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L’Autre Guerre d’Israël (The New Yorker)

La semaine dernière, j’ai de plus en plus fréquemment vu et entendu la phrase « laissez Tsahal gagner ». Publiée dans les médias sociaux, peintes à la bombe sur les murs, et chantée dans les manifestations. Beaucoup de jeunes la citent sur Facebook, et semblent penser que c’est une phrase qui a surgi en réaction à l’opération militaire en cours à Gaza. Mais je suis assez vieux pour me rappeler comment elle a évolué : d’abord formulée comme un slogan pour ensuite devenir un mantra. Évidemment, ce slogan ne s’adresse ni au Hamas ni à la communauté internationale, mais aux Israéliens. Et il symbolise à lui tout seul toute la vision tordue du monde qui guide Israël depuis douze ans.

La première hypothèse erronée qu’il contient est qu’il y aurait des gens en Israël qui empêchent l’armée de gagner. Ces saboteurs présumés pourraient être moi, mon voisin, ou toute autre personne qui s’interroge sur le principe et le but de cette guerre. Tous ces cinglés, qui osent poser des questions ou soulever des préoccupations quant à la politique de notre gouvernement, qui lient les mains de notre armée en la harcelant d’éditoriaux et d’appels défaitistes à plus d’humanité et d’empathie, sont prétendument la seule chose qui sépare l’armée israélienne d’une victoire totale.

La deuxième idée, beaucoup plus dangereuse que ce slogan contient est que l’armée israélienne pourrait effectivement gagner. « Nous sommes prêts à recevoir tous ces missiles non-stop, » ne cessent de répéter aux informations de nombreux Israéliens du Sud, « à condition qu’on en finisse, une bonne fois pour toutes. »

Douze ans et cinq opérations contre le Hamas (dont quatre dans la bande de Gaza) plus tard, et nous voilà encore avec ce même slogan alambiqué. Les jeunes hommes qui n’étaient encore que des gamins durant l’opération Defensive Shield sont maintenant des soldats qui envahissent Gaza par voie terrestre. A chacune de ces opérations, il y a eu des hommes politiques de droite et les commentateurs militaires pour souligner que « cette fois-ci il faudra aller jusqu’au bout, en finir une bonne fois pour toutes, jusqu’à la fin ». En les regardant à la télévision, je ne peux m’empêcher de me demander de quelle « fin » ils parlent. Même s’il ne restait plus un seul combattant du Hamas, est-ce que quelqu’un croit réellement que l’aspiration du peuple palestinien pour son indépendance disparaîtra avec eux ? Avant le Hamas, nous nous sommes battus contre l’OLP, et après le Hamas, en supposant que, comme je l’espère, nous soyons toujours là, nous allons probablement nous retrouver face à une autre organisation palestinienne. L’armée israélienne peut gagner les batailles, mais la paix et la tranquillité pour les citoyens d’Israël ne pourront être trouvées que par un compromis politique. Mais ça, d’après les pouvoirs patriotiques qui dirigent la guerre en cours, c’est quelque chose que nous ne sommes pas censés dire, parce que ce genre de discours est précisément ce qui empêcherait l’armée israélienne de gagner. En fin de compte, lorsque cette opération sera terminée et qu’on fera le bilan de morts, des deux côtés, le doigt accusateur sera de nouveau pointé sur nous, les saboteurs.

En 2014, en Israël, la définition d’un discours légitime a complètement changé. La discussion est divisée entre ceux qui sont « pro-Tsahal » et ceux qui sont contre. Les voyous de droite qui scandent « Mort aux Arabes » et « mort aux gauchistes » dans les rues de Jérusalem ou l’appel du ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman à boycotter les entreprises israélo-arabes qui protestent contre l’opération à Gaza sont considérés comme patriotiques, alors que les appels à cesser l’opération ou de simples expressions d’empathie pour les femmes et enfants tués à Gaza sont perçus comme une trahison envers le drapeau et le pays. Nous sommes confrontés à l’affirmation fausse et anti-démocratique qui prétend que l’agression, le racisme et le manque d’empathie sont synonymes d’amour pour la patrie, tandis que toute autre opinion - en particulier celle qui n’encourage pas le recours à la force et la mort de soldats - n’est rien de moins qu’une tentative de détruire Israël tel que nous le connaissons.

