Depuis le 14 janvier 2011, date de « transfert » de Ben Ali à l’Arabie Saoudite et de l’installation d’un pseudo-pouvoir téléguidé par les islamistes et leurs mentors internationaux, la Tunisie souffre d’un déficit flagrant d’autorité de l’Etat. La transition du vieux couple « Mbazaa-Essebsi », ayant duré moins d’un an, a favorisé l’installation des islamistes dans toutes les articulations de l’Etat à travers des élections basées sur un code électoral taillé sur mesure pour les islamistes et leurs satellites.
La Constituante a accouché par « césarienne », après trois ans de gestation, d’une Constitution d’un géniteur inconnu, complètement anachronique et inadaptée au contexte présent de notre pays. Le bilan de trois ans de calvaire a enregistré trois assassinats politiques et l’expédition de plus de 9000 mercenaires-terroristes tunisiens en Syrie, en Irak et en Libye. Cette seconde transition islamiste a terminé en queue de poisson permettant ainsi d’installer un gouvernement composé de technocrates, en majorité d’expatriés imposés par les « Amis de la Tunisie » suite à un processus de pseudo-dialogue national.
Les secondes élections post 14 janvier 2011 ont enregistré la défaite des islamistes sans offrir une réelle victoire aux partis républicains. Ces résultats mitigés, tant souhaités par les « Amis de la Tunisie », ont imposé une solution boiteuse pour gérer ou plutôt pour bloquer le pays. Une alliance contre-nature entre Nidaa Tounès et les islamistes a affaibli le front républicain et a installé l’immobilisme dans le pays. Une année de terreur et de division : trois attentats terroristes (Bardo, Sousse, Garde présidentielle) un jeune berger égorgé, implosion de Nidaa Tounès et tout récemment une tentative échouée d’installation d’un Emirat islamiste à Beni Guerdane ayant fait des dizaines de victimes dans le rang des forces armées et des civils.
Pourquoi en sommes-nous arrivés à ce chaos intégral ? Une économie en berne, des finances publiques au rouge, un secteur touristique en métastase, un Etat dégonflé, une Administration pléthorique incapable de lutter contre les fraudes et les crimes de tout genre et de réaliser la moindre réforme structurelle (radiation de la contrebande, déclaration de la guerre à la fraude fiscale, réforme de la fonction publique et son redimensionnement en fonction de ses besoins actuels, réforme de la Caisse de compensation afin que l’aide aille exclusivement aux familles nécessiteuses, redéfinition des fondamentaux des caisses de retraite, révision du code d’investissement afin de supprimer les avantages fiscaux octroyés aux IDE exportatrices, décentralisation intégrale des fonctions non régaliennes au profit des entités territoriales – communes et régions, créer le cadre institutionnel pour permettre à l’Armée nationale de s’autofinancer à travers des interventions dans l’économie tunisienne, réforme du service militaire pour le rendre obligatoire à tous et à toutes pour une durée minimale de deux ans, voire plus pour les sans-emploi, mettre fin aux avantages multiples accordés au personnel politique – président, ministres et députés – et de faire de l’action politique un acte de volontariat voire de bénévolat).
Le système de gouvernance issu de la Constitution de 2014 demeure incomplet et participe activement à l’affaiblissement de l’Etat et de ses institutions. Comment peut-on sortir de cette impasse et redémarrer une Tunisie sur la voie de la faillite ?
1. Poursuivre la politique de l’autruche ne peut que continuer à fragiliser l’autorité de l’Etat et accélérer la banqueroute du pays, porte ouverte à une nouvelle colonisation et à l’accaparement des richesses de notre pays par les « amis de la Tunisie ».
2. Maintenir le système politique actuel et opérer les réformes structurelles exigées par le FMI se traduiront fatalement par une implosion de notre pays et de sa mise sous-tutelle.
3. Mettre entre parenthèses nos institutions –gel du Parlement en application des dispositions Constitutionnelles et installation d’un gouvernement kamikaze-, solution séduisante mais qui risque de provoquer un affrontement violent avec la Centrale syndicale.
