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Alain Juppé au Conseil Constitutionnel : la Vème République dans tout son éclat

Quel triste sire ! D’ailleurs, l’a-t-on déjà vu rigoler un bon coup ? Il aura été le plus fidèle des Chiraquiens. Normal : comme son modèle, il n’aura cessé de fluctuer, de changer d’avis. Sur le capitalisme, le gaullisme, la place des femmes dans la politique, le mariage pour les homosexuels, l’islam, l’immigration, le Front national. Il a même voté Krivine en 1969, trouvant que Pompidou « manquait de punch ». Il s’est défini comme « catholique agnostique ». Lors de la guerre fratricide Chirac-Balladur, il s’est dit fidèle à Balladur tout en soutenant Chirac (ou l’inverse, quelle importance !). Va comprendre, Charles ! Il ne fut en vérité – contrairement à une proclamation bravache – jamais « droit dans se bottes ». Mais toujours, globalement, de droite, comme le sera son ralliement à Macron après avoir quitté une famille politique qui l’avait accompagné pendant des dizaines d’années.

Il vient d’intégrer le Conseil constitutionnel, nommé par Richard Ferrand, l’une des consciences noires du macronisme. Quoi qu’il en ait, ce Conseil n’est pas, comme il le laisse proclamer, une assemblée de “Sages ”. C’est l’ordonnateur des pratiques politiques de droite, et aujourd’hui le rempart ultime du capitalisme financier et de son idéologie. Normal qu’y jouent aujourd’hui un rôle prépondérant deux socialistes de droite, immenses privatiseurs, fossoyeurs de l’intérêt public : Laurent Fabius et Lionel Jospin. La plupart des membres du Conseil sont d’anciens hauts dirigeants politiques qui ne sauraient renier leurs couleurs quand ils sont nommés vers 60 ou 70 ans. C’est ainsi que lors des nationalisations dans les années 80, le Conseil a nettement penché en faveur des intérêts privés en exigeant de l’État de considérables compensations financières.

Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours. La droite, celle de Macron ou de Wauquier, a pour objectif de donner toujours plus aux favorisés (ah, le CICE cher à Hollande !), de privatiser les services publics, d’affaiblir les protections sociales et les libertés individuelles ou collectives quitte à criminaliser l’action syndicale. Juppé, comme ses nouveaux collègues du Conseil constitutionnel, est là dans son bain préféré.

Nous voici donc avec un repris de justice (mais que faites-vous du droit à l’oubli, ben voyons…) dans la plus haute instance juridique de France. Il y respirera un air plus confiné mais plus serein que celui de sa (sic car Juppé est landais et non bordelais) bonne ville de Bordeaux où les Gilets jaunes ont semé quelques pagailles inadmissibles pour cet homme d’ordre. Juppé peut être considéré comme l’un des principaux responsables de ces jacqueries, lui qui a accompagné le désengagement de l’État sous Chirac pour privatiser encore et toujours et pour détruire l’État-Providence. Comme Chirac, Juppé se rallia aux idéologues d’extrême droite du type Longuet ou Madelin pour donner TF1 au privé et pour mettre en œuvre des réformes des retraites et de la sécurité sociale en opposition avec les principes nés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. On notera qu’au moment précis où il organisait le chargement de la barque pour les retraités, il se dépêchait de prendre la sienne, tout à fait légalement, à 57 ans.

Ministre délégué au Budget auprès d’Édouard Balladur de 1986 à 1988, Juppé organise une baisse drastique de la fiscalité pour les riches, comme la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes, le relèvement du seuil d’exonération de l’impôt sur le revenu et la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 50 à 42% (hé oui, il fut un temps, pas si éloigné que cela à échelle historique, où les sociétés payaient 50% d’impôts sur leurs bénéfices). Dans la foulée, Juppé abolit la taxe sur les frais généraux et adoucit un certain nombre de sanctions fiscales : la durée des vérifications par l’administration est réduite et la charge de la preuve n’incombe plus aux contribuables. Tout cela pour « donner du pouvoir d’achat aux ménages », on l’aura deviné.

Lorsque, de 1995 à 1997, Juppé dirige deux gouvernements, il fait d’abord djeuns, moderne. Il nomme douze femmes dans son gouvernement, que les médias, toujours férus de raccourcis accrocheurs et sexistes appelleront les « Jupettes » (La presse nomma également “ jupette ” le dispositif de prime à la casse mis en place par le gouvernement). Il profite d’un remaniement pour en virer huit après six mois d’exercice.

