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La crise ukrainienne à travers le prisme stratégique américain

La vérité occidentale martelée veut que le président russe Vladimir Poutine entende reconstituer à la fois l’empire russe et l’Union soviétique.
Commis voyageur zélé, le président américain Barack Obama vint à Bruxelles proposer aux Européens de remplacer du gaz russe par du gaz états-unien, à l’heure où se prépare la grande affaire du Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique (TTIP).

Tout cela n’est ni soudain, ni inattendu pour qui prend la peine de relire les meilleurs stratèges des Etats-Unis. Dès 1997, Zbigniew Brzezinski explique dans son maître livre, « Le grand échiquier – l’Amérique et le reste du monde » (actualisé dans « Le vrai choix » en 2004), pourquoi et comment contrôler l’Eurasie. « L’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale. » Né Polonais, successivement conseiller des présidents Carter et Obama, Brzezinski annonce que « le but de ce livre est de formuler une politique géostratégique cohérente pour l’Amérique sur le continent eurasien ». Hypothèses et raisonnements sont d’une grande rigueur intellectuelle. L’Eurasie est centrale, l’Amérique doit y être présente pour dominer la planète, l’Europe est la tête de pont de la démocratie en Eurasie, l’OTAN et l’Union européenne doivent, de concert, étendre leur influence en Eurasie, les Etats-Unis doivent jouer simultanément l’Allemagne et la France (carte des zones d’influences respectives de ces deux pays à l’appui), alliées fidèles mais, de façon différente, remuantes et capricieuses. Cela sera laborieux : « Quoi que l’avenir nous réserve, on peut raisonnablement conclure que la primauté américaine sur le continent eurasien sera soumise à de fortes turbulences et même confrontée à des épisodes de violence. »

L’auteur repère cinq « acteurs géostratégiques » : la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine et l’Inde, et cinq « pivots géopolitiques » : l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l’Iran. Russie et Chine sont les deux limites à l’expansion projetée. « Exclure la Russie (de l’UE ou de l’OTAN) pourrait être lourd de conséquences – cela validerait les plus sombres prédictions russes –, mais la dilution de l’Union européenne ou de l’OTAN aurait des effets fortement déstabilisateurs. » « Le dilemme se résume à un choix entre équilibre tactique et dessein stratégique », estime l’Américain. Le « pivot géopolitique » ukrainien fait l’objet de longs développements : « Au cours de la période 2005–2010, l’Ukraine pourrait à son tour être en situation d’entamer des négociations en vue de rejoindre l’UE et l’OTAN. » Brzezinski suggère d’étendre à l’Ukraine le « triangle de Weimar », constitué en 1991 par la France, l’Allemagne et la Pologne pour en faire « la colonne vertébrale de la sécurité européenne ». « Une question essentielle se pose, poursuit Brzezinski : ce scénario se déroulera-t-il dans un environnement apaisé ou dans un contexte de tension avec la Russie ? »

Nous avons la réponse. Mais le défi lancé aux Russes s’encombre peu de subtilités : « Pour que le choix de l’Europe – et, en conséquence, de l’Amérique – se révèle fructueux, la Russie doit satisfaire à deux exigences : tout d’abord, rompre sans ambiguïté avec son passé impérial ; ensuite, cesser ses tergiversations à propos de l’élargissement des liens politiques et militaires entre l’Europe et l’Amérique. » Bref, un désarmement unilatéral.

Benjamin Barber, ancien conseiller du président Clinton, complète utilement la vision états-unienne, dans une version plus modérée. Adversaire résolu du président George W. Bush et des néo-conservateurs, il oppose, dans son ouvrage « L’Empire de la peur » (2003), les « aigles », schématiques et brutaux, aux « chouettes », subtiles dans leur chasse entre chien et loup. Reste que les chouettes sont aussi des prédateurs. A la « guerre préventive », Barber préfère la « démocratie préventive », sans s’illusionner sur la « démocratie de marché » chère à certains démocrates : « Le désir de favoriser l’expansion de la démocratie forme une composante déterminante de la démocratie préventive comprise comme politique nationale de sécurité, mais on confond souvent ce soutien avec le désir tout aussi intense d’exporter le capitalisme et de cultiver les marchés mondiaux. [...] Dans le secteur international, l’âge des « robber barons » (barons voleurs) – appelons-les les banques prédatrices ou les spéculateurs hors-la-loi – est de retour. »

La teneur de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE illustre largement la volonté prédatrice de s’emparer des richesses de l’Ukraine, moyennant quelques corruptions des nouvelles élites, au nom de « la concurrence libre et non faussée », de la « mobilité des travailleurs », de la « récupération ou du rapatriement des capitaux investis, de même qu’aux profits qui en découlent. » Le volet militaire n’est pas oublié : « Promouvoir une convergence graduelle en matière de politique étrangère et de défense. »

Serait-ce l’empire euro-américain ?

Gabriel Galice
Président du GIPRI* (Genève).

* GIPRI : L’« Institut international de recherches pour la paix à Genève » (en anglais « Geneva International Peace Research Institute », GIPRI) est une organisation non gouvernementale basée à Genève.

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