4. Opérer une décentralisation intégrale, engager les principales réformes et impliquer l’Armée dans le processus du développement du pays.
Les trois premiers scénarii sont à éviter car le personnel politique actuel n’est pas capable d’entreprendre de telles actions. Le 4ème scénario mérite d’être essayé, mais rien n’indique que le passage d’un centralisme à outrance à une décentralisation consistante peut apporter une lueur de sauvetage au pays. Un éventuel échec de ce dernier scénario ouvrirait une voie royale à une gouvernance à l’égyptienne ou pire encore à l’installation déguisée de l’étranger.
Le pouvoir politique actuel a-t-il le courage de consulter le peuple tunisien sur la manière dont il souhaite être gouverné dans un futur proche ? Sans un référendum sur cette question cruciale, la Tunisie pourrait s’effriter et devenir la proie de tous les prédateurs locaux et internationaux, lesquels trouvent des agents indigènes pour terrifier la population et bloquer la marche du pays.
Nul ne doute maintenant que la Tunisie est devenue un désert politique remplie de mafieux de tous genres, de charlatans-commerçants de religion, d’assassins politiques, de « samsars » de jeunes et d’opportunistes à la recherche de gain facile.
Sans le jugement des assassins de Chokri Belaid et de Mohamed Brahami.
Sans la condamnation de tous ceux qui ont enrôlé des jeunes tunisiens pour les expédier à l’enfer syrien pour soi-disant déloger le régime de Bachar.
Sans la punition de celui qui a facilité la formation de DAECH-Tunisie dans le Mont Chaambi et le désert tunisien, notre pays demeurera en panne, facilitant la cannibalisation de la Tunisie par toutes les mafias locales et étrangères.
Une lutte populaire contre tous ces mafieux s’impose de toute urgence. A défaut d’une prise de conscience rapide, la Tunisie pourrait devenir la Syrie ou la Libye ou les deux à la fois, c.à.d. un terrain d’affrontements sanguinaires et sans issue et sans fin.
Seules l’Action, l’unité nationale et la pérennité de la Tunisie républicaine comptent, le reste n’est que cosmétique ou poudre aux yeux létale. Ceux qui prétendent diriger notre pays doivent comprendre que leur stratégie à la remorque des « Amis de la Tunisie » ne mène qu’à la catastrophe, à la mort et au déshonneur. Assez de martyrs, assez de comédie morbide.
La solution de la Tunisie ne peut venir que du peuple tunisien à travers des manifestations pacifiques de masse permettant de chasser cette horde de mafieux, d’incompétents compradores qui pillent notre pays pour leur profit et au bénéfice de la mafia internationale.
Les « Amis de la Tunisie » doivent admettre que notre pays n’est ni à vendre ni à louer. Leur intimidation à travers leur stratégie multidimensionnelle (pourrissement de la situation de la Libye, menaces persistantes déguisées de notre voisin de l’Ouest, pressions du FMI, assèchement du flux touristiques provoquant perte d’emplois, difficultés financières de l’Etat, etc...) ne peut pas réussir, car le peuple tunisien refuse toute mainmise de l’étranger sur la Tunisie. Notre pays n’est l’ennemi de personne mais, il exige une réelle coopération gagnant-gagnant où les deux parties trouvent leurs comptes. Le maintien de la Tunisie dans cette instabilité systémique qui a fait perdre aux tunisiens la moitié de leur pouvoir d’achat ne peut que radicaliser les tunisiens et les tunisiennes et ne satisfait l’intérêt de quiconque ni dans le court ou long terme. L’Allemagne, en particulier, doit revoir à la baisse ses ambitions paternalistes sur la Tunisie. Ce pays doit cesser de tirer profit du chaos post 14 janvier 2011 et s’infiltrer à travers un réseau d’entités dans les rouages de l’Etat. Nous n’avons nul besoin d’une autre forme de « colonisation » destructrice du potentiel économique national.
Monastir, 18 Mars 2016
Mustapha STAMBOULI est un ancien fonctionnaire du PNUD, Nations Unies