En 1995, le “ Plan Juppé ” de réforme (sic) de la sécurité sociale prévoit, entre autres, un allongement de la durée de cotisation de 37,5 annuités à 40 pour les salariés de la fonction publique, des sanctions contre les médecins trop prescripteurs, une diminution des médicaments remboursables et l’imposition des allocations familiales versées aux familles avec enfants les plus démunies, une augmentation des cotisations maladie pour les chômeurs. Il s’agit de respecter les critères de Maastricht. Mais oui, bien sûr ! Ce plan suscite une mobilisation exceptionnelle malgré le soutien de la CFDT. Des grèves dures le font céder sur l’extension des mesures décidées par Balladur en 1993 concernant l’alignement des régimes publics sur le secteur privé.

Avant Jospin, Juppé sera un grand privatiseur : Péchiney, Usinor, la Banque française du commerce extérieur, la Compagnie générale maritime, les Assurances générales de France. Ces bijoux de famille sont vendus pour 40 milliards de francs. Mais l’envol du bel échassier landais va être plombé par quelques scandales typiques de la Chiraquie. En janvier 1993, Juppé, premier ministre, donne l’ordre aux services du logement de la ville de Paris de diminuer de 1 000 francs le loyer de son fils, logé dans un appartement de la ville. Il fait par ailleurs réaliser dans cet appartement pour près de 400 000 francs de travaux. Bien que le délit d’ingérence soit constitué, la Justice ne poursuit pas. Lui-même était devenu locataire, pour un loyer très bas, d’un appartement de 189 m2 rue Jacob. Il avait fait réaliser, aux frais des contribuables, des travaux pour un million de francs. Suite au ramdam occasionné par ces magouilles, et bien que « droit dans ses bottes », il eût quitté le logement. Une plainte avait été déposée par Arnaud Montebourg et une association de contribuables. Le procureur de la République avait considéré que le délit de prise illégale d’intérêts était établi mais le procureur général près la cour d’appel, Jean-François Burgelin, magistrat marqué nettement à droite qui voudra plus tard supprimer les juges d’instruction, affirma que l’infraction n’était pas constituée.

Le futur “ Sage ” n’en resta pas là. En 1999, il est mis en examen pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, et prise illégale d’intérêt » pour des faits commis en tant que secrétaire général du RPR et maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995. La Justice le considère comme la cheville ouvrière d’un système de financement d’emplois au sein du RPR financés par la ville de Paris. Le 30 janvier 2004, Juppé est condamné par le tribunal de Nanterre à 18 mois de prison avec sursis et dix ans d’inéligibilité, ce qui n’est pas rien. La présidente du tribunal exige l’inscription de cette condamnation à son casier judiciaire. Un appel immédiat suspend l’application de la peine. Plus clémente, la cour d’appel de Versailles réduit la condamnation à 14 mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité alors que le parquet avait préconisé deux ans. Pour ce faire (Wikipédia), la cour d’appel : « déroge à une loi votée en 1995 par la majorité RPR-UDF ayant conduit à une lourde condamnation d’Alain Juppé en première instance : de façon inédite, la cour d’appel n’applique pas cette automaticité légale et fixe elle-même la durée de l’inéligibilité en faisant usage de l’article 432-17 du code pénal relatif aux peines complémentaires. Elle indique notamment : « Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au Parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés. Toutefois, M. Juppé s’est consacré pendant de nombreuses années au service de l’État, n’a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions commises au bénéfice de l’ensemble des membres de son parti, dont il ne doit pas être le bouc émissaire. »

Mais Alain Juppé se sent indispensable, partout et tout le temps. En 2005, il tente d’occuper un poste à l’université du Québec à Montréal, comme l’avait fait avant lui Philippe Séguin. Le personnel et les étudiants s’y opposent. Il parvient néanmoins à intégrer pour un an l’École nationale d’administration publique de la ville malgré l’opposition de 34 professeurs d’université du Québec et d’Ottawa qui, s’étonnant que l’on puisse recruter un homme politique condamné à une peine de prison, avaient publié une lettre ouverte dans Le Devoir : “ Quand l’éthique fout le camp ”.

