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Du Capitole à la roche tarpéienne

« Le Capitole était le cœur du pouvoir religieux de la République romaine. Sur cette même colline se trouve la roche Tarpéienne d’où les condamnés à mort étaient précipités.

Réveillé par les cris des oies du Capitole, Marcus Manlius Capitolinus, en 390 avant J.C., combattit les Gaulois qui tentaient d’envahir discrètement la colline et sauva Rome. Manlius fut couvert d’honneurs. Cependant, peu après, il fut accusé de vouloir se faire sacrer roi et fut jeté de la roche Tarpéienne », nous explique sobrement Wiktionnaire. D’où l’expression : il n’y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne. Il n’y a pas loin de la gloire à la déchéance, surtout quand l’orgueil s’en mêle...

Il n’aura échappé à aucun esprit sensé que c’est exactement ce qui est en train d’arriver aux derniers maîtres du monde en date, les Etats-Unis d’Amérique, eux aussi installés au Capitole ; et en plus, ils nous entraînent dans leur chute, parce que, selon Philippe Grasset, les Européens éprouvent pour les Américains, « une passion amoureuse dévorante » et sont prêts à tout pour leur plaire. Ne venons-nous pas d’assister à « la grandiose bouffonnerie d’un Parlement Européen proclamant à une majorité démocratique considérable que la Russie est un “ État-terroriste ” ?

Sommes-nous au bout du tunnel du ridicule cosmique de l’Occident ? En ont-ils conscience ? » se demande Philippe Grasset, avant de s’exclamer avec fougue : « Combien de temps faudra-t-il supporter la dictature d’une si universelle sottise, manipulée par une bande de gredins incultes et prétentieux ? L’avalanche emporte tout ! Jamais aussi grotesque cocu que l’Europe n’a gémi avec tant de hargne de la souffrance des effets innombrables de ses propres lâchetés et du poids considérable de sa propre sottise... Un cocu pareil, c’est métahistorique ».

Il ne faudra pas moins, selon lui, que « la fin de l’American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l’Amérique (...) pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation. »

Heureusement, on s’en approche inéluctablement de la fin de l’hégémonie de l’Empire américain, sans aucun doute un des empires les plus malfaisants de l’histoire, mais, en ce qui nous concerne, nous les Européens, le suspense est toujours aussi grand. Allons-nous nous réveiller ? Et si oui, ne sera-t-il pas trop tard ?

Pour Andreï, du site The vineyard of the Saker, les Etats-Unis sont déjà morts. Quant à leurs avatars, l’OTAN et l’UE, ça ne tardera pas : « Douglas MacGregor a raison, la guerre de l’OTAN contre la Russie pourrait très bien aboutir à l’effondrement de l’OTAN et de l’UE qui, à leur tour, planteront un « dernier clou » officiel dans le cercueil d’un Hégémon déjà mort depuis longtemps et qui n’existe encore que grâce à son élan et à sa machine de propagande.

Je dirais que l’OTAN est déjà en train de s’effondrer sous nos yeux, un processus que les crises économiques, sociales, politiques et spirituelles qui frappent l’ensemble de l’UE ne feront qu’accélérer. Et, bien sûr, le plus étonnant dans tout cela, c’est que cet effondrement n’est pas le résultat d’un plan machiavélique concocté par les Russes, les Chinois ou les Iraniens, mais la conséquence directe de décennies de politiques véritablement suicidaires : ils l’ont fait eux-mêmes !

Maintenant, les Russes, les Chinois et les Iraniens attendent, observent (probablement en souriant) et planifient le monde multipolaire sans hégémonie qu’ils veulent créer, avec ou sans la participation des États-Unis et de l’Europe ».

Comment expliquer cette tragédie européenne ?

Les analystes d’aujourd’hui s’arrachent les cheveux et en viennent à se demander si même les historiens du futur parviendront à élucider ce mystère du suicide d’une trentaine de nations européennes.

Moi, j’ai une explication simple et peut-être simpliste qui est aussi la conclusion du film Saint Omer. On assiste, dans le film, au procès d’une mère qui est allée à Berck offrir sa fille de quinze mois à la marée montante. Elle n’a pris aucune précaution pour dissimuler son déplacement à Berck, tant elle se sentait invisible aux yeux des siens, comme aux yeux du monde. Quand on lui demande les raisons de son acte, elle invoque la sorcellerie. Pensait-elle s’en libérer en donnant sa fille en offrande au dieu de la mer ? En tout cas, il est clair qu’elle est quelque part maudite, envoûtée, menée par des forces qu’elle ne maîtrise pas, et, la vérité que personne (ni les personnages du film, ni les spectateurs) n’a voulu voir et que son avocate dévoile dans sa plaidoirie finale, c’est qu’elle est tout simplement folle. Comment est-elle devenue folle ? C’est cette question qui fait finalement l’intérêt du film et dont la réponse nous est en partie donnée par un autre personnage, une professeure d’université qui assiste aux audiences et dont le spectateur suit, comme en miroir, la catharsis libératrice. Comme l’accusée, elle est d’origine africaine, fille d’une mère toxique et vit mal sa grossesse.