Parfois, on dirait qu’il y a deux guerres en cours. Sur un front, l’armée se bat contre le Hamas. Sur un autre front, un ministre du gouvernement, qui a qualifié ses collègues arabes de « terroristes » dans l’enceinte de la Knesset (parlement israélien - NdT), et des voyous qui intimident les militants de la paix dans les médias sociaux, persécutent conjointement « l’ennemi intérieur », à savoir toute personne qui s’exprime différemment. Il ne fait aucun doute que le Hamas constitue une menace pour notre sécurité et pour la sécurité de nos enfants, mais la même chose peut être dite à propos des artistes comme le comédien Orna Banai, le chanteur Achinoam Nini, ou ma femme, la réalisatrice Shira Geffen, qui ont tous été vilipendés de façon haineuse et menaçante quand ils ont publiquement exprimé leur mécontentement devant la mort d’enfants palestiniens. Les attaques extrêmes contre eux sont-elles un moyen supplémentaire de défense nécessaire à notre survie, ou ne sont-elles qu’une explosion de haine et de rage ? Sommes-nous vraiment si faibles et effrayés que toute opinion qui diffère du consensus doit être censurée, de peur d’attirer des menaces de mort, non seulement contre ceux qui s’expriment, mais aussi contre leurs enfants ?

Beaucoup de gens ont essayé de me convaincre de ne pas publier cet article. « Vous avez un petit garçon, » m’a dit la nuit dernière un de mes amis. « Parfois, il vaut mieux être intelligent que d’être juste. » Je n’ai jamais prétendu être juste et je ne dois pas être trop intelligent non plus, mais je suis prêt à me battre pour mon droit d’exprimer mon opinion avec la même férocité que l’armée israélienne démontre en ce moment à Gaza. Cette guerre-ci n’est pas pour mes idées, qui sont peut-être erronées ou pathétiques, mais pour cet endroit où je vis, et que j’aime.

Le 10 Août 2006, vers la fin de la deuxième guerre du Liban, les écrivains Amos Oz, AB Yehoshua et David Grossman ont tenu une conférence de presse dans laquelle ils ont exhorté le gouvernement à parvenir à un cessez le feu immédiat. J’étais dans un taxi lorsque j’ai entendu l’information à la radio. Le chauffeur a dit, « Qu’est-ce qu’ils veulent, ces salopards, hein ? Ils n’aiment pas voir souffrir le Hezbollah ? Ces connards ne veulent rien d’autre que haïr notre pays. » Cinq jours plus tard, David Grossman a enterré son fils dans le cimetière militaire du Mont Herzl. Apparemment, ce « salopard » voulait quelque chose d’autre que haïr ce pays. Plus important encore, il voulait voir son fils, comme tant d’autres jeunes hommes qui ont été tués au cours des derniers jours de combats superflus, revenir en vie à la maison.

C’est terrible de commettre une erreur réellement tragique, une erreur qui coûte de nombreuses vies. C’est encore pire de commettre la même erreur encore et encore. Quatre opérations à Gaza, un nombre immense de coeurs israéliens et palestiniens qui ont cessé de battre, et nous voilà toujours au même endroit. La seule chose qui a réellement changé, c’est la tolérance de la société israélienne envers la critique. Il est devenu évident au cours de cette opération que la droite a perdu patience pour tout ce qui concerne cette notion insaisissable de « liberté d’expression ». Au cours des deux dernières semaines, nous avons vu des gens de droite tabasser à coups de battes des gens de gauche, des messages Facebook promettant d’envoyer les gens de gauche dans les chambres à gaz, et des dénonciations de toute personne dont l’opinion freinerait l’armée sur son chemin vers la victoire. Il s’avère que cette route sanglante jalonnée d’opérations n’est pas aussi circulaire que nous aurions pu le croire. Ce chemin ne tourne pas en rond, il s’enfonce en spiral, toujours plus bas, encore plus bas, jusqu’à un niveau que, j’ai le regret de le dire, nous aurons la malchance de connaître.

Etgar Keret

Traduction "le PS qui soutient une droite qui tabasse et menace de mort la gauche locale... où est-ce que j’ai déjà vu ça ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.newyorker.com/books/page-turner/israels-other-war
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