On dira, à juste titre, que Juppé a beaucoup fait pour la ville de Bordeaux. Mais avec la nomination au Conseil constitutionnel, nous ne sommes pas dans le domaine de la voirie et des ravalements de façade. Nous sommes dans celui des grands principes, de l’éthique, comme disaient les Canadiens.

Cette nomination est un geste particulièrement habile : Juppé est le débiteur du banquier éborgneur qui l’a absout.

COMMENTAIRES  

03/04/2019 23:04 par Christian Delarue

Arrivé à bientôt 64 ans, je pense présenter ma candidature au Conseil Constitutionnel. J’ai bossé jadis sur le sujet et j’ai oublié un peu mais avec qlq révisions cela devrait être bon. Ce qui bloque est ceci : Je ne sais à qui présenter cette candidature ! Les frais de trains et d’hôtels sont couverts par les revenus de présence je présume. Je ne suis pas informé de ces détails matériels.

04/04/2019 06:54 par Bernard Gensane

Leur salaire est de 6338 euros brut. Le président touche 6950. Cumulable avec les divers émoluments touchés par ailleurs.

04/04/2019 10:09 par J.J.

Plus clémente, la cour d’appel de Versailles le fut pour Juppé, certainement moins pour les Fédérés de 1870 qui eurent le malheur d’y être jugés.

04/04/2019 10:18 par Assimbonanga

Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours. Bernard Gensane, allons ! Vous le savez que c’est pas ça ! C’est juste que le mot "gauche" a été tellement trahi qu’on ne sait plus si on fait référence à une idéologie ou à un groupe politique ayant usurpé le terme. Bien sûr que les forces en présence continuent d’être nettement antagonistes, quelques mots qu’on y mette dessus !
Bernard Gensane, pas vous ! Ou alors, c’est le poisson d’avril offert ?

04/04/2019 10:48 par robess73

excellent article .mais pourquoi gensane ne peut s empecher de tacler melenchon ??il n a jamais dit que l opposition droite gauche n existait plus.il a juste dit que le ps ne representait plus la gauche.nuance.merci de rectifier.

04/04/2019 13:26 par irae

Un condamné au conseil constit, bravo la crédibilité de la France en matière de droit. Morale de cette histoire, 1) les canadiens qui ne l’ont même pas voulu comme prof sont plus regardants que nos dirigeants, 2) c’est les loosers incapables et truands qui sont chez nous récompensés, 3) dire qu’on met un pognon de dingue pour former des enarques et qu’ils n’arrivent même pas à se sortir de la c***.

04/04/2019 15:09 par szwed

« Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours. Bigre ! Vous nous aviez pourtant habitués à de plus avisés et pertinents propos M. Gensane. Droite et Gauche (au sens classique ancien) idéologiquement n’est-ce pas là des frères siamois du néolibéralisme (la première tendance ploutocrate, la seconde grande traitresse aux idéaux de Jaurès) ? La droite, celle de Macron , de Le Pen ou de Wauquier, comme "la gauche" bruxelloise et Otanesque revendiquée par Hollande, Hamon, Moscovici, Royal etc..n’ont’elles pas pour objectif de donner toujours plus aux favorisés, de privatiser les services publics et les entreprises d’État ou encore les barrages après les autoroutes, d’affaiblir les protections sociales et les libertés individuelles ou collectives quitte à criminaliser l’action syndicale, les lycéens, les défenseurs du climat et les Gilets Jaunes ?

04/04/2019 18:06 par Louis St O

Mais je pense que Bernard Gensane croit encore que le PS est à gauche.
Je comprend pourquoi Mélenchon ne veut pas que l’on mette dans le même sac la « Gauche » quand il s’agit du PS ou de la FI.

04/04/2019 19:44 par Xiao Pignouf

Tiens tiens, Robess73, le ton péremptoire que tu utilises colle bien aux tacles insultants que toi-même tu sais pratiquer au lieu de débattre quand tu n’es pas d’accord... Le verbe "seriner" te dérange ? Je t’aide : si tu crois que tu as raison (et c’est bien possible) alors demande courtoisement à l’auteur de produire une preuve de ce qu’il avance. Tu verras, ça t’évitera les crampes du pouce.

Bon, moi qui défend souvent JLM, je n’avais pas envie de tirer l’auteur par la manche pour si peu. Trop de mélenchonisme tue le mélenchonisme. Ne sombrons pas dans le flicage dès qu’un mot nous déplaît.