Le mot folle sonne, dans la bouche de l’avocate, à la fois comme une transgression – comment ose-t-elle accuser une femme, qui plus est noire, d’être folle ? – et comme la seule explication possible. C’est un mot qu’on emploie rarement aujourd’hui sauf pour insulter quelqu’un. Sinon, on parle de maladie mentale, une maladie qui d’ailleurs n’a plus besoin d’être soignée, puisqu’on ferme les hôpitaux psychiatriques les uns derrière les autres, mais qui paradoxalement sert encore parfois à absoudre un criminel pour dissimuler les vrais responsables, comme dans l’incendie de la cathédrale de Paris par exemple. L’accusée de Saint Omer, pourtant visiblement folle, ne bénéficiera pas de cette mansuétude.

C’est au même constat qu’arrive James Howard Kunstler dans un article du 28 novembre 2022, intitulé “ Les 4 arnaques ”. Pour lui, notre société toute entière est folle. Et c’est « l’effondrement de la société techno-industrielle qui a généré parmi les citoyens une terreur telle qu’elle a rendu la société folle ». La preuve, on voit apparaître actuellement des phénomènes incroyablement « mystifiants ». Il en identifie quatre qui sont des plus « maléfiques dans le sens qu’ils sont gérés de façon à nous nuire » : le covid 19, la guerre du gouvernement contre ses propres citoyens, le wokisme et le mondialisme.

Il compare ce qui nous arrive à « la psychose qui a envahi les Aztèques de 1519 à 1521. C’est l’histoire la plus étrange de l’histoire que je connaisse. La civilisation aztèque avait à peine deux cents ans. La grande cité-état de Tenochtitlan avait rapidement atteint environ un million d’habitants lorsque Hernan Cortés et sa compagnie, représentant l’Espagne de l’Inquisition, ont débarqué. Cortés, dans son casque d’acier étincelant, était la personnification de la divinité en chef des Aztèques, Huitzilopochtli, leur dieu du soleil, et du récit théologique qui l’accompagnait, à savoir que Huitzilopochtli reviendrait dans le monde depuis l’endroit où les dieux se reposaient et détruirait tout. En fait, c’est exactement ce que le Señor Cortés et ses quelques centaines de soldats ont fait à un million d’Aztèques et à leur culture.

Mais pendant les deux années où Cortés a séjourné parmi eux, les Aztèques sont devenus fous et ont intensifié leur programme de sacrifices humains – quelques captifs malchanceux de temps en temps – pour en faire un fantastique bain de sang rituel, coupant le cœur de centaines de personnes au sommet de leur grande pyramide afin de contenter Huitzilopochtli et de le persuader, par cette preuve sanglante de leur dévotion, de ne pas mettre fin à leur monde. Il s’est terminé quand même, mais un autre monde (sans doute pas meilleur) a pris sa place : le Mexique.

C’est le genre de folie collective humaine périodique que je vois dans les quatre arnaques qui se répandent dans le monde alors que la civilisation occidentale vacille. Le problème est que, ayant remplacé nos dieux par la science, nous n’avons aucune divinité à propitier. Juste des hypothèses sans fin sur ce qui est à venir ».

Le bouc émissaire

Certes nous ne sacrifions plus des humains ni des animaux aux dieux, mais nous désignons toujours des victimes expiatoires de nos fautes et faiblesses collectives. Dans le film Saint Omer, on voit la professeure d’université illustrer pour ses étudiants le rituel primitif du bouc émissaire à travers l’épisode de la tonte des femmes qui a ponctué la libération. Dans la Bible, c’est un bouc, un animal donc, qu’on charge des fautes de toute la nation avant de le chasser dans le désert. Le rituel, pour primitif qu’il était, était au moins conscient et encadré. La pratique moderne du bouc émissaire, n’étant ni l’un ni l’autre et étant, qui plus est, instrumentalisée par des pouvoirs qui ne nous veulent pas que du bien, est une pratique totalement barbare.

Il s’agit d’un phénomène cyclique que René Girard a bien étudié. Lorsqu’un groupe ou une nation se trouve en difficulté elle se divise. Alors, pour empêcher la guerre civile et l’explosion de la société, elle se choisit des boucs émissaires qu’elle accuse de tous les maux et tente de se réconcilier sur leur dos, en les ostracisant ou les éliminant. Macron a ainsi désigné les non vaccinés à la vindicte populaire pour détourner l’attention de sa gestion dévastatrice du Covid. Les soi-disant réactionnaires, complotistes, antivax, antisémites, racistes, jouent le même rôle avec la complicité des médias de grand chemin. Les hommes blancs hétéros vivants, eux, sont chargés de tous les crimes sexistes et coloniaux passés, présents et à venir.

