d’actualité. À côté de cela, vous êtes encore complètement englués dans l’esprit de compétition propre à l’idée d’élection et de représentant. Ainsi, les réunions qui peuvent aboutir à la plus-value de la ligne du parti ou d’un représentant élu ou en voie d’élection sont organisées tandis que celles qui n’aboutissent qu’à la réflexion et aux véritablement changements de fond sont évincées du programme. Or, je pense deviner que si vous évitez ces questions de fond – qui peuvent apparaître, il est vrai, abstraites et métaphysiques – c’est parce que nous vivons dans des sociétés pluralistes, mais surtout matérialistes. Alors, prendre ces questions signifierait entrer dans des confrontations découlant « de convictions morales et éthiques divergentes ». A plus forte raison, chacun de nous a son opinion sur ce type de question. C’est ce qu’on peut nommer « l’individualisme ».

Alors, puisque nous n’arrivons pas à prendre ces questions, « nous nous tournons vers les mécanismes du marché » – qui, soyons-en sûrs, sont tout sauf neutres. Mais qu’ils ne soient pas neutres, j’espère que nous le savons. Le problème avec ces questions, c’est – encore une fois – que nous pensons que nous ne pouvons rien faire avec. C’est vrai, finalement, cette réflexion nous conduit à nous demander : qui sommes-nous ? Quel est notre pouvoir effectif en tant que peuple au sein des gouvernements se voulant ’démocratiques’ ? Nous avons certes la possibilité d’élire nos représentants et de répondre à des questions fermées (je prendrai le thème de l’initiative et du référendum plus tard), mais est-ce vraiment ça le pouvoir ?! Et si on ose répondre négativement à cette dernière question, est-ce qu’on ose demander : Si nous n’avons pas le pouvoir, alors à quoi servent nos partis sinon à tantôt nous duper encore plus dans un pouvoir qu’on n’a finalement pas, tantôt à offrir des pistes de lancement pour des individus en manque d’autorité et de paraître ?

En d’autres termes, est-ce qu’il n’y a pas surtout dans l’idée même de parti, une stratégie détournée pour mettre en avant des intérêts particuliers sous des allures de service au bien public ? Au demeurant, on le remarque bien et il faudra cesser de croire le citoyen naïf sur ce point : les partis s’affichent principalement lors d’élection et de votation. Ainsi, pour avoir été moi-même membre d’un parti, je sais que le moment crucial, c’est la période électorale et non pas tant la mobilisation lors d’initiative citoyenne. C’est à ce moment crucial que l’essence du parti se montre dans toute sa vérité : le culte de la personnalité. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’histoire : le triomphe du parti signifie le triomphe de la pensée unique.

Donc pour conclure, je veux mettre en avant deux dernières évidences, et ce, dans le but de mettre en route une réappropriation du politique par le citoyen :

- Les citoyens n’ont pas le temps de s’occuper de politique, car ils doivent gagner leur vie. Or, la politique ne gagne pas leur vie à leur place. C’est la règle du chacun pour soi qui prévaut partout. Ce statu quo profite à la démocratie représentative qui limite ainsi l’accès à la politique aux meilleurs démagogues ;

- Conséquemment, les citoyens sont fatigués du spectacle que donnent les politiciens, les partis politiques et, donc, les gouvernements.

Luca V. B.

Doctorant en philosophie politique et sciences sociales

COMMENTAIRES  

15/03/2015 19:19 par Dwaabala

Le Parti politique a un statut et un programme, qui sont discutés et ajustés lors du Congrès et de sa préparation.
Entre deux Congrès il y a la lutte pratique immédiate, qui passe par les batailles électorales destinées à faire élire les représentants les mieux à même d’orienter la politique générale ou locale, c’est selon, dans le sens défini plus haut.
Tout Parti qui se tient a besoin d’un appareil, c’est-à-dire de professionnels qui assurent sa permanence, car le militant se trouve dans la même situation que « Les citoyens [qui] n’ont pas le temps de s’occuper de politique [à temps plein], car ils doivent gagner leur vie » de même que les citoyens ont besoin des représentants qu’ils élisent.
Le caractère inévitable du Parti se confirme dans les situations et les pays où des assemblées citoyennes, où les collectifs de lutte, etc. paraissent briller un moment, mais où ils ne peuvent se survivre qu’en se constituant en Parti.
Il fut une époque pas si lointaine ou certain Parti empêchait le carriérisme de ses élus en percevant la totalité de leurs indemnités, dont ils leur reversait une part correspondant au salaire d’un ouvrier bien payé. Encore aujourd’hui, l’élu au nom de son Parti ne dispose sans doute pas de la totalité de sa rémunération dont il reverse une part : d’où la motivation pour certains scrutins, qui provoquent des brouilles avec les Partis dont les moyens sont réduits et qui ne voient pas l’enjeu de la même manière.
La discipline de Parti est très difficile à vivre pour les intellectuels, parce qu’ils sont sans cesse en peine de faire valoir leur personnalité. Il leur reste à se mettre en marge, à dénigrer les « encartés », et à forger leurs solutions pour l’avenir.

16/03/2015 20:40 par babelouest

Bien dit, Mauris.....

21/04/2015 22:21 par Luca (auteur de l'article)

15/03/2015 à 19:19 par Dwaabala
La discipline de Parti est très difficile à vivre pour les intellectuels, parce qu’ils sont sans cesse en peine de faire valoir leur personnalité. Il leur reste à se mettre en marge, à dénigrer les « encartés », et à forger leurs solutions pour l’avenir.

Je soutiens à 100% ce que tu dis Dwaabala sur ce point. Tu as raison. Tu as surtout raison de souligner le "faire valoir leur personnalité". En effet, voilà exactement ce que je reproche au parti et ce que, en même temps, je conçois être un problème lorsqu’on se permet, comme moi, de le critiquer. Car, effectivement, la posture critique impose un certain individualisme à son auteur. Par la critique, je me singularise et, à cause de cela, je reproduis, même sans le vouloir, la logique que je critique.
Tu sais, d’une certaine manière, je me positionne au côté des "communautaristes", dans le sens où je soutiens une responsabilité collective. Dès lors, dis-moi, comment tenir une posture critique face à ce qui parait être un individualisme grégaire sans pour autant s’individualiser soi-même ? C’est difficile comme question...

Bref, tout cela pour dire que derrière la critique du parti, il y a une autre critique plus profonde qui se trame. Une critique qui prend en compte la logique dans laquelle nous nous trouvons et qui veut que l’on soit des concurrents au lieu d’être des participants. Enfin, la critique est celle de la démocratie représentative et de toute la question de la hiérarchie en société. Qui a le droit et le mérite de me représenter ? Mais surtout, n’est-ce pas un aveux de lâcheté ou de faiblesse que de nommer des gens alors que nous pourrions travailler ensemble à l’organisation civile ? Quant à moi, je refuse de nommer des représentants et j’ai, par conséquent, beaucoup de peine à devoir élire quelqu’un d’autre. En même temps, je refuse que d’autres m’élise, car je ne le mérite pas plus qu’un autre. Chacun est responsable de l’organisation dans laquelle il vit et nul ne devrait se déresponsabilisé au nom de la démocratie.

Je ne vais pas écrire ici un essai à ce propos et je décide de m’arrêter là et de finir par deux citations de J. J. Rousseau issues de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et de son Contrat social :

...Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. /...Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre...

A réfléchir...

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