04/04/2019 20:34 par irae

Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours

.
On ne voit pas trop ce JLM vient faire là. L’affirmation est fausse et on se croirait sur un plateau télé où pour n’importe quel sujet même parfois voire souvent éloignés de la politique les experts (en bassesses et soumission au pouvoir) ramènent du Mélenchon pour le critiquer. La championne toute catégorie étant sur 28 minutes la fausse rousse abnouss machinchose dont la rapidité à la redutio ab melenchonum laisse sans voix.

05/04/2019 09:52 par Assimbonanga

Mais quelle mouche a piqué Bernard Gensane d’introduire cette petite phrase dans son texte ? Il a tout fait foirer, basculer, dériver. Tout son texte passe à l’arrière plan. C’est quoi ce binz ? Encore un coup du Kremlin, un sabotache de Poutine, une auto-destruction téléguidée par des forces occultes.

05/04/2019 09:59 par Assimbonanga

Et Sarkozy !
En plus de ses fonctions au Conseil Constitutionnel, il vient d’entrer au Conseil d’administration des Casinos Barrière. Déjà membre du conseil d’administration du groupe Accor Hôtels, l’ancien président va siéger à celui du groupe contrôlant le Fouquet’s, 17 hôtels de luxe et 33 casinos.
Ne pourrait-on pas le virer du Conseil Constitutionnel, du coup ?

05/04/2019 10:57 par Jean Louis

"Contrairement à ce que serine Mélenchon, l’opposition droite-gauche existe toujours" Où avez vous donc vu que Mélenchon renie en quoi que ce soit les idées de gauche et quelles sont ses propositions qui vous semblerait être de droite ??? Il ne fait que constater que le mot gauche a été tellement galvaudé, dévoyé, par les "gouvernements socialistes" ainsi que le beau mot de socialiste. Comment pensez autrement aujourd’hui pour communiquer sur des propositions politiques, vous allez dire que vous êtes de gauche, socialiste ?? Moi non !!!!

05/04/2019 13:09 par cunégonde godot

L’opposition – factice – gauche/droite existe toujours, plus que jamais pourrait-on dire. "Resetée" progressiste/populiste.
Toujours plus factice, mais très utile, elle sert à masquer la convergence européiste, c’est-à-dire de soumission absolue de la "gauche" et de la "droite" au capitalisme financier mondialisé (néo-libéralisme). Cette fumeuse "opposition" détruit la France méthodiquement et sans discontinuer depuis la mort du général de Gaulle.
L’opposition – la vraie : réelle et tragique – peuple/ennemi du peuple existe toujours aussi plus que jamais : dans la rue, le samedi...

05/04/2019 13:43 par irae

Sur le fond, quelques exemples de boulettes d’une institution qui devrait parait-il garantir le respect du droit quelques décisions attestant de sa soumission aux gouvernements, décisions dieudonné et burkini.
Et ça coûte un pognon de dingue.

05/04/2019 14:33 par Autrement

Et voici notre Conseil constitutionnel au grand complet !

05/04/2019 16:06 par Bernard Gensane

Toujours préciser d’où l’on parle. Cela va faire 37 ans que je n’ai pas voté socialiste. C’est dire que je ne me torture pas vraiment les méninges pour savoir si ce parti est de gauche ou non. En revanche, j’ai soutenu et voté Mélenchon et les formations qu’il a présidées ces dernières années. Cela ne m’oblige pas à être un godillot béat et m’amène – surtout depuis la dernière élection présidentielle – à me poser des questions.

