Dans son éditorial, Benoît Bréville pose la bonne question : En 2017, le Portugal comptait 400 000 étrangers et l’extrême droite était inexistante. Huit ans plus tard, il en abrite près de 1,6 million (15 % de la population totale) et l’extrême droite s’est imposée comme la deuxième force au Parlement. Attestée un peu partout en Europe, la corrélation entre l’augmentation des flux migratoires et l’ascension des formations xénophobes semble presque mécanique. « Le peuple français ne veut plus d’immigration », en déduit Mme Marine Le Pen, avant d’appeler à un référendum. Mais quelle question faudrait-il poser ?
Le numérique nous ramène-t-il au Moyen Âge ?, demande Evgeni Morozov : « Un débat fait rage : les géants de l’intelligence artificielle ont-ils changé leurs utilisateurs en serfs et en vassaux condamnés, comme au Moyen Âge, à trimer gratuitement et à payer la rente ? Ou appliquent-ils à la lettre, mais avec des produits sophistiqués, les vieilles recettes du capitalisme industriel ? Pour les combattre, il faudra choisir entre Don Quichotte et Karl Marx. »
Serge Halimi et Pierre Rimbert décrivent le lobby pro-Israël en France : Alors qu’Israël a transformé Gaza en camp de concentration et poursuit l’annexion de la Cisjordanie, Paris vient d’annoncer, une nouvelle fois, sa reconnaissance de l’État de Palestine, désormais prévue en septembre prochain. Autrefois influente au Proche-Orient, la France deviendrait ainsi le 149e pays à franchir le pas. Ce retard doit beaucoup au rôle d’un puissant conglomérat politico-médiatique qui agit en faveur de Tel-Aviv.
Frédéric Lordon réfléchit au fait que quatre millions de spectateurs regardent la première série quotidienne télévisée française : C’est un feuilleton, sur France Télévisions, au titre prometteur : « Un si grand soleil ». Un programme bien fait pour nous reposer des difficultés de la vie sociale et, plus encore, des envahissements de la politique. Mais est-ce si sûr ? Que fait une série très regardée à ceux qui la regardent — y compris politiquement ? À plus forte raison quand elle est convaincue de ne rien avoir de « politique »
Elie Guéraut et Laélia Véron décortiquent le « triomphe » du beauf : Caricaturé par Cabu dans les années 1970, le personnage du « beauf » servait alors à moquer le Français un peu borné, réactionnaire et sexiste, qu’il soit artisan, petit patron ou ouvrier. Désormais, cette figure semble se réduire aux couches populaires, si bien que certains à gauche, dénonçant un mépris de classe, ont entrepris de la réhabiliter. Sans mesurer les impasses d’une telle stratégie.
Elisa Perrigueur nous emmène dans le huit-clos des croisières : On imaginait le tourisme de croisière touché par le naufrage du « Costa Concordia », puis coulé par le Covid. En réalité, le secteur ne s’est jamais aussi bien porté, avec 34,6 millions de passagers dans le monde en 2024, soit 9 % de plus que l’année précédente et 16 % de plus qu’en 2019. En embarquant dans un navire de MSC entre Venise et Mykonos, on comprend mieux les ressorts de ce succès commercial.
Raphaël Le Magoariec nous fait découvrir la diplomatie du dromadaire : Figure du Golfe avant l’ère pétrolière, le « chameau d’Arabie » connaît aujourd’hui un engouement sportif doublé d’un intérêt très politique de la part des monarques de la péninsule, notamment ceux des Émirats arabes unis. Symbole d’authenticité, les courses de camélidés, très populaires, s’exportent et renforcent la communication d’un régime aux ambitions régionales affirmées.
Renaud Lambert voit dans le Japon l’autre pays du communisme : La première édition des œuvres complètes de Karl Marx et Friedrich Engels n’est pas allemande, anglaise ou française. Elle a vu le jour au Japon, qui a donné naissance à l’un des plus grands partis communistes de la planète. Au fil des années, la formation a abandonné la perspective socialiste, mais son ambition de libération nationale inquiète toujours autant.
Jean-Marie Collin nous engage à combattre l’ensauvagement nucléaire : Quatre-vingts ans après l’anéantissement de Hiroshima et Nagasaki par des bombes atomiques américaines, les politiques de défense fondées sur la dissuasion connaissent un regain de popularité, dopées notamment par la guerre en Ukraine et les conflits au Proche-Orient. Pourtant, au même moment, une large majorité d’États des Nations unies conteste l’idée de sécurité appuyée sur le nucléaire.
Boris Kagarlitsky et Alexeï Sakhnine se demandent pourquoi M. Poutine est inflexible : Intellectuel marxiste, Boris Kagarlitsky est une figure de la gauche russe. Depuis la prison où il se trouve en raison de son opposition à la guerre, il poursuit sa réflexion sur l’ordre international. Dans cet article coécrit avec Alekseï Sakhnine, militant exilé en France, il décèle dans le camp du pouvoir russe des divisions qui pourraient s’accentuer.
Maïlys Khider et Jésus Lopez nous offrent les deux visages de l’opposition cubaine : Depuis 1959, Cuba subit l’hostilité des États-Unis. Washington finance nombre de groupes d’opposition d’extrême droite établis en Floride. La profonde crise économique que traverse l’île leur donne une occasion d’affaiblir La Havane. Entre répression gouvernementale et instrumentalisation, une nouvelle génération de contestataires peine, sur place, à trouver un débouché politique à sa colère.
Guillaume Orignac observe le stand-up français sur la sellette : Oubliez les comédies à sketchs et faites place à l’auto-dérision et à l’évocation des parcours personnels. En France, l’humour rime désormais avec des seuls en scène qui, forts des origines de leurs interprètes, ne craignent pas d’aborder les multiples facettes de la société. Quitte à provoquer la polémique et à subir des accusations de communautarisme.
Pour Philippe Descamps, la loi Duplomb est sucrée comme la mort : « La question que je me pose face à [cette pétition], c’est “est-ce que l’on veut encore des agriculteurs en France ?” », assurait le 22 juillet dernier M. Olivier Leducq, directeur général du groupe Tereos, sur BFM Business. Les entretiens très complaisants de cette chaîne avec les industriels présentent l’avantage de montrer au grand public les visages des marchands de doute et des groupes de pression qui agissent généralement dans l’ombre des ministères.
Stanislas de Fournoux, Aurélien Merle, Clémence Monnier et ValentinVander expliquent pourquoi la politique, elle aussi, peut être en goguette : Son principe est simple : un air connu, des paroles modifiées, pour un propos souvent politique. Désigné par le terme de « goguette », le détournement de chansons renoue avec le succès. Les membres du groupe français qui a remis le mot et la pratique sur le devant de la scène expliquent pourquoi cette histoire qui fleurit au XIXe siècle continue.
Anne Mathieu sait comment débusquer les collaborateurs dans les médias : Après la défaite des nazis et de leurs collaborateurs français, était-il concevable que des journalistes dont les médias avaient recommandé l’exécution des résistants et la déportation des Juifs reprennent leur travail comme avant ? Réponse négative. La Libération fut donc suivie d’une épuration générale de la profession. Parfois très détaillés, les dossiers d’instruction sont disponibles. Leur dépouillement nous apprend beaucoup.
Sonia Combe s’est lancée dans la recherche du céramiste et du maître espion : Beau comme la rencontre fortuite dans une prison moscovite d’une jeune Hongroise et d’un espion en 1936. Il l’interroge, ils tombent amoureux, puis chacun fuit aux États-Unis pendant que les grandes purges saignent l’URSS. À la manière d’un roman policier dont l’énigme ne serait jamais résolue, les trajectoires d’Eva Stricker et d’Alexandre Orlov tissent la trame d’un siècle de contradictions, entre espoirs et fureur.
Catherine Dufour pose la question de savoir qui déteste Jane Austen [pas moi qui l’ai enseignée en Côte d’Ivoire il y a 45 ans] : Les histoires qu’elle conte parlent d’argent, de déclassement, de malentendus amoureux et d’obsession du statut social. Elle a l’ironie mouchetée mais ravageuse, un vif sens de la satire élégante, le goût des désordres réprimés. Longtemps « élitaire », elle est depuis quelque temps merveilleusement tendance. Jane Austen ou le consensus ?
Guillaume Ringuenet nous dit qu’il est un car que Monsieur Macron ne prendra jamais : No signal ». L’écran d’informations n’en donne plus. Quelques dizaines de personnes encerclent le seul agent présent. Dans son gilet jaune, avec son scan, il enchaîne les codes-barres. Non loin de là, Veerle profite d’un rayon de soleil. Partie tôt ce matin de La Souterraine, cette native de la Flandre a fait escale à Limoges ; la voilà à Paris ; elle doit encore rejoindre Bruxelles. Sa sœur vient de décéder. « J’ai pris le transport le moins cher. » La brise fait frémir les branches, la chômeuse pointe la gare de son mégot. « C’est sombre, je n’ai aucune envie d’attendre là-dedans. » Coincée entre l’Accor Arena, la Cinémathèque française et la voie express, la gare routière cache bien son charme. Pour la trouver, on a suivi les valises à roulettes à travers le parc de Bercy, jusqu’à des ouvertures en arc ; à l’intérieur, quatre-vingts places en épi, presque toutes occupées, et des moteurs qui tournent. Quai n° 64, le BlaBlaCar Bus s’apprête à partir vers Tours. Ses passagers finissent de déposer leurs bagages en soute. L’habitacle vibre, on aperçoit un puits de lumière. Puis au feu vert, juste en face, le ministère de l’économie.