Les gens sont actuellement fous de terreur et de colère, les responsables ne veulent pas assumer leurs responsabilités et désigner des boucs émissaires est devenu leur sport favori. Au-dessus de tous les prétendus suppôts de Satan qu’ils montrent du doigt, il y a bien sûr le grand Satan. Il n’a pas toujours le même nom, il s’est appelé Milosevic, Saddam Hussein, Kadhafi, Bachar el Assad et aujourd’hui il s’appelle Poutine.

Selon Tucker Carlson, la diabolisation de Poutine remonte à un moment et un lieu précis :

En mars 2006 « L’ancien sénateur John Edwards et le membre du Congrès Jack Kemp ont été nommés à la tête d’un groupe de travail du Council on Foreign Relations (CFR) chargé de déterminer si un « partenariat stratégique » avec la Russie était encore possible à la lumière des politiques que Poutine avait adoptées et qui entraient en conflit avec les objectifs géopolitiques plus larges de Washington. À leur retour de Moscou, Kemp et Edwards ont publié un article intitulé « La mauvaise direction de la Russie »

... Voilà pourquoi les auteurs ont décidé que Poutine allait dans « la mauvaise direction » : Il ne soutiendrait pas leurs interventions militaires inconsidérées, il ne livrerait pas le pétrole russe à des oligarques rapaces, il ne détournerait pas le regard lorsque les gouvernements voisins seraient renversés par Washington l’un après l’autre, et il ne se mettrait pas au garde à vous lorsqu’il recevrait des ordres de Washington. Telles sont les raisons pour lesquelles il est odieusement attaqué dans les médias et considéré comme l’ennemi mortel de Washington. Il a tout simplement refusé d’être leur laquais, et c’est pourquoi ils ont passé les 17 dernières années à essayer de le détruire ».

Nous savons de façon sûre, par la voix de nos médias de propagande, que tout ce qui nous arrive est de la faute de Poutine. Si en janvier nous allons subir des coupures de courant, ce n’est pas parce que nous avons fermé nos centrales au profit d’éoliennes laides, couteuses et inutiles et que nous avons imposé toujours plus de sanctions ridicules à la Russie, non, c’est parce que Poutine est méchant. Pensez, il n’a pas voulu nous laisser piller ses ressources, ce démon !

Mais pour que ça marche, pour que la technique du bouc émissaire ramène la paix et la raison dans nos contrées, René Girard le dit bien, il faut rameuter beaucoup, vraiment beaucoup de monde. Et c’est là que le bât blesse, 85 % du monde refuse tout net de traiter Poutine en paria. Ce n’est vraiment pas juste ! Nous avions trouvé un bouc émissaire formidable, son élimination aurait résolu tous nos problèmes mais, manque de pot, il n’y a pas moyen de l’éliminer.

Notre grand ami étasunien, que dis-je, notre grand amour, la prunelle de nos yeux, celui à qui nous avons confié notre vie et notre avenir, nous avait promis que si nous faisions tout ce qu’il voulait, nous pourrions partager le Rêve américain. Nous avons fermé les yeux, il nous a pris la main, le bras, et tout le reste. Grâce soir rendue à notre bienfaiteur !

Et pendant ce temps, Poutine et ses amis sont en train de bâtir un nouveau monde, un monde multipolaire sans nous pour ne pas dire contre nous. Comme le souligne cruellement Pepe Escobar : « Lentement mais sûrement, ce qui émerge, c’est la vision d’un monde irrémédiablement fracturé, caractérisé par un double système de commerce et de circulation : l’un tournera autour des vestiges du système du dollar, l’autre se construit autour de l’association des BRICS, de l’UEE et de l’OCS.

En poussant plus loin la récente métaphore pathétique d’un patron eurocrate de pacotille : la « jungle » se sépare du « jardin » avec une grande détermination. Puisse cette fracture persister assez longtemps pour qu’un nouveau système de paiement international – puis une nouvelle monnaie – vienne mettre un terme définitif à l’Ère du Pillage occidental. »

C’est horrible, nos peuples sont devenus fous de terreur devant l’effondrement de leur existence dont nous sommes en grande partie responsables ; c’est horrible, ils vont nous massacrer à la première occasion malgré nos chars et nos mitrailleuses ; c’est horrible, nous voilà isolés sur l’île Europe et privés de tout !

Que faire ?

Il ne nous reste plus qu’à nous jeter du haut la falaise comme les lemmings du documentaire de Walt Disney, ça nous savons faire ! Nous, nous sauterons de côté au dernier moment, laissant les flots engloutir nos populations jusqu’au dernier Ukrainien, cela aussi nous savons faire ! Puis, le devoir accompli, nous irons, comme si de rien n’était, prendre la place qu’on voudra bien nous donner dans le concert des nations du monde multipolaire, en attendant que notre Dieu étasunien vienne nous sauver encore une fois...

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Viktor Dedaj

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