Au commencement étaient les mots. Les mots dits et les mots tus, ou en creux. Prenons l’appellation des partis dirigés par Mélenchon. Il y eut d’abord le « Parti de gauche ». Appellation, simple, classique, dans laquelle on trouve deux mots au sens clair : « parti » et « gauche ». Un parti fondé en 2009 sur des bases antilibérales. Il y eut dans le même mouvement la coalition du « Front de gauche pour changer d’Europe » (appellation officielle). Á noter : « changer d’Europe », pas « changer l’Europe ». En association avec le parti communiste et quelques autres. Mélenchon fit unilatéralement voler en éclat ce regroupement en 2016. J’aimais bien « front de gauche ». D’abord, l’expression comportait le mot « gauche ». Et puis, il y avait ce « front » si prometteur : une alliance pour faire front, pour aller au front, pour mener des attaques frontales. L’appellation « La France insoumise », c’est autre chose. Lorsqu’il lance le mouvement le 10 février 2016, Jean-Luc Mélenchon proclame : « Je veux représenter et incarner la France insoumise et fière de l’être, celle qui n’a pas de muselière ni de laisse. » Nous sommes ici dans une posture morale – ce qui est bien en soi – mais pas politique. L’insoumission peut être de toute nature et de tout positionnement. Á sa manière, Soral est un insoumis. Par ailleurs, qu’est-ce que « la France insoumise », si ce n’est la projection fantasme d’un peuple qu’il constitue lui-même face à un autre peuple qui serait soumis, avec une bonne frontière bien étanche entre l’oligarchie ennemie et un peuple ami constitué d’amis. Et quand je dis « peuple », je suis gentil. Lui et les autres dirigeants disent « les gens ». Politiquement parlant, on sait, en gros, ce qu’est le peuple : des citoyens qui vivent sur un même territoire et qui acceptent les mêmes règles. Le tout constituant une nation. Mais « les gens », c’est quoi donc ? Le « métro » dont parlait Malraux lorsqu’il évoquait l’électorat gaulliste ? Le mouvement ouvrier, les marxistes n’ont jamais adhéré à ce type de catégorisation sommaire d’une France d’en haut et d’une France d’en bas, du peuple d’un côté et des élites de l’autre.

On se souvient de la chanson de Jean Ferrat déboussolé par les chars soviétiques à Prague :

C’est un joli nom Camarade
C’est un joli nom tu sais
Qui marie cerise et grenade
Aux cent fleurs du mois de mai

Hé bien justement : dans les banques de données des sociolinguistiques, on s’aperçoit qu’en période de campagne électorale Mélenchon utilise ce terme 10 fois par an au maximum. C’est parce que dans l’ensemble « gazeux » (disent-ils, vous comprenez ce que cela veut dire ?) de la France insoumise les partis, les formations radicales, l’addition, la conjonction de forces militantes s’effacent au profit des « gens ». Des « gens » auxquels il s’adresse directement : « Soyez vous-mêmes, les gens », lance-t-il lors de réunions électorales.

Dans sa page Facebook, Jean-Emmanuel Ducoin (PCF, L’Humanité) citait récemment une analyse d’Alexis Corbière : « Je ne veux plus m’enfermer dans le mot “ gauche ”. Ses échecs récents en ont fait un repoussoir. Rassembler la gauche n’a plus de sens : des millions de gens ne se positionnent pas d’un côté ou de l’autre ! Il faut trouver un vocabulaire nouveau, un message différent. » Comme par exemple celui de populiste, un concept autour duquel tournent Mélenchon et la philosophe Chantal Mouffe, pour qui le marxisme et la démocratie délibérative sont dépassés (au fait, quid de la démocratie délibérative au sein de LFI ?). Corbière nous dit que le mot “ gauche ”– dans lequel il ne faut pas « s’enfermer » ( ?) – serait un repoussoir. Peut-être pour les socialistes qui se sont ramassés lors de la dernière élection présidentielle, mais pas pour les forces de progrès (j’allais dire « de gauche ») qui, derrière Mélenchon, ont totalisé près de 20% des suffrages exprimés avant de partir en capilotade et de tourner aujourd’hui autour de 8-10%. La faute au manque de clarté du discours de LFI. Pour simplifier, atermoiements entre union des forces de gauche et un populisme qui renonce à toute référence à la gauche. Pour Quattenens, il faut « arrêter de revendiquer sans arrêt les codes de la gauche radicale ». Pour Malika Bendriss, il faut « améliorer le quotidien des petites [sic] gens », la « gôche » (sic) étant « devenue un boulet politique ». Et pour Kévin Boucaud-Victoire, « Le populisme, c’est la gauche radicale qui essaie d’aligner la France de Johnny à celle de Booba, les classes populaires de la France périphérique à celle des banlieues ». Quelle bouillie ! Et je ne parle même pas d’une opposition actuellement très structurante au sein de LFI entre communautaristes et anti-communautaristes.

Plus de 100 personnes ont réagi au billet de Ducoin sur Facebook. Au-delà de sensibilités différentes et divergentes, c’est le désarroi qui l’emporte. Je cite quelques intervenants qui réagissent après Ducoin qui, lui-même, demande des explications :

« On ne peut donc plus considérer La France Insoumise comme étant de gauche et si on assume l’opposition Gauche/Droite, alors cela veut dire que c’est un mouvement de Droite, une sorte de bonapartisme socialisant. »

« Substituer le clivage gauche/droite par peuple/élite est une erreur, ce n’est pas une vision classiste, et le ni droite ni gauche ou ni de droite ni de gauche ou et de droite et de gauche, ça va surtout faire progresser le populisme – de droite mais qui ne se dit pas comme tel bien sûr... encore un effort Corbière... »

« Le mot gauche est un "enjeu de lutte" (comme diraient les sociologues critiques) à se réapproprier, faudrait s’en souvenir plutôt que de se référer à Mouffe et Laclau... »

« Le populisme fonctionne sur le mode du « eux et nous ». Si la désignation de l’adversaire est une condition du combat politique, elle ne doit pas nous conduire à passer sous silence les contradictions, d’abord chez les dominants – contradictions qu’il s’agit d’exacerber –, mais surtout chez les dominés, car elles sont un obstacle à la construction d’une stratégie hégémoniste. En effet, une même personne peut à la fois être exploitée par le capital, opprimée par d’autres exploités ou en opprimer d’autres, et prise dans des configurations discriminantes. Il est impossible de réduire tous les antagonismes qui traversent la société à un antagonisme majeur, que ce soit le rapport capital/travail, pourtant fondamental, ou la division peuple/oligarchie portée par le populisme de gauche. »

« Ce mot de gauche a été si galvaudé. L’humain d’abord, voilà le titre du programme, l’ère du peuple, ça parle non ? C’est le programme qu’il faut lire et comprendre que c’est un choix de civilisation. On doit quitter le capitalisme, créer des quantités d’emplois avec la transition écologique, soutenir nos étudiants qui sont notre avenir inventer, innover pour survivre sur cette planète en harmonie avec la nature. »

« On attend avec impatience le nouveau message ! »

« même quand le personnage au demeurant sympathique est capable de mentir et accepte des alliances à géométrie variable en fonction des disponibilités en termes de sièges et non pas d’idées. Entre Anne Hidalgo qu’il a soutenue en sachant qu’il s’agit d’une ultra libérale et Jean Luc Mélenchon qu’il a aussi soutenu en sachant qu’il était à l’opposé de la pensée ultra libérale... qui est il vraiment... Aucune confiance en lui. »

« FI se dit ni de gauche ni de droite ! Ceux qui tiennent ce langage sont dangereux ! Nier les valeurs de la vraie gauche c’est nier l’existence des valeurs de classe ! »

« 300 % d’accord avec Corbières. La gauche et la droite ça ne veut plus rien dire depuis belle lurette. L’évolution linguistique et le rapport au langage sont une indication forte de l’évolution générale, et même un guide. Les gens se font couillonner depuis des décennies par le dualisme : il est là le piège... Du coup c’est tout noir ou tout blanc et c’en est ridicule.... La force est ailleurs et sous une autre forme, bien plus élaborée, et bien plus riche, au sens le plus noble du terme..... Il faut avancer. Les mutations sont nécessaires, encore faut-il savoir regarder devant.. et même au delà. Bref. Je crois que vous avez compris ce que je voulais dire....Concevoir, énoncer, réaliser... »

« Ne vous inquiétez pas la droite sait très bien quelle est la différence entre elle et la gauche !!! Moi je suis de gauche et je sais ce que cela signifie en termes de valeurs et de revendications. »

J’ai particulièrement aimé cette dernière intervention. Depuis la fin des années Mitterrand, la droite se proclame de droite et n’en a pas honte. De Le Pen à Bayrou en passant par Wauquiez et Retailleau, son corpus idéologique est travaillé et fortement relayé par les grands médias. Si elle écrase le discours de la res publica, c’est parce qu’elle se concentre sur le social (ou antisocial), pas sur le sociétal.

Ce n’est pas parce qu’aux ronds-points militants des gilets d’extrême gauche côtoient des gilets d’extrême droite que, dixit Corbière, « des millions de gens ne se positionnent pas d’un côté ou de l’autre ». La caissière à temps partiel du supermarché (qui sera, avant demain, remplacée par une machine) sait parfaitement qui est, non pas son agoniste, comme dit Mouffe, mais son antagoniste. Au fait, combien de millions ?

05/04/2019 17:33 par Mustapha

Même ici, on aurait droit, en passant, à une petite pique anti-Mélenchon ? C’est dommage, c’est vraiment dommage , d’autant plus dommage que l’affirmation est fausse ; Dire que l"le PS de gauche, ça ne veut plus rein dire", ne saurait signifier que ""la droite et la gauche c’est du pareil au même"", ou que "la droite ou la gauche n’existeraient plus" .. les mots — chaque mot- ont leur importance...

05/04/2019 20:22 par irae

Non mais je reve 28minutes pour ceux qui y croiraient encore titre ce soir jadot contre glucksman. Opposer un libéral à un autre a-t-il pour seule fonction d’asthésier le votant en lui attribuant un QI d’huître amnésie ?
Un peu de sérieux les merdiacrates ça commence à se voir.

06/04/2019 03:42 par Bruno

Si j’apprécie sur LGS le récapitulé politique du sinistre individu récemment nommé par sa seigneurie Élyséenne au Conseil Constitutionnel, je m’étonne que rien ne soit dit sur son passif génocidaire.

C’est donc à cela que je m’emploie ici, à ma petite échelle de cordée :

"L’imposture d’Alain Juppé lors du Génocide des Tutsi du Rwanda :" https://www.ensemble-fdg.org/content/limposture-dalain-juppe-lors-du-genocide-des-tutsi-du-rwanda

"Pour comprendre la tragédie du Rwanda
"( + Opération Turquoise pro-génocidaire / Alain Juppé ) :
https://www.christophebaroni.info/rwanda.html

Avouez qu’à parader avec Juppé & Sarkozy en salissant tout ce qu’il touche ( le Conseil Constitutionnel ou le Maquis du Plateau des Glières ), Macron signe ici son enterrement de première classe. Il s’offre même les clous du cercueil ! Mais hélas, ces compères comme beaucoup d’autres immondes mourront dans leurs lits sans être passés par la case prison...à mois que la Cour Pénale Internationale s’intéresse soudainement aux deux criminels de guerre en question - Juppé (Rwanda) & Sarkozy (Libye) avant qu’ils ne cassent leurs pipes. Qui sait ?

06/04/2019 04:04 par Bruno

Contre la technoploutocratie au pouvoir....voici venu-e-s... les dits " Gens " ...et le moins que l’on puisse dire c’est que les indigènes ne sont pas indigents.

( Je répète : les indigènes ne sont pas indigents ) :

" 2eme Assemblée des Assemblées " :
https://saint-nazaire.assembleesdesgiletsjaunes.fr/

" Saint-Nazaire : les Gilets jaunes réunis en Assemblée des Assemblées " :

https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/saint-nazaire/saint-nazaire-gilets-jaunes-reunis-assemblee-assemblees-1650926.html

06/04/2019 04:57 par irae

@Bernard
Merci pour votre longue explication à laquelle j’avoue ne pas avoir tout compris. Mon étonnement était plus basique : "mais que venait faire M. Mélenchon dans un article sur les crapules (un condamné et un mis en examen et un responsable mais pas coupable) de l’autorité "garante du droit"."
Manie, certes devenue courante de méler M. Melenchon à toutes les sauces dans les relais mediatiques du pouvoir, mais quel lien avec votre sujet ?

06/04/2019 14:41 par Prunieres Gerard

Excellent texte mis à part ce coup de griffe grotesque à Mélenchon.

06/04/2019 16:57 par szwed

Qu’on le veuille ou non, seuls aujourd’hui (décade 2015/2025) Mélenchon et LFI sont sérieusement en mesure d’opposer à la droite , au centre et à l’extrême droite une autre politique et la possibilité de gouverner à gauche avec comme préoccupation :
- la revalorisation de la justice sociale et fiscale,
- la transition écologique en actes,
- la sortie de l’Otan,
- des garanties sur les libertés collectives et individuelles
- et un État qui protège des prédateurs dans tous les domaines.
Certes Mélenchon et la LFI sont loin d’être parfaits, je l’admets volontiers.
Pour autant, je ne sais vraiment pas à quoi jouent les autres organisations politiques se réclamant de gauche si ce n’est permettre à la ploutocratie de continuer à prospérer, avec un Macron "placé bien plus qu’il n’a été élu", [comme le formule Juan Branco "Crépuscule"(éditions Au Diable vauvert)].
Je ne sais pas à quoi jouent les électeurs-trices de gauche qui acceptent d’éparpiller leurs voix.
Pour le reste... ce qui est de Juppé, Gensane fournit une synthèse travaillée et pertinente. rendons à César....

07/04/2019 09:41 par --gilles--

Non seulement Alain Juppé a voulu participé au détricotage du financement des retraites avec son plan Juppé en 1995
https://www.youtube.com/watch?v=mrI7Yp9FAMU

mais comme le dit Bernard Gensane :
« Cette nomination est un geste particulièrement habile : Juppé est le débiteur du banquier éborgneur qui l’a absout. »

Juppé est aussi le débiteur d’une autre Banque états-unienne celle-ci : il s’était lié avec Robert G. Wilmers (maintenant décédé), chairman de l’AFCCV et à l’époque président de la M&T Bank Corporation et propriétaire du Château Haut-Bailly et qui l’a aidé à financer la « Cité du vin » à Bordeaux. En septembre 2017, Alain Juppé lui avait remis les insignes d’officier de l’ordre national de la Légion d’honneur.
https://en.wikipedia.org/wiki/Robert_G._Wilmers

https://www.laciteduvin.com/sites/default/files/presse/communique/cp-amercian_friends_of_la_cite_du_vin_bordeaux_1015.pdf

http://www.terredevins.com/actualites/deces-de-robert-g-wilmers-proprietaire-chateau-haut-bailly/

Alain Juppé a été débiteur d’une partie des milieux financiers américains, avait-il les moyens de rembourser autrement que par des gestes politiques ? Ces milieux financiers s’estiment-ils dès à présent suffisamment remboursés ? Ou bien en veulent-ils plus et ont-ils favorisé l’ascension de cet homme à un point-clé des institutions françaises ? Quel sera l’avenir du secteur public financier et des salariés de La Poste et La Caisse des Dépôts et Consignations avec Macron à l’Élysée et Juppé au Conseil Constitutionnel ?

07/04/2019 14:02 par Dominique

Marx disait que la libération des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. Kropotkine fut très lucide sur la révolution russe, il a toujours critiqué la prise de contrôle des soviets par le tout-puissant parti et il a toujours dit qu’une telle révolution, en raison de son centralisme omniprésent et donc totalitaire, ne peut qu’échouer. La suite a montré qu’il avait raison.

Kropotkine appelait de ses voeux une nouvelle internationale qui ne soit pas organisée par un seul parti comme les deuxièmes et troisièmes, mais qui soit organisée directement par les prolétaires réunis en conseils ouvriers. Les Gilets Jaunes dans leur organisation sont bien plus proches des conseils ouvriers de Kropotkine que des partis monolithiques et concurrents de la gauche traditionnelle. Les Gilets Jaunes devraient donc se concentrer sur ce qui fait leur force, cette décentralisation source d’unité dans l’intégration des différences, décentralisation qui, grâce aux débats qu’elle permet et encourage, permet de rompre l’isolation dans laquelle la gauche s’est enterrée et atomisée en une multitude de sectes concurrentes par son refus systématique du dialogue avec celles et ceux qui ne partage pas ses vues à 110%, refus du dialogue qui implique un repli systématique sur des positions morales et doctrinales sans prise ni sur la réalité, ni sur la politique.

Ce n’est donc pas un hasard si la droite s’acharne ainsi sur le mouvement des Gilets Jaunes et si la gauche multiplie les initiatives pour essayer d’en prendre le contrôle et de le diluer avec entre autres des revendications bourgeoises comme le RIC (Comme nous pouvons le constater dans un petit pays comme la Suisse, il faut un paquet de fric pour faire aboutir un RIC, et encore plus pour gagner la campagne qui accompagne la votation !). Le seul futur positif que je peux voir pour le mouvement des Gilets Jaunes est s’il reste centré sur son organisation décentralisée, moyen pratique indispensable pour garantir que toutes et tous puissent s’exprimer et être entendu.

08/06/2019 17:35 par --gilles--

Une nouvelle offre de la Banque Postale bien dans l’évolution où elle risque d’aller :

https://www.mafrenchbank.fr/

avec un nom européen